Bibliographie 62 Cône Sud et Brésil Introduction du Chapitre 4 : Cône Sud et Brésil L’ensemble régional «Cône Sud et Brésil»








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3 – Le Cône Austral



Le grand Cône austral, caractérisé par une « folle géographie » pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre de Subercaseaux (1940) à propos du Chili5, se définit comme un espace à l’organisation méridienne, vertébré par la cordillère des Andes aux risques naturels majeurs qui oppose un versant pacifique aride au nord, hyperhumide coupé de fjords au sud ; et un versant argentin tropical au nord, semi-aride de plus en plus froid vers le sud. Les communications restent difficiles. La barrière des Andes se traverse par quelques difficiles cols d’altitude ; les vallées y sont étroites et compartimentées, les montagnes s’élèvent à 3000, 4000 voire 6000 mètres, dont un millier de volcans.

Le Cône austral forme ainsi une région difficile mais où s’opère pourtant d’importantes mutations au prix d’une exploitation généralisée des ses richesses naturelles. Le Chili, souvent présenté comme un modèle de croissance économique, a mis en œuvre des formes d’adaptation à la mondialisation, par des équipements industriels aussi bien que touristiques. Des investissements massifs y ont été effectués, tant dans la Patagonie argentine, du côté de Neuquén où d’immenses gisements de pétrole sont exploités et où l’irrigation transforme les vallées en vergers, que sur la côte chilienne du Pacifique, qui, outre les exportations ancestrales de minerais devient grande exportatrice de fruits de mer et de bois. Des établissements, jusque là isolés, s’intègrent dans des réseaux qui se densifient et les espaces affirment des niches de spécialisation.

Des disputes aux interconnexions


L’extrémité nord de cet ensemble du Cône austral a été disputée au moment des Indépendances et correspond, en gros, aux territoires perdus par la Bolivie au 19ème siècle ; soit, la région de Jujuy-Salta acquise par l’Argentine et le littoral pacifique conquis par le Chili. La Bolivie qui, en proclamant son indépendance en 1825, épousait les contours coloniaux de l’audiencia de Charcas, accédait au littoral par les ports de Cobija et Mejillones, mal équipés et difficiles d’accès, alors que le Pérou s’emparait d’Arica. Les Boliviens occupaient alors peu leur littoral et en 1879, au cours d’une guerre éclair, le Chili conquiert la région d’Antofagasta où des entrepreneurs chiliens avaient déjà des concessions minières. Un traité en 1904 entérine cette perte territoriale que les Boliviens n’ont jamais tout à fait admise. Les différends frontaliers perdurent entre les deux pays, par exemple à propos de l’usage des eaux de la cordillère, vitale pour les déserts d’Atacama et Tarapaca qui en manque cruellement. Malgré tout, les flux commerciaux et touristiques ne cessent de s’amplifier entre la Bolivie et le nord Chili ; Arica, le port le plus septentrional, vit au rythme du tourisme bolivien.

Le Grand Nord chilien, une périphérie d’exploitation minière



Cette dénomination de « grand nord » lui vient de la réforme régionale de 1975, et caractérise les trois régions du nord6, riches en mines, situées à l’origine en territoires bolivien et péruvien et conquises par l’armée chilienne en 1881. Des entrepreneurs chiliens y exploitaient les gisements de nitrate du désert d’Atacama (nitrate ou salpêtre servant à fabriquer la poudre à canon) avec le soutien de la Grande Bretagne. Le cycle du nitrate, remplacé ensuite par celui du cuivre, a permis au Chili une industrialisation par substitution d’importation.

La région reste peu peuplée, et sa modernisation dépend des capitaux étrangers qui viennent toujours poursuivre l’exploration des énormes gisements cuprifères qui font du Chili le premier producteur mondial de cuivre. Un front pionnier progresse encore dans cette ceinture minière du désert d’Atacama. A 3000 m d’altitude, au nord d’Antofagasta, la mine de cuivre de La Escondida, la plus grosse mine privée du Chili, propriété d’un consortium dirigé par une société australienne, produit 350 000 tonnes de cuivre fin par an, dépassant les résultats de la célèbre mine de Chuquicamata, la première mine de cuivre à ciel ouvert du monde. Le mouvement de privatisation a pourtant été moins poussé que dans l’Argentine voisine et l’Etat garde le contrôle de la firme minière CODELCO qui produit encore près de la moitié du cuivre chilien et finance un tiers du budget de l’Etat.

La région reçoit de nouveaux équipements, dans les steppes désertiques où grâce à la pureté de l’air, un observatoire d’astrophysique sous l’égide de l’Agence spatiale européenne a été installé à Las Campinas, équipé de télescopes parmi les plus performants du monde ; de même sur le littoral où sont conditionnés les minerais, ainsi que la farine de poisson dont le Chili est le premier producteur mondial. Du nord au sud, les activités portuaires se développent à Arica et Iquique, à Tocopilla, Mejillones et Antofagasta. La troisième région d’Atacama, appelé le « petit nord », également riche en minerais, fait la transition vers la zone centrale.

Des réseaux transandins soulignent les efforts de modernisation et d’intégration. Des connexions approvisionnent, depuis 1999, la IIème Région à partir du nord argentin : le gazoduc Gasatacama relie Coronel Cornejo à Antofagasta et le gazoduc Norandino connecte Tartagal (Salta) à Tocopilla afin d’alimenter les grands centres miniers et industriels du Chili et remplacer le charbon par le gaz naturel.

De plus, par des actions de lutte contre la désertification, cette région rejoint l’un de ces programmes continentaux d’envergure qui regroupe les chercheurs et les décideurs des pays où la sécheresse, sous toutes ses formes, limite la présence humaine. Sur la côte Pacifique, l’accent est mis sur des capteurs de brouillards, plantes du désert ou collecteurs fabriqués avec des filets en polypropylène.

Le nord-ouest argentin


L’Argentine du nord-ouest est au contact entre les Andes et le bassin de La Plata. Région de montagnes et de piémonts, elle est structurée par des axes de communications et une série de villes-oasis qui organisent leur espace régional auxquels se surajoutent les projets continentaux de connexion intermodale. Ainsi le projet de couloir ferroviaire biocéanique qui devrait relier Santos à Antofagasta est-il régulièrement relancé ; il s’agit de réhabiliter une voie ferrée de 4270 km : 1760 km en territoire brésilien, 1170 km en territoire bolivien, 1000 km au nord de l’Argentine dont le tronçon le plus vertigineux dit le « train aux nuages » qui s’élève à 4200 m pour atteindre Socompa et descendre sur le versant chilien jusqu’aux ports d’Antofagasta et Mejillones. La rénovation totale de la ligne est prévue pour 2010.

L’identité andine précolombienne y est très perceptible et remise à l’honneur dans l’actuel mouvement de renaissance des localismes. Cette Argentine historique, andine, tropicale, axe structurant de la vice royauté de La Plata, est jalonnée de villes relais sur la route qui menait de la mine de Potosi vers le rio de La Plata. Elles sont toutes devenues capitales de provinces ; les plus septentrionales, Jujuy, Salta, et Tucuman totalisent 3 millions d’habitants dans une région qui met en valeur son potentiel touristique, ses productions tropicales (canne à sucre, citrons) et sa position carrefour entre la Bolivie et le Chili. Puis Santiago del Estero, Catamarca, La Rioja, forment des oasis un peu plus pauvres qui regroupe 1,5 millions d’habitants. Enfin, Cordoba fondée en 1575, est devenue avec 1,2 millions d’habitants la deuxième ville du pays et centre industriel important (industrie automobile). Cette région singulière a été constitutive de la nation avant que Buenos Aires ne s’impose, comme capitale fédérale, en 1880. C’est à Tucuman que fut proclamée en 1816 l’indépendance des Provinces Unies du rio de La Plata.

Mendoza, 4ème agglomération du pays atteint le million d’habitants. Au pied de l’Aconcagua (6962m), elle est au centre d’une immense oasis qui fournit le marché national et exporte des vins de grand cru, jalon essentiel du couloir bi-océanique Buenos Aires-Valparaiso dont il n’est éloigné que de 450 km. Cependant la route actuelle, à deux voies avec un col à 4000 mètres, assure mal la traversée des Andes, tout en demeurant l’axe transocéanique principal du Mercosud. Mais il s’agit déjà de la partie centrale du Cône austral.

Santiago, la vallée centrale et le couloir bi-océanique


Etant donné le long étirement du Chili sur 5000 kilomètres, entre le 18ème et le 56ème degré de latitude sud, avec une largeur qui ne dépasse pas 200 kilomètres en moyenne et l’omniprésence des reliefs montagneux, la variété climatique est forte entre un nord tropical aride et un sud frais et humide. Le Chili central, aux affinités méditerranéennes, est souvent présenté comme « l’une des plus belles unités géographiques de l’Amérique latine » salué par tous les voyageurs pour son cadre de vie agréable. Il forme une riche région agricole, aux paysages construits par la vigne, les cultures maraîchères et fruitières et exprime le caractère rural de la nation chilienne.

Dans les années 1980, le Chili a trouvé le chemin d’une croissance allant de pair avec une stabilité économique selon un modèle impulsé par l‘exportation de produits primaires ou faiblement transformés. L’adaptation actuelle de ce modèle tend à mettre l’accent sur l’amélioration qualitative de la croissance avec des produits à plus forte valeur ajoutée et une meilleure intégration régionale. La démarche chilienne a tendance, toute proportion gardée, à se rapprocher de celle du Brésil où l’augmentation des dépenses sociales et la lutte contre les inégalités deviennent une priorité.

L'agglomération-capitale de Santiago, à égale distance des deux extrémités du territoire, commande cette étroite vallée centrale où se concentre plus de la moitié des 15 millions de chiliens. La ville constitue un centre tertiaire de première importance, abritant les sièges des organismes de décision nationaux et continentaux, telle la CEPALC – Commission Economique pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Plus de la moitié des emplois industriels s’y trouve. L'agglomération couvrant 65 000 ha, sise entre la Cordillère et des chaînons côtiers, a grandi sur un mode extensif. Depuis une dizaine d’années, le centre connaît un important processus de revitalisation, les quartiers riches s’étagent sur les pentes des reliefs, tandis que les pauvres s’étalent vers l’est et le sud, cependant les choix résidentiels changent, une préférence pour les appartements s’affirme et l’offre des logements locatifs s’étend. Comme dans beaucoup de villes latino-américaines, la modification du tissu urbain entraîne une ségrégation socio-spatiale à une échelle plus « micro ».

Avec les succès économiques engrangés par ses Chicago et Harvard boys qui ont fait du Chili le « jaguar » de l’Amérique latine affichant des taux de croissance à l’asiatique, les banlieues résidentielles de Santiago semblent calquées sur celles des Etats-Unis et le Chili central peut apparaître à certains égards comme une forme de Californie de l’hémisphère sud (Cordonnier, 2000). Cependant, l’envers du modèle se marque par l’accentuation de la bipolarité sociale, des très riches et des exclus, doublée d’une grande inégalité de répartition au niveau des salaires, beaucoup plus prononcée qu’en Argentine et frisant les écarts brésiliens, ce qui se manifeste dans la périphérie de la ville par l’extension des quartiers autoconstruits et des bidonvilles.

Le centre de Santiago connaît d’importants pics de pollution atmosphérique, notamment durant les mois d'hiver. Des mesures ont été prises, dont une démarche de réaménagement du centre par l’amélioration de l’espace public et la rationalisation de transports en commun, une troisième ligne de métro vers le sud très peuplé de l'agglomération a été ouverte. Santiago est donc, comme toutes les grandes métropoles du monde, confrontée à la question de sa gestion, des grands chantiers de transport, de la création d’emplois et de l’accession au logement pour les couches modestes de la population (dans les années 90, les logements sociaux ont représenté 45 % de la construction). Elle est aussi le centre administratif, politique et intellectuel du pays, formant un tandem avec l’agglomération industrialo-portuaire de Valparaiso-Viña del Mar, située à 140 km sur la côte Pacifique, de l’autre côté des cordillères côtières. Au port de Valparaiso, modernisé, se trouve le siège de la seule compagnie opératrice de porte-containers latino américaine classée parmi les 20 premières du monde, la CSAV, SudAmericana de Vapores en pleine expansion.

L’hydroélectricité (46%) et les combustibles fossiles constituent les principales sources d’énergie chiliennes. Depuis 1948, l'ENAP - Empresa Nacional de Petróleo- explore et exploite les gisements chiliens, tous localisés en Terre de Feu, et raffine le pétrole importé, essentiellement d’Argentine, dans ses raffineries de Concón (V° Región), de Talcahuano, (VIII° Región) et de Gregorio (XII° Región). Ce pétrole vient, depuis 1994, pour les trois quarts par l’oléoduc Transandino, le reste par voie maritime, depuis le port de Bahía Blanca. Le gazoduc Gasandes part de La Mora (Province de Mendoza), traverse les Andes et débouche à Santiago où il alimente trois centrales de cycle combiné du Système Interconnecté du Centre et le réseau de distribution de la ville de Santiago.

A 500 km de Santiago, à l’extrémité sud du Chili central, l’agglomération de Concepcion-Talcahuano (VIIIème Région) qui a bénéficié de la politique industrielle des années 1960, a été équipée d’un pôle sidérurgique et d’un pôle pétrochimique, recevant les hydrocarbures du bassin de Neuquén. D’abondantes ressources hydroélectriques alimentent également une puissante industrie papetière.

Le couloir biocéanique Concepcion, Neuquén, Bahía Blanca, déjà patagonien, concentre un large éventail d’activités et se présente comme une alternative au principal couloir Buenos Aires-Valparaiso. L’amélioration du transport terrestre de cette voie de 1000 km constitue un enjeu décisif. Ainsi, le projet de reconstruction du chemin de fer transandin du sud qui doit relier Bahia Blanca à Talcahuano pour que les produits argentins aient un accès au marché asiatique et les produits chiliens au marché brésilien, est réactivé, il manque 150 km entre Zapala-Neuquén et Lonquimay-Chili. L’intégration devient un vrai projet politique régional dans lequel la province de Neuquén, la haute vallée du rio Negro et la région de Conception, s’impliquent.

Bahía Blanca, avec ses 300 000 habitants, au bord de la Pampa et à l’orée de la Patagonie, unique port en eaux profondes dans une baie protégée de la façade atlantique, à mi-chemin entre les principaux gisements d’hydrocarbures et les marchés, joue un rôle capital dans l’expédition et la transformation des produits pétroliers, dépassant ses fonctions traditionnelles, portuaire et céréalière pour se présenter comme « la capitale indiscutée de l’industrie pétrochimique de l’Argentine ». De plus, dans le protocole d’Intentions du Corridor Atlantique du Mercosud, visant à faciliter le commerce international, Bahía Blanca constitue l’extrémité sud de ce corridor, avec ses onze terminaux maritimes spécialisés.

Fondations urbaines dans des sites à risques


Le site et l’histoire de Concepcion illustrent trois éléments significatifs de la géohistoire régionale : le durable effet de frontière du rio Biobio, le volontarisme espagnol déployé lors de la fondation des villes coloniales et les risques naturels encourus par des aménagements dans une cordillère toujours en mouvement. Le rio Biobio, aux eaux turbulentes et au tracé perpendiculaire aux Andes et à l’océan pacifique, forme une barrière naturelle qui a été aussi de longue date une frontière culturelle, marquant d’abord la limite de la zone contrôlée par les Incas, face aux territoires d’un ensemble de tribus indiennes dénommés Araucans par les Espagnols. Ceux-ci, comme les Incas avant eux, durent à cet endroit, mettre un point d’arrêt à leur expansion vers le sud devant la résistance des Araucans lesquels,, lors de l’insurrection générale de 1598 obligèrent les Espagnols à évacuer pour deux siècles toute la partie située au sud du fleuve Biobio. La Concepcion, d’abord fondée comme une ville forteresse pour défendre le territoire contre les incursions des Araucans, ou Mapuches « gens de la terre » selon leur propre dénomination, dut être déplacée après un violent tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée en 1751. Les habitants prirent la décision de reconstruire leur ville non plus au bord de la baie de Concepcion mais dans la vallée de la Mocha sur les rives du rio Biobio à une dizaine de km du site initial. Cependant en 1835, un nouveau tremblement de terre détruit la ville et les experts proposent à nouveau l’option récusée un siècle plus tôt du site de la pointe de Parra qui domine la baie de Talcahuano. La ville est cependant reconstruite au même endroit et ne gagnera Talcahuano qu’à la fin du 20ème siècle avec l’extension urbaine d’une agglomération qui dépasse aujourd’hui les 500 000 habitants et forme le 2ème centre industriel du pays.

De nombreuses villes du littoral chilien, menacées par les tremblements de terre, ou les raz de marée, furent définitivement abandonnées  ou déplacées ou connurent des changements d’activité: Valdivia, Angol, Chillan, Osorno, cette dernière, fondée en 1558, abandonnée dix ans plus tard, ne fut refondée qu’en 1790 et dépasse actuellement les 100 000 habitants. Le tremblement de terre de 1939 a fait descendre la ville de Chillan trois mètres en dessous de son niveau initial, celui de 1960 a liquidé l’industrie de Valdivia. De même, sur le versant argentin de la cordillère, Mendoza a été entièrement rasée en 1861 à la suite d’un tremblement de terre qui a fait 10 000 victimes sur les 15 000 que comptait la ville7.

Intégration des Patagonies


Une cordillère haute et jeune où tremblements de terre et éruptions volcaniques ne sont pas rares, fait obstacle aux déluges d’eau venant du Pacifique et sépare un versant hyperhumide de brouillards, fjords, glaciers, dont les pentes sont couvertes de la fameuse « forêt de pluie » avec ses nothofagus (hêtre austral), d’un versant sous le vent, steppique ; devenu le domaine de l’élevage extensif des ovins. Après une période de contact culturel et de cohabitation pacifique de part et d’autre de la cordillère, la ligne de crête fut prise comme frontière entre le Chili et l’Argentine. La partie la plus australe a fait notamment l’objet de sérieuses luttes d’influences à l’avantage de la marine chilienne qui a finalement obtenu la pleine souveraineté pour son pays sur le très stratégique détroit de Magellan dont elle s’est assurée la possession des deux rives, et la division de l’île de la Terre de feu (traité de 1882). Le Chili a également pris l’avantage dans le secteur du canal de Beagle dont l’Argentine ne contrôle plus que la partie orientale de la rive nord (Ushuaia). Les tensions frontalières ont été ensuite exacerbées par la présence de ressources pétrolières terrestres et off shore dont dispose la région. La découverte de gisements de pétrole dans l’Atlantique a, par ailleurs, motivé la revendication argentine sur les îles Malouines et la courte guerre qui s’en suivit (1982). Toujours en ce qui concerne l’accessibilité de ces « bouts du monde », l’Antarctique suscite bien des intérêts, faisant l’objet d’expéditions scientifiques et touristiques.

Déployées sur 16° de latitude, les différentes Patagonies n’ont été véritablement peuplées et reliées qu’au 19ème siècle à partir du développement de l’élevage ovin tandis que s’affirmait le rôle de quelques villes-ports : du côté chilien, Chiloé, riche centre agricole et Punta Arenas, contrôlant la Magellanie, traversée par les vapeurs du monde entier avant l’ouverture de Panama ; et du côté argentin Comodoro Rivadavia, port de pêche devenu centre pétrolier après la découverte des premiers gisements en 1907, Rio Gallegos et ses abattoirs, ou encore Ushuaia, la ville la plus australe du monde. Entre ces points, des angles morts, longtemps délaissés comme Aysen ou Palena font l’objet d’accaparement foncier par des sociétés qui se font octroyer d’immenses concessions. Les coupes de bois et la pêche s’exercent de façon inconsidérée, les mesures de protection du milieu naturel ne seront prises qu’à la fin du 20ème siècle.

Cette division en deux Patagonies est-elle en train de s’estomper avec le mouvement d’intégration continentale et le changement de perception du Cône austral ? Pour reprendre la démonstration de Philippe Grenier, la Patagonie est passée, en quelques décennies, d’un territoire-obstacle, battu par les tempêtes, que l’on contournait, à un territoire-ressource que le Chili et l’Argentine ont cherché à peupler et à exploiter, pour devenir un territoire-spectacle parcouru par des écotouristes avides de produits nouveaux. Si ces transformations mettent en péril un milieu fragile, elles indiquent aussi de nouvelles possibilités de développement assorties de principes de précaution.
Au total, trois millions d’habitants pour le Chili austral si on y inclut le « petit sud chilien » de Concepcion à Valdivia et à Puerto Montt qui forme la région des lacs, caractérisée par une colonisation allemande, parfois surnommée la « Suisse chilienne ». Les habitants de ce « finisterre », se sentent souvent incompris du centre du pays et semblent souhaiter une intégration plus forte entre les deux versants pour résoudre le manque des infrastructures. Les Patagons estiment volontiers que l’intégration est trop lente et soutiennent la doctrine récente des corridors bi-océaniques et de la multiplication des points de passage pour retrouver l’unité perdue d’une seule Patagonie. En effet, au 18ème siècle, une véritable « société de frontière » fonctionnait, parcourant le réseau des chemins entre le Rio de La Plata et le Chili, tissant des relations commerciales et culturelles entre l’Araucanie et les Pampas principalement autour des produits de l’élevage : transhumance des troupeaux, cuirs, graisse… A partir de 1850, la formule dite de « cordillère libre » accompagnée d’un régime commercial spécifique pour la circulation du bétail, est défendue particulièrement par l’Argentine qui vend ses animaux dans les foires chiliennes. Malgré tout, un régime protectionniste et des barrières douanières se mettent en place, jusqu’aux récentes mesures intégrationnistes de la fin du 20ème siècle qui relancent alors le concept de « cordillère ouverte » avec des projets conjoints de développement régional.

Nouvelle économie patagonienne


Le Chili reste un grand exportateur de produits primaires agricoles, forestiers et piscicoles. Cette base primaire exportatrice reste assez diversifiée, lui permettant de stabiliser sa croissance grâce à une gestion macro-économique rigoureuse.

Le Chili est au premier rang des pays latino-américains pour les produits de la mer. Oursins, crabes, palourdes et les célèbres loco (concholepas), tout se ramasse sur ses rivages. En une quinzaine d’années, la production passe de quelques centaines de tonnes à des milliers, avant de s’écrouler par épuisement des stocks. Ainsi la pêche du merlu du sud qui représentait 5000 tonnes en 1977, atteint 70 000 tonnes dix ans plus tard et plafonne à 20 000 tonnes au milieu des années 1990 pour des prises pratiquées aussi bien par les navires-usines que par les pêcheurs artisanaux. L’évaluation des stocks fait l’objet de controverses et « la répartition des quotas entre zones géographiques et catégories de pêcheurs exacerbe les antagonismes régionaux » (Grenier, 2003 :139). La définition de la « zone économique exclusive » des 200 milles marins devant les côtes, garantit au Chili un espace de pêche considérable. Le pays œuvre cependant pour élargir l’aire de protection dans les océans.

L’élevage de saumon est un autre épisode de cette mondialisation des produits de la mer. De 300 tonnes en 1980, la production des fermes d’élevage est passée à 20 000 tonnes en 1990 et à 180 000 en 2000, créant 25 000 emplois directs et un million de dollars d’exportations, plus que la farine de poisson dont le Chili est toujours le premier producteur mondial. Les multinationales, norvégienne, finlandaises, nord-américaines contrôlent en grande partie la production, elles interviennent au sud pour travailler en continue et intégrer verticalement la chaîne de production : usines d’aliments, production d’œufs, usines de conditionnement, dispositif d’exportation, dans une course à la standardisation du produit, mais aussi à l’occupation de l’espace. En effet, les salmoniculteurs cherchent à obtenir une législation sur l’aquaculture qui leur garantirait des concessions dans des aires protégées et la mobilisation des moyens publics pour les aménagements nécessaires au développement du secteur. Cependant des voix s’élèvent pour réclamer contre la pollution des eaux par les fermes d’élevage toujours à la recherche d’eaux plus neuves, et contre le pillage des poissons qui servent de nourriture aux saumons.

En ce qui concerne la forêt australe, l’exploitation du bois et les incendies menacent cette fragile ressource qui survit dans des conditions extrêmes grâce à trois facteurs : une forte humidité, une couverture de cendres volcaniques et la plasticité des espèces. L’administration peine à élaborer une politique forestière efficace, malgré la création, en Patagonie, de 5,9 millions d’hectares de parcs nationaux et de 4,6 millions d’hectares de réserves nationales.
Du côté argentin, la province de Rio Negro et sa capitale Neuquén vivent de l’exportation de fruits (citrons, pommes, cerises…), mais plus encore de l’économie pétrolière, avec ses vastes zones d’exploitation et ses usines de traitement. La région fournit la moitié des 640 000 barils/jour extraits dans le pays, un réseau interne d’oléoducs relie les bassins de Neuquén et Cuyo aux raffineries de Luján de Cuyo, d'Ensenada et de Puerto Rosales. Le réseau de gazoducs est encore plus étendu, reliant le bassin Austral de San Jorge à Neuquén, Bahía Blanca et Buenos Aires. Le transport par oléoduc, polyduc et gazoduc a pris, en Argentine, une grande extension spatiale et se développe sur le marché régional en se ramifiant vers de nouveaux centres de consommation des pays voisins
Sur le littoral atlantique, Comodoro Rivadavia, capitale nationale du pétrole, a traversé le 20ème siècle en suivant les péripéties de l’exploitation des hydrocarbures en lien avec le projet d’industrialisation nationale. Située à mi-chemin entre Buenos Aires et Ushuaia (1800 km), Comodoro Rivadavia s’inscrit comme une ville de services relais sur le littoral de la Patagonie : les liaisons aériennes y ont été développées dès la fin des années 1920 (Antoine de Saint-Exupéry) et son port ouvert sur le Golfe de San Jorge assure les liaisons Atlantique/Pacifique. L’activité pétrolière du bassin de San Jorge est toujours intense et fournit le tiers de la production nationale. La production gazière y est moindre (4 milliards de m3/an), à peine 8% de la production nationale. Cependant la privatisation de l’entreprise publique YPF, jusque là symbole d’un projet industriel national et creuset d’une culture locale, a entraîné non seulement la paupérisation de sa population mais aussi la désintégration de son identité « Ypefiana ». La société de Comodoro Rivadavia cherche une réinvention territoriale dans son rattachement à l’identité patagonienne et dans une diversification de ses activités (Carrizo, 2003).

Région magellane et Terre de Feu


Un peu plus au sud, la ville portuaire de Rio Gallegos, capitale de la province de Santa Cruz, ville-relais sur la nationale n°3 qui conduit de Buenos Aires à la Terre de Feu, se développe également. La province met en valeur les ressources touristiques de ses lacs glaciaires, notamment la chute d’icebergs du très fameux glacier Perito Moreno dans le lago Argentino, où la ville de Calafate consolide son équipement touristique (aéroport, chaînes hôtelières…). Il s’agit déjà de la région magellane composée de l’extrémité du continent et de l’île de la Terre de Feu, qui regroupe près de 500 000 habitants dont les 2/3 sont en Argentine. Au Chili, quatre provinces composent de la XIIème région dont la capitale Punta Arenas, qui regroupe avec 130 000 habitants, les 3/4 de la population. Des différents frontaliers ont alimenté, jusque dans les années 1980, les tensions géopolitiques entre l’Argentine et le Chili dans ce bout du monde. Or, pour accéder à sa partie du territoire de la Terre de feu, l’Argentine doit emprunter les ports magellaniques chiliens. Inversement, pour rejoindre le Chili continental par voie terrestre à partir de Punta Arenas, la capitale chilienne de la Terre de feu et son principal port, il est nécessaire de passer par le territoire argentin. La « route australe », qui relierait Puerto Montt à Punta Arenas, rencontre l’obstacle des grands glaciers du sud (campo de hielo Sur). Le passage le plus fréquenté emprunte donc le versant argentin des Andes, pour regagner le Chili par le Paso de integración austral. Symétriquement, l’accès routier à la Terre de Feu argentine suppose de franchir le détroit de Magellan, ce qui ne peut se faire qu’en territoire chilien. Ainsi, les véhicules qui se rendent aux deux villes argentines de la Terre de Feu, Ushuaia et Río Grande, franchissent le détroit au Paso de integración austral, rentrent en Argentine par le Paso San Sebastián.
La région a longtemps vécu des activités de l’élevage ovin, de l’exportation de la laine et de la viande de mouton, ainsi que de la pêche. Puis les deux pays ont installé une notable industrie pétrolière, des usines de traitement et de kilomètres de gazoducs. Le plus long d’entre eux, le gazoduc San Martín, relie les gisements de la Terre de Feu aux grandes villes de la côte atlantique. Les deux compagnies nationales ENAP et YPF ont joué un rôle majeur d’aménageurs dans ces territoires lointains et stratégiques et, dans la phase actuelle d’exploitation approfondissent leur collaboration. En effet, les territoires chiliens et argentins se trouvent de plus en plus imbriqués, plus que partout ailleurs sur leur longue frontière, car avec l’exploitation offshore (une quarantaine de plates-formes dans la partie orientale du détroit de Magellan) l’ENAP diversifie ses activités en Terre de Feu, maintient un chantier naval à Bahía Laredo (25 km de Punta Arenas), un complexe portuaire à Cabo Negro qui accueille des grands navires destinés au transport des produits chimiques, notamment du méthanol produit sur place par l’usine Methanex et destiné à l’Amérique du Nord. Elle dispose également d’une petite raffinerie à Gregorio. Le premier gazoduc d’interconnexion entre l’Argentine et le Chili, fonctionne depuis 1996.
Enfin, les migrations de populations soudent les deux espaces. Ce sont principalement les chiliens qui viennent travailler en Argentine, aussi bien dans les estancias pour la tonte des moutons que dans le secteur du pétrole.

Pour certains chercheurs argentins, la Patagonie australe représente un cas «d’intégration inachevée » où la coordination entre les deux pays est incomplète, notamment dans le domaine du tourisme (tourisme international de haut niveau). Par contre, dans le secteur pétrolier « une intégration fonctionnelle » existe entre le Chili et l'Argentine, matérialisée par la jonction des réseaux de gazoducs et de polyducs entre les deux pays.


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En Patagonie, le développement de l’exploitation des hydrocarbures fondé sur une logique de réseau entre en conflit avec les enjeux de préservation environnementale, particulièrement sur les littoraux, milieux fragiles, que recherchent aussi les entrepreneurs du tourisme et les entreprises piscicoles. Cependant toutes les activités supposent un usage efficace des réseaux et devraient à terme œuvrer en synergie. Dans ce type de régions périphériques, le défi de l’aménagement réside dans la combinaison de la garantie d’un milieu naturel préservé avec un système économique régional performant. Les régions septentrionales du Brésil sont confrontées à ce même enjeu.

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