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Lacombe Lucien” (1973) Scénario Juin 1944, les Alliés ont débarqué en Normandie. Dans une petite ville du sud-ouest de la France, Lucien Lacombe, un jeune paysan de dix-sept ans, quitte l'hospice où il est employé aux basses besognes, pour passer quelques jours dans son village, et, si possible, y rester. Mais il retrouve la ferme de ses parents occupée par d'autres : son père étant prisonnier en Allemagne, sa mère est devenue la maîtresse du maire du village. Il est reçu plus que froidement. Le seul endroit où Lucien est vraiment libre, c'est en pleine nature : sa force, ses qualités de chasseur l'ont toujours mis au-dessus de ses camarades, même du fils du maire, aujourd'hui dans le maquis. Lucien décide de le rejoindre. Tout le monde connaît le chef du maquis : l'instituteur. Lucien lui rend visite, sans succès. L'instituteur, lieutenant de FFI, ne croit pas qu'un cancre, même bon chasseur de lapin, puisse être un résistant. À la fin de son congé, Lucien regagne l'hospice. La crevaison d'un pneu de bicyclette, son arrivée en ville en pleine nuit par ces temps de couvre-feu, une rencontre imprévue, le font échouer dans un hôtel réquisitionné par un groupe de Français au service de la police allemande. Ils le saoulent par jeu, puis pour encourager ses confidences... Le lendemain, l'instituteur est arrêté et torturé. Lucien, dépassé par les événements, est pris dans un engrenage. Il accepte de travailler avec ses nouveaux amis. Il ne comprend pas grand-chose aux questions idéologiques, mais il s'adapte facilement à cette nouvelle vie qui semble lui donner des satisfactions : la violence quotidienne devient pour lui aussi routinière qu'une matinée de chasse ; Tonin, l'ex-policier révoqué, se fait raser pendant la lecture des lettres de dénonciation ; Aubert, l'ancien coureur cycliste, prend sa douche entre deux séances de torture... La rudesse naïve de Lucien contraste avec la bonne éducation et l'humour cynique de Jean-Bernard de Voisins, le "fils de famille" dévoyé du groupe. Jean-Bernard l'emmène se faire faire un costume par Albert Horn, un tailleur juif de Paris qui se cache dans la ville avec France, sa fille de vingt ans, et sa vieille mère. En même temps qu'il s'implique de plus en plus dans les infâmes activités de la Milice, il courtise France qui, d'abord, ne manifeste guère d'enthousiasme. Mais, au retour d'un bal où France est insultée par des antisémites, elle devient la maîtresse de Lucien qui s'installe chez les Horn. À mesure que les Alliés avancent vers le Sud, la Résistance prend de plus en plus d'audace, et Jean-Bernard est abattu, ainsi que Betty. La mère de Lucien, qui a reçu des menaces anonymes, presse son fils de prendre la fuite, mais il dit qu'il est bien là où il est. Horn, qui ne peut plus le supporter, se rend à Faure, un collaborateur farouchement antisémite, et il est emmené par la Gestapo. Lucien arrive à son tour avec un soldat allemand pour arrêter France et sa grand-mère. Au moment de sortir de l'immeuble, il tue le soldat et s'enfuit dans la campagne, avec les deux femmes. Leur voiture étant tombée en panne, ils se réfugient dans une ferme abandonnée où ils mènent une idyllique vie champêtre. Sur la dernière image, on voit apparaître le visage de Lucien, avec ces mots : «Lacombe Lucien a été arrêté le 12 octobre 1944. Jugé par le tribunal militaire de la Résistance, il a été condamné à mort et exécuté.» Commentaire Patrick Modiano, continuant sa réflexion autour de la période de l’Occupation, a écrit ce scénario en collaboration avec Louis Malle, réalisateur du film. Il commenta : «Autant j'ai toujours pensé qu'il était difficile pour quelqu'un qui écrit des romans de pouvoir faire un travail théâtral, autant il y a une parenté entre le roman et le cinéma. Je crois qu'un romancier ne se sent pas gêné par l'écriture d'un scénario sauf qu'évidemment, dans le scénario, on est obligé de préciser certaines choses que, dans un roman, on suggérerait, le romancier laissant au lecteur le soin de construire les images que le réalisateur du film produit. Mais le travail de scénariste est assez ingrat pour un romancier parce que le scénario n'est qu'un écheveau, n'est que la trame du film. Le scénariste doit avoir des discussions interminables,, soit avec un metteur en scène soit avec un autre scénariste. Il faut parler sans arrêt, après on écrit le scénario, mais on ne peut écrire qu'après avoir beaucoup parlé. Il y a une énorme masse d'énergie qui est dilapidée dans des conversations, dans des digressions. En même temps, on y est obligé parce que c'est ce qui va nourrir le scénario. Mais c'est un truc que j'ai toujours trouvé épuisant. C'est une chose terrible pour un romancier, parce que quand on écrit un roman, c'est le contraire. C'est une sorte de rêverie silencieuse, et on n'est pas toujours obligé de parler.» - «Il faut dépenser plus d’énergie pour un scénario que pour un roman parce que c’est comme un mécano... il faut assembler des pièces.» Aussi, s’il se sent très proche du cinéma, en connivence ; s’il lui est arrivé de revoir six fois le même film pour un plan, un seul ; s’il a entrepris de lire sur la technique du cinéma ; s'il a songé un temps devenir cinéaste comme l’ont fait beaucoup de gens de sa génération, il y a renoncé car il ne s'estimait pas assez chef d'entreprise, organisateur pour coordonner toute une équipe et diriger des comédiens. La littérature a pris le dessus. Le texte a fait l'objet d'une publication. En 2006, à l’occasion de la sortie du film en DVD, Patrick Modiano se confia à la caméra : «Ce qui a choqué en 1974, c’est ce jeune Français de la Gestapo, notre regard intime sur ce personnage opaque à lui-même, dont on n’a pas voulu faire une brute.» Après avoir rappelé que Louis Malle, déjà distributeur du ‘’Chagrin et de la pitié’’, avait eu l’idée de ce Lucien Lacombe au Mexique, où le gouvernement recrutait des étudiants dans l’armée supplétive, il enfonça le clou : «Ce qui a choqué aussi, c’est de montrer des juifs aussi frontalement, ce que le cinéma français avait évité. De filmer l’Occupation en couleurs, comme un présent intact qui sautait aux yeux de spectateurs habitués à la voir en noir et blanc.» Et de rappeler qu’il est de cette génération, née vers 1944, qui a sorti les cadavres des placards, car il sentait, dans son enfance, que ses parents «ne crachaient pas le morceau», ce que lui a fait. _________________________________________________________________________________ En 1974, Modiano écrivit une piède théâtre, “La polka” qui est restée inédite. Il publia : _________________________________________________________________________________ “Villa triste” (1975) Roman de 212 pages Quinze ans après y avoir passé un été des années soixante, le narrateur revient dans une petite ville française au bord d'un lac, près de la Suisse. Il y voit de loin un certain Meinthe se conduire en vieil homosexuel excentrique et provocateur, s'autoproclamer par dérision «reine des Belges». Il l’a connu quand, apatride qui se donnait le nom de Victor Chmara, il était, à l’âge de dix-huit ans, venu vivre dans une pension de cette station thermale fanée. Il se perdait dans la foule des estivants, mais avait fait la rencontre d'Yvonne Jacquet, jeune et belle femme qui venait de tourner un film. Née dans cette localité, elle séjournait pourtant dans un hôtel, l’Hermitage. Elle avait d'étranges liens avec un ami d’enfance, ce René Meinthe, médecin qui faisait de multiples allées et venues à Genève mais entraînait aussi Yvonne et Victor dans une suite de réceptions, dont celle offerte par le réalisateur du film, et de divertissements divers, dont le concours d’élégance pour «la Coupe Houligant». Yvonne et Victor vécurent bientôt ensemble à l’Hermitage, profitant, elle, du cachet de son film, lui, de la vente de deux éditions rares. L’apatride aspirait à mieux connaître l’enfance et l’adolescence de cette «petite Française», mais elle n’en révélait rien, le menant tout de même chez son oncle, un garagiste désabusé, qui lui confia que le père d’Yvonne «a eu des ennuis», qu’«elle a déjà fait tellement de bêtises» et qu’«elle est trop paresseuse». Mais le narrateur parvient tout de même à «retrouver certains morceaux du puzzle qu’ils lui ont laissé», à apprendre que René Meinthe et Yvonne avaient été sauvés de la médiocrité de la petite ville par un milliardaire belge qui était tombé amoureux du jeune homme ; qu’elle était devenue mannequin puis qu’elle avait tourné ce film. Meinthe leur demandant de séjourner dans sa maison, qu’il appelait «la Villa triste», ils y satisfaisaient leur «aptitude à l’abandon», y «traversaient des jours et des nuits de délicieuse prostration», étant toutefois importunés par les appels d’un certain Henri Kustiker qui laissait d’étranges et inquiétants messages destinés à Meinthe qu’ils virent obligé de soigner des blessés arrivés ils ne savaient d'où. Victor, identifiant leur couple à celui d’Arthur Miller et de Marilyn Monroe, lui voulant devenir écrivain et qu’elle devienne actrice, conçut le projet de leur départ pour les États-Unis. Mais, au rendez-vous donné à la gare, elle ne vint pas. Elle serait partie plutôt avec un autre. Quinze ans plus tard, le narrateur, à l’occasion de son retour, apprend le suicide de Meinthe qui va laisser «pour toujours certaines choses dans l’ombre.» Et il se demande où Yvonne «a bien pu échouer». Commentaire Dans ce quatrième roman, Patrick Modiano, jusqu'alors fasciné par les bas-fonds et plus particulièrement par l'Occupation en France, entre 1940 et 1944, changea complètement de décor et apparemment de sujet. Mais c’était encore une autobiographie fictive qui traçait une recherche d’identité décevante. Le narrateur tentait de faire revivre les visages, la fragilité des instants, les atmosphères d’une saison déjà lointaine dont la date est indiquée par la mention de la mort de Marilyn Monroe qui eut lieu en 1962. Mais tout défile et se dérobe, de sorte qu'il ne reste plus que le souvenir d'un mirage et d'un décor de carton-pâte. Ce qui ressurgit avant tout, c'est son angoisse inexplicable qu'il espérait apaiser en séjournant dans cette petite station thermale. Le mystère qui plane donne un caractère intangible à cet été lointain. L’histoire prend l’allure d’une enquête : «Parviendrai-je à retrouver certains morceaux du puzzle qu’ils m’ont laissé?» (171). Il y a alternance entre les épisodes du présent (chapitres I, IV, VIII, XII, où est suivi un Meinthe ridicule, fantôme qui guide le narrateur dans les rues aujourd'hui endormies) et les épisodes du passé, mais elle se révèle assez inutile. Mais rien n’est résolu : le suicide de Meinthe va laisser «pour toujours certaines choses dans l’ombre.» (187). Patrick Modiano s'appuyait sur une langue fluide parsemée de petites formules qui donnent à son roman un tour tantôt grave et tendre («Il y a des êtres mystérieux, toujours les mêmes, qui se tiennent en sentinelles à chaque carrefour de notre vie.»), tantôt léger et ironique («Nous ne pouvions pas rester en France, dans ce petit pays étouffant, parmi ces “taste-vin” congestionnés, ces coureurs cyclistes et ces gastronomes gâteux qui savaient faire la différence entre plusieurs espèces de poires.», 202). On trouve peu d’images, mais on remarque cette métaphore de «ce moment de la jeunesse où tout va bientôt basculer, où il va être un peu trop tard pour tout : Le bateau est encore à quai., il suffit de traverser la passerelle, il reste quelques minutes.... Une douce ankylose vous prend.» (192) Patrick Modiano est un écrivain au style net, qui a le sens de l'économie, mais qui devrait éviter de parler de voitures qui «démarrent sur les chapeaux de roues» (34, 88), ce qui est proprement impossible ! Faisant dire à son narrateur : «j’ai besoin de détails précis» (68), il y alla ici, comme à son habitude, de listes de noms (souvent baroques), de rues, de personnes, de titres de films (pourquoi celui tourné en France par Yvonne a-t-il un titre allemand : «Lieberbriefe auf der Berge” dont la traduction est donnée une fois : “Lettre d’amour de la montagne” [64]?). S’il a opéré un changement complet de décor par rapport à ses romans précédents, il décrit avec précision cette station thermale fanée qui, cependant, n’est pas nommée et qui tient à la fois d’Annecy (le col des Aravis est visible) et d’Évian (la Suisse est en face). Tient une grande importance la proximité de Genève, «ville en apparence aseptisée mais crapuleuse. Ville incertaine. Ville de transit.» (200). Quelques touches judicieuses et pertinentes lui suffisent pour créer un décor ou mettre en place l'atmosphère nonchalante d'une station balnéaire au début des années soixante : le silence des après-midi écrasés de chaleur, la douceur des soirées au bord du lac ou encore la participation des héros à un concours d'élégance fort compassé, Patrick Modiano se plaisant, à cette occasion, à dessiner une petite société d’estivants ridicules et artificiels. L’ascendance de l’apatride qu’est Victor Chmara est, comme il se doit, compliquée : - d’une part, le prétendu «comte Victor Chmara» se disait russe, se sentait «le coeur tzigane» (96), et racontait ce qui paraît plutôt une légende familiale : «Mon père avait quitté la Russie très jeune, avec sa mère et ses soeurs, à cause de la Révolution. Ils passèrent quelque temps à Constantinople, à Berlin et à Bruxelles avant de s’installer à Paris [...] Mon père, à vingt-cinq ans, était parti en voilier pour l’Amérique. où il épousa l’héritière des magasins Woolworth. Puis il avait divorcé en obtenant une colossale pension alimentaire. De retour en France, il avait rencontré maman, artiste de music-hall irlandaise. J’étais né. Ils avaient disparu tous deux, à bord d’un avion de tourisme, du côté de Cap-Ferrat, en juillet 49. J’avais été élevé par ma grand-mère, à Paris, dans un rez-de-chaussée de la rue Lord-Byron.» 131-132) - d’autre part, son nom «appartenait à une famille d’Alexandrie dont mon père me parlait souvent» (103) ; il appartenait à «une ancienne bourgeoisie juive qui s’était fixée vers 1890 dans la plaine Monceau» (67). Avec «relents de passeports Nansen» (174), est rappelé une mention, déjà faite dans “La ronde de nuit” (140), de ces certificats d’identité et de voyage qui avaient été créés à l’issue d’une conférence internationale réunie à Genève en juillet 1922, à l’initiative de Fridtjof Nansen, Norvégien qui fut explorateur polaire, océanographe, aventurier, zoologue, diplomate puis Haut Commissaire aux réfugiés qui vint en aide aux apatrides, ce document, reconnu par de nombreux gouvernements, ayant permis à des milliers d'entre eux de voyager. L’autobiographie est proche quand le narrateur évoque ces «lieux ternes, haltes précaires qu’il faut toujours évacuer avant l’arrivée des Allemands et qui ne gardent aucune trace de vous» (204) ; dit que son père faisait des «voyages à Brazzaville, du temps de la mystérieuse et chimérique “Société Africaine d’Entreprise” qu’il créa et dont je ne sais pas grand-chose» (177) ; qu’il lui donnait des rendez-vous dans des hôtels de Paris «avant son étrange disparition» ; qu’il avait des «relations louches» (103). L’épisode ancien est marqué par l’ombre de la guerre d’Algérie : «Il se passait des choses graves en Algérie mais aussi en Métropole et dans le monde.» (126), sans qu’on comprenne bien quel a pu être le rôle de René Meinthe : était-il acoquiné avec l’OAS? Ce qui est sûr, c’est que bien des combines louches profitaient de l'époque troublée pour fleurir en cachette : «Genève où Meinthe allait à ses rendez-vous servait de la plaque tournante. Agents de toutes sortes. Polices parallèles. Réseaux clandestins» (188). Quelle hargne particulière pousse Patrick Modiano à égratigner au passage André Maurois, «un romancier juif très doux qui s’intéressait à la psychologie féminine» (76) et dont Yvonne aimait “L’histoire d’Angleterre”? Tous les personnages ont un passé qui demeure une zone d'ombre : René Meinthe fut d’abord le jeune homosexuel favori d’un millionnaire belge puis la «tante» ridicule qui se donnait lui-même le surnom de “reine Astrid” ; puis il apparaît impliqué dans d’étranges manoeuvres qui semblent liées à la guerre d’Algérie et qu’il pourrait avoir été obligé de pratiquer à cause d’un chantage que permettrait son orientation sexuelle : «Ce que je peux m’en taper, moi, de leurs histoires d’Algérie» (189). Yvonne Jacquet est évanescente et mystérieuse. Elle «vivait ce moment de la jeunesse où tout va bientôt basculer, où il va être un peu trop tard pour tout. Le bateau est encore à quai, il suffit de traverser la passerelle, il reste quelques minutes.... Une douce ankylose vous prend.» (192) Et cette ankylose est bien celle que connaît Victor aussi ; dans cette «Villa triste» qui donne son titre au roman parce qu’elle représentait une sorte de paradis avec toutefois le sentiment que cette sérénité n'était qu'un leurre, ils partagaient la même «aptitude à l’abandon. Chez moi, cela correspondait à une horreur du mouvement, une inquiétude vis-à-vis de tout ce qui bouge, ce qui passe et ce qui change, le désir de ne plus marcher sur du sable mouvant, de me fixer quelque part, au besoin de me pétrifier. Mais chez elle? Je crois qu’elle était simplement paresseuse. Comme une algue.» (178). Ils «traversaient des jours et des nuits de délicieuse prostration». Avec ce départ aux États-Unis, Yvonne aurait dû «basculer», se décider à faire quelque chose, à envisager sérieusement la carrière d’actrice ; aussi décroche-t-elle pour vivre une autre passade. Le narrateur est un un éternel intrus, à la recherche de lui-même : «Je n’ai jamais éprouvé une très grande confiance en mon identité» (104) et avoue au passage : «Victor... ce prénom qui n’était pas le mien» (164). Et il semble pris au piège de ce nom de Chmara et de ce titre nobiliaire qu’il s’est donnés. C’est un faible et il le reconnaît : «mon tempérament doux, mon pessimisme naturel, une certaine lâcheté qui est la mienne» (102). Aussi éprouve-ton quelque gêne quand, derrière lui, alors qu’il mentionne ses «difficultés d’élocution» (150), se profile la figure de l’auteur que ses interviews, une vraie torture pour lui, montrent bredouillant, à titre de réponses aux questions, de maigres propos presque inaudibles, son malaise, communicatif, devenant très dérangeant pour le journaliste. Victor Chmara est dominé par le souvenir, nostalgique et lucide, de sa relation avec Yvonne, des gens qui gravitaient autour d'eux, des extravagances de Meinthe. Mais ce qui ressurgit avant tout, c'est sa permanente angoisse, qu’il a héritée de son père : «Je me disais que tout cela était trop beau, et que demain une catastrophe allait survenir. Le 12 juillet 39, pensais-je, un type de mon genre, vêtu d’un peignoir de bain aux rayures rouges et vertes, regardait sa fiancée nager dans la piscine d’Eden-Roc. Il avait peur, comme moi, d’écouter la radio. Même ici au cap d’Antibes, il n’échapperait pas à la guerre... Dans sa tête se bousculaient des noms de refuges mais il n’aurait pas le temps de déserter.» (124). Il est venu séjourner dans cette station thermale reculée pour échapper à une menace qu'il sentait planer autour de lui et pour tenter d’apaiser un sentiment d'insécurité et de peur (de sa conscription pour aller faire la guerre en Algérie? d'une catastrophe imminente? du monde extérieur? de la vie?), prêt, à la moindre alerte, à se réfugier en Suisse, ce qui lui apportait un réconfort illusoire. Il est en quête de repères, de racines, d'immobilité : - «La seule chose qui manquait à mon bonheur : le récit d’une enfance et d’une adolescence passées dans une ville de province... à mes yeux d’apatride, Hollywood, les princes russes et l’Égypte de Farouk semblaient bien ternes et bien fanés auprès de cet être exotique et presque inaccessible : une petite Française.» (132) - «Moi qui avais rêvé de naître dans une petite ville de province, je ne comprenais pas qu’on pût renier le lieu de son enfance... Votre assise.» (171) - «Je m’étonnais qu’on pût couper ses racines quand, par chance, on en avait quelque part.» (174) Il essaie de se donner quelque consistance en déclarant d’abord à l’oncle d’Yvonne qu’il «travaille dans les livres» (142) puis en lâchant : «J’écris un livre» (143), enfin en voulant devenir, comme Arthur Miller, «un écrivain juif à très grosses lunettes d’écaille» (193), identifiant le couple qu’il forme avec Yvonne à celui d’Arthur Miller et Marilyn Monroe, puis à celui de Paulette Goddard et Erich Maria Remarque. Ses relations avec Yvonne sont étrangement désincarnées : on ne sent pas de désir sexuel ni même d’affection. S’unir à elle ne serait, pour ce déraciné qui cherche vainement des attaches, que trouver un ancrage, et il regrette d’avoir manqué l’occasion de demander sa main à son oncle : «Une nouvelle vie aurait pu commencer à partir de cette nuit-là.» (166). Il a eu le tort de rompre le délicat équilibre qui les maintenait dans un bonheur fragile. L’épigraphe : «Qui es-tu, voyeur d’ombres?» (Dylan Thomas) indique bien le thème essentiel du roman : la quête d’une identité. Patrick Modiano y reprend aussi les thèmes éternels du temps qui passe et de la jeunesse perdue : «Le temps a enveloppé toutes ces choses d’une buée aux couleurs changeantes... Une buée? Non, un voile impossible à déchirer qui étouffe les bruits et au travers duquel je vois Yvonne et Meinthe mais je ne les entends plus.» (167)». La vie apparaît marquée par des rencontres importantes qui, souvent, ne furent pas perçues comme telles : «Il y a des êtres mystérieux - toujours les mêmes - qui se tiennent en sentinelles à chaque carrefour de votre vie. » (62). On ne peut ensuite que les regretter amèrement : «Ce qui nous rend la disparition d’un être plus sensible, ce sont les mots de passe qui existaient entre lui et nous et qui soudain deviennent inutiles et vides.» (187) En 1994, Patrice Leconte a produit une libre adaptation du roman intitulée “Le parfum d'Yvonne” : «Des fois je suis demeuré très fidèle au roman, des fois j'ai pris des libertés folles. Fidèle à l'époque (au loin : la guerre d'Algérie), aux personnages, aux situations. Infidèle à l'heure de filmer ce qu'il y avait entre les lignes.» Il a ainsi rendu plus clairs et plus utiles les épisodes dans le présent où se rencontrent Victor et Meinthe qui, finalement, se suicide sous ses yeux en jetant sa voiture dans un ravin ; il a complètement gommé le côté russe de Victor et les allusions à son père ; il a rendu la guerre d’Algérie plus présente ; il a négligé les allusions au film qu’a tourné Yvonne, les questions que Victor pose sur son passé, le séjour à la «Villa triste» ; surtout, il a donné à Victor et à Yvonne la sensualité qui, curieusement, est absente du roman. Aussi peut-on considérer que le film, qui a été tourné avec Hippolyte Girardot, Sandra Majani et Jean-Pierre Marielle, est meilleur que le roman, plus efficace sur le plan dramatique. Pourtant, Patrick Modiano, qui avait accordé sa pleine confiance à Patrice Leconte, lui a donné sa bénédiction. _________________________________________________________________________________ “ |
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