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de grands travaux en Babylonie et ailleurs, et que cette politique aurait permis de réveiller une Asie stagnante: selon Droysen et beaucoup de ses épigones, en effet, les ouvrages d’irrigation en Babylonie n’étaient même plus entretenus à la fin de l’époque achéménide, et le Tigre lui-même était hérissé de fortifications disposées contre des flottes dont on craignait qu’elles ne vinssent du Golfe persique3. Outre les erreurs d’interprétation de textes bien connus, une lacune doit être relevée: aucun des auteurs susdits ne citait le texte de Polybe. Je suis naturellement revenu sur ce sujet dans ma synthèse récente, et plus spécifiquement encore dans le chapitre XVII consacré à un bilan du fonctionnement de l’empire à la fin de la période achéménide, et plus spécifiquement encore dans une discussion sur le rapport entre les prélèvements tributaires et les investissements productifs: tout compte fait, la thèse hégémonique restait celle de Droysen (héritée elle-même de Bernier, de Chardin et de Montesquieu 4), à savoir que l’État «despotique» engloutit toutes les richesses des peuples sujets, sans rien redistribuer ni réinvestir (ce qu’il sera convenu d’appeler la « stagnation asiatique » 5). Le texte de Polybe suggère exactement le contraire 6 . 1= Rois, tributs et paysans, Paris (1982) : 405-430. 2J’explique ailleurs pourquoi le dossier documentaire ne revêt pas en réalité la cohérence qu’on lui a souvent attribuée (« Histoire et archéologie d’un texte : la Lettre de Darius à Gadatas entre les Perses, les Grecs et les Romains», in : La Lidia et la Licia prima dell’ellenizzazione, Roma, sous-presse). 3Voir en dernier lieu ma note dans NABU 1999/1. 4Voir aussi ma Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, 2000, en particulier p. 20. 5Voir également mon article « Appareils d’État et développement des forces productives au Moyen-Orient ancien : le cas de l’empire achéménide », La Pensée, février 1981 : 9-23 = Rois, tributs et paysans (1982) : 475-489. 6Histoire de l’empire perse, Paris, Fayard (1996) : 826-829 et 1065-1068. Introduction • Qana-ts La question des qanåts a déjà suscité des études nombreuses. Rappelons tout d’abord l’ouvrage de Goblot (1979) 7, oeuvre d’un ingénieur qui avait travaillé longtemps en Iran 8. Le travail présente toujours de l’intérêt, mais, peu formé à la recherche historique, l’auteur a souvent pris des libertés avec les témoignages, et il a construit des théories qui peuvent aujourd’hui paraître susceptibles d’être revisitées. Notons néanmoins qu’en dépit de critiques parfois vives 9, l’ouvrage continue fréquemment d’être considéré comme une référence obligée, au point d’être encore repris presque mot pour mot, même dans ses aspects les plus contestables 10. Dans les dix dernières années, plusieurs colloques spécialisés ont été réunis pour faire le point de la question. Outre un colloque tenu en Chine en 1990 et consacré prioritairement aux galeries du Xinjiang 11, on mentionnera le colloque organisé à Londres en 1986 12 , et celui organisé par Daniel Balland à Paris au début des années quatre-vingt 13. Tout récemment encore, un grand colloque a été organisé à Yazd en Iran en mai 2000 14, et, lorsque notre colloque paraîtra, un autre se sera tenu à Madrid sur les galeries de captage 15. Concernant l’Iran proprement dit, les qanåts 7 Il existe (au moins) une autre monographie, celle de S.M. Sayed Sajjadi, Qanåt/Kâriz. Storia, tecnica costruttiva ed evoluzione, Teheran, 1982 (Istituto Italiano di Cultura, Sezione archeologica), sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. 8 H. Goblot, Les qanåts. Une technique d’acquisition de l’eau, Paris-La Haye-New York, éd. Mouton (EHESS, Industrie et Artisanat 9), 1979 ; parmi les articles qui ont annoncé l’ouvrage, voir en particulier celui que l’auteur a publié dans Annales ESC mai-juin 1963, 499-520 (« Dans l’ancien Iran, les techniques de l’eau et la grande histoire »). 9 Voir en particulier X. de Planhol, « Les galeries drainantes souterraines : quelques problèmes généraux », dans : D. Balland (éd.), Les eaux cachées. Études géographiques sur les galeries drainantes souterraines (Publications du département de Géographie de l’université de Paris-Sorbonne, n° 19), Paris, 1992 : 129-142. Voici comment l’ouvrage de Goblot y est globalement présenté: «Bourré de fautes d’impression et bavures matérielles, il compte également de nombreuses et graves erreurs de fait. Il n’a pratiquement pas tenu compte des remarques et critiques faites par le jury au cours de la soutenance. Les références sont fréquemment inexactes, et devront être soigneusement vérifiées par les utilisateurs. L’ouvrage n’a pas intégré les résultats des recherches intervenues entre 1973 et la date de la publication. Enfin l’exposé, sous une apparence de charpente organique, est en réalité conduit dans un grand désordre…. » (p. 129-130). Pour autant, X. de Planhol reprend quelques interprétations de Goblot, dont certaines sont aujourd’hui fortement mises en doute, en particulier la théorie diffusionniste. 10 Voir par exemple A.T.Hodge, « Qanåts », dans O. Wikander (éd.), Handbook of Ancient Water Technology (Technology and Change in History, 2), Leiden-Boston-Köln (2000) : 35-38, qui, parlant de l’ouvrage de Goblot, a cette simple formule (p. 35, n. 1) : « This is the definitive work ». 11 Non vidi: je n’en connais l’existence que par la mention qu’en fait Daniel Balland dans l’introduction du colloque qu’il a édité (p. 1 et n. 3). 12 P. Beaumont-M. Bonine-K. McLachlan (éd.), Qanåt, kariz and khattara. Traditional water systems in the Middle East and North Africa, Middle East and North African Studies (England), 1987. 13 D. Balland (éd.), Les eaux cachées. Études géographiques sur les galeries drainantes souterraines (Publications du département de Géographie de l’université de Paris-Sorbonne, n° 19), Paris, 1992. 14 International Symposium on Qanåt. Les Actes en ont été édités mais leur diffusion a été restreinte aux participants, raison pour laquelle M. Wuttmann et ses collaborateurs ont mis le texte de leur communication en consultation libre sur http://www.achemenet.com/recherche/sites/aynmanawir/aynmanawir.htm. 15 Las galerías de captación en la Europa mediterránea. Una aproximación pluridisciplinar. Colloquio Internacional, 4-6 de junio de 2001 (Coordinación : Emmanuel Salesse), Casa de Velázquez-Fundacion Canal de Isabel II, Madrid. - Introduction • Qanats sont également très présents dans l’ouvrage que Rahimi-Larandjani a consacré aux techniques d’irrigation dans l’Iran antique et médiéval, et à leurs implications sociales et économiques 16 . En dépit de la croissance de la bibliographie, l’organisation d’un séminaire spécialisé m’a paru tout à fait nécessaire, et même urgente. Tout d’abord, on le sait, en raison de l’existence du texte de Polybe et du lien chronologique qu’il établit explicitement avec la politique des Grands rois, la période achéménide est l’une des périodes les plus couramment traitées ou évoquées dans le cadre de l’origine et du développement de la technique, y compris par des auteurs qui ne sont pas toujours bien informés de la problématique historique. Le projet de réunir quelques spécialistes autour de cette période conservait donc toute sa pertinence. L’idée s’imposait d’autant plus que le dossier achéménide s’est enrichi de découvertes d’une importance considérable. À la page 1057 de mon ouvrage de 199617, je mentionnais la découverte (alors) récente de 90 ostraka démotiques sur le site égyptien d’Ayn Manâwîr (oasis de Khargeh), et datés de Darius Ier et d’Artaxerxès Ier. J’en avais eu le premier écho lors d’un voyage d’études en Égypte effectué en mars 1993. Il s’avéra bientôt qu’il s’agissait d’Artaxerxès Ier et de Darius II 18, et que nombre de ces ostraka (actuellement au nombre de plusieurs centaines 19) évoquaient directement les problèmes juridiques liés à l’utilisation de l’eau dans la communauté créée grâce aux qanåts. On en sut bientôt beaucoup plus grâce au premier rapport publié dans le Bifao 1995, puis dans divers comptes-rendus, articles et communications mis à disposition depuis lors 20. En elle-même, une telle découverte relançait la discussion sur l’origine et la date des qanåts connus depuis longtemps dans l’oasis de Khargeh, mais aussi la discussion sur le rôle éventuel de l’administration impériale achéménide dans leur diffusion. Ce sont ces découvertes qui m’ont ramené au texte de Polybe. En relisant Polybe, je me suis aperçu que l’information qu’il transmettait n’était pas aussi claire que ce qui pouvait sembler à première vue. D’où le sous-titre donné à mon intervention, qui exprime un intérêt plus particulier pour l’étude de la chaîne de transmission de l’information 21, mais aussi pour le processus de la traduction. Il m’apparaît maintenant que l’on ne peut pas parler de « l’exactitude technique de la description»: c’est sur ce point que porte mon intervention. Je dois dire que cette mise au point me paraît d’autant plus nécessaire que l’on peut aisément observer, à lire des études récentes d’archéologues, que le texte est encore pris affecté de contresens ou d’à-peu-près, eux-mêmes liés à des traductions fautives ou à des lectures trop cursives. Bien que décrivant (à sa manière et avec ses mots) une réalité de la Parthie antique et s’insérant à l’évidence dans la discussion sur l’origine de la technique dans le cadre du Proche-Orient ancien, le texte de Polybe établit un pont avec le monde grec, par l’intermédiaire d’un rapprochement avec une fameuse inscription. Dès la publication (déjà ancienne) du recueil Inscriptions juridiques grecques (IJG), les 16 F. Rahimi-Laridjani, Die Entwicklung der Bewässerunglandwirtschaft im Iran bis in sasanidisch-frühislamische Zeit (Beiträge zur Iranistik, Band 13), Dr Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden, 1988. 17 Voir également p. 973. 18 Mais la découverte, lors de la saison 2000, d’un ostrakon daté de Xerxès (information communiquée par Michel Wuttmann) laisse maintenant ouverte la possibilité que certains ostraka datés de Darius puissent être attribués au règne de Darius Ier. 19 Environ quatre-cent-cinquante ostraka avaient été découverts à la date de décembre 1999, dont plusieurs dizaines de contrats (Bifao 100, 2000 : 476). 20 Voir références et analyses dans mes Bulletins: BHAch I (1997), 32-33, 88-89 ; BHAch II (2001), 62. En dernier lieu, Bifao 100 (2000) : 469-479. 21 Cf. déjà Rois, tributs et paysans (1982) : 499-500 : « C’est donc en définitive à une série assez exceptionnelle de circonstances que nous devons la transmission écrite si tardive d’une information achéménide qui avait survécu dans la mémoire villageoise plus d’un siècle après la disparition du pouvoir du Grand roi ». - Introduction • Qanats auteurs avait en effet noté que deux termes utilisés par Polybe, hyponomos et phreatia, se retrouvaient dans une inscription d’Érétrie enregistrant un accord passé entre la cité eubéenne et un entrepreneur chargé d’assécher des terres 22. Il y a près de vingt-cinq ans maintenant, j’avais alerté Henri Goblot, qui préparait alors l’édition de sa thèse soutenue en 1973 23, et je lui avais communiqué une photocopie du texte et de la traduction commentée des IJG. N’étant ni classiciste ni historien, il n’avait pas saisi l’intérêt du rapprochement 24, et il m’avait simplement répondu que l’inscription n’avait rien à voir avec les qanåts 25. Au plan de la simple analyse technique, l’observation était juste, mais la suggestion que je faisais allait au-delà. J’étais donc resté persuadé que le rapprochement pouvait nous permettre de comprendre pourquoi Polybe avait utilisé telle terminologie, — ce d’autant plus qu’entre-temps je m’étais convaincu que Polybe n’avait pas parfaitement compris la réalité technique de l’ouvrage que nous appelons qanåt; il avait donc utilisé un vocabulaire qu’il connaissait pour définir une technique qu’il ne connaissait pas. C’est évidemment la raison pour laquelle, lorsque j’ai commencé d’élaborer ce séminaire, j’ai aussitôt pensé à demander l’aide et la collaboration de Denis Knoepfler. Il est l’un des meilleurs spécialistes d’épigraphie grecque, il a publié nombre d’études de premier plan sur l’Eubée, la Grèce centrale et sur bien d’autres aspects de l’histoire de la Grèce ancienne, et il a encore récemment travaillé à un corpus d’inscriptions honorifiques d’Érétrie, qui vient juste de paraître. L’inscription dont il est question n’y figure pas, mais Denis Knoepfler a bien voulu accepter de venir en parler : non seulement il a mené depuis fort longtemps une réflexion intense sur le document, mais il se trouve que l’un de ses élèves, Thierry Chatelain, travaille précisément sur les problèmes techniques liés aux travaux en question. Nous avons la chance que l’un et l’autre, travaillant en étroite collaboration, ont donné des analyses fournies, qui allient science de l’épigraphie, intérêt pour les problèmes historiques et juridiques, et attention de tous les instants pour les réalités topo-géographiques. Bien entendu, je tenais à ce que soient présents les archéologues d’Ayn Manâwîr. Michel Wuttmann est donc venu du Caire pour nous en parler, et nous présenter les derniers résultats des travaux sur le terrain. Il est accompagné de Michel Chauveau, qui est chargé de l’édition des textes démotiques découverts sur ostraka. L’un des apports de ces fouilles, — je l’ai déjà dit —, est de relancer la discussion sur la datation des qanåts: ceux d’Ayn Manâwîr à coup sûr, ceux trouvés dans d’autres régions également. Il faut rappeler, à cet égard, que des qanåts avaient déjà été repérés, sinon analysés, dans l’oasis de Khargeh. Leur datation a toujours été discutée : un effet de la politique achéménide, ou au contraire une réalisation antérieure aux Achéménides ? La datation achéménide a longtemps dépendu d’une corrélation établie de manière étroite avec le texte de Polybe, le postulat étant que le gouvernement impérial a suscité la diffusion de la technique dans de nombreux pays de l’empire. Thèse développée par H. Goblot, sans beaucoup de méthode, comme l’a récemment souligné X. de Planhol. Le problème 22 R. Dareste-B. Haussoulier-Th. Reinach, Recueil des inscriptions juridiques grecques, I, Paris, 1891. Il s’agit de l’inscription n°IX, publié sous le titre: «Contrat relatif à une entreprise de dessèchement de marais», p. 143-157 ; le rapprochement terminologique avec le texte de Polybe est évoqué (mais non point mené de manière systématique) p. 146, n. 2, et p. 153. 23 C’est cet exemplaire que j’avais consulté en préparant mon article paru (avec retard) en 1980 (cf. Zamân 1980, 95, n.89 = Rois, tributs et paysans: 425, n. 89). 24 D’autant moins sans doute que la manière dont il se réfère indirectement au texte de Polybe dans son article |
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