2007 Dossier : Prévenir la maltraitance en Maison d’accueil spécialisé Publication n° 858 du 25 octobre 2007
Sommaire
La chronique de Lucien Bargane
Social actualités
Une approche singulière à la MAS Paul-Mercier à Lyon
Entretien avec Gaëtan Munoz, psychomotricien : « Si la parole n’est pas possible, il y a un terrain propice à la maltraitance »
Entretien avec Jean-Jacques Rossello, psychiatre : « L’importance de nommer la réalité quand elle est perçue comme monstrueuse »
2005 Lien social Comment rester motivé(e) en maison d’accueil spécialisé Publication n° 768 du 6 octobre 2005
Thèmes : Polyhandicapé.
a)Article synthèse Les maisons d’accueil spécialisées (MAS) hébergent des adultes lourdement handicapés. Jusque dans les années 80-90, ces établissements étaient de type asilaire et on y pratiquait surtout du nursing et des activités occupationnelles. Aujourd’hui, les résidants bénéficient d’un accompagnement thérapeutique et éducatif
La maison d’accueil spécialisé accueille des adultes en situation de « grande dépendance », selon l’expression d’Elisabeth Zucman [1] qui ont besoin d’une aide humaine et technique permanente, proche et individualisée. Trois types de résidants y vivent : personnes déficientes intellectuelles profondes ; personnes atteintes de handicaps associés (polyhandicaps ou multihandicaps) ; personnes handicapées à la suite d’un accident grave ou d’une maladie massivement invalidante. Une partie importante des résidants souffre de troubles épileptiques et certains présentent une grande fragilité identitaire (psychose, autisme) engendrant une souffrance psychique importante. Les maisons d’accueil spécialisées sont nées en septembre 1978 avec le décret d’application de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975. Auparavant, les personnes lourdement handicapées étaient souvent placées dans des services hospitaliers ou restaient dans leur famille. Elles étaient donc très peu stimulées. Aujourd’hui les résidants de MAS vivent dans de petites unités proposant un accompagnement à la fois thérapeutique et éducatif. Prévenir l’usure professionnelle, prendre plaisir à travailler en MAS
Le travail d’accompagnement de personnes lourdement handicapées est souvent considéré comme source d’épuisement professionnel par les étudiants et professionnels du travail social. De fait, il présente de grandes difficultés : les corps à corps sont difficiles et éprouvants (les résidants doivent souvent être portés, lavés, nourris…) ; de nombreux résidants n’ayant pas de langage verbal, la communication peut sembler difficile ; les troubles associés (autisme, épilepsie..) sont difficiles à gérer…. Mais malgré les difficultés, dans notre dossier, trois témoignages soulignent que le travail en MAS peut constituer un réel plaisir. Pour Jean-Pierre Regourd, directeur de la MAS Perce-Neige de Bois-Colombes (lire le reportage) le discours fataliste et dévalorisant concernant les personnes très lourdement handicapées contribue à l’idée que le travail auprès d’elles est forcément épuisant. Heureusement, grâce à de nombreuses études, des pistes ont été élaborées pour travailler avec ces résidants. Soins, bien-être, confort des résidants, activités plaisantes, vie sociale ouverte sur l’extérieur sont les maîtres mots de l’équipe qu’il dirige. Une équipe qui prend plaisir à travailler avec ce public, réduisant ainsi les risques d’usure professionnelle. Pour Philippe Chavaroche, formateur en travail social (lire l’interview), travailler auprès de personnes lourdement handicapées peut être passionnant à condition que le personnel bénéficie de lieux de parole, réflexion, soutien, de formation continue et de reconnaissance professionnelle. Un souci que partage Damien Gillot, chef de service éducatif de la MAS de la Plantade (lire le témoignage) pour lequel comprendre le comportement des résidants est primordial pour éviter les risques d’usure professionnelle. Le personnel de la MAS de la Plantade bénéficie d’une formation qui lui permet de mieux comprendre le comportement du résidant, donc de moins le subir, de mieux savoir faire et au final de trouver davantage de sens à son travail.
Trois témoignages qui vont dans le même sens : des difficultés, certes, mais des résidants au formidable potentiel avec lesquels travailler apporte de réelles satisfactions.
Thèmes : Polyhandicapé.
b)La maison d’accueil spécialisée Perce-Neige de Bois-Colombes Soins, bien-être, confort des résidants, activités plaisantes, vie sociale ouverte sur l’extérieur sont les maîtres mots des professionnels de la MAS Perce-Neige [1] de Bois-Colombes (92). Une équipe qui prend plaisir à travailler avec ce public lourdement handicapé, réduisant ainsi les risques d’usure professionnelle
Dans son fauteuil, toute de rouge vêtue, Anne-Félicité rayonne. Maquillée, les cheveux tressés à l’africaine, la jeune résidante est ravie de sa mise en beauté réalisée par Noëlle Malunga, aide médico-psychologique dans l’atelier esthétique. Une autre jeune femme attend impatiemment son tour, tandis qu’un résidant se ballade en fauteuil, complimente et en profite pour faire le baise-main à toutes les dames. L’ambiance est joyeuse. Plus loin, dans la salle de détente, allongées sur des coussins de toutes les couleurs, deux jeunes femmes écoutent, détendues, Afi Sow, aide médico-psychologique lire une histoire. Une musique douce accompagne les mots. Au fond de la pièce, un homme s’est assoupi dans son fauteuil. Dans l’atelier peinture, sous la houlette du psychomotricien Fabien Berthebaud, quatre résidants reproduisent – chacun selon ses possibilités – la vision de leur lieu de vie avec un ciel d’un bleu très vif. Dans l’espace Snoëzelen, Paola est recroquevillée sur un matelas d’eau. Tout près d’elle, Anne Boucher, animatrice, lui caresse les cheveux et le dos pour apaiser ses angoisses. Cette salle de détente sollicite les cinq sens : musique douce, diffusion d’huiles essentielles, défilé de couleurs apaisantes… Plus loin, piscine, salle de balnéothérapie, salle de travaux manuels… autant de lieux pour favoriser le confort et l’activité des résidants. Chaque moment de plaisir est précieux : réaliser un gâteau en cuisine avec l’aide des AMP, le déguster, fumer une cigarette sur la terrasse si l’état de santé le permet, manger un plateau télé devant un film fétiche ou un match de foot… « Nous incitons l’équipe à penser à ce qui peut faire plaisir aux résidants, explique Hélène Le Fur, chef de service Vie sociale, des choses très simples : lire un livre dans une pièce agréable, rester près d’eux sur un matelas… », mais aussi sortir, faire des courses, une ballade, aller caresser les chevaux du centre d’équitation… Le repas, dans une grande salle à manger aux tables vertes espacées, est le moment fort de la journée, un temps thérapeutique puisqu’il faut assister les résidants dans la prise des repas et les apaiser en cas de crise d’angoisse. Sur simple coup de fil, parents et amis peuvent venir déjeuner dans une autre salle avec un résidant. Lutter contre l’usure professionnelle
« Dans les années 80 - 90, peu nombreux étaient les professionnels qui voulaient s’occuper des résidants des MAS, évoque Jean-Pierre Regourd, le directeur, dans ces établissements de type asilaire, il était communément admis qu’on ne pouvait faire que du nursing, l’idée d’accompagnement n’existait pas. On faisait figure d’extraterrestre si l’on employait le terme « sujet » pour parler de ces personnes. Aujourd’hui, nous proposons aux résidants un accompagnement sanitaire et social ». Pour ce directeur, le discours fataliste et dévalorisant concernant les personnes très lourdement handicapées a contribué au fameux burn-out professionnel. Grâce à de nombreuses études, des pistes ont été élaborées pour travailler avec ces résidants même si une grande motivation du personnel reste nécessaire. Jean-Pierre Regourd a participé à l’ouverture de quatre MAS à Paris et en province [2] et a pu ainsi prendre la mesure des difficultés qu’une équipe peut rencontrer avec ces résidants mais aussi de leur formidable potentiel et du plaisir que l’on peut avoir à travailler avec eux. « J’ai appris à gagner du temps pour choisir une équipe motivée malgré les difficultés de recrutement liées à ces postes et la mauvaise image encore associée aux MAS, précise t-il ; même dans les centres de formation on ne parle souvent des MAS qu’en termes de lourdeur de handicap ou d’incapacité, soupire t-il. La lourdeur existe, il ne s’agit pas de la nier mais d’arriver à l’apprivoiser et à trouver une façon de travailler qui ne rende pas la journée plus lourde qu’ailleurs ». Michel Legouini, chef de service paramédical, partage ce point de vue. Parler autrement du résidant de MAS, essayer de relativiser la lourdeur de l’accompagnement est primordial. « A la MAS Perce-Neige nous ne sommes pas aveuglés par le mot « lourdeur », dit-il ; cette notion existe bien entendu, mais nous essayons de l’éclater, d’apporter des réponses aux besoins des résidants. Nous étudions chaque personne, voyons comment réactiver ses potentiels. Battre en brèche cette notion de lourdeur permet de remobiliser les équipes. Elles doivent avoir en tête les questions suivantes : que peut-on faire avec ce résidant ? Comment gérer l’inévitable crise d’adaptation lors de son arrivée ? ». Hèlène Le Fur complète : « Nos équipes ont beaucoup d’humour, elles taquinent les résidants, sont détendues, ce qui allège les difficultés ». Des difficultés que personne ne nie pour autant. Les situations de désordre ou de violence existent, les manutentions sont lourdes et le risque de burn-out n’est pas absent. Les mouvements de personnel en témoignent puisqu’en 2004, 15 % du personnel a quitté l’établissement. Ces départs traduisent la pénibilité du travail ou l’impossibilité à en apprécier tout l’intérêt sur une courte période. « Tout professionnel qui arrive avec l’idée qu’on ne peut rien faire avec les résidants part rapidement. Il se retrouve confronté au doute. On est dans la découverte du sujet, comment savoir ce qu’on peut faire avec lui avant d’avoir passé du temps ensemble ? », interroge le directeur. Pour lui « le burn-out est le déni social de la souffrance. Si on ne reconnaît pas que l’accompagnement peut amener de la souffrance, on risque l’épuisement professionnel. Tous les résidants ont des difficultés relationnelles, mais la souffrance existe autrement si elle est partagée. Ici nous vivons avec le résidant au quotidien, l’accompagnons toute la journée, sommes en contact avec lui en permanence dans les activités comme dans les soins. Si une crise advient, nous l’accueillons en équipe, elle fait partie du travail en MAS où la notion de stabilisation n’existe pas ». Aujourd’hui, l’équipe se félicite de la rareté des crises : entre l’outil chimique et les techniques de relaxation, les résidants sont stabilisés. « Ici, il n’existe pas de frontière entre le médical et le social, indique Michel Legouini pour éviter les burn-out des équipes, nous introduisons du sens dans chaque acte de la vie quotidienne ». Pour l’équipe, le terme nursing ne signifie pas laver un résidant mais lui apporter soin et confort. Tout ce qu’elle fait a des effets thérapeutiques. La piscine, la lecture, apportent bien-être aux résidants mais aussi au personnel qui partage avec eux cette activité. Chaque moment de plaisir fait reculer les risques d’usure professionnelle. Et Michel Legouini de conclure « Même si 80 % des résidants ne peuvent pas s’exprimer oralement, chaque jour nous observons les progrès qu’ils réalisent ». « Le sens s’étiole, il a besoin d’être reconstruit en permanence »
Les résidants des maisons d’accueil spécialisées (MAS) sont très lourdement handicapés.
c)Intervew Philippe Chavaroche, formateur en travail social explique que pour éviter l’usure professionnelle, le personnel qui les accompagne a besoin de lieux de parole, de réflexion et de soutien
Quel personnel accompagne les résidants des MAS ?
Des aides médico-psychologiques, aides soignantes et éducateurs assurent leur prise en charge quotidienne, des rééducateurs, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes se chargent de la rééducation, des médecins, psychologues, psychiatres et infirmières assurent les soins. Ces professionnels leur proposent également divers ateliers thérapeutiques, pédagogiques ou de loisirs. En MAS, la vie quotidienne constitue le champ privilégié de l’accompagnement des résidants [1]. Le personnel répond à leurs besoins vitaux : repas, confort, hygiène, sécurité. Une quotidienneté rassurante et protectrice notamment pour les personnes les plus fragiles. Par ailleurs, le personnel stimule les résidants, les incite à agir lorsque cela est possible (mettre le couvert, aller se promener, écouter de la musique…). Enfin, l’aide à la socialisation représente un aspect important de l’accompagnement de ces personnes vivant dans des petites unités : échanges, respect de chacun… Vous soulignez que les personnes accueillies en MAS constituent une énigme pour les soignants. Pour quelles raisons ?
Ces personnes lourdement handicapées, souvent sans langage verbal, constituent pour nous une énigme car la communication n’est pas évidente de prime abord. Cela nous pose question : comment dois-je me comporter ? Qui suis-je pour elles ? La médecine est friande de classements mais ces personnes à la fois malades, handicapées et souffrant de troubles complexes et très intriqués sont difficiles à cataloguer, ce qui peut paraître insécurisant. La déformation du corps par la maladie et le comportement étrange peuvent inconsciemment nous évoquer l’idée de « monstruosité ». Erving Goffman [2] a montré que les stigmates - ces marques visibles sur le corps - renvoient la personne handicapée dans une dimension « pas tout à fait humaine ». Elle peut nous sembler inquiétante, angoissante, nous évoquer une image de folie difficile à supporter. S’occuper de ces résidants nécessite un corps à corps difficile et éprouvant : ils doivent très souvent être portés, lavés, nourris, couchés… Ils ont des corps d’adultes sexués et cela peut susciter pour les professionnels des émotions parfois difficiles à gérer. Dans les soins liés à la toilette, le personnel est quotidiennement confronté à la souillure ce qui est difficile à vivre sur le long terme. De plus, son travail n’est pas valorisé alors que l’acte de toilette humanise les personnes lourdement handicapées, leur redonne une place, une dignité, elles qui par le passé étaient reléguées dans les quartiers des « gâteux » des hôpitaux, considérées comme quasiment étrangères à l’humanité. Notre société rejette ce qui est considéré comme sale ou décrété comme tel. En Inde, les castes les plus basses sont chargées de ramasser les ordures, dans les sociétés occidentales, le « sale » doit être caché, évacué, exclu. On retrouve ce mécanisme dans le travail social, le personnel qui s’occupe des soins corporels est classé au bas de l’échelle salariale. Pourtant laver une personne souillée est l’acte le plus noble qui soit. Il faut revaloriser les soignants qui s’occupent d’elle. Quels systèmes défensifs peut mettre en place le personnel pour échapper à la difficulté de travailler avec ces résidants ?
Les difficultés dans la relation avec la personne très lourdement handicapée, l’incertitude, le manque de références, de modèle (ni le modèle éducatif ni le modèle médical ne suffisent) risquent de fragiliser le personnel. La fatigue physique liée à la manipulation, à la répétition des mouvements, des symptômes (stéréotypies, troubles du comportement), associée aux difficultés de décodage des comportements des résidants multiplient les risques d’usure professionnelle. L’impression d’être dans le non-sens peut provoquer la mise en place d’un système défensif : routine, gestes mécaniques pour éviter de penser afin de ne pas être renvoyé à ses difficultés. L’activisme représente un autre risque : il est tentant de multiplier les stimulations et les activités pour se donner l’illusion de réaliser plein de choses et éviter ainsi de sombrer dans la dépression. Tout cela peut-il entraîner des formes de maltraitance ?
L’application d’un « modèle éducatif » très normatif constitue une forme de maltraitance. Exiger des comportements normatifs de la part de personnes qui ne sont pas en mesure de les comprendre peut entraîner pour elles une grande souffrance psychique. Si elle manque de sens, la confrontation à la grande dépendance peut également provoquer des risques de maltraitance. Si le personnel n’arrive pas à comprendre, par exemple, la raison du comportement agressif d’un résidant, il peut être tenté d’adopter une solution inadaptée : médicaments, contention… Que préconisez-vous pour lutter contre l’usure professionnelle ?
Le risque de maltraitance peut exister chez tous les soignants. Ils doivent avoir la possibilité de parler de leurs difficultés, d’y réfléchir, d’exprimer leurs sentiments et leurs émotions dans le cadre d’un espace de parole animé par un psychologue ou un psychiatre qui les aide à théoriser, à donner du sens à leurs pratiques. Ils ont également besoin d’outils théoriques provenant de la médecine, de la psychologie, de la psychanalyse, de la neurologie, d’où l’importance de la formation continue. Vous insistez sur l’importance de l’observation, « de l’esprit de recherche clinique sur les aspects les plus simples et les plus ordinaires de la vie quotidienne ».
L’observation est le premier élément de tout travail de décodage du comportement d’un résidant en MAS, souvent sans langage verbal. La capacité à observer finement ce que vit, ressent, exprime un résidant n’est pas assez valorisée dans les formations. En observant les stéréotypies d’un résidant, on peut par exemple comprendre certaines nuances qui vont construire du sens. Regarder un résidant manger, voir de quelle manière il porte l’aliment à sa bouche peut par exemple permettre de repérer d’éventuelles douleurs dentaires ou buccales. Observer l’endroit où une personne aime se placer est riche de sens. Que se passe-t-il pour elle ? Le personnel a bien sûr reçu des éléments de compréhension du comportement du public très lourdement handicapé durant sa formation, mais la répétition des gestes quotidiens, le comportement des résidants peuvent user. Réactualiser ses connaissances, les remettre en marche est nécessaire. La fatigue, tout simplement peut provoquer des incompréhensions face au comportement d’un résidant. Pouvoir le restituer dans sa problématique est indispensable. Les lieux de parole, d’échange, de soutien le permettent. Dans ces structures, le sens s’étiole, il a besoin d’être reconstruit en permanence. Comment les résidants des MAS peuvent-ils s’inscrire dans la loi pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » ?
On peut, comme Jean-Yves Barreyre [3] , directeur du Cédias, s’interroger sur « l’absence assourdissante du polyhandicapé » dans cette loi. Elle a été élaborée sur la base de représentations proches d’un « valido-centrisme » de la personne handicapée, apte à exprimer ses désirs et à construire son projet de vie. On ne peut qu’être d’accord mais pour ces personnes en très grande difficulté de vie que sont les résidants des MAS, cette expression personnelle est beaucoup plus complexe du fait des lourdes pathologies dont elles souffrent. Le mot citoyenneté n’est-il pas un peu galvaudé alors que l’on sait qu’il manque un nombre très important de places en institutions adaptées pour ces personnes très gravement handicapées ? Actuellement on parle sans cesse de « droit à la citoyenneté » alors que, outre les personnes handicapées, malades ou âgées, sans solution d’accueil satisfaisante, des millions de personnes sont exclues du monde du travail, de la vie sociale ou du simple lien humain… Beaucoup de ces personnes très vulnérables ne peuvent pas ou plus dire « je » et décider elles-mêmes de leur vie dans une société qui prône de plus en plus l’individualisme et l’autoréalisation de soi. La loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale paraît inspirée de cette idéologie et peut se révéler en décalage avec les réalités cliniques des résidants des MAS. Que peut-elle changer pour ces résidants ?
L’application de cette loi pose un certain nombre de questions qu’il va falloir surmonter, notamment dans l’élaboration des « contrats de séjour » qui demanderont un réel partenariat entre les équipes professionnelles et les familles ou tuteurs. Mais si les résidants ne peuvent pas, dans leur grande majorité, contractualiser eux-mêmes leur séjour, comment toutefois les associer aux projets les concernant, recueillir leur parole, définir ce qui est nécessaire et bon pour eux sans pour autant les considérer comme des « objets de soins ». « La lutte contre l’usure est un défi permanent »
d)Intervew Damien Gillot, chef de service éducatif à la Maison d’accueil spécialisée de La Plantade [1] à Bort-Les-Orgues (19) affirme que dans ces structures aussi le travail éducatif et thérapeutique permet de mieux accompagner les résidants même lourdement handicapés
« Dès la troisième année d’existence de la MAS, nous nous sommes appuyés sur le décret du 27 octobre 1989, précisant que la prise en charge doit être thérapeutique mais aussi éducative et pédagogique pour mettre en œuvre ce type d’accompagnement. L’association de moyens éducatifs et thérapeutiques nous permet d’axer notre travail à la fois sur les domaine physique, psychique, affectif et social. Sur le plan éducatif, nous travaillons chaque jour au maintien ou au développement de capacités simples (se laver, s’habiller, prendre un repas), proposons des activités d’expression (peinture, travail manuel…), des activités physiques (parcours moteur, équitation, randonnée…) adaptées aux possibilités de chacun et entretenons aussi les relations avec l’extérieur en particulier avec la cité (achats personnalisés divers).
Les actions thérapeutiques sont essentielles, elles apportent des réponses aux souffrances corporelles et psychiques. Ainsi, nous travaillons sur la réduction de la douleur physique au moyen de la balnéothérapie, de supports adaptés à la morphologie, à la pathologie du résidant (fauteuils poires…). Le temps de toilette est également utilisé pour détendre et masser les corps meurtris. Pour apaiser la souffrance psychique, nous utilisons la balnéothérapie, la technique du PACK (enveloppement du corps avec des linges humides et froids permettant aux personnes psychotiques de sentir les limites de leur corps, atténuant ainsi leurs angoisses). La psychologue propose des psychothérapies aux personnes qui peuvent les suivre. Depuis quatre ans, nous utilisons la technique Snoezelen auprès de la vingtaine de résidants les plus handicapés. Elle consiste à stimuler les cinq sens dans une salle aménagée : lit à eau chauffant et vibrant, diffusion de senteurs, colonne à bulles colorées qui stimulent sur le plan sensoriel et vibratoire. Bien que simples, ces stimulations s’avèrent efficaces et bénéfiques. Les soignants observent les réactions de ces personnes souvent en état végétatif et réinvestissent leurs enseignements. Ainsi avons-nous allongé les temps de toilette des résidants, sensibles à des stimulations particulières comme des gels douche parfumés.
Lors de la création des MAS le législateur n’a pas jugé nécessaire de prévoir de postes d’éducateurs spécialisés, estimant que ce public lourdement handicapé a surtout besoin d’aide directe au quotidien (lever, toilette, repas) et d’animation. De fait cette réalité correspond à la majorité des actes dispensés tous les jours par les AMP et les aides soignants mais la présence d’éducateurs spécialisés permettrait de soutenir et d’accompagner ces personnels dans une meilleure compréhension des résidants et d’améliorer leur accompagnement. Historiquement, la formation d’éducateur spécialisé n’est pas axée sur la prise en charge du handicap lourd et un professionnel pourrait avoir du mal à trouver sa place dans des équipes tournées vers des actions en faveur d’un public très déficitaire. Une question à laquelle nous réfléchissons dans le cadre de la démarche qualité entamée en avril 2004 en vue de l’obtention de la norme ISO 9001 et d’une meilleure prise en charge du résidant.
En MAS, le risque d’usure professionnelle est grand, les équipes travaillent avec des personnes déficitaires tant sur le plan physique que psychique, sans accès à la communication verbale, à des tâches d’aide et de suppléance répétitives. La lutte contre le risque d’usure professionnelle constitue un défi permanent que nous tentons de relever par différents moyens, comme le développement des compétences par des savoirs complémentaires à la formation initiale. Dans l’accompagnement direct, chaque membre d’une équipe doit pourvoir répondre à la question : « qui est ce résidant que j’ai à prendre en charge ? » et être à même de comprendre pourquoi la personne accueillie a ce comportement, d’où elle vient et comment intervenir auprès d’elle. Philippe Chavaroche nous a aidés à mieux comprendre notre public, mieux réagir face à lui et prendre du recul face à ces comportements « archaïques » avec pour objectif : « Plus je comprends le comportement des résidants, moins je subis, mieux je sais faire et plus je trouve de sens à ce que je fais ». Cela nécessite une formation spécifique du personnel car les formations initiales, trop généralistes, ne préparent pas totalement au travail avec un public aussi déficitaire. Le soignant est confronté à un paradoxe : répondre aux besoins d’une personne carencée qui la maintiennent dans un registre infantile alors qu’elle a un statut d’adulte.
La gestion des ressources humaines est une seconde réponse apportée à la prévention des risques d’usure professionnelle. Nous changeons le personnel de groupe tous les trois ans, pour le remobiliser auprès de nouveaux résidants et de nouveaux collègues. Nous privilégions aussi les initiatives du personnel : organisation de séjours de vacances à l’extérieur, sorties le week-end, animations sur les lieux de vie (peinture, décoration à thème…). L’organisation d’une journée annuelle inter-MAS crée également un temps fort dans l’année. De plus, une fois par mois, le personnel bénéficie également d’une réunion d’analyse des pratiques professionnelles animée par un psychologue extérieur à l’établissement. Enfin, les personnels - qui travaillent sur des hébergements distincts - animent ensemble des activités (séances à la piscine, balades, achat de vêtements…), ce qui les oblige à travailler ensemble. Tout cela paraît anodin mais ces temps favorisent la mobilisation, l’échange, les relations avec les autres et l’extérieur. Se replier sur soi, aller subrepticement vers un fonctionnement de type asilaire, constituent les risques du travail en MAS.
La gestion des ressources humaines s’appuie également sur la formation continue au service des résidants. Il s’agit de sortir d’une formation « consommation » pour aller vers une formation « investissement » au service des besoins des personnes accueillies. A terme, nous favoriserons la formation promotionnelle. Savoir qu’il a la possibilité de quitter la structure, que son avenir n’est pas fermé, entretient le personnel dans une dynamique de vie, évite repli sur soi et découragement ». A lire : Usure dans l’institution – Daniel Brandého, éd. ENSP, 2000, deuxième édition.
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