Chapitre 4 Cône Sud et Brésil in Les Amériques Latines, unité et diversité des territoires – Dossiers des images économiques du monde – SEDES – Paris , 2005, 88-134.
Martine Droulers, CNRS-IHEAL
Cône Sud et Brésil 2
Introduction du Chapitre 4 : Cône Sud et Brésil 2
1 – La région centrale du bassin de la Plata 7
Des identités nationales et régionales en recomposition 7
L’Argentine en transition 8
L’originalité paraguayenne 10
L’Uruguay, au centre du Mercosud 12
Vers une aire culturelle « platine » 13
Le Mercosud, moteur de l’intégration sud-américaine 14
Union douanière et grands aménagements 14
Les régions transfrontalières 18
Réseaux urbains et industriels 23
2 – La tétrapole brésilienne 28
São Paulo, agglomération motrice du continent 28
Rio de Janeiro, de la capitale historique à la rente du pétrole 32
Belo Horizonte, métropole de transition 34
Brasília, la ville symbole de l’intégration territoriale 35
3 – Le Cône Austral 38
Des disputes aux interconnexions 38
Le Grand Nord chilien, une périphérie d’exploitation minière 39
Le nord-ouest argentin 40
Santiago, la vallée centrale et le couloir bi-océanique 41
Fondations urbaines dans des sites à risques 43
Intégration des Patagonies 44
Nouvelle économie patagonienne 46
Région magellane et Terre de Feu 48
4 - Les Nords 50
Les racines du sous-développement nordestin 50
Une périphérie à intégrer 52
La nouvelle littoralisation 53
L’Amazonie entre développement et préservation 56
Les conditions d’un développement durable 56
Un front pionnier toujours actif 57
Conclusion du Chapitre 4 : Cône Sud et Brésil 61
Bibliographie 62
Cône Sud et Brésil Introduction du Chapitre 4 : Cône Sud et Brésil L’ensemble régional « Cône Sud et Brésil » regroupe deux sous-ensembles : le premier, qui forme la pointe effilée de l’Amérique du sud compte quatre pays, l’Argentine et le Chili auxquels s’agrègent le Paraguay et l’Uruguay constitutifs du bassin de La Plata. Est ajouté à ce groupe de pays, le Brésil, dont la partie méridionale se trouve directement reliée aux dynamiques territoriales d’intégration à l’œuvre dans le Cône sud, tandis que ses grandes régions du Nord et du Nordeste répondent à d’autres logiques.
L’expression « Cône Sud », traditionnellement utilisée dans un sens géopolitique, faisait explicitement référence à la partie la plus étroite et terminale du continent où la distance entre les océans Pacifique et Atlantique se réduisait, avec tous les enjeux stratégiques liés au contrôle du détroit de Magellan. La maîtrise des ressources minières, halieutiques et énergétiques (pétrole, gaz naturel et électricité) ainsi que de la route vers l’Antarctique, constituent aujourd’hui des enjeux de pouvoir importants. Dans la période récente, l’emploi de l’expression Cône sud prend une tournure plus économique dans le cadre de la mise en place du Marché Commun des pays du sud de l’Amérique, Mercosud, depuis 1991. Les pays du Cône Sud, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay (membres fondateurs du Mercosud) et le Chili (pays associé depuis 1996) forment un ensemble de poids par rapport au Brésil, pays géant du Mercosud. A ce cône sud élargi est souvent jointe la Bolivie, également membre associé au Mercosud et traitée dans le chapitre concernant les pays andins. L’ensemble régional Cône sud élargi au Brésil est marqué par des dynamiques territoriales de forte intensité et diversifiées. La principale de ces dynamiques concerne les processus d’intégration régionale à l’échelle du Mercosud et des pays qui lui sont associés. Ils se traduisent par une tendance à la spécialisation des économies nationales, mais aussi à l’accroissement des échanges, ce qui implique non seulement le développement des infrastructures reliant les pays (transport, énergie), mais aussi une mobilité croissante des populations, tout en créant des effets spécifiques dans les régions transfrontalières. La dynamique du Mercosud peut enfin être considérée comme un pallier vers une intégration économique et sociale plus large à l’échelle de toute l’Amérique du Sud, contrepoids à l’Alena, incluant l’Amérique du Nord et le Mexique, étape de consolidation avant une intégration de l’ensemble du continent américain qui s’esquisse pour l’avenir avec l’avancée de l’accord du libre-échange des Amériques (Alca), à l’initiative des Etats-Unis. Dans le contexte du renforcement des blocs économiques émerge un « nouveau régionalisme », caractérisé par la multiplicité des flux et des réseaux qui polarisent les activités tissant les filets de l’intégration. La seconde thématique forte a trait à la gestion des grands ensembles naturels fragiles, dont la vulnérabilité constitue un défi pour la mise en œuvre d’un modèle durable de développement qui permette de prendre en compte la biodiversité, de mettre un frein à trop de pratiques prédatrices et d’ouvrir ces espaces à l’écotourisme. La protection des écosystèmes qui dépassent les frontières nationales, relance la question du niveau de l’exercice des compétences, des modes de gestion et des modalités de coopération entre régions, provinces et Etats. Il s’agit :
du bassin amazonien qui concerne huit pays, mais dont les deux tiers sont situés au Brésil, et où se pose la question du devenir du dernier grand massif de forêt tropicale du monde menacé par une déforestation accélérée ;
de la Patagonie argentine et chilienne, milieu de haute montagne, de mesetas, de glaciers et de côtes riches en ressources halieutiques ;
des régions semi-arides du Nordeste du Brésil et du nord de l’Argentine et du Chili où se manifestent des phénomènes de désertification ;
de la région des savanes du plateau central brésilien, les Cerrados, fragilisées par l‘avancée de l’agriculture mécanisée ;
du Pantanal, région humide centrale dont le régime des eaux régule le cours du haut Paraguay et qui pourrait être affecté par les aménagements de la voie navigable entrepris sur celui-ci ;
de la mésopotamie entre les fleuves Parana et Uruguay, qui reste un obstacle aux communications.
La troisième thématique forte met en relief les grands aménagements ou processus continentaux induits par l’intégration régionale mercosulienne et par la mondialisation, qui reflètent la capacité d’organisation des territoires à l’échelle du continent. Figurent parmi ces grands aménagements l’ouverture de couloirs de transports multimodaux bi-océaniques. L’importance géopolitique et économique des liaisons de l’Atlantique au Pacifique est reconnue de longue date. La liaison ferroviaire entre Buenos Aires et Santiago du Chili existe depuis 1910 ; la liaison routière établie vingt ans plus tard, reste la seule complète et quasi permanente de passage d’un océan à l’autre avec un col à 4000 mètres. Cette liaison vient renforcer l’axe essentiel du Mercosud depuis les métropoles brésiliennes de Rio de Janeiro et São Paulo vers le rio de La Plata et jusqu’à Santiago/Valparaiso au Chili, axe qui concentre 70% de l’activité économique du Mercosud élargi et compte dix agglomérations de plus d’un million d’habitants. D’autres voies sont en cours d’aménagement, celle du sud reliant Bahia Blanca, port moderne de la Pampa, à Talcahuano sur la côte chilienne et celle du nord reliant Buenos Aires à Antofagasta. Le Brésil, quant à lui, échoue dans ses tentatives de liaison Atlantique/Pacifique, tant par la Bolivie que par le Pérou. En ouvrant la route transamazonienne en 1972, le Brésil y espérait un débouché maritime, mais cette liaison bi-océanique à hauteur de l’Amazonie, n’est toujours pas réalisée. Sur le littoral, parallèlement, les ports se réforment, s’équipent, se spécialisent et se hiérarchisent pour accompagner les évolutions des échanges.
A ces couloirs bi-océaniques, il convient d’ajouter, parmi les grands aménagements continentaux, les infrastructures énergétiques (barrages bi-nationaux, transmissions électriques, réseau d’oléoducs et de gazoducs …) ; ainsi que la grande voie navigable, dite du Mercosud, sur le Paraguay et le Parana, en cours d’aménagement, qui constitue le premier maillon d’un projet d’interconnexion fluviale de tout le continent sud-américain. Enfin, la quatrième thématique renvoie à la question des pôles et espaces structurants ; elle vise à redéfinir les hiérarchies urbaines des métropoles, des villes portuaires et à identifier la fonction des nœuds de l’intégration à l’échelle continentale. Du point de vue des services de haut niveau, la ville de São Paulo au Brésil développe une offre sans équivalent en matière bancaire, boursière et d’assurances ainsi que dans le domaine universitaire et la haute technologie, tendant à lui conférer le statut de ville mondiale opérant à l’échelle du continent. Le plan développé privilégiera une approche par grands ensembles régionaux déterminés en fonction de leur cohérence et de leur dynamique territoriale propres, en s’affranchissant des limites politiques des Etats. Quatre grands ensembles ont été retenus.
La région centrale du bassin de la Plata rassemble 70 millions d’habitants sur 3,1 millions de km2. Région charnière du cône sud élargi au Brésil, le bassin de la Plata constitue un ensemble de grande richesse économique, de grande valeur écologique, qui occupe une situation géopolitique de premier plan. Vaste région transfrontalière, associant tout ou partie de cinq pays (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) aux entités nationales récentes (19ème siècle), elle est parcourue par des mouvements de population dus à l’interaction des marchés du travail frontaliers et régionaux ; il y émerge une identité composite qu’on peut appeler « platine ». Aire géographique structurée par les trois grands fleuves, Paraguay, Parana et Uruguay, qui se joignent pour former le Rio de la Plata, le plus grand estuaire du monde, au bord duquel se situe Buenos Aires, une des principales villes de l’Amérique du sud. Cet ensemble, qui commande le principal axe de développement du Mercosud, est le théâtre de multiples aménagements énergétiques, routiers, ferroviaires et fait l’objet de grands projets logistiques à l’incitation des instances internationales (Nations Unies, BID, OEA…). L’intensité des relations et des infrastructures qui relient le bassin de la Plata aux grandes agglomérations brésiliennes de São Paulo et Rio de Janeiro permet de formuler l’hypothèse d’une possible mégalopole sud-américaine en formation, au centre de laquelle l’agglomération de Porto Alegre constituerait un relais. L’incontestable dynamisme de la région du bassin de la Plata, malgré la crise de l’Argentine, en fait l’un des grands chantiers d’aménagement du monde.
Le centre directionnel du Mercosud élargi se situe dans la région de la tétrapole brésilienne qui regroupe les métropoles de São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte et Brasilia. Cet ensemble régional de premier plan a ravi dans les années 1960 la primauté à Buenos Aires et à sa région, jusque là capitale de l’Amérique du sud sur les plans culturel, économique et industriel. Les fonctions métropolitaines se répartissent sur plusieurs agglomérations dans la région qui forme le cœur économique du Brésil : rôle historique, culturel et touristique pour Rio de Janeiro qui fut capitale du Brésil jusqu’en 1960, rôle administratif et politique pour Brasilia, actuelle capitale qui atteint les 3 millions d’habitants 40 ans après sa création ; rôle économique et financier pour São Paulo, qui est incontestablement la capitale économique du Brésil et du continent sud-américain ; rôle de grand centre industriel de Belo Horizonte dans le Minas Gerais, région minière importante. Cette conjonction métropolitaine sans équivalent en Amérique du sud constitue un réseau urbano-industriel particulièrement dense, totalisant 80 millions d’habitants sur 1,2 million de km2 qui forme le pôle moteur de l’intégration continentale.
La Patagonie, les Andes, du littoral de la Terre de feu au désert d’Atacama délimitent la région du cône austral que se partagent le Chili dans sa totalité et l’Argentine pour sa partie occidentale. Région de tous les étagements climatiques, aux paysages exceptionnels (montagnes, glaciers, fjords, îles). Le cône austral dispose d’importantes ressources naturelles, en particulier minières (cuivre) et énergétiques (pétrole et gaz naturel) dont le transport vers les grands centres économiques du Mercosud constitue un défi. La région illustre plus particulièrement la thématique de l’intégration par les réseaux énergétiques et la percée des axes de communication est-ouest reliant les pôles économiques et les grandes villes du Chili à ceux de l’Argentine, avec le défi de la traversée des Andes. Dans cette région périphérique, comme dans les nords brésiliens, se jouent des enjeux écologiques majeurs.
Enfin, le 4ème ensemble régional se compose des régions périphériques du nord du Brésil, l’Amazonie et le Nordeste ; deux ensembles qui couvrent 6,3 millions de km2 et regroupent 62 millions d’habitants (14 pour l’Amazonie et 48 pour le Nordeste). Ils constituent des espaces périphériques du Mercosud élargi, auquel ils sont reliés par le relais des grandes villes du Sudeste du Brésil qui commandent les axes de développement en direction du nord (Brasilia-Belém, São Paulo-Cuiaba-Porto Velho), qui polarisent les liaisons aériennes (en provenance ou à destination de Manaus) et qui reçoivent ou impulsent d’importants flux migratoires (Nordestins allant travailler à São Paulo à l’époque du miracle économique) ou de grands chantiers. Les deux régions du Nordeste et de l’Amazonie connaissent une ouverture et s’inscrivent dans la mondialisation chacune à leur manière ; elles incarnent la problématique du développement durable et de la conservation de la nature dans ses multiples acceptions.
Tableau 1- Les macrorégions Cone Sud-Brésil
| Superficie
Millions km2
| Pop 2000
Millions
| % urb
| PIB
Milliard $
| Pib/tëte
US$
| Bassin de La Plata
| 3,1
| 70
| 80
| 210
| 3020
| Tétrapole brésilienne
| 1,2
| 80
| 90
| 360
| 4530
| Cône austral
| 2
| 25
| 75
| 120
| 4810
| Nords brésil
| 6,3
| 62
| 65
| 80
| 1300
|
Tableau 2 – Disparités entre les pays du Mercosud et le Chili
| Superficie
Km2
| Population 1970
millions
| % pop. urbaine
| Population 2000
millions
| % pop. urbaine
| PIB
Milliard $
| Pib/tëte
US$
| IDH
| 0-14 ans
%
| +65 ans
%
| Argentine
| 2 780 000
| 23,9
| 78
| 38
| 90
| 180
| 3650
| 853
| 27,7
| 9,7
| Brésil
| 8 547 000
| 95,7
| 52
| 175
| 80
| 500
| 2720
| 775
| 28,8
| 5,2
| Chili
| 757 000
| 8,8
| 76
| 15
| 87
| 72
| 4310
| 839
| 28,5
| 7,2
| Paraguay
| 406 000
| 4,2
| 40
| 5,9
| 56
| 5,8
| 1100
| 751
| 39,5
| 3,5
| Uruguay
| 176 000
| 2,8
| 85
| 3,2
| 92
| 12
| 3790
| 833
| 24,8
| 12,9
| Total
| 12 666 000
| 135
|
| 237
|
| 770
|
|
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| Source : CEPALC, 2002
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