L’Amazonie entre développement et préservation Les conditions d’un développement durable L’Amazonie correspond à la fois au bassin hydrographique du plus important système fluvial du monde, ainsi qu’au dernier grand massif tropical de la planète. L’ensemble forestier couvre près de 6 millions de km2, centré sur l’Amérique du sud équatoriale qui constitue une des régions parmi les plus riches en biodiversité, il s’y trouverait de 15 à 20% du total des espèces de la terre (estimé à 13 millions) avec une flore particulièrement diversifiée de 55 000 espèces, ce qui représente 20 à 22% des espèces de plantes connues. Si l’on prend les douze pays les plus riches en diversité biologique, six d’entre eux sont en Amérique du sud formant autour du Brésil un vaste bloc : Colombie, Pérou, Bolivie, Equateur, Venezuela. Mais, si les écosystèmes sont riches, ils sont aussi fragiles ; les biotopes (milieu de vie caractérisé par des conditions écologiques données) peuvent disparaître à la suite de la perturbation des éléments qui le composent ; or toute perte de la diversité est irréversible. En ce qui concerne la faune, les espèces les plus faciles à prendre ont d'abord été pillées en bord de fleuves (tortues, lamantins, …), puis, à partir du milieu du 20ème siècle, l’exploitation, avec des moyens techniques accrus et des impératifs de gain immédiat sans souci du futur, provoque des ravages dans les forêts de terre ferme. La dégradation des écosystèmes forestiers est tout aussi néfaste que la déforestation proprement dite. Pour sauvegarder ce qui peut l’être de cette biodiversité, un certain nombre de programmes sont mis en application impliquant le plus possible la population locale par la reconnaissance des savoirs et la diffusion des connaissances et des pratiques, tout en cherchant à promouvoir une gestion durable des forêts.
C’est ainsi que les populations amazoniennes sylvicoles, font l’objet d’un renouveau d’intérêt pour des raisons politiques et culturelles, parce qu’elles apparaissent comme "écologistes" avant l’heure grâce à leur grande connaissance des processus naturels de la forêt. Les Amérindiens sont capables d'y utiliser une centaine de plantes pour la nourriture, la santé, la décoration, pratiquant l'usage collectif des territoires dans lesquels ils pêchent, chassent, cueillent et cultivent le manioc. Les terres indigènes, placées sous la juridiction de l'Etat fédéral, sont attribuées aux groupes qui les occupent Au total, les 225 000 Indiens de l'Amazonie brésilienne ont obtenu la reconnaissance de plus de 300 aires indigènes, couvrant 100 millions d'hectares, c’est-à-dire 20% de l’Amazonie brésilienne. Cependant ces territoires, rigoureusement délimités, peuvent, malgré tout, être envahis par des bûcherons, des orpailleurs et autres défricheurs qui font pression pour l’exploitation des ressources, exprimant ainsi que les besoins immédiats de développement s’imposent souvent. Ce n’est que l’un des multiples conflits socio-environnementaux que les politiques publiques de l’environnement, par manque de moyens, tardent à résoudre.
Un front pionnier toujours actif Depuis le milieu des années 1970, les Etats du bassin amazonien ont tous cherché à mieux intégrer leur portion d’Amazonie à leur territoire national en lançant d’importants programmes d’infrastructures et de colonisation agricole publiques et privées. Au Brésil, l’ouverture des routes (la Belém-Brasilia, la transamazonienne, la Cuiaba-Santarém) a provoqué une intense exploitation du bois (25 millions de m3, ce qui correspond à 6,2 millions d’arbres) qui fait de l’Amazonie brésilienne le 2ème producteur du monde de bois tropicaux13 et un afflux de migrants. Les activités du bois créent 350 000 emplois et celles de l’agriculture plus d’un million pour 400 000 exploitations familiales et 40 000 grands domaines. Le front de colonisation poursuit sa poussée dans la forêt ; il y progresse, à raison de 20 000 km2 par an en moyenne depuis 30 ans, le long d’un arc de déforestation qui, partant du Para-Maranhão va jusqu’à la frontière bolivienne de l’Acre, prenant en écharpe des régions où le taux de déboisement atteint 40%. A l’opposé, dans la haute Amazonie (Etat d’Amazonas), le taux de déboisement s’établit à 2,5% du territoire. La première ressource qui intéresse les pionniers est la vente du bois d’œuvre et des milliers de scieries accompagnent le front de défrichement, le bois transformé étant destiné pour les 2/3 au marché intérieur. Des noyaux de peuplement, où les premiers équipements sont constitués par les scieries, les fours à farine de manioc, les rizeries et les abattoirs, se créent. L’élevage bovin s’impose en Amazonie ; on y compte déjà trois bovins par habitant. En effet, la plantation d’un pâturage, ou d’une culture pérenne s’avère, la solution la plus rentable en réponse à la basse fertilité des sols. La qualité du cheptel se consolide, ainsi que le traitement et l’exportation de viandes.
La frange méridionale de l’Amazonie est aussi atteinte par le boom d’une plante subtropicale, le soja, dont la culture a été adaptée au climat équatorial grâce à de nouvelles techniques. La géographie du soja, qui avait démarré dans le Rio Grande do Sul, a ainsi spectaculairement évolué, pour hisser le Mato Grosso au rang de premier producteur du Brésil. La surface plantée en grains a doublé entre 1991 et 2001 et dépasse les 5,5 millions d'hectares, tandis que sa production a triplé passant de 5,3 à 16 millions de tonnes. Les rendements y sont supérieurs à la moyenne nationale. Cependant une telle croissance paraît difficilement soutenable à long terme, les sols naturellement fragiles doivent être corrigés par des apports en calcaire et phosphore, les machines agricoles constamment modernisées, ainsi que les formes de stockage, de transformation et de transport du produit pour qu’il reste compétitif. Or, si le prix au sortir d'une ferme du Mato Grosso est bas, il s'élève avec les milliers de kilomètres à parcourir avant d’atteindre les ports exportateurs. Des réactions pour défendre la grande forêt et ses habitants ont suivi l’implantation des programmes « développementistes » des années 1970 ; avec le renforcement des préoccupations écologistes et les nouvelles mesures de décentralisation, des pratiques de planification plus soucieuses de protection et de conservation du milieu naturel ont été mises en place. Grâce aux images satellitaires, aux outils graphiques informatisés et aux GPS, qui permettent de mieux garantir les délimitations, d'observer les superpositions d'usages et les transgressions de limites, les zonages deviennent plus précis, sans qu'on assiste toutefois à une diminution des conflits territoriaux car la pression sur les terres reste élevée puisque l'Amazonie reçoit encore des migrants. Chaque niveau, fédéral, fédéré et municipal, met en place des plans de développement compatibles avec les principes de protection environnementale, c'est-à-dire des zonages à des échelles de plus en plus fines. L'Institut brésilien de l'Environnement (IBAMA) vérifie l'application des réglementations et favorise les plans de gestion forestière, la certification du bois et le respect des Unités de conservation de la Nature, qui couvrent près de 10% de la surface de l’Amazonie, avec un objectif à 30% à terme. L'Institut brésilien de Colonisation et réforme Agraire (INCRA) s'occupe du cadastre, de l'impôt foncier et organise des lotissements ruraux. Plusieurs centaines de milliers de petits producteurs attendent de recevoir un lopin. Au niveau local, les ONG encadrent la réalisation de projets-pilotes d’agroforesterie ou d’activités artisanales. Cependant, l’Amazonie est d’ores et déjà majoritairement urbaine et compte, outre les deux capitales millionnaires de Belém et Manaus, dix villes de plus de 200 000 habitants. La part de population urbaine passe de 38% en 1970, à 51% en 1980 et à 68% en 2000. L'urbanisation correspond à une stratégie d'occupation promue par l'Etat, d’un côté, pour encadrer les groupes de migrants, d’un autre pour articuler un réseau entre les anciens et les nouveaux centres urbains. Les centres régionaux et locaux traditionnels, tels que Imperatriz, Conceição do Araguaia, Santarém, Itacoatiara, Tefé, etc, s’étoffent, tandis qu’une série de villes, issues de la colonisation ou renaissantes, intègrent le 2ème niveau de la hiérarchie urbaine: Altamira, Paragominas, Açailandia, Araguaina, Redenção, Jy-Parana… Parallèlement s'érigent de nouveaux centres urbains planifiés, flanqués d’agglomérations spontanées, surgis à partir des grands chantiers : l’usine hydroélectrique de Tucuruí, la mine de Carajas, le domaine de Jari, le chantier de Tucumã ; ou même une nouvelle capitale, Palmas, sortie de terre en 1991 dans l’Etat récemment créé du Tocantins, qui en dix ans dépasse les 100 000 habitants. La précarité accompagne cette urbanisation galopante, nourrie par l’arrivée de migrants à la recherche de n’importe quelle activité, de posseiros chassés de leurs terres, se regroupant dans des sortes de nouveaux villages le long des routes ou dans les faubourgs-bidonvilles des grandes villes. Dans un milieu aussi mobile, les noyaux de peuplement suivent une sorte de cycle qui, en une vingtaine d’années, les amène à devenir des chefs-lieux de municipes. Ce sont dans un premier temps de simples noyaux urbains rudimentaires, où s’agglutinent dans la poussière et la fumée des scieries, des milliers d’habitants qui ne disposent ni d’eau, ni d’électricité, ni de services de santé et où prédominent les activités mécaniques et d’extraction lorsqu’il y a de l’orpaillage à proximité. Puis, le boom d’une activité économique de cycle court les fait croître au rang de centres d’activité spécialisée. Ainsi Rolim de Moura (Rondonia) sera « capitale de l’acajou » au milieu des années 1980, Curionópolis, près de la Serra Pelada en « capitale de l’or », sans compter les nombreuses villes « capitales du bœuf » … Les services locaux s’y étoffent alors; banques, écoles, dispensaires, lieux de culte. La troisième phase correspond ensuite à l’affirmation du pouvoir local avec l’autonomie municipale, la consolidation des services publics (poste, gendarmerie) et privés (lignes d’autobus, supérettes) et les emplois de fonctionnaires. Après le passage du boom du front pionnier, « l’après-front » s’organise en une mosaïque socio-économique de plus en plus structurée et largement dominée par les exploitations d’élevage, certaines villes perdant alors des fonctions. C’est le quatrième temps du modèle où s’observe le déclin pour les villes qui ne trouvent pas leur spécialisation productive. Un réseau urbain hiérarchisé, de plus en plus différencié, se met alors en place.
Au total, le nombre de municipios a triplé, passant de 153 en 1980 à 487 en 2000, ainsi que le nombre d'élus. Les vieilles oligarchies qui commercialisaient les produits de la forêt, laissent la place à un personnel politique lié aux investissements que l'Etat consent massivement à la région: fonctionnaires ou profession libérale, propriétaires de supermarchés, de stations de radio, de restaurants…. Les programmes d'investissement préparés pour 2004-2007 prévoient de nouvelles infrastructures, celles-ci ne pourront qu'accroître la fragmentation du massif forestier, tandis que la gestion forestière durable se met lentement en place. Le développement des infrastructures et les orientations stratégiques qu’il suppose obligent à une concertation politique, car les disputes régionalistes resurgissent lors de l’allocation des ressources. Deux plans pluriannuels d’investissements successifs entre 1996 et 2004 ont cherché à mobiliser des investisseurs publics et privés, mettant en avant des objectifs plus logistiques que proprement régionaux. Parmi les programmes d’intégration nationale, l’un d’eux concerne l’axe nord-sud visant à monter un réseau de transport pour évacuer la production agricole et agroindustrielle du Cerrado des bordures amazoniennes et nordestines ; les deux projets les plus avancés renforcent l’axe Brasilia-Belém, à savoir la voie de chemin de fer nord-sud dont le premier tronçon entre Imperatriz et Estreito a été réalisé et la voie navigable Araguaia-Tocantins.
Parmi les programmes d’intégration continentale, la liaison vers les Caraïbes et le Venezuela a été réalisée par un axe routier asphalté qui joint Manaus à Caracas, visant à élargir le marché des produits de la zone franche de Manaus vers les zones peuplées du littoral des Caraïbes, amorçant la liaison vers les Guyanes. A l’est, la liaison vers le Pacifique est toujours incomplète, pourtant l’asphalte brésilien est aux frontières du Pérou et de la Bolivie. Le système navigable amazonien est également en voie d’amélioration pour faciliter le trafic de grandes barges. Le principal aménagement concerne la navigabilité du rio Madeira qui sert à l’évacuation du soja du Mato Grosso vers l’Atlantique par l’Amazone. De même, les terminaux portuaires et aéroportuaires sont améliorés.
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