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L’impact des outils de médiation interactive sur le comportement des publics Les recherches consacrées à ce sujet se sont tout d’abord intéressées à l’apport cognitif des dispositifs interactifs, avant de tenter d’appréhender leur influence de manière plus holistique.
Empruntée aux sciences de l’éducation, l’approche socio-constructiviste de l’apprentissage a favorisé l’essor de nombreux travaux qui ont intégré une vision socioculturelle du musée. Tsitoura (2010) explique que l’apport de cette théorie est d’explorer ce qui varie et ce qui est constant dans l’apprentissage du visiteur en ne s’intéressant plus aux résultats (comme le faisait l’approche behavioriste) mais aux processus. Schneider et Cheslock (2003) citent deux modèles issus de l’approche socioculturelle et qui adoptent une perspective élargie du concept d’apprentissage : le « Contextual Model of Learning » (Falk et Dierking, 2000) et le « Conversational Elaboration Model » (Leinhardt et Crowley, 2002). Le point commun de ces deux modèles est de dépasser la seule prise en compte des caractéristiques individuelles du visiteur en intégrant également le contexte personnel, socioculturel et physique de l’individu pour expliquer son apprentissage au musée (le dernier modèle insiste davantage sur l’importance des discussions qui se produisent pendant et après la visite comme vecteur de connaissances). Dans cette volonté d’élargissement de la définition de l’apprentissage, les travaux de Packer (2006, 2008) se sont intéressés à la composante intrinsèquement ludique de l’apprentissage. Selon l’auteur, bien que la plupart des visiteurs de sites de loisirs éducatifs ne viennent pas délibérément avec l’intention d’apprendre, ils seraient inconsciemment attirés par ce qui, dans l’expérience, intègre un apprentissage, et qu’ils percevraient cela avant tout comme quelque chose d’agréable. Packer (2006, 2008) utilise l’expression « learning for fun » pour évoquer ce type d’apprentissage, qui serait notamment favorisé par quatre facteurs : un sentiment de découverte ou de fascination, une stimulation polysensorielle, le fait d’avoir le choix et l’absence apparente d’effort.
Les dispositifs interactifs peuvent-ils avoir un impact sur l’apprentissage des visiteurs ? Comment évaluer cet impact ? A la première question, Adams et alii (2004) répondent affirmativement : « s’ils sont utilisés intelligemment et dans un contexte approprié, les dispositifs interactifs peuvent faciliter l’apprentissage » (p.160). Ce postulat a néanmoins fait l’objet de débats entre les chercheurs qui ont tenté d’apporter davantage de précisions en observant deux indicateurs : l’attention et le temps passé. Des résultats contradictoires ont pu être observés. Un premier ensemble de recherches (Adams et alii, 2004 ; vom Lehn et Heath, 2005) met en avant une influence négative de la présence des dispositifs interactifs dans l’environnement immédiat d’une œuvre sur le pouvoir d’attraction ou le temps passé devant celle-ci. En effet, l’utilisation par les visiteurs de dispositifs interactifs présenterait un risque de détourner leur attention des objets exposés en raison de leur aspect sophistiqué sur le plan technologique. En revanche, d’autres recherches (citées par Adams et alii, 2004) aboutissent à des conclusions divergentes. Cette crainte semble infondée car, au contraire, ces dispositifs faciliteraient l’accès physique aux œuvres et susciteraient l’intérêt des visiteurs pour ces dernières. Plus récemment, les travaux de Caro et alii (2007), ont observé une corrélation positive entre le temps passé sur un dispositif interactif et le temps passé sur une œuvre située immédiatement à proximité de celui-ci. De plus, ils ont constaté que les enfants sont davantage attirés par des œuvres qui intègrent une part d’interactivité que par des œuvres non animées ni sonorisées (comme les peintures ou les statues). La durée d’attention serait également plus longue dans le cas de dispositifs dits « hands-on », c'est-à-dire des dispositifs interactifs qui requièrent une manipulation de la part du visiteur. Toutefois, ces mêmes auteurs nuancent quelque peu ces résultats enthousiastes en soulignant que parfois les enfants mémorisent davantage les actions qu’ils doivent effectuer pour faire fonctionner le dispositif que des informations sur l’œuvre ou le thème de l’exposition. Tous ces résultats concernent un apprentissage à court ou moyen terme, le plus souvent issu de la visite d’un musée scientifique. Or, les travaux de Falk et alii (2004) soulignent le manque de recherches sur le lien entre apprentissage et interactivité dans différents contextes muséaux. C’est pourquoi ces auteurs ont mené une recherche dans deux genres muséaux (arts appliqués et science), afin d’étudier l’impact du recours aux dispositifs interactifs au sein de la visite sur les représentations à long-terme des visiteurs. Les résultats indiquent que les représentations des visiteurs de musées d’art sont modifiées par le recours à l’interactivité répondant à une attente que l’on retrouve habituellement davantage chez les visiteurs de musées de science que de musées d’art. Par ailleurs, les dispositifs interactifs remplissent trois rôles principaux, indépendamment du contexte : ils encouragent la discussion, la communication et l’interaction sociale, ils permettent aux visiteurs d’obtenir un « feedback » personnel, et enfin ils favorisent un apprentissage basé sur l’action des visiteurs et leur donnent la possibilité d’appliquer ensuite les connaissances acquises à leur vie quotidienne. Ainsi, à court terme, les dispositifs interactifs permettent l’acquisition de compétences et de connaissances, tandis qu’à long terme, ils favorisent la sensibilisation du visiteur et à sa capacité à les mettre en perspective. Ce dernier point laisse entrevoir une influence des outils de médiation interactive sur les dimensions praxéologique et rhétorique de l’expérience notamment. Si la dimension cognitive est importante dans une visite muséale, elle n’en est pas l’unique ingrédient. Les travaux de recherche de Duke et Knutson (2010) mettent ainsi en évidence que le potentiel des musées n’est pas seulement de permettre le développement des capacités de raisonnement des individus lors de l’expérience de visite muséale mais aussi de les développer dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Pour traduire cette idée, les auteurs invitent les professionnels des musées d’art à considérer ces lieux comme des « mental gymnasiums » (p.277).
Se focalisant sur la notion d’expérience et non plus d’apprentissage, Pekarik et alii (1999) expliquent que l’individu peut chercher à vivre différents types d’expériences muséales, non exclusifs les uns des autres : expérience de l’objet (apprécier sa beauté, son authenticité), expérience cognitive (développer une meilleure connaissance d’un artiste, d’un courant), expérience plus introspective et intime (plonger dans ses souvenirs personnels et laisser libre cours à son imagination) ou encore expérience sociale (interagir avec ses compagnons de visite, la foule ou le personnel du musée). Ces différents types d’expériences peuvent être rapprochés des dimensions théoriques de l’expérience identifiées par Roederer (2008), ce qui nous amène à formuler l’interrogation suivante : Quelles dimensions de l’expérience peuvent-elles être affectées par l’utilisation d’outils de médiation interactive ? La littérature donne quelques indices quant à leur impact sur les dimensions hédonico-sensorielle, praxéologique, temporelle et rhétorique.
Cette dimension a suscité peu de recherches à l’heure actuelle. Les travaux de Belaën (2005) confirment l’existence de cinq types de réactions possibles face à une muséographie immersive, allant de l’appropriation au rejet : la résonance (complète adhésion au dispositif), la submersion (individu noyé dans ses émotions par rapport au vécu et sans aucun recul), la distanciation critique, la banalisation ou le rejet. Néanmoins, notons que ces travaux étudient la perception des dispositifs interactifs utilisés dans les muséographies immersives et ne concernent donc pas spécifiquement les outils de médiation technologique proposés par les musées d’art. En outre, sans faire appel aux neurosciences, il est difficile de capter les émotions ressenties à « l’instant t » par les visiteurs. C’est pourquoi ces derniers sont la plupart du temps interrogés ex-post au sujet des émotions ou sensations ressenties. En effet, il est possible d’analyser l’expérience au moment même où elle se produit ou après par le biais de la valeur perçue. Les travaux de Collin-Lachaud et Passebois (2006) ont d’ailleurs retenu cette dernière option et identifié un impact favorable des dispositifs immersifs sur les dimensions utilitaire et fonctionnelle, cognitive, affective et émotionnelle de l’expérience de visite, mais potentiellement défavorable sur la dimension sensorielle, en cas de sur-stimulation (Bourgeon-Renault et Filser, 2010, p.249).
La composante praxéologique, au sens de Roederer (2008), désigne les actions intentionnelles, parfois ritualisées, que l’individu réalise au cours de l’expérience (que celles-ci impliquent le produit ou les supports physiques du service, les interactions avec d’autres personnes, familières ou inconnues). Un nombre important de recherches indiquent une double influence des outils de médiation interactive sur la dimension praxéologique : ils sont susceptibles :
Concernant le premier point, si la fonctionnalité des outils interactifs est importante, un bon état de fonctionnement ne garantit pas qu’un visiteur s’approprie l’exposition. En réalité, seule la réaction de résonance (Belaën, 2005) correspond à une appropriation totale de l’expérience par le visiteur, permise par la médiation interactive. L’individu qui se retrouve dans un état de résonance ou de submersion est ainsi davantage enclin à interagir avec l’objet culturel valorisé par le dispositif. Concernant le second point, les recherches sur le comportement du visiteur de musée ont depuis longtemps souligné le fait que l’interaction sociale constitue souvent une motivation fondamentale de visite, notamment pour les familles (Mac Manus, 1987). Les dispositifs interactifs pourraient alors tenter de répondre à cette attente exprimée par les visiteurs. En effet, « [ils] ne cherchent pas qu’une interactivité technique, mais aussi une interactivité sociale avec d’autres individus » (Adams et alii, 2004). Les travaux de vom Lehn et Heath. (2005) soulignent ainsi que l’engagement d’un individu avec un dispositif interactif pendant la visite se fait momentanément au détriment du lien avec les autres membres du groupe, et que les dispositifs qui permettent un accès simultané à plusieurs individus peuvent éviter cet effet de désocialisation. Caro et alii (2007) se sont focalisés sur l’impact de ces outils sur l’interaction parent-enfant dans un musée d’art. Si les parents initient le dialogue (sur les modes informatif, explicatif ou interrogatif) avec leurs enfants lorsqu’ils font face à une œuvre d’art, en revanche, face à un dispositif interactif, ce sont les enfants qui amorcent le plus souvent le dialogue. Par ailleurs, la qualité de l’interaction entre visiteurs au sein d’un musée semble dépendre du degré de technicité du dispositif interactif présenté. « Certaines nouvelles technologies, comme l’ordinateur ou la borne interactive, […] sont destinées […] à un usage et un apprentissage plutôt individuel. Il faut d’autres formes d’espaces interactifs et immersifs, avec le musée ou entre individus, sur une basse technologie, pour qu’une famille ou un groupe partage son expérience et garde des souvenirs mémorables de sa visite quelques mois après » (Courvoisier et alii, 2010, p.259). En effet, outre l’interaction sociale entre visiteurs, la qualité de l’interaction avec le personnel de musée est importante (Belaën et Blet 2007).
La composante temporelle fait référence à la manière dont l’individu perçoit le défilement du temps et à la façon dont il essaie de l’infléchir en exerçant certaines formes de contrôle (changer de salle, faire une pause, etc.). Nous avons déjà mentionné dans le point précédent les recherches qui soulignent une influence de ces outils sur l’apprentissage et le temps passé.
La composante rhétorique renvoie au symbolisme de l’expérience de consommation, dans la mesure où elle véhicule des signes (d’altérité ou de distinction). A ce sujet, il semble exister un lien entre certaines motivations identitaires de Falk (2009) (c'est-à-dire entre le fait d’adopter, pour une visite donnée, un profil d’explorateur, de facilitateur, de chercheur d’expérience, de fan/professionnel ou encore de régénérateur) et l’usage et la valorisation des outils interactifs. A titre d’exemple, certains visiteurs fans ou professionnels ont un a priori négatif sur le potentiel des outils de médiation interactive à les aider à interpréter ce qu’ils voient. C’est pourquoi, ils préfèrent construire eux-mêmes le sens qu’ils attribuent aux objets culturels, s’affranchir de toute influence extérieure, plutôt que de s’appuyer sur un audioguide, dont l’usage leur semble davantage réservé aux visiteurs « touristes ». Bien que la revue de la littérature souligne les dimensions cognitive et affective de l’expérience muséale, il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux ayant étudié l’impact des outils de médiation interactive sur les composantes de l’expérience, telles qu’identifiées par Roederer (2008), et encore peu de travaux sur le lien entre le recours et la valorisation de ces outils pendant l’expérience et le profil des visiteurs de musées d’art.
Sur le plan méthodologique, l’objectif de notre recherche est double : explorer les représentations qu’ont les visiteurs des musées en général et des musées d’art en particulier, mais également leur faire raconter l’expérience de visite muséale de leur choix. A cette fin, une démarche qualitative a été adoptée. Des entretiens exploratoires semi-directifs ont été menés en face à face, au cours du printemps 2010, auprès d’un échantillon de convenance d’une vingtaine de personnes. Ces répondants présentaient des caractéristiques sociodémographiques (âge, diplôme, profession) et individuelles (degré d’expertise muséale) variées. Nous avons interrogé du non-public et des visiteurs occasionnels ou habitués. Nous avons considéré comme non-public les personnes qui n’ont effectué aucune visite depuis au moins cinq ans, comme public occasionnel les visiteurs qui se sont rendus au moins une fois au musée au cours de ces cinq dernières années sans excéder deux visites annuelles, et enfin comme public habitué, les personnes qui ont fréquenté un musée plus de deux fois dans l’année en cours. Les entretiens ont tous été enregistrés, retranscrits et analysés manuellement. Le guide d’entretien comprenait trois grands thèmes : 1) représentations mentales et pratiques culturelles ; 2) récit de la dernière expérience de visite muséale in situ (physique) ; 3) connaissance et utilisation d’Internet, et expérience de visite muséale en ligne. Dans le cadre du présent article, nous exploiterons uniquement les résultats ayant trait aux deux premiers thèmes. L’analyse des discours est fondée sur une analyse thématique. Nous présentons nos résultats en référence aux objectifs théoriques exposés en introduction. Nous rappelons que nous poursuivons un double objectif : affiner les connaissances quant au contenu de l’expérience muséale et à l’impact des outils de médiation interactive sur celui-ci (dans la lignée des travaux de Roederer, 2008), et étudier l’adéquation du modèle de « rôle-ressources » de Falk (2009) (Debenedetti et alii, 2011) à nos données issues des entretiens semi-directifs. |
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