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Les approches réseaux et les alliances stratégiques entre concurrents : Application au secteur automobile mondial Mouhoub HANI1 * Doctorant en Sciences de Gestion Institut de Recherche en Gestion (IRG) EA-2354 Université Paris-Est Créteil (UPEC) Place de la Porte des Champs, 4 Route de Choisy, 94010 Créteil Cedex. mouhoub.hani@gmail.com Foued CHERIET * Maître de Conférences – Docteur en Sciences de Gestion Unité Mixte de Recherche MOISA 1110 SupAgro Montpellier Bat 26. 2, place Pierre Viala, cheriet@supagro.inra.fr Résumé L’objectif de ce travail, est de montrer l’importance des approches réseaux, qui viennent se substituer aux référentiels stratégiques classiques (courant de positionnement et la théorie RBV). Cette contribution vise à comprendre pourquoi les constructeurs automobiles s’engagent-ils dans des relations inter organisationnelles, notamment les alliances entre concurrents. Sur le plan méthodologique, l’article ainsi proposé, a une double ambition : d’abord, élaborer une revue de littérature, qui ne peut certainement pas être exhaustive, mais qui pourrait fournir une lecture plus complète des relations réticulaires. Ensuite, illustrer la prédominance de ces pratiques au cours des dernières années. L’application empirique porte sur l’industrie automobile mondiale, terreau privilégié pour les alliances stratégiques. Nos principales conclusions confirment que, le recours croissant à la coopétition dans le secteur automobile, s’explique par la volonté de se regrouper, et ce, dans l’objectif de concurrencer d’autres groupements de firmes concurrentes, d’une part, et par le fait qu’elle constitue le moyen efficace qui leur permet de se positionner à l’intérieur des réseaux, d’autre part. Mots clés : Réseaux d’alliances, Alliances stratégiques, Coopétition, Industrie automobile mondiale. Les approches réseaux et les alliances stratégiques entre concurrents : Application au secteur automobile mondial INTRODUCTION Les rapprochements inter firmes sont au cœur de la stratégie d’entreprise à son stade actuel d’évolution2. La recherche de l’avantage concurrentiel est la préoccupation majeure de toute entreprise désirant s’approprier une forte position concurrentielle, lui permettant de survivre au sein d’un environnement aussi turbulent et incertain (Porter, 1982). Or, les approches classiques prônaient que l’hypercompétition est une stratégie efficace pour générer plus de valeur, et constitue le seul moyen pour se l’approprier (D’Aveni, 1994, Porter, 1990). Cependant, les nouvelles approches en stratégie mettent en avant la notion de l’avantage coopératif. En effet, la valeur ainsi créée peut être plus importante en étant en coopération avec les autres acteurs impliqués dans la chaîne de valeur (intégration verticale)3. Par ailleurs, la forme de rapprochement inter firmes la plus sollicitée est bien entendu les alliances stratégiques, vu les avantages multiples qui leur sont associés. Toutefois, la nouvelle donne stratégique s’appuie sur le postulat que la rente sectorielle et/ou la valeur créée peut être multipliée et répartie entre les firmes du même secteur, de telle sorte que chacune d’entre elles prenne une part correspondant à ses positions compétitives. On parle alors de l’avantage coopétitif, qui résulte des alliances conclues entre concurrents directs ou potentiels (Le Roy et Yami, 2009). Il est à signaler que la nature paradoxale qui caractérise cette forme de rapprochement inter firmes qu’est la coopétition, lui confère un statut particulier, en la considérant comme un objet de recherche singulier qui nécessite un examen théorique propre (Dagnino et al., 2007). Les alliés bénéficient à la fois, des avantages de la compétition, mais aussi de ceux résultants de la coopération (Brandenburger et Nalebuff, 1996 ; Bengtsson et Kock, 2000). Actuellement, on assiste de plus en plus à une désintégration des activités, et ces nouvelles formes de coopération horizontale (alliances) prennent de l’ampleur, aboutissant ainsi à des structures relationnelles plus complexes telles que les réseaux. La notion de « réseau » va donc être au centre des principales théories et méthodes d’analyse en management stratégique contemporain. Dans un objectif stratégique qu’est celui d’efficacité opérationnelle et par conséquent, la montée en compétitivité, les firmes sont appelées à s’insérer dans des réseaux d’alliances. De ce fait, le réseau d’alliances devient la forme la plus aboutie d’organisation fondée sur la coopération inter entreprises (Voisin et al., 2004). Toutefois, les liens entre ces firmes dépassent le seul cadre dyadique, et elles s’élargissent pour atteindre une forme réticulaire. Certains auteurs soulignent que les avantages tirés d’un réseau d’alliances sont plus importants que la somme des avantages des relations dyadiques prises séparément (Gomes-Cassers, 1994 ; in : Cheriet, 2009). Ce qui traduit bien la performance de ces formes réticulaires dépassant le périmètre bilatéral de la relation (l’alliance), vu les synergies importantes qui peuvent en découler. L’industrie automobile mondiale constitue à cet effet, un terrain propice pour l’étude des alliances stratégiques, dans la mesure où, des constructeurs se regroupent dans des structures de réseaux d’alliances, en vue de concurrencer d’autres regroupements conçus dans le même but. A titre d’exemple, la Global Hybrid Cooperation qui a eu lieu entre General Motors, Daimler/Chrysler et BMW, pour le développement d’un système hybride commun, est conçue dans le but de concurrencer le Hybrid Synergy Drive du leader Toyota, qui lui aussi est allié avec le géant Renault/Nissan. L’objectif attendu de cette contribution, est la compréhension de la tendance des constructeurs automobiles à se rapprocher et à se réunir autour d’un réseau d’alliances. A cet égard, une question émerge. Pourquoi les constructeurs automobiles s’engagent-ils dans des relations inter organisationnelles notamment les alliances entre concurrents (coopétition) ? Pour tenter d’y répondre, nous proposons la structure suivante : dans un premier temps, nous reviendrons sur le concept d’alliances stratégiques, et développons parallèlement le concept de réseau d’alliances, qui constitue l’axe principal de cette contribution. Dans un second temps, nous soulignerons l’importance des relations réticulaires, à travers une illustration des pratiques coopétitives en cours dans l’industrie automobile mondiale. Enfin, nous soulignerons les principales limites de l’étude, ainsi que quelques perspectives de recherche. La structure en réseau résulte d’un phénomène qualifié d’« escalades coopératives ». Ce dernier, renvoie à un fonctionnement réticulaire, où une coopération réussie, appelle une autre coopération, ainsi de suite. De ce fait, le réseau constitue un préalable favorable à l’intégration (Dussuc, in Voisin et al., 2004). Toutefois, les alliances inter firmes sont de plus en plus appelées à évoluer et à s’amplifier dans le temps, faisant ainsi du réseau une entité dynamique, dans la mesure où les firmes aux positions périphériques, se retrouvent à des positions plus favorables et centrales au sein des sous-réseaux qui naissent de ces alliances, qui se multiplient dans une logique additive.
Même si elles constituent un phénomène organisationnel relativement ancien, les alliances stratégiques connaissent un essor certain ces dernières années. Ainsi, depuis les années quatre vingt, le nombre d’alliances entre firmes n’a cessé d’augmenter. Cette nouvelle donne qui traverse la pensée stratégique contemporaine, n’est qu’une conséquence des mutations profondes qui ont affecté l’environnement économique international (Ingham, 1995). Figure 01 : Les différents types de coopération inter firmes ![]()
Alliances additives (Elargissement de taille, économies d’échelle). Alliances complémentaires Alliances d’internationalisation (Apprentissage organisationnel) Dans un essai de définition du concept d’«alliances stratégiques», les auteurs en stratégie soutiennent dans leur majorité, le principe d’indépendance (en dehors de l’alliance) des entités partenaires (Mayrhofer, 2007). Une alliance stratégique fait référence à un lien entre deux ou plusieurs entreprises, qui décident de monter et de conduire un projet en commun. Ces firmes, deviennent alors partenaires dans la mesure où, elles vont partager les coûts et les bénéfices de la coopération. En effet, les partenaires apportent des ressources (humaines, financières et technologiques), dans des proportions définies par l’accord d’alliance (Dumoulin et al., 2010). De même, le type de ressources mises en commun et le degré de formulation des relations, déterminent le type de coopération (figure 01). Les alliances stratégiques sont désormais la pierre angulaire de la compétitivité sur les marchés mondialisés (Doz et Hamel, 2000). Il est à noter que l’aspect capitalistique n’est pas fondamental pour qu’une alliance soit stratégique. Ce sont plutôt la nature du projet et son importance qui déterminent le caractère stratégique ou tactique d’une alliance (Bouayad, 2007). Doz et Hamel (2000), évoquent le rôle des coopérations pour la conquête des marchés internationaux. Selon ces auteurs, les réseaux d’alliances répondent à trois impératifs :
Cependant, la plupart des alliances stratégiques empruntent un caractère multidimensionnel, et sont insérées dans des réseaux pivotés par les firmes multinationales (Cheriet, 2009 ; 2010). Ainsi, la notion de réseau devient cruciale et nécessite un examen théorique approfondi.
Dans le jargon managérial, on souligne une diversité d’appellations quant à la notion du « réseau ». On rencontre alors : l’entreprise en réseau, l’entreprise-réseau, réseau stratégique, réseau d’entreprises, réseau d’alliances…etc. Toute la question est de savoir si les termes ainsi évoqués, désignent tous « un mode d’organisation-réseau » (Voisin et al., 2004). La notion de « réseau » est employée à deux niveaux distincts, suivant le type de la relation. Ainsi, on distingue entre des relations intra et inter firmes4. Dans le premier cas de figure, le réseau renvoie à une forme d’organisation d’un point de vue managérial. Dans le second cas, le réseau dans sa vision stratégique, désigne une structure d’organisation caractérisée par un ensemble d’entreprises liées les unes aux autres par des relations d’affaires (figure 02). Le réseau peut donc se définir comme étant un échange de coopération entre partenaires, qui se sont engagés dans le but de réaliser conjointement un objectif commun. Autrement dit, le réseau est un moyen de coordination intentionnel, qui est piloté par l’ensemble des organisations (firmes) le constituant, et qui est formé sur la base de transfert interactif d’actifs spécifiques et de ressources et compétences idiosyncrasiques. Figure 02 : Organisation-réseau vs Réseau d’organisations ![]() Burt (1995), dans sa théorie de trous structuraux décrit la manière dont la structure d'un réseau offre des avantages compétitifs aux acteurs constituant ce réseau. L’auteur définit un trou structural comme étant : « un tampon, un isolant dans un circuit électrique. Du fait du trou qui les sépare, deux individus procurent des bénéfices de réseau qui s'additionnent plus qu'ils ne se recouvrent ». Cette définition purement technique mérite d’être explicitée. Un trou structural désigne l’absence de relation entre deux entités. Cette absence de relation permet à une tierce personne de se placer en intermédiaire et donc de tirer avantage de la situation. Ces trous structuraux offrent l’opportunité de se retrouver dans des positions intermédiaires se traduisant ainsi par la possibilité de devenir un intermédiaire entre d'autres acteurs, grâce à des liens faibles (Granovetter, 1995). Ce dernier, insiste sur « la force des liens faibles » soulignant leur importance dans les actions individuelles. Selon lui, les liens faibles permettent ainsi d’accéder à des informations possédées par des individus autour de réseaux connexes. Dans le cas contraire, des personnes qui sont au sein de réseaux relationnels fractionnés, ne tissent pas de liens faibles, mais elles établissent difficilement des liens forts, ce qui leur rend l’accès à l’information plus contraint et difficilement envisageable (Chabaud et Ngijol, 2004). Par ailleurs, le réseau est un outil qui offre le moyen d’étudier les interactions, que la hiérarchie et le marché ne sont pas en mesure d’expliquer et d’en comprendre les modes de pilotage (Voisin et al., 2004). Doz et al., (2000), distinguent entre deux processus de formation des réseaux, le processus émergent et celui planifié (figure 03). ![]() Plusieurs raisons sont à l’origine de l’émergence des structures en réseau, et leur généralisation à la plupart des secteurs d’activités. D’un côté, la globalisation des stratégies des firmes, qui accompagne le phénomène de mondialisation de l’économie. De l’autre côté, le progrès technologique et la qualité des produits exigée par les clients, nécessitant des compétences et des ressources complémentaires et diverses, qu’il n’est pas évident de réunir à l’intérieur des frontières de la firme isolée (Halloul, 2006). Lazega (1994), aborde la notion d’interdépendance des acteurs dans les réseaux inter organisationnels. Les travaux sur les réseaux reposent sur l'idée que la coopération n'est possible que lorsque des liens informels entre partenaires diminuent les coûts de leurs transactions. Certains auteurs, ont souligné l’importance des coopérations verticales dans ce type de structure, qui couvrent la totalité de la filière, de son stade amont (fournisseurs), jusqu’à son stade aval (clients), passant par l’unité productrice qu’est la firme. Cependant, la réalité stratégique d’aujourd’hui, impose aux acteurs d’intégrer les relations horizontales, qui font référence aux alliances avec les concurrents, à savoir la coopétition. A cet effet, nous proposons une lecture plus complète, des alliances verticales et horizontales, en essayant de donner une définition plus générale de la notion de réseau d’alliances. ![]() Dans cet ordre d’idées, nous définissons les réseaux d’alliances comme étant : « un ensemble de relations horizontales et verticales, visant un échange de flux formels ou informels, directs ou indirects, se traduisant par des ressources partagées, un savoir-faire transmis et des technologies transférées. Ces relations évoluent dans une logique coopétitive, combinant concurrence et coopération, et entrainant ainsi des modifications permanentes des positions stratégiques structurelles, en alternant entre centralité et périphérie, en fonction des opportunités qui se présentent ». Le schéma ainsi proposé (figure 4), montre bien l’importance des approches « réseau » dans l’analyse stratégique des entreprises. En effet, dans la partie interne du schéma, se dessine une situation dans laquelle l’entreprise conclut des partenariats bilatéraux qui permettent un transfert de connaissances et une mutualisation des ressources. Par ailleurs, au-delà des simples relations dyades limitées par les frontières de ce périmètre, l’entreprise multiplie ses coopérations avec d’autres firmes, plus ou moins proches au sein du réseau. De ce fait, il peut y avoir une augmentation et une diversité dans la nature du savoir-faire échangé, mais aussi un accès à d’autres ressources détenues uniquement par les acteurs (firmes) nouvellement ajoutés à son répertoire relationnel. Cette logique multilatérale est représentée par la partie intermédiaire du schéma. Enfin, une dernière représentation est celle formée par les nombreuses alliances inter firmes, qui traduisent autant de canaux permettant un transfert en cascade du savoir-faire, et un accès à plus de ressources dont disposent les nœuds (firmes) de ce réseau. Néanmoins, il faut noter que le volume et la diversité des opportunités offertes par le réseau, varient en fonction de la position de la firme au sein de celui-ci. Cela implique que la compétitivité de l’entreprise appartenant à un réseau d’alliances, dépend fondamentalement du volume des liens privilégiés, de leur densité, ainsi que de leur intensité. A travers le schéma précédent, on conclut que la firme-pivot, compte tenu de sa position centrale (au cœur du réseau), tire plus d’opportunités de cette structure relationnelle, par conséquent, elle devient plus compétitive que les firmes 2 et 3, qui se positionnent en périphérie. Sa compétitivité l’est davantage comparativement aux firmes 4, 5, 6 et 7, lesquelles se trouvant sur la partie extérieure du réseau. Halloul (2006), souligne que la position centrale dans un réseau d’alliances, pourrait ne pas être bénéfique notamment dans le cas d’une innovation radicale. La centralité dans un réseau (Freeman, 1979 ; in : Halloul, 2006), renvoie à la position centrale de la firme au sein du réseau. Une entreprise est en position centrale, si elle est fortement alliée aux autres concurrents du réseau, et elle est en position périphérique si elle l’est faiblement (Halloul, 2006). Il conclut que les firmes se trouvant au centre du réseau, ne sont pas forcement les mieux positionnées au motif que celles-ci trouvent des difficultés pour réarticuler le réseau d’alliances qui les entoure. Par ailleurs, il ajoute que, les acteurs aux positions périphériques (le plus souvent les nouveaux entrants), ont plus d’opportunités à saisir. Les relations inter entreprises à travers la diversité de leurs formes et de leur nature, retiennent l’attention des chercheurs en management stratégique, et deviennent par un effet de mode, la logique dominante dans les pratiques quotidiennes des firmes d’aujourd’hui. En effet, qu’il s’agisse de district industriel, d’entreprise virtuelle, de stratégie d’impartition ou encore de coopétition, l’accent est principalement mis sur les liens tissés entre l’entreprise et ses partenaires, ainsi que sur la qualité de ces liens devant générer un avantage concurrentiel pour l’ensemble des entreprises mises en relation. Des chercheurs5 se sont interrogés sur la façon dont les manœuvres dans un jeu concurrentiel (affrontement, évitement, coopération, entente, coopétition et réseaux), sont conçues, mises en œuvre et articulées. (Bensebaa et Le Goff, 2005). Les travaux menés sur la dynamique concurrentielle, reconnaissent l’existence de quatre approches, dont l’approche des réseaux. Cette dernière, met en évidence le fait que les actions stratégiques sont soumises aux positions réticulaires (Bensebaa et Le Goff ; in : Bensebaa et Le Goff, 2005). Ces auteurs concluent que, les firmes aux positions centrales prennent l’initiative de déclencher les premières actions, et leurs réactions sont agressives. Ils ajoutent que les firmes insérées dans des réseaux denses, hésitent d’entreprendre des actions, mais elles réagissent rapidement à celles entreprises par les concurrents de la même structure réticulaire. Enfin, il est à noter que la structure réticulaire (le réseau), est jugée de plus novatrice et de plus adaptée au contexte économique actuel, comparativement aux formes rigides qui l’ont précédée, à savoir le marché et la hiérarchie (Dussuc, in : Voisin et al., 2004). Nous aborderons dans ce qui suit quelques éléments méthodologiques avant de nous intéresser à l’application des approches réticulaires au secteur automobile mondial. |