2 – La tétrapole brésilienne La région centrale du Brésil où se concentre près de la moitié de la population brésilienne et les deux tiers de la richesse produite, compte les plus grandes agglomérations et domine les autres régions du pays par une industrialisation précoce et technologiquement avancée, donc diversifiée. Il s’agit du Brésil moderne, intégré, où se mêlent richesse et pauvreté, modernité et informalité, efficacité économique et marginalité sociale et où quatre métropoles organisent un espace urbano-industriel en croissance. L’agglomération de São Paulo et ses 18 millions d’habitants, s'impose comme le moteur du développement économique régional et se distingue par ses fonctions tertiaires supérieures et la concentration de sièges sociaux d’entreprises et d’institutions financières de portée continentale. Rio de Janeiro, capitale historique et culturelle, peut être considérée comme un laboratoire de gestion des agglomérations latino-américaines ; Belo Horizonte, comme une métropole moderne aux fonctions industrielles fortes ; Brasilia, enfin, capitale politique du pays a gagné en 40 ans ses lettres de noblesse. Ces espaces métropolitains et leur zone d’influence représente 10% du territoire de l’ensemble Cône Sud-Brésil, et près de la moitié du Pib pour un tiers de la population (voir tableau 1). Espace-clé pour le Brésil (un urbain sur deux y vit), le Sudeste (selon l’expression consacrée par la géographie brésilienne) forme une puissante région appuyée sur quatre grands pôles urbains (tétrapole), commandée par São Paulo qui élargit son aire d’influence et renforce ses connexions, devenant un véritable moteur de l’intégration continentale.
São Paulo, agglomération motrice du continent São Paulo, troisième agglomération du monde par sa taille, se distingue par la puissance de sa concentration économique, la position dominante qu'elle occupe en Amérique du sud et les investissements qu’elle attire. Elle atteint un niveau qui la place au rang des villes mondiales qui concentrent une part énorme de la croissance, de la richesse, du pouvoir, se trouvant au cœur d'un processus de formation d'une région économique et d’un pôle technologique intégrés aux circuits mondiaux. La qualité des infrastructures y est meilleure, la formation des individus mieux assurée et les connaissances y circulent de façon intense. Elle est aussi la capitale de l’Etat de São Paulo, vaste comme la moitié de la France, qui compte autant d’habitants que l’Argentine (38 millions d’habitants) dispose d’une riche agriculture et fournit 60% de la valeur industrielle du pays et un tiers du PIB national.
São Paulo commande une véritable région urbaine appelée macrométropole. En effet, si on y inclut les villes spécialisées, devenues des capitales régionales, dans un rayon de 100 kilomètres, on obtient une région urbaine de 26 millions d’habitants, prémisse d’une mégalopole de l’Atlantique sud en formation. Cette macrométropole se dessine entre les quatre agglomérations de : Campinas (télécommunications), São José dos Campos (aéronautique et aérospatial), Sorocaba (métallurgie fine) et Santos-Cubatão (pétrochimie, principal port brésilien).
La municipalité de São Paulo, qui a connu des phases de croissance extrêmement rapides grâce à l'intensité des mouvements migratoires (sa population a triplé en 40 ans passant de 3 780 000 habitants, en 1960, à 10 430 000 habitants, en 2000) montre aujourd’hui des signes de congestionnement alors que la croissance se poursuit encore au rythme de 100 000 habitants par an et s’opère tant verticalement qu’horizontalement. La grande phase de migration correspond à l’époque de l'industrialisation fordiste des années 1950-70, quand les migrants originaires des zones rurales, essentiellement du Nordeste, arrivaient en masse. Cependant, la ville industrielle, qui à la fin des années 1970 totalisait 15000 établissements industriels et un million d’ouvriers, devient une ville tertiaire, ne comptant, vingt ans plus tard, plus que 9300 établissements industriels et 630000 ouvriers. Nombre d’activités industrielles se déplacent dans la banlieue et les villes paulistes à une centaine de km, libérant des espaces dans le tissu urbain ; c’est ainsi que s’opère une importante mutation dans les usages et les fonctions des lieux de la ville-centre avec une impressionnante explosion d’immeubles de bureaux. Dans la spécialisation tertiaire qui caractérise la ville de São Paulo, le secteur financier et les services aux entreprises, domine et leur déplacement vers le sud-ouest est spectaculaire. Certes, le vieux centre garde encore plus de 40% des 6 millions de m2 de bureaux, mais un glissement très net s’effectue vers l’avenue Pauliste et, depuis les années 1985, en bordure du rio Pinheiros où une succession d’immeubles luxueux s’aligne le long de grandes avenues totalement remodelées dans des opérations de rénovation urbaine de grande envergure: Villa Olympia, Faria Lima, Berrini, Nações Unidas, Verbo Divino… Un boom immobilier sans précédent façonne des nouveaux districts d’affaires qui accueillent les sièges des multinationales, mais aussi des centres commerciaux, des salles multiplex, des hôtels sophistiqués, des bars branchés… De cette croissance résulte des quartiers différenciés, de tours d’habitations ou de lotissements de maisons individuelles, de plus en plus éloignés du centre, aux dynamiques propres. Les constructions en hauteur finissent par dominer, tandis que l'expansion horizontale sans planification se poursuit dans des périphéries interminables, hors du contrôle municipal. Les formes de ségrégation socio-spatiale ont tendance à devenir plus diffuses avec des poches de pauvreté au milieu des quartiers à hauts revenus et des îlots de classes moyennes au milieu de territoires caractérisés par la grande pauvreté. L'organisation des transports représente un casse-tête. Un tiers des déplacements se font en voiture particulière, un autre tiers à pied et le dernier tiers en transports en commun. Pollution généralisée et embouteillages permanents sont le lot commun des paulistains... La planification urbaine est toujours dépassée par la pression sociale. Les favelas, jusqu'alors peu présentes dans le tissu urbain, ne cessent de s’étendre au bord des cours d’eau, des voies rapides et des équipements publics. Les risques environnementaux se multiplient, bon nombre d'habitations se situent dans des zones interdites ou à risques de glissements de terrain ou d’inondations. Ces dernières paralysent fréquemment toute la ville. Des travaux d’endiguement du Tietê actuellement entrepris devraient remédier à ce problème. Au sud-est, le premier parc industriel de l’Amérique latine connu sous le nom de l’ABC (réunissant les municipalités de Santo André, São Bernardo, São Caetano) né autour de l’industrie automobile, connaît la crise à la suite de la restructuration du secteur. De nouvelles instances de négociations se créent telles les chambres sectorielles où se discute entre patrons et ouvriers l’avenir des branches, ou les forums des mairies, visant à redynamiser l'économie locale pour qu’elle retrouve le chemin de la croissance ébranlée par les ajustements des industries automobile. Certes, avec une capacité de production de 2 millions de véhicules par an, le Brésil est encore au 9ème rang des producteurs mondiaux. Cependant, l’ouverture économique et la modernisation des systèmes de production ont conduit à un redéploiement des usines des grands constructeurs automobiles et la vieille région industrielle doit positionner autrement son avantage comparatif. La gestion d’une métropole de cette complexité suppose des adaptations administratives, des mesures de décentralisation, de budget participatif, une réduction des tensions entre secteurs public et privé pour éviter que les inégalités ne se creusent et que les pollutions ne s’étendent. Un défi pour les équipes municipales dont les marges de manœuvre sont étroites, notamment dans le champ du foncier. Les 55 conseillers municipaux sont élus par scrutin proportionnel avec des voix recueillies dans la ville entière et sans ancrage territorial dans un district électoral particulier. Depuis 1990, les maires n'arrivent généralement pas à dégager une majorité parmi les conseillers municipaux, ce qui oblige à de laborieuses négociations. Pourtant les différentes équipes municipales tentent toujours d’innover, mettant en place des expériences visant à élargir le parc locatif, à accorder la gratuité des transports collectifs, à étendre le ramassage et l'élimination des déchets, à introduire l’usage de biocombustibles non polluants, etc... Mais une ville de la dimension de São Paulo demeure difficilement gouvernable. La question du découpage territorial, de la bonne échelle pour la prise de décision et de la clarification de l’exercice des compétences entre les niveaux, municipal, fédéral ou de l’Etat fédéré, est difficile à résoudre. Les capacités administratives de chaque instance sont souvent dépassées.
Des voix s’élèvent régulièrement pour inciter à stopper la croissance de la ville qui a tendance à s'emballer spontanément et, malgré de nombreux obstacles, trois types de propositions sont avancées :
créer une nouvelle capitale à l'intérieur et sortir l’administration estaduale du site saturé qu’elle occupe au bord du rio Tiêté ;
favoriser davantage le développement des villes de l'intérieur par des mesures incitatives à la décentralisation des activités économiques ;
ou plus audacieux géopolitiquement, transformer la région métropolitaine de São Paulo en un nouvel Etat fédéré qui aurait plus d’autonomie financière et de représentation politique au Congrès. Ce projet se heurte à l’opposition des Etats les plus pauvres qui ne tiennent pas à corriger la sous représentation politique du Sudeste, mais recueille par contre le soutien des lobbys amazoniens qui proposent, eux aussi, la création de nouveaux Etats fédérés.
São Paulo, devenue une mégacité caractérisée à la fois par le dynamisme économique, immobilier, commercial et artistique, se doit d’innover pour être une ville plus juste. Les progrès de la démocratie locale et le renforcement des instances de représentation au niveau des îlots et des quartiers ouvrent des perspectives d’organisation pour l’amélioration de la qualité de vie des habitants. Les conditions de l'inscription des régions dans l'économie mondialisée apparaissent de plus en plus différenciées, fonction des caractéristiques singulières des territoires. São Paulo, ville globale du continent sud-américain, est parvenue à inscrire « paulistinamente » (c’est-à-dire à sa manière, accélérée, chaotique, ultramobile, ingénieuse) son territoire dans la nouvelle régionalisation économique induite par la mondialisation.
Rio de Janeiro, de la capitale historique à la rente du pétrole Rio de Janeiro, capitale du Brésil pendant deux siècles, de 1763 à 1960, résume l’histoire brésilienne. Le passage de la colonie à l’Empire, puis de l’Empire à la République s’inscrit dans son architecture. Elle garde de cet héritage colonial et impérial l’ambivalence sociale d’une ville de l’élite aussi bien que des esclaves, qui débouche sur un ensemble urbain fait d’antagonismes rapprochés où se mêlent les classes sociales. Rio de Janeiro, ville-symbole de la construction nationale et de la brésilianité, constitue une parfaite synthèse de la nation brésilienne.
La modernisation de son économie se manifeste, dans la période récente, par la mise en exploitation de l’immense gisement pétrolier du bassin de Campos à l’est de la baie de Guanabarra. L'organisation de l'espace de l'Etat de Rio de Janeiro, l’un des plus petits de la Fédération (43 700 km2) avec 15 millions d’habitants, en a été profondément changée et le Brésil, de grand importateur pétrolier, est devenu, au début des années 2000, avec 1,5 millions de barrils/jour, 7ème producteur mondial, autosuffisant à 85%. Il importe seulement les pétroles légers qui lui manquent. La compagnie pétrolière brésilienne, la Petrobras, déjà présente dans l’agglomération de Rio de Janeiro avec un important centre de recherche et la raffinerie de Duque de Caxias, établit des records mondiaux d’exploration pétrolière en eaux ultra profondes et de systèmes d'exploitation jusqu'à 2000 m de profondeur. En 25 ans, le bassin de Campos et ses plates-formes off-shore impressionnent par l’ampleur de leur développement. Les deux villes de Campos de Goytacazes et Macaé, qui totalisent 800 000 habitants, reçoivent de confortables royalties pétrolières et forment les nœuds du nouveau dispositif logistique de la Petrobras, connectés aux centres de décision nationaux et internationaux de l'économie pétrolière. Cependant, les royalties du pétrole n’amenuisent qu’imparfaitement le traumatisme de la perte, par Rio de Janeiro, de sa fonction de capitale politique de pays, ainsi que l’impact d’une désindustrialisation, de plus en plus marquée, avec l’affirmation de São Paulo comme capitale économique. De ce fait, la métropole historique cherche à éviter que ne s’accroisse la ségrégation socio-spatiale qui la caractérise et à relancer des activités productives en liaison avec le développement du Mercosud. Le pôle industrialo-portuaire de Sepetiba, qui démarre à la fin des années 1970 pour déconcentrer les activités du vieux port de Rio, fait l’objet de nouveaux projets, mais se heurte à la concurrence des autres ports de la façade de l’Atlantique sud, ayant tous l’ambition de devenir des hubs. Ainsi, la zone urbanisée de la métropole, qui totalise 11 millions d’habitants (dont six pour la ville-centre), s’étend autour de la baie de Guanabara et gagne à l’ouest, la baie voisine de Sepetiba et à l’est la ville de Nitéroi, reliée par un pont de 13 km au centre ville. Classiquement, on oppose la zone sud des plages, où se logent les classes moyennes et hautes, aux zones ouest (Bangu, Campo Grande) et nord (Baixada Fluminense) où se regroupent les pauvres. Les premières disposent de tous les services urbains, notamment des réseaux d’égouts ; les secondes, lieux des lotissements clandestins et des favelas, mal équipés, souffrent de manque d’assainissement. Entre les deux, le centre et sa zone suburbaine abritent des quartiers de classes moyennes et des favelas, présentant des infrastructures allant d’une qualité moyenne à déplorable. Le centre-ville est engorgé, malgré le système des voies rapides qui lie les quartiers sud et nord et les deux lignes de métro. Les problèmes environnementaux sont aigus ; la nauséabonde pollution de la baie de Guanabara est à l’image de cette expansion urbaine peu contrôlée où s’affrontent des gangs principalement dans les favelas, théâtre de règlements de compte entre trafiquants suivies des interventions de l’armée qui font, de certains quartiers de Rio de Janeiro, une ville dangereuse. L’impact régional du cycle tragique de trafic de drogue et d’armes lourdes contribue à l’instabilité politico-institutionnelle de l’Etat de Rio de Janeiro, alors que la société civile tente de s’organiser pour obtenir l’interdiction de la vente des armes. La ville se fragmente avec, d’un côté, le confinement des classes aisées dans des enclaves autonomes (domaines résidentiels fermés, hyper-marchés), de l’autre l’exclusion des classes pauvres dans des ensembles urbains peu intégrés à la vie de la cité. Dans cette ville compartimentée, à l’intrication socio-spatiale complexe, les pauvres ne s’éloignent pas des riches, cette proximité oblige à une résolution des antagonismes. La lutte pour la citoyenneté sera-t-elle à même d’amenuiser la partition urbaine ? C’est tout le pari de la gestion de ce laboratoire d’agglomération qu’est Rio de Janeiro, capitale culturelle (siège de la principale chaîne de Télévision brésilienne Globo) et notable point d’ancrage sur l’axe mégalopolitain atlantique en formation. Tableau 4 – Les agglomérations du Cône Sud
| Population millions
| PIB urbain
Millions U$
| PIB par tête
U$
| PIB par tête ajusté*
| São Paulo
| 18,5
| 75 000
| 4026
| 5460
| Rio de Janeiro
| 11,2
| 42 780
| 3870
| 5000
| Belo Horizonte
| 4,6
| 15 560
| 3550
| 5780
| Brasilia
| 2,2
| 12 356
| 5640
| 9135
| Buenos Aires
| 11,6
| 65 210
| 5615
| 8550
| Santiago
| 6,1
| 34 600
| 5700
| 9460
| Montevideo
| 1,4
| 5 800
| 4200
| 6800
| Curitiba
| 2,9
| 13 000
| 4430
| 7255
| Porto Alegre
| 3,6
| 14 975
| 4125
| 6040
| Asuncion
| 1,7
| 1 770
| 1090
| 2080
| Source : AméricaEconomia 2004 - * incluant le coût de la vie et un indice de violence
Belo Horizonte, métropole de transition Le Minas Gerais, à cause des mines, a été urbain dès le début de son peuplement, à la différence du reste du Brésil colonial marqué par la ruralité. C’est dans le Minas Gerais du 18ème siècle qu’est née la civilisation urbaine brésilienne où les villes de l’or jouissaient d’un certain rayonnement culturel. Le Minas Gerais a aussi été pionnier dans la création de villes nouvelles. Sa vieille capitale du 18ème siècle, Ouro Preto, ville d’exploitation de l’or et des diamants, cachée dans les montagnes, sans lumière ni espace, aux rues labyrinthiques, ne correspondait plus aux attentes d'un des Etats les plus riches du pays, vaste comme la France. Des ingénieurs progressistes et nationalistes proposèrent le projet d'une ville ouverte, “bel horizon”, aux larges artères, dans un plan de double trame orthogonale inspiré de celui qui avait été choisi, dix ans auparavant, pour La Plata, la nouvelle capitale de la province de Buenos Aires. Belo Horizonte commence à sortir de terre en 1894, et vingt ans plus tard la ville dépasse les 40 000 habitants, dont un quart occupe la zone urbaine quadrillée en larges damiers d’avenues arborées, et le reste une zone suburbaine sans infrastructures ni équipements, dans des logements précaires. Planifiée à l'origine pour 200 000 habitants (chiffre atteint en 1940), Belo Horizonte devenue millionnaire depuis 1970, forme avec Rio de Janeiro et São Paulo, distantes de 400 et 500 km, le cœur urbain et industriel du pays.
Ayant inclus dans son agglomération les banlieues industrielles de Betim et Contagem, elle dépasse aujourd’hui les quatre millions d'habitants et se trouve au troisième rang des agglomérations brésiliennes, mais au sixième rang pour le Pib par tête (voir tableau n°4). Les spécialités industrielles du Minas Gerais vont de l’agroalimentaire, avec un développement de productions de qualité (produits laitiers, café, cachaça…) aux filières métallurgiques et mécaniques, en passant par la sidérurgie. Ce dernier secteur, privatisé et modernisé, place le Brésil, avec 30 millions de tonnes par an, au 7ème rang des producteurs mondiaux d’acier, dont 40% à l’exportation, avec des spécialisations régionales affirmées : le Minas Gerais produit les aciers bruts dans ses grandes usines d’Usiminas, Açominas et Acesita, Rio de Janeiro les laminés, Espirito Santo, la fonte et les alliages, São Paulo gardant les diverses spécialités.
Avec un incontestable savoir-faire minier, industriel et bancaire, une bonne offre de formations spécialisées et ses réseaux d’entreprises diversifiées, l'Etat de Minas Gerais est au troisième rang des économies estaduales, contribuant à 10% du PIB brésilien. L’esprit mineiro exprime un régionalisme dont l'originalité est moins forte que ceux du Nordeste ou du Sud, mais qui affirme sa spécificité, notamment en politique. Etat de transition, le sud Minas et le triangle mineiro sont dans l’orbite directe des métropoles, tandis qu’au nord-est subsiste une poche de pauvreté. Le Minas Gerais qui n’a pas de façade maritime exporte ses productions par l’Espirito Santo où se déploie le vaste complexe industriao-portuaire de Vitoria-Tubarão, innovant en matière de gestion partagée. Premier ensemble brésilien pour les tonnages, il offre des terminaux spécialisés pour les minerais, les produits sidérurgiques, le soja, le papier-cellulose… étant très actif dans l’association des villes portuaires de l’Atlantique sud, redynamisée dans le cadre du Mercosud.
Brasília, la ville symbole de l’intégration territoriale Le projet de Brasilia représente une réalisation géopolitique de premier plan pour recentrer le centre de gravité du pays, consolider l'intégration du Plateau Central et projeter le pays vers l’avenir. Sa construction s’inscrit dans la lignée des nouvelles capitales provinciales créées de toute pièce avec une belle régularité : Teresina en 1854, Belo Horizonte en 1894, Goiânia en 1940, Brasilia en 1960 et Palmas en 1990. Elles sont le symbole d’un Brésil qui construit, maille son territoire et fait progresser son intégration régionale.
Prélude à Brasilia dans la dynamique de « la marche vers l'ouest », la nouvelle capitale du Goiás, Goiânia, ville nouvelle est lancée dès 1936. Ce projet, expression de la politique urbaine des années 30, comme Brasilia sera celle des années 1950-60, doit désenclaver l'Etat de Goiás et l’intégrer au Brésil moderne en effaçant les images de retard depuis trop longtemps attachées à ce territoire et dont la vieille capitale, Goiás, était le symbole. La ville de Goiânia, prévu d’emblée pour abriter 50 000 habitants est inaugurée en 1942. Elle est aujourd’hui millionnaire, tête de réseau de la riche activité d’agribusiness du Cerrado, formant avec Brasilia, une région urbaine dynamique en passe de s'affirmer comme le troisième pôle du Brésil, fer de lance de l’intégration des Cerrados à la nation. Brasília, capitale politique du Brésil depuis 1960, se trouve au centre d’un district fédéral découpé dans l’Etat du Goias et stratégiquement situé au partage des eaux de trois grands bassins hydrographiques : le Tocantins qui coule vers l’Amazonie, le São Francisco vers le Nordeste et le Parana vers le Sudeste. L’ensemble urbain né de cette nouvelle création, regroupe, en 2000, plus de deux millions d’habitants et représente le pari réussi de décentraliser les services du gouvernement, de donner une impulsion décisive au développement du planalto central, d’incarner une ville moderne, à l’architecture audacieuse, déjà classée par l’Unesco au patrimoine de l’humanité. Avec 1,2% de la population et 2,8% du PIB, le district fédéral se trouve en tête du classement pour la richesse par habitant.
Bien plus qu’une nouvelle capitale, le projet de Brasilia4, conçu dans les années 1950, est issu de l’effort visant à donner une nouvelle direction à l'économie nationale, du littoral vers l'intérieur et non plus vers l'extérieur. Comme symbole, ce projet permet de mobiliser tous les Brésiliens vers l'avenir, puisque le mode de vie urbain est porteur de développement et que les villes sont l'expression des stades de la modernité; Brasilia sera conçue comme la ville moderne pour le Brésil du 20ème siècle. La ville, qui serait un instrument de transformation sociale, est pensée d’emblée comme une ville moderne de services avec des zones fonctionnelles qui séparent les lieux de travail des habitations. Elle reste marquée par une dualité d’origine entre sa vocation à recevoir la haute administration de la fédération et la réalité concrète de l’accueil de milliers d’ouvriers oeuvrant à son édification. Les concepteurs du projet, Lucio Costa et Oscar Niemeyer, la rêvait comme le lieu où se jouerait l’égalité des chances. Mais le chantier attire beaucoup de monde et l’urbanisation est dépassée par ces masses si bien que, la ville présente une forte ségrégation sociale entre les classes privilégiées qui habitent le Plan Pilote et la population plus pauvre exilée dans les villes-satellites à une dizaine de km. Brasilia connaît une croissance démographique importante et continue à attirer des migrants, les uns à haut niveau de qualification et de revenu, les autres sans projet mais pleins d’espérance. Venus des Etats les plus pauvres du Brésil, ils s’installent loin du centre dans les lotissements des villes satellites. L’urbanisation dépasse largement les limites du district fédéral ; une véritable région urbaine du pourtour de Brasilia a même été institutionnalisée. Ainsi une génération après son inauguration, l'image de Brasilia s'est un peu brouillée, entre son plan-pilote figé à 350 000 habitants et son ensemble urbain éclaté en 13 sites dans le District Fédéral, où l'usage du sol n'est que très imparfaitement contrôlé et où le débordement urbain anarchique dépasse les limites du District Fédéral. N'est-ce finalement qu'une “île de fantaisie” qui ne produit rien, diffuse toutes les rumeurs et dispose des plus hauts revenus par tête du Brésil? Ce sont toutes ces réalités à la fois, mais aussi un nouveau centre qui a incontestablement donné du sens à la collectivité, car cette réalisation représente un changement fondamental pour le rééquilibrage du territoire, le développement irréversible de l'intérieur du Brésil. Brasilia, inaugurée soixante ans après Belo Horizonte, se présente, en l'an 2000, comme une véritable métropole. - 0 -
Le développement des axes d’intégration dans le sudeste vise à améliorer le réseau routier, notamment par le doublement des autoroutes entre les villes de São Paulo, Rio de Janeiro et Belo Horizonte et à moderniser le système portuaire de Santos et de Vitoria (Espirito Santo). Mais le véritable enjeu est celui du moteur économique de l’Amérique du Sud où le Brésil fait figure de géant industriel avec le risque de condamner ses partenaires à devenir des marchés captifs et à voir leur industrie nationale démantelée. Dans un tel scénario, l’Argentine serait la principale perdante du processus d’intégration. Cependant, les simulations économiques du processus de libéralisation des échanges mettent en évidence, à terme, un redéploiement des activités industrielles du Brésil vers l’Argentine, grâce à son différentiel de productivité. En effet, à l’instar de l’expérience du processus d’intégration européen, on observe d’abord une forte hausse d’échanges croisés de produits similaires, puis une redistribution spatiale du tissu productif en fonction des spécialisations dont pourrait bénéficier l’Argentine (Darrigues et Montaud, 2003).
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