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L’INFLUENCE DES PAYS EMERGENTS DANS LA CONSTRUCTION D’UNE GOUVERNANCE INTERNATIONALE DU DEVELOPPEMENT DURABLE : ILLUSTRATION CHINOISE ET BRESILIENNE Résumé Rendre opérationnel l’exigence du développement durable tel que consacré par la communauté internationale depuis près d’une trentaine d’années constitue, sans nul doute, l’un des défis majeurs de notre siècle. L’émergence économique incarnée par la Chine et le Brésil démontrent aujourd’hui avec plus d’acuité, tout à la fois, la difficulté et le caractère impératif d’une gouvernance capable d’assurer cette effectivité. Un envol économique réalisé, dans les deux cas, au prix d’un lourd tribut environnemental et social qui témoigne, de toute évidence, d’une incapacité des organisations internationales à opérationnaliser l’objectif de développement durable. Depuis quelques années, Chine et Brésil multiplient un certain nombre d’initiatives politiques encourageantes en faveur notamment de projets d’écologie industrielle ou d’économie solidaire laissant entrevoir l’esquisse d’un modèle de croissance économique durable. Ces mesures ne sont pas à minimiser. Forts d’une légitimité politique nouvelle, les deux pays bénéficient désormais d’une capacité d’influence renforcée sur la scène internationale susceptible de contribuer à l’émergence de cette gouvernance internationale du développement durable tant attendue. Pays émergents, marchés émergents, économies émergentes… autant de qualificatifs et d’expressions dont l’actualité ne cesse de se faire l’écho depuis une trentaine d’années avec une mise en résonance peut-être plus accentuée depuis le début des années 2000. A défaut de pouvoir être clairement défini, ce concept de « pays émergents » repose sur un certain nombre de paramètres liés notamment au poids démographique, à la richesse minière et agricole dont bénéficient ces pays ainsi qu’à une relative stabilité politique constituant autant de facteurs propices à l’investissement étranger1. De prime abord, ce concept semble faire dissonance avec l’exigence de développement durable telle que consacrée officiellement par la communauté internationale à l’occasion de la Conférence de Rio sur l’Environnement et le Développement de 19922. Parallèlement, si l’exigence de gouvernance durable ne cesse de ponctuer les discours politiques et les grandes rencontres internationales, dont récemment la conférence de Rio +20 qui s’est tenue en juin 2012 sur le développement durable, elle peine, de toute évidence, à trouver une application concrète. La situation d’urgence écologique et sociale à laquelle Chine et Brésil sont confrontés a contraint ces derniers à multiplier les mesures politiques visant à corriger les effets délétères de leur performance économique tout en esquissant un autre modèle de croissance. Ces mêmes initiatives, aujourd’hui confortées par la légitimité politique nouvelle dont ces deux pays sont auréolée, tendant à bousculer l’ordre juridique international tel qu’il a été pensé et conçu par les puissances occidentales à l’issue de la seconde guerre mondiale, portent en elles les germes d’une gouvernance internationale durable3.
Les dégâts environnementaux, sociaux, humains accentués aujourd’hui par l’arrivée des nouvelles économies émergentes confirment, de toute évidence, les limites du modèle de développement économique traditionnel tel que celui-ci a prédominé depuis la révolution industrielle du 19ème siècle. L’exigence d’un développement durable consacrée en 1987 par le Rapport Brundtland4, officiellement reprise par la Conférence de Rio en 1992, et devenue aujourd’hui le fil conducteur de toutes les normes internationales adoptées depuis, invitait précisément la communauté internationale à définir cet autre modèle de développement capable de concilier efficacité économique, justice sociale et préservation des ressources naturelles. Or, les maux de notre planète n’ont cessé de s’amplifier durant cette même période ; augmentation des émissions de gaz à effet de serre, difficultés d’accès à l’eau potable pour 600 millions d’individus, pauvreté extrême pour encore 1/5 de la population mondiale, augmentation préoccupante des inondations et de la désertification5,…. Sans conteste, ce constat signe l’incapacité de la gouvernance mondiale actuelle à relever le défi de faire du développement durable une réalité. Un retour aux fondamentaux mêmes du développement durable tels qu’énoncés par la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 19926 nous éclaire quant aux raisons de cet échec. Rappelons, tout d’abord, les dispositions du Principe 4 de la Déclaration selon lesquelles « pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne doit pas être considérée isolément ». Dans le même esprit, le Principe 13 nous précise qu’ « afin de rationaliser la gestion des ressources et ainsi d’améliorer l’environnement, les Etats devraient adopter une conception intégrée et coordonnée de leur planification du développement de façon que leur développement soit compatible avec la nécessité de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt de leur population », L’intégration constitue, ainsi et sans nul doute, le maitre mot de ces fondamentaux. Or, celle-ci ne caractérise manifestement pas la gouvernance mondiale dans sa configuration institutionnelle actuelle tendant davantage à se caractériser par un foisonnement d’organisations à mission diverse œuvrant chacune dans leur sphère spécifique sans coordination efficace. Aux termes d’un rapport de 2001 sur la gouvernance internationale en matière d’environnement, le PNUE déplorait le caractère tout à la fois disparate et fragmenté des organisations internationales en place, de nature à générer une baisse de la participation des Etats et l’absence de coordination efficace7. On compte, en effet, aujourd’hui une trentaine d’organisations internationales en charge de manière directe ou indirecte des questions d’environnement8, gravitant autour du Programme des Nations Unies pour l’Environnement institué en 1972 et de la Commission de Développement Durable9 chargée d’assurer le suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 21. En dépit des promesses de changement qu’elle augurait lors de sa mise sur pied en 1992, cette dernière n’a fait que complexifier l’organisation institutionnelle en place et n’a pu, en définitive, mener à bien sa mission à défaut de moyens et d’un appui politique des Etats10. La Déclaration finale adoptée à l’occasion du dernier Sommet de Rio+2011 sonne d’ailleurs clairement comme un aveu d’échec ; celle-ci insistant sur la mise en place d’un dispositif institutionnel du développement durable visant à intégrer de manière équilibrée les trois piliers du développement durable12. De la même manière, cette même déclaration invite à un retour aux fondamentaux du développement tenant à l’exigence de participation de la société civile13. Il convient de relever que ce défaut d’intégration institutionnelle s’accompagne également d’un défaut d’intégration normatif. Si, sur le plan normatif, on assiste depuis une quarantaine d’années à une prolifération d’accords internationaux dans les domaines divers, ces accords souffrent souvent d’un défaut d’articulation, d’ailleurs dénoncé par l’Institut du Droit International quelques années après la Conférence de Rio14. Certains accords souffrent même d’une certaine confusion; la réglementation internationale en matière de pollution maritime en constitue un bel exemple15. Le débat sur la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement16, lancé à l’occasion de la Conférence de Copenhague sur le climat en décembre 2009, qui serait plus ou moins calquée sur le modèle de fonctionnement de l’Organisation Mondiale du Commerce, témoigne là encore, d’une difficulté d’articulation et de mise en cohérence des règles du commerce international et des accords environnementaux. Si ambitieux soit-il dans son objectif de concilier protection de l’environnement et de la santé et liberté du commerce, le protocole de Carthagène sur la biosécurité17 illustre bien, dans son application, cette difficulté d’articulation et de mise en effectivité du principe de précaution, pierre angulaire du développement durable18. Le protocole subordonne ainsi l’autorisation d’importation d’organismes génétiquement modifiés à la preuve par l’Etat exportateur de l’absence de conséquences préjudiciables potentielles pour la santé ou l’environnement en imposant une évaluation objective des risques19. Or, ces dispositions s’entrechoquent nécessairement avec les Accords de l’OMC, dont l’accord SPS20, qui autorise les membres à adopter des mesures sanitaires et phytosanitaires aux fins notamment de protéger la santé humaine en instituant un régime spécifique d’évaluation des risques fondé sur des critères de légitimité, de proportionnalité et de non-discrimination21. Ainsi deux logiques s’affrontent : celle faisant de la mise en œuvre du principe de précaution un vecteur essentiel du développement durable et une autre interprétant ce même principe comme une mesure de restriction du commerce international22, qui suscite naturellement l’adhésion des principaux pays producteurs d’OGM, dont les Etats-Unis et le Canada. Par une fusion d’un certain nombre d’organisations onusiennes et l’unification des secrétariats des accords internationaux en vigueur, cette future OME fortement soutenue par la France, l’Allemagne et le Brésil permettrait, certes, de rationaliser les coûts de fonctionnement du système et corollairement de favoriser un regain de motivation des Etats. Elle ne garantit pas pour autant une intégration effective de ces deux logiques23. A ce jour, une conclusion s’impose : l’objectif de mise en place pour 2015 d’un partenariat mondial pour le développement durable tel que prévu par la Déclaration du Millénaire24 n’est toujours pas atteint. 2 – Une gouvernance internationale durable comme exigence Une évidence s’impose à nous ; le concept de gouvernance n’a jamais joui d’une aussi éclatante popularité tant au niveau international que sur le plan national et local. Cette exhortation à la bonne gouvernance résonne presque comme un ultime appel de détresse face à ce naufrage planétaire qui nous affecte tous. Nous sommes aujourd’hui rattrapés par la réalité qui chaque jour nous livre son lot de catastrophes écologiques avec ses conséquences humanitaires, économiques, développementales, et ce dans un contexte d’augmentation de la population mondiale qui devrait atteindre les 9 milliards d’habitants d’ici à 205025 et conséquemment de risque de pressurisation aggravée des ressources naturelles. La fameuse tragédie des biens communs théorisée par Garett Hardin26 devient ainsi palpable et confère à la mise sur pied d’une gouvernance mondiale du développement durable une exigence à laquelle la communauté internationale doit impérativement répondre, en tirant des leçons des lacunes du système de gouvernance actuel. Ces crises écologiques qui induisent à terme des crises économiques sociales et humaines, revêtent une dimension universelle et intégrée, qui appelle nécessairement une résorption par une gouvernance qui soit elle-même universelle et intégrée ! Ainsi, la multiplication des déplacés environnementaux27 venant d’Asie, d’Afrique et des iles du Pacifique, contraints à l’exode du fait des phénomènes d’inondation, de désertification ou de la montée des eaux liée au dérèglement climatique, affecte tout à la fois les individus28 et les Etats et soulève des interrogations politiques, économiques et sociales. A l’obligation pour la Communauté internationale d’élaborer un cadre juridique offrant un statut à cette nouvelle catégorie de migrants, laissés pour compte de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés29, se greffe une problématique économique et sociale tenant notamment à l’accueil de ces populations. Les Etats disposent aujourd’hui du recul nécessaire pour prendre toute la mesure du caractère temporel, spatial et interdépendant du développement durable30 poussant nécessairement à l’adoption d’une approche de gouvernance qui soit globale, coordonnée et fédérative. Incontestablement, les conférences et réglementations internationales ont clairement montré leurs limites. Si nécessaire soit-elle, l’adoption de normes internationales juridiquement contraignantes ne peut, à elle seule, suffire à assurer l’effectivité de ce concept sans une gouvernance internationale adéquate capable, certes d’assurer la primauté du droit, mais également de créer une dynamique et de contrer l’absence de volonté politique des Etats, si souvent deplorée. Revêtant un enjeu économique de taille pour les pays pourvoyeurs de ressources biologiques, la mise en œuvre du Protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques31 est ainsi ralentie par la frilosité de la plupart des pays industrialisés, à concéder des droits économiques et sociaux aux communautés autochtones et locales. Nous sommes pourtant ici au cœur du développement durable ! Cette bonne gouvernance doit organiser des arrangements institutionnels incitatifs capables de transformer le développement durable en un point d’ancrage pour les Etats, tout en fédérant le travail des organisations internationales et en assurant une participation élargie à l’ensemble des acteurs de la société civile32. Affectés de plein fouet par ces crises, populations, territoires, collectivités, entreprises doivent nécessairement être partie prenante de cette intégration et ce dans l’esprit même des principes du développement durable33. Le nouveau Forum politique de haut niveau sur le développement durable institué au lieu et place de la défunte Commission de Développement Durable par la Déclaration finale de Rio +2034 introduit de nouveaux mécanismes de coopération et d’intégration porteurs d’espoir. Cette exigence de gouvernance internationale durable obéit enfin à une logique d’avancée, eu égard à l’important travail de réflexion, d’études et de réglementation accompli depuis près de quatre décennies, tant sur un plan international, national que local. Cette gouvernance se présente, en d’autres termes, comme le maillon essentiel du développement durable, sans lequel tout ce travail se révèlera en définitive inutile et ce au préjudice de l’humanité toute entière. Les principes de patrimoine commun de l’humanité35 ou de biens publics mondiaux36 qui ponctuent depuis plusieurs années les déclarations et grandes conventions internationales environnementales bousculent nécessairement la souveraineté de l’Etat et traduisent de toute évidence une prise de conscience de l’ensemble de la communauté internationale quant au caractère supranational de ces crises écologiques. Il s’agit nécessairement aujourd’hui d’en tirer les conséquences sur le plan de la gouvernance. 3 - L’urgence écologique et sociale comme moteur d’initiatives politiques durables : le cas de la Chine et du Brésil Pays emblématiques en matière d’émergence économique37, Chine et Brésil sont porteurs d’espoir dans l’édification de cette autre gouvernance. Si la mondialisation a sans aucun doute favorisé l’éveil économique de ces deux pays, celle-ci a été confortée par les propres atouts dont disposent ces derniers avec en premier lieu, un potentiel démographique de taille, soit 200 millions d’habitants au Brésil et 1,35 milliards en Chine38. Important réservoir de croissance en termes de main d’œuvre et de consommation, Chine et Brésil ont connu, en l’espace d’une trentaine d’années, une réduction encourageante de la pauvreté avec pour corollaire une augmentation des classes moyennes, au prix de nombreux programmes d’action dont les programmes « Fome Zero » et « un Brésil sans misère » lancés au Brésil au cours des 10 dernières années39. A cette richesse démographique, s’ajoutent des ressources naturelles abondantes et diversifiées ; le Brésil se classe ainsi parmi les premiers exportateurs mondiaux de sucre, éthanol, tabac, soja, millet, manioc, agrumes, café, cacao, haricots et viande bovine40. Depuis 2006, le pays est, par ailleurs, devenu autosuffisant en matière pétrolière41 et les récentes découvertes de gisements offshore au large de Sao Paulo suscitent aujourd’hui l’intérêt de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) qui souhaite intégrer cette nouvelle puissance pétrolière à son cercle. Premier producteur d’or depuis 2008, la Chine contrôle également 95% de la production des terres rares, ces minéraux très convoités pour la fabrication des produits de haute technologie, faisant d’ailleurs l’objet de contentieux commerciaux avec les USA, l’Union européenne et le Japon42. Enfin, ces deux pays ont su développer un cadre juridique et institutionnel43 visant à susciter la confiance des investisseurs étrangers. Indéniablement, Chine et Brésil ont joué un rôle de catalyseur des limites posées par le modèle traditionnel de développement économique, tel que reproduit par les économies émergentes, en stigmatisant son coût environnemental et social, et en conférant corollairement à l’exigence de développement durable un caractère de gravité et d’urgence sans précédent. L’émergence économique s’est en effet réalisée, dans les deux cas, au prix d’une pression environnementale et sociale alarmante. La Chine se voit ainsi aujourd’hui décernée la première place mondiale en matière d’émission de CO2 et de dioxyde de Soufre ; triste record lié en grande partie à une production de charbon dont le pays tire 70% de son énergie électrique44. L’industrialisation massive du pays au cours des trente dernières années, concentrée principalement sur le littoral Est du pays, a favorisé l’exode rural et une urbanisation galopante : de 10% en 1950, le taux d’urbanisation est ainsi passé à 36% en 2000 et s’élève à 50% aujourd’hui45. Accentuée par le phénomène de désertification, la pollution urbaine est devenue aujourd’hui une véritable préoccupation de santé publique46. Pollution et même pénurie de l’eau dans certaines régions viennent s’ajouter à ce triste bilan47 ; un quart des ressources en eau serait aujourd’hui devenu impropre à la consommation en Chine et deux tiers des populations rurales vivant à l’ouest du pays n’auraient pas accès à l’eau courante. Dans des proportions moindres, le Brésil est confronté à cette même réalité du fait notamment de pratiques agricoles intensives, aggravées depuis peu par le développement de l’activité d’orpaillage illégal, impliquant l’utilisation de mercure notamment près de la frontière guyanaise. Au Brésil, l’exploitation minière et l’expansion rapide des pâturages pour l’élevage de bovins, la production intensive de soja, notamment favorisée par l’augmentation mondiale de la demande alimentaire à partir des années 80, ont mis à mal la forêt amazonienne dont la superficie s‘est réduite comme une peau de chagrin en l’espace d’une trentaine d’années48. Ses conséquences sur le climat et la biodiversité ne sont aujourd’hui plus à démontrer au même titre que son impact sur les 900 000 autochtones49 qui peuplent la forêt. Ainsi que l’illustrent les tensions autour de la construction du barrage hydro-électrique de Belo Monte au cœur de l’Amazonie Brésilienne, ces populations revendiquent des droits ancestraux sur cette partie du territoire et exigent, conformément à la constitution brésilienne50 et à la convention internationale 16951, d’être consultées à l’occasion de grands projets d’aménagement susceptibles d’affecter directement leur habitat. Chine et Brésil doivent, par ailleurs, composer avec une pression sociale52 de plus en plus lourde, qui ternit quelque peu l’image des nouvelles puissances économiques à laquelle les deux pays sont fortement attachés. Les dernières manifestations qui ont secoué plusieurs villes du Brésil au cours du printemps 2013 visant à dénoncer la corruption, la hausse des prix et l’augmentation des dépenses publiques liée notamment à l’organisation de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016 en témoignent53. Ces pressions conjuguées au coût pharaonique des dégradations environnementales et de leur impact sanitaire obligent aujourd’hui les deux pays à changer leur fusil d’épaule ; un récent rapport de l’OCDE chiffre ainsi à 1.400 milliards de dollars le coût annuel des conséquences sanitaires de la pollution atmosphérique en Chine contre 1.700 milliards pour l’ensemble des pays membres de l’OCDE54. Par la force des choses, les politiques chinoise et brésilienne se dessinent progressivement un nouveau visage. Le 12ème Plan quinquennal chinois défini pour la période 2011-2015 entend ainsi soutenir l’effort de développement des énergies renouvelables et annonce que 15 % des besoins énergétiques du pays seront couverts par les énergies renouvelables d’ici 202055. De son côté, le Brésil s’est engagé, à l’occasion de la Conférence de Copenhague sur les changements climatiques en 2009, à diminuer de 39% ses émissions de CO2, par une réduction de la déforestation de 80% à l’horizon 202056. Des progrès ont déjà été accomplis depuis 2006 ; le taux de déforestation ayant été ramené en 2012 à 6200 km2 contre un niveau moyen de 18.500 km2 à la fin des années 8057. La Chine s’est, par ailleurs, dotée en 2008 d’un nouveau dispositif relatif aux « Mesures nationales pour la divulgation des informations environnementales » qui vise à impliquer les populations et Organisations Non Gouvernementales dans la dénonciation des entreprises ne respectant pas les normes règlementaires en matière de pollution, d’hygiène et de sécurité et donnant la possibilité aux associations de protection de l’environnement locales de publier une liste noire des entreprises ne respectant pas les standards environnementaux. Cette mesure qui consacre le principe d’une participation élargie connait déjà de nombreuses applications58 ; En 2010, le Bureau de Protection de l’Environnement de Guangdong a publié une liste de 20 entreprises n’ayant pas respecté les standards de qualité des eaux usées. En octobre 2009, Greenpeace China avait publié une liste des entreprises du Global Fortune 500 et du Fortune China 100 n’ayant pas respecté les mesures sur la divulgation d’informations environnementales. Ainsi, ce dispositif devrait également responsabiliser les grandes marques occidentales qui sous-traitent leur production en Chine. Enfin, la loi chinoise pour la promotion de l’économie circulaire adoptée le 29 août 2008, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, vise à préserver le capital naturel du pays59 ; largement inspiré du mode de fonctionnement de l’écologie industrielle telle que développé dans de nombreux pas occidentaux et même au Japon, ce nouveau type d’économie, qui intéresse tous les secteurs d’activité vise à réintégrer les déchets dans le processus de production. Au Brésil, on assiste depuis les années 90 au développement d’une économie solidaire60 qui s’est construite à partir d’initiatives locales diverses impliquant travailleurs, entreprises, membres de l’Eglise, universitaires, coopératives et associations diverses, formant un réseau d’entraide et de coopération en faveur des exclus et démunis et intervenant là où l’Etat brésilien est absent. Plus de 20.000 initiatives d’économie solidaire ont ainsi été recensées en 201061 concourant à la mise en place d’un marché parallèle solidaire de biens et services divers (crédit, épargne, emplois…) ; l’objectif étant d’effacer progressivement les inégalités sociales et de promouvoir un commerce équitable. L’ampleur de ce mouvement participatif qui a conduit en janvier 2001 à l’organisation d’un premier Forum Social Mondial (FSM) visant à fédérer l’ensemble des initiatives locales, n’a pu laisser les autorités brésiliennes indifférentes. Fut ainsi institué en 2003, le Secrétariat National d’Economie Solidaire, rattaché au ministère du Travail et de l’Emploi, et chargé de définir et de coordonner des politiques publiques d’économie solidaire, par le biais du Programme Économie Solidaire et Développement62. Cette institutionnalisation progressive de l’économie solidaire s’est également traduite par la création en 2006 du Conseil National d’Economie Solidaire63, organisme consultatif qui sert de relais entre l’Etat et les acteurs de la société civile directement impliqués sur le terrain. A ce jour, le bilan de ces politiques est encourageant, notamment en ce qu’il a contribué à une réduction significative de la pauvreté et à l’introduction au sein de la société de nouvelles valeurs fondées sur la justice sociale, la solidarité et la démocratie participative. L’implication grandissante des deux pays dans la promotion des énergies renouvelables vient, de surcroît, couronner ces récentes mesures. Selon une étude du cabinet Bloomberg New Energy réalisée à la demande du PNUE, la Chine serait le pays ayant le plus investi dans les énergies renouvelables en 2012, devant les Etats Unis et l’Allemagne64. Leader mondial dans le domaine de la fabrication des deux roues électriques, la Chine est ainsi devenue une référence dans les domaines de l’énergie éolienne, solaire et hydroélectrique. Le pays vient d’ailleurs d’adhérer en janvier 2013 à l’Agence Internationale des Energies Renouvelables (IRENA), organisation intergouvernementale ayant pour mission, depuis son institution en 2009, de promouvoir les énergies renouvelables au niveau mondial65. Pays que l’on peut qualifier de précurseur en matière d’énergies propres avec le développement dès le premier choc pétrolier de 1973, des biocarburants et notamment de l’éthanol à partir de la canne à sucre, le Brésil est quant à lui, considéré comme le plus grand marché des énergies renouvelables tout secteur confondu, avec une production éolienne qui en est encore à ses balbutiements mais qui connait une croissance significative encouragée par des mesures d’encouragement gouvernementales, tel que le programme PROINFA, Programme National pour les Sources Renouvelables, qui vise à promouvoir la production d’électricité « verte »66 Ces dernières tendances sont d’ailleurs confirmées par les indicateurs économiques récents67. 4- Chine et Brésil comme artisans d’une gouvernance internationale durable L’influence politique grandissante de ces deux pays sur le plan international, étroitement liée à leur nouveau poids économique, peut vraisemblablement contribuer au rayonnement de ces nouvelles mesures tant sur un plan régional, au niveau de leur sphère d’influence respective68 que sur un plan international. L’histoire nous montre que le poids économique fait le choix de la gouvernance. Si les grandes puissances occidentales d’après-guerre ont façonné une gouvernance internationale à leur image au travers de la mise en place d’institutions politiques, économiques et financières confortant leurs intérêts, les nouvelles puissances émergentes du 21ème siècle que sont notamment la Chine et le Brésil peuvent en dessiner une autre. Aujourd’hui, de par leur nouveau statut, Chine et Brésil aspirent non plus à une simple reconnaissance mais à un accès direct à la Cour des Grands au sein de l’ordre économique et juridique international et appellent depuis plusieurs années à une mise en cohérence des instituons internationales à la configuration géoéconomique actuelle. Sous représentés au sein de cet ordre mondial69, la Chine et le Brésil cherchent à montrer leur capacité d’influence au sein d’organisation à caractère plus informel telle que le G 20. Conçu en 1999, sous l’impulsion du Brésil, aux fins notamment d’associer les nouvelles économies émergentes dans le processus de régulation mondiale, le G 20 est devenu au fil des années une instance informelle de gouvernance mondiale, capable de combler les défaillances du système de la gouvernance institutionnelle70. C’est précisément dans le cadre de cette instance que Chine et Brésil ont pu obtenir à Pittsburgh en 200971 un engagement du Fonds Monétaire International visant à bénéficier d’une plus juste représentation au sein de cette institution. La ratification attendue de cet engament par les Etats-Unis permettra ainsi au Brésil, la Chine, Russie et l'Inde de disposer de 13,5 % des droits de vote au sein du FMI72 contre 8,9 % en 2010 ; la Chine voit ainsi sa quote part passer de 3,7% à 6,4% devenant le 3ème actionnaire du FMI73. De manière plus générale, les pays émergents ont convenu « d’une réforme de l’architecture mondiale aux fins de répondre aux besoins du XXIème siècle et de s’investir pleinement dans les institutions pour permettre de coopérer afin de jeter les fondements d’une croissance forte, durable et équilibrée »74. A ce jour, cette plate-forme de dialogue nous montre une certaine cohésion sur des problématiques environnementales et sociales. Ainsi, à l’occasion de leur réunion à Cannes en 2009, les membres du G20 ont clairement affiché leur volonté politique de rendre opérationnel le Fonds Vert pour le Climat75, tel que décidé lors de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques, destiné à limiter les effets des changements climatiques sur les pays les plus vulnérables ; le fonds devant être intégralement financé par les pays développés76. Le G20 a également décidé la mise en place d’un programme d’action pour lutter contre l’insécurité alimentaire notamment en Afrique, et ce dans le prolongement de l’Initiative de l’Aquila sur la sécurité alimentaire77 qui avait été prise par le G8 en 2009. Plus récemment, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, en septembre 2013, le G20 s’est engagé à réduire la production et la consommation d’hydro fluocarbure (HFC), gaz de synthèse très polluant contribuant fortement au réchauffement climatique78. Cette gouvernance informelle à petite échelle amorce indéniablement quelque chose de nouveau qui participe à la construction d’une gouvernance durable. Sans nul doute, le G20 aura contribué à un rapprochement significatif entre la Chine et les USA sur l’épineuse question d’un engagement réciproque de réduction des émissions de gaz à effet de serre, point d’achoppement des négociations actuelles sur climat ; ces derniers étant, en définitive, parvenus en novembre 2014 à un accord sur une réduction de 26 à 28% d’ici 2025 pour les Etats-Unis et 2030 pour la Chine, comparativement au niveau d’émission de 2005. De surcroît, le groupe des BRICS79, institué en 2009 avec les trois autres grandes économies pays émergentes que sont la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud80 représente un nouvel espace de dialogue informel en phase d’évolution. Celui-ci montre d’ores et déjà des signes de dynamisme comme en témoigne la création de la Nouvelle Banque de Développement mise sur pied, à l’occasion de la 6ème Conférence du BRICS qui s’est tenue à Fortaleza au Brésil en juillet 201481. Elle traduit une volonté tout à la fois de distanciation par rapport aux institutions financières internationales et de coopération sud-sud. S’il n’est pas sure qu’elle puisse, en termes de moyens et d’expérience, rivaliser avec le FMI et la Banque Mondiale, elle peut favoriser le financement de projets de développement durable au profit de nouvelles puissances émergentes ou de pays en développement, notamment en Afrique. C’est d’ailleurs précisément l’objectif assigné par le BRICS à cette nouvelle institution82. En tout état de cause, elle a le mérite de bousculer l’ordre international financier et pourrait à terme susciter une refonte de celui-ci en vue notamment d’une meilleure intégration des économies émergentes et des pays en développement dans les mécanismes décisionnels de la banque mondiale et du FMI. Nul doute, par ailleurs, que Chine et Brésil disposent également d’une capacité d’influence au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce en devenant notamment des porte-paroles des intérêts des pays en développement, sous la forme d’une coopération sud-sud. Cette coopération s’est notamment traduite, sous l’influence de la Chine, par le démantèlement depuis 2005 de l’Accord Multifibres qui limitait les exportations de textile en provenance de certains pays en développement qui disposait pourtant d’un avantage comparatif dans ce secteur83. L’Accord Multifibres, institué en 1974 dans le cadre du GATT84, autorisait un certain nombre de pays développés, dont les USA, Canada et la Communauté européenne à appliquer des quotas d’importation de textile en provenance de certains pays dont l’Inde et la Chine, aux fins de protéger leurs industries nationales. Règle dérogatoire au principe de libre échange, cet accord a longtemps été considéré comme discriminatoire pour les pays en développement. De la même manière, le Brésil qui assure depuis le 1er septembre 2013 la direction générale de l’OMC85, est aujourd’hui perçu comme un appui de taille pour les pays en développement sur la question de la libéralisation des échanges de produits agricoles pour lesquels de nombreux pays d’Afrique disposent d’un avantage comparatif certain86. Après plusieurs années de débats houleux, le cycle de Doha pour le développement lancé en 2001 qui visait notamment à assurer l'amélioration de l'accès aux marchés des pays riches pour les produits agricoles des pays en développement a pu aboutir à un accord en décembre 2013 lors de la Conférence de Bali87. Cet accord prévoit un engagement politique de réduction des subventions à l'exportation sur certains produits agricoles, une exemption accrue des droits de douane aux produits provenant des pays les moins avancés ainsi que la facilitation technique des échanges par une réduction de la bureaucratie aux frontières88. Même si ce dernier ne représente que 10% des objectifs généraux du cycle de Doha, il constitue, néanmoins, une avancée significative, portée notamment par le Brésil, en faveur d’une plus grande intégration des pays en développement dans le commerce mondial. Tout semble indiquer que la Chine et le Brésil, engagés depuis peu sur la voie d’une croissance durable, soient aujourd’hui en mesure d’user de leur influence pour favoriser à l’échelon international une autre approche de gouvernance. L’émergence économique de la Chine et du Brésil révèle aujourd’hui avec plus d’acuité l’urgence d’une mise en pratique du concept de développement durable. Or, l’effectivité de ce concept passe nécessairement par une refonte de la gouvernance internationale actuelle à caractère fragmenté et opaque et ne répondant aucunement à l’esprit de la Déclaration de Rio de 1992. Facteur d’aggravation des crises écologiques et sociales, l’émergence économique peut aussi constituer un vecteur de changement dans le sens d’une gouvernance internationale capable précisément d’ériger la croissance durable comme l’unique modèle de développement économique. De ce mal planétaire aggravé par l’envolée économique de certains Etats, pourrait ainsi sortir un bien quant à l’édification de cette bonne gouvernance tant attendue. Forts de leur nouveau poids économique, Chine et Brésil sont devenus des acteurs politiques incontournables sur la scène internationale, qui face à l’impératif écologique et social, ont multiplié des mesures en faveur notamment d’une transition énergétique. Parallèlement, on observe une volonté commune de redessiner l’ordre juridique, économique et financier mondial dans sa configuration institutionnelle actuelle qui ne laisse pas ou peu de place au reste du monde. Au travers de nouvelles plateformes décisionnelles informelles et plus souples, s’amorce ainsi un autre type de gouvernance qui tente de jeter les bases d’une croissance durable et profitable à tous les Etats. Par les divergences d’intérêts qu’elle cristallise entre pays industrialisés, pays émergents et les pays en développement, la 21ème conférence des parties à la convention internationale sur les changements climatiques prévue à Paris en novembre 2015 s’annonce d’ores et déjà comme le prochain enjeu de cette autre gouvernance. 1 Voir Christophe JAFFRELOT (sous la Dir.) L’enjeu mondial. Les pays émergents, Paris, Presse de Science politiques, 2012 p. 13-54 ; Julien Vercueil, Les pays émergents : Brésil Russie, Inde et Chine : Mutations économiques et nouveaux défis, Paris, Bréal 2012, p.2-19 ; Alexandre Kateb, les nouvelles puissances mondiales, Ellipses, Paris, 2011. 2 La Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement qui s’est tenue à Rio du 3 au 14 juin 1992 à laquelle ont participé 110 chefs D’Etat et près de 2500 ONG; voir notamment Alexandre KISS, Jean Pierre BEURIER, Droit international de l’Environnement, Pedone 2010, p.37-60 ; Raphael ROMI, Droit international et européen de l’Environnement, Montchrestien, Paris, 2005, p.9-23 ; Hélène TRUDEAU, Jean Marie ARBOUR, Sophie LAVALLEE, Droit international de l’Environnement, Yvon Blais, 2012, p.32-43 3. Voir Inès TREPANT, Pays émergents et nouvel équilibre des forces, courrier hebdomadaire du CRISP, n°1991-1992, 2008/6-7, p.6 à 54 ; Carlos R.S. MILANI, les pays émergents dans l’actuel ordre mondial : Changements et légitimités politiques, Revue Internationale et Stratégique, 2011/2, n°82, p.52 à 62. 4 Le rapport Brundtland intitulé Notre avenir à tous, publié en 1988 à l’issue de la Commission Mondiale sur l’environnement et le Développement, initiée par le secrétaire général des Nations Unies, définit le développement durable comme un « développement répondant aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », accessible en ligne : |
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