04/12/2017
LES BIBLIOTHEQUES.
par Julien Brault,
Conservateur à la Bibliothèque Nationale de France Sommaire
LES BIBLIOTHEQUES. 1
I. Tableau général de la situation des bibliothèques : 1
II. Projet de rénovation et de transformation de la BNF Richelieu : 2
III. Les exemples de bibliothèques récentes (Consultables sur le net) : 4
IV. Quelques lignes de force pour la BNF et les bibliothèques en général : 4
I.Tableau général de la situation des bibliothèques : A.Un paradoxe : À l'heure de la révolution numérique, les médias annonçant la mort programmée du livre, la création des bibliothèques n'a pas été interrompue depuis les années 1980. 1990 : 1614 bibliothèques
2007 : 4285 bibliothèques Cette création vient de l'accroissement de multiples petites bibliothèques municipales, soutenue par les bibliothèques départementales.
Il faut noter aussi de 1994 à 2006, dans des villes de plus de 100 000 habitants, les 12 bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR) dont celle de Rennes en 2006 et celle de Marseille dans un quartier défavorisé, en cours de rénovation. Les BMVR sont conçues comme des pièces centrales dans le développement du territoire.
Dans les années 2000, la construction d'une bibliothèque est toujours un élément majeur des politiques culturelles de la ville comme de l’État dans un cadre de développement urbain et social. Les BU (bibliothèques universitaires) aussi, font massivement l'objet de rénovation ou de constructions :
- en 1988, le plan université 2000 de 32 milliards de francs (4,9 milliards €) pour le développement des universités et des BU dans des petites universités (Bretagne Sud) et des antennes dans les villes moyennes.
- en 2000 et 2004, le plan U3M, universités du 3ème millénaire, centré sur Paris . On va vers une rationalisation du documentaire dans de grands équipements, les PREES (Pôle Recherche de l'Enseignement Supérieur) issus du regroupement de plusieurs universités.
B.Depuis une dizaine d'années, beaucoup de questions se posent sur l'avenir des bibliothèques et du métier des bibliothécaires : La révolution d'Internet a touché les pratiques des bibliothèques, de l’édition et des librairies.
C'est la fin des encyclopédies en faveur du logiciel en ligne. Tout est accessible, la mine d'informations donne le vertige. En mars 2014, 25 000 internautes ont contribué à enrichir l'encyclopédie libre et collaborative Wikipédia.
Dans les BU, les publications des chercheurs ne sont plus imprimées mais immédiatement diffusées sur toute la planète. Dans les bibliothèques municipales, le budget est doublé pour payer un fournisseur en ligne. La question se pose de la place du bâtiment bibliothèque par rapport à ces offres dématérialisées qui ne transitent plus par un espace physique dans lequel on les range. Que devient « la grande boîte à livres » qu'est étymologiquement une bibliothèque ? Les professionnels s'interrogent, la crise du concept de bibliothèque est profonde. Dans les bibliothèques anglo-saxonnes se développe le concept Idea Store « magasins d'idées » ; ou dans les BU les Learning Center. Les bibliothèques sont une des pièces du puzzle de la connaissance.
II.Projet de rénovation et de transformation de la BNF Richelieu : La BNF est répartie sur deux sites : le site François Mitterrand avec ses 4 tours et le site historique Richelieu, nommé aussi le quadrilatère Richelieu, bordé par 4 rues.
C'est sous François 1er, en 1537, qu'est instituée une obligation, appelée dépôt légal, de déposer à la bibliothèque royale tout livre imprimé mis en vente dans le royaume. Cette bibliothèque royale connaît un véritable développement sous Colbert en 1666, à la gloire de Louis XIV. Elle est transférée dans le quartier qu'elle occupe aujourd'hui au cœur de Paris. Elle a une taille équivalente au Louvre avec un nombre d'employés plus élevé.
Au cours des années, par des achats d'hôtels particuliers, les bâtiments n'ont cessé de s'agrandir.
A la fin du 19ème siècle, Henri Labrouste, architecte, crée une grande salle de lecture et le magasin central.
En 1936, Henri Pascal construira la salle ovale pour un public de chercheurs et de savants. Malgré le projet initial, elle n'ouvrira jamais au grand public.
A la fin du 20ème siècle, en 1960, la densification de ce site, et la pression du nombres de livres oblige à construire des étages supplémentaires pour avoir plus de rayonnages. Il ne peut plus être agrandi. En 1980, est décidée la construction d'une nouvelle BNF, et en 1990, les livres sont déménagés sur le site François Mitterrand. Richelieu en chiffres :
- 58000m2, 450 personnes y travaillent, 50 000 lecteurs environ
- 6 départements : Arts du spectacle, Cartes et plans, Estampes et photographie, Manuscrits, Monnaies, médailles et antiques, et Musiques.
- 20 millions de documents : des globes, des plans, des cartes anciennes et marines, des photographies, des cartes postales, des manuscrits anciens, latins, chinois, des monnaies romaines grecques, gauloises, des partitions très anciennes dont le Don Giovanni de Mozart, des affiches de spectacles de rues, de cirque...
- 3 galeries d'exposition, des ateliers de restauration et de reproduction du livre qui ont un rôle international.
A.L'enjeu de la rénovation : - réhabiliter le bâtiment et les équipements pour les mettre aux normes selon la réglementation en vigueur, (accès aux personnes à mobilité réduite, travaux contre les incendies...)
- améliorer les conditions de conservation des collections,
- faciliter le travail des chercheurs et en faire un pôle scientifique,
- repenser les services offerts au public pour les consultations et les visites.
Cette rénovation permettra aux départements de la BNF de se redéployer et d'accueillir deux autres institutions : l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) qui depuis le début des années 1990 est le principal centre européen en matière Histoire de l'Art, et l’École nationale des Chartes (ENC) qui forme des archivistes spécialistes dans le déchiffrement des manuscrits anciens et contemporains. L’État met ainsi en place des passerelles évidentes entre ces trois institutions pour en faire un lieu vivant.
Dans la salle Labrouste, la plus belle salle de lecture au monde, étaient conservés tous les livres avant le déménagement. Des hommes connus avaient leur table réservée, dont Michel Foucault, celui-ci a laissé dans les archives beaucoup de notes et de traces.
La salle Labrouste sera réservée à l'INHA avec 370 places de consultation, une salle de travail en groupe, et tout autour de la salle, 265 000 à 300 000 documents en libre accès pour le public.
Sept autres petites salles de lecture seront réservées aux autres départements.
Le bâtiment fini sera très compact et aura 55 000 m2 utiles. C'est le deuxième grand projet du Ministère de la Culture après la Philharmonie de Paris. Le budget est de 210 millions d'euros, dont 80% du ministère de la Culture, 20% de l’Éducation Nationale.
Le maître d'ouvrage est l'OPIC, organisme qui gère le patrimoine immobilier du Ministère de la Culture et tous les grands chantiers de ce ministère, avec des ingénieurs, des gestionnaires... et des budgets colossaux. La BNF est usager et travaille en lien avec l'OPIC pour préciser les besoins.
Les maîtres d’œuvre sont l'architecte Bruno Gaudin et l'architecte en chef des monuments historiques pour les parties classées afin de respecter l'état original. L'architecte a été retenu sur jury parmi 58 candidats en 2007. Bruno Gaudin a déjà réhabilité le Musée Guimet et construit la grande BU de Lyon. Des bureaux d'études techniques et 14 corps de métiers spécialisés sont concernés par ce bâtiment pour le mettre aux normes du 21ème siècle, dont un éclairagiste, rôle important dans une bibliothèque. Il y aura au total 15 niveaux, du sous-sol aux combles.
Par exemple, le magasin central sera modernisé mais, comme témoin de la conception du 19ème siècle, les grands tubes pneumatiques chargés de transférer les collections seront conservés.
Le hall d'accueil sera plus grand et très lumineux avec des bornes informatiques, une librairie, un espace pour se restaurer, un café. Une galerie de verre sera construite entre les deux ailes du bâtiment pour éviter de sortir et donnera des vues sur la salle de lecture. La lumière naturelle sera utilisée au maximum. A l'extérieur deux petites entrées supplémentaires sont ouvertes. On pourra traverser l'ensemble d'une rue à l'autre.
C'est un long chantier : dans les années 90 ont eu lieu les premières études du projet ; commencée en 2011, la première partie sera finie en 2015 ; puis l'autre moitié, qui est à l'étude, démarrera en 2016. L'ambition est de ne jamais fermer au public pendant les travaux.
Le patrimoine est mis en valeur, les décors en or sont restaurés, les peintures et les bas-reliefs nettoyés. Les planchers et les beaux meubles sont conservés.
Dans le même temps on modernise, les salles sont câblées pour installer l'informatique.
C'est un projet scientifique et culturel. C'est autant un musée qu'une bibliothèque par les œuvres d'art, les émaux, l'orfèvrerie, les estampes, les gravures (dont celles de Dürer), des manuscrits... Un programme de numérisation des collections permettra de les rendre accessibles par Internet. L'ambition est de numériser 1 million d'images par an.
Par l'informatisation, les catalogues du patrimoine seront consultables ; en janvier 2014, 4,5 millions de notices sont produites ou en cours de saisie, et 0,8 millions en attente.
Il faut aussi organiser le déménagement des collections, faire des inventaires (comme le fond de la société de géographie déposé en 1940 et pas encore répertorié).
Le but aussi est d'ouvrir la grande et belle salle ovale à tous les lecteurs, avec des postes numérisés, des conférences le soir. Elle offrira 180 places de consultation.
La galerie Mazarine sera la galerie des Trésors avec une centaine des plus belles pièces exposées dans des vitrines et renouvelées de temps en temps. Les espaces seront ouverts au public ou visibles par des portes vitrées. Pour de plus amples découvertes chacun peut explorer le site web de la BNF Richelieu
III.Les exemples de bibliothèques récentes (Consultables sur le net) : - 4 équipements récemment construits sont souvent cités comme exemples dans le monde : la bibliothèque de Seattle, la bibliothèque publique d'Amsterdam, (très design, lumineuse, bien équipée), Sandaï au Japon , et la BMVR de Rennes intégrée dans un complexe culturel. - 4 réhabilitations : La Bibliothèque Nationale d'Helsinki, au style très contemporain, la BU de Paris VII dans une ancienne minoterie, la salle du British Muséum à Londres, le projet architectural de la bibliothèque du plateau des Capucins à Brest en 2015. - 4 projets qui n'ont pas toujours abouti : à Rouen , à Riga en Lettonie, l'autre projet de la BNF du l3ème arrondissement à Paris , et un autre concept de Seattle.
IV.Quelques lignes de force pour la BNF et les bibliothèques en général : - S'appuyer sur nos forces : patrimoine et expertise scientifique.
- Ouvrir davantage le bâtiment, en faire un lieu de passage mais aussi offrir plus d'heures d'ouverture afin de diversifier le public.
- Concevoir des espaces de convivialité pour des usages diversifiés.
- Offrir un cadre de travail qui inspire : le bâtiment comme contenant où il fait bon vivre et non comme contenu.
- Mutualiser et offrir des appareils coûteux et innovants (écrans, grand poste)
- Structurer l'accueil, proposer une aide personnalisée et réactive, aider à la recherche de documents et à s'orienter dans la forêt de la connaissance.
- Permettre la flexibilité des espaces en déplaçant les meubles (sur roulettes) et en faire un lieu d'échange culturel pour des usages diversifiés.
- Organiser des rencontres, des cours, des présentations. A l'aide d'Internet , les bibliothécaires vont :
- valoriser les collections et les données catalogues pour rendre visible le patrimoine
- structurer l'information, la mettre en forme. Exemple : point d'actus à la BM de Lyon ; une sorte de synthèse pour approfondir l'actualité avec des services questions/réponses,
- aider à mettre en ordre l'information et essayer de saisir la géopolitique du XXIième siècle.
A.Exemples de grands équipements et d'initiatives : En Finlande, la Bibliothèque Municipale d'Helsinki est extrêmement fréquentée et réputée : 800 m2, 28 agents, ouverte du lundi au jeudi de 8h à 22h . Elle est spécialisée dans la musique avec des équipements amusants. Située près de la gare, un espace libre est ouvert au public dès 7h du matin pour consulter les revues et la presse. C'est un modèle de bibliothèque hybride basé sur le développement des pratiques, l’apprentissage, et la formation.
Les gens choisissent l'espace et l’ambiance qui leur convient.
On peut y ouvrir un auditorium en déplaçant les meubles. Autre exemple d’équipement qui inspire les autres bibliothèques : la bibliothèque concept de Delft aux Pays Bas, la DOK (voir en ligne) : espace vitré et cosy avec des ambiances, des jeux vidéos, des bornes de photos, un café, une ouverture le dimanche, des emprunts d’œuvres d'art, un espace intime pour les enfants...
B.Autres services possibles dans une bibliothèque : - Enrichir l'offre et en faire un lieu hybride : la BU d’Angers est la première à proposer des liseuses à ses étudiants.
- Les bibliothécaires se rendent visibles et communiquent de plus en plus sur leur équipe et leur service. - prévoir des espaces pour les groupes,
- pouvoir emprunter des instruments de musique ou des œuvres d'art,
- installer des studios de musique pour inciter à y passer du temps,
- proposer des formations (aux langues, à la vidéo...) selon la demande. À Helsinki des jeux vidéo sont proposés aux jeunes; les jeunes abandonnant les livres, est-ce une stratégie pour les inciter à continuer à venir ? Ou encore :
- un salon de lecture comme lieu de convivialité et lieu d' échange (Quai Branly)
- des cafés où des étudiants peuvent venir travailler,
- des jeux pour les enfants, en plus des livres,
- le portage à domicile comme à Toulouse,
- s'appuyer sur le patrimoine, comme l'espace musée tout en haut de la BMVR de Rennes...

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