Bibliographie citée (p. 77-79)








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n’est qu’une méthode: analyser avec la plus grande précision la terminologie utilisée, mais aussi le contexte

narratif qui en justifie l’emploi. La diversité des traductions aujourd’hui proposées prouve que les

commentateurs se sont heurtés à une difficulté, dont il convient de prendre la mesure. J’ai rassemblé

ici, citées dans l’ordre chronologique de publication, une douzaine de traductions (françaises, anglaise,

italienne, allemande) datées entre 1655 et 1990, sous forme d’un tableau (fig. 3) qui décompose les descriptions

et actions exprimées chez Polybe 47: (i) comment, dans une contrée sans eau apparente, on

peut trouver accès à de l’eau amenée par des canaux souterrains (X.28.2); (ii) comment ces canaux souterrains

ont été construits (X.28.4); (iii) action de destruction conduite par Arsakès (X.28.5); (iv) action

de destruction menée par des commandos de cavalerie parthe et réduite à néant par un détachement

envoyé par Antiochos (X.28.6).
Le problème essentiel est la nature du lien qui, chez Polybe, existe entre les hyponomoi et les phreatiai.

Il est dit qu’en raison de l’absence d’eau (anhydria) — ce par quoi l’auteur comprend explicitement

les eaux de surface (§ 1-2)—, les seuls accès sont les phreatiai (§ 2). Le rapport entre les uns et les autres

semble être clairement un rapport entre conduits d’alimentation (hyponomoi), qui amènent les eaux de

ruissellement dévalant les pentes du Tauros (§ 4), et points d’eau (phreatiai), où l’on trouve accès à l’eau

souterraine. L’image induite est que l’eau reste disponible dans ces phreatiai, sous terre, à la disposition

des habitants. Le rapport entre conduits et «puits» est explicité sous la formule suivante, traduite de

manière aussi littérale que possible: «Il y a des conduits souterrains assez nombreux et ayant (ekhontes)

des « puits » à travers le désert, inconnus à ceux qui n’ont pas l’expérience des lieux ».
On voit que les premiers traducteurs (Du Ryer et Thuillier) ont rendu hyponomos et phreatia par

«ruisseaux et puits », voulant certainement restituer le ruissellement des eaux (hydatôn aporryseis/epirryseis)

conduites dans les canaux souterrains (cf. streams et wells chez Chesney). Néanmoins, la traduction

d’hyponomos par canal souterrain (aqueduc chez Waltz) s’est très vite imposée, et elle n’a jamais été remise

en cause. C’est plutôt l’articulation des différents éléments en 28.2 qui a posé problème. Certains

traducteurs élident des mots et éludent ainsi certaines difficultés : Roussel ne traduit ni pleious de, ni

dia tès erèmou; cette dernière formule est également absente chez Drexler, qui la remplace par les mots

«à différents endroits», ce qui est pour le moins imprécis; de même, «even in the desert» (Paton) ou

« dans des réservoirs situés en plein désert » (Waltz) rend dia tès erèmou d’une manière incorrecte.

D’autres ajoutent ou interprètent d’une manière un peu surprenante: il n’est pas question de «puits creusés

dans le désert» (pace Bucci), ni de «canaux souterrains apparaissant sous forme de puits à la lumière du

jour» (pace Drexler). Certaines traductions sont également un peu forcées48: on peut se demander ce que

veut dire Bouchet en traduisant: «Plusieurs canaux souterrains et des puits conduits à travers le désert»;

la formule est ainsi traduite par Foulon: «Il y a des canaux souterrains assez nombreux, reliés à travers le

désert à des puits qui sont ignorés de ceux qui ne connaissent pas le pays»; la traduction est clairement empruntée

à Paton: «Even in the desert, there are a number of undergrounds channels communicating with wells

unknown to those not acquainted with the country». Tout en adoptant la traduction «citerne», D. Roussel

introduit une image analogue, en proposant la traduction suivante (marquée par des oublis fâcheux): «Il

existe des canalisations souterraines alimentant des citernes dont l’emplacement est ignoré de ceux qui ne

connaissent pas le pays»; l’image et les mots sont directement issus de la traduction de Waltz 49:«Un certain

nombre d’aqueducs souterrains amènent de l’eau dans des réservoirs situés en plein désert».
47 Le titre donné au tableau (« Les Belles Infidèles ») évoque directement les débats menés en France aux XVIe et

XVIIesiècles sur le travail de la traduction, sur lesquels on verra Zuber 1995 (sur Du Ryer, traducteur de Polybe,

voir p. 47-48, 133-134 etc).
48 Je souligne les formules (à mon avis) contestables.
49 Mais celui-ci prend en compte pleious de et dia tès erèmou.
-
Pierre Briant • Qanats

26 Pierre

Briant • Qanats
Traducteurs

(les simples paraphrases sont

indiquéesparune étoile)

Polybe X.28.2 (i)

Hyponomoi de pleious eisi

kai dia tès erèmou phreatias

ekhontes

Ek makrou kataskeuazontes

tous hyponomous

Polybe X.28.4 (ii)

Khônuein kai phteirein… tas

phreatias

Polybe X.28.5 (iii)

…phteirontas ta stomata

tôn hyponomôn

Polybe X.28.6 (iv)

Du Ryer 1655 : 492 Sous terre quantité de ruisseaux

et de puits

…faire venir de l’eau Arsakès fait combler les puits Quelques gens de cheval

achevaient de combler les puits

Thuillier 1730 : 127 Sous terre

des ruisseaux

et des puits

…conduire sous terre

des eaux jusque

dans ces déserts

Arsakès… comble les puits

Quelques gens de cavalerie…

bouchaient les ouvertures

par lesquelles on descendait

aux ruisseaux

Bouchot 1847 : 132 Plusieurs canaux souterrains

et des puits conduits à travers

ces déserts

…conduire au désert

des canaux de fort loin

Arsakès essaya de combler

et de détruire ces puits

…quelques cavaliers occupés

à détruire les canaux
Chesney* 1850, II, 657 Many subterraneous wells and

streams throughout the desert

To convey the water through

subterraneous channels

Waltz 1921 : 80-81 Un certain nombre d’aqueducs

souterrains, qui amènent l’eau

dans des réservoirs situés

en plein désert

Construire ces canaux

souterrains et amener l’eau

de fort loin

Arsakès essaya de combler

et de détruire les réservoirs

Quelques cavaliers en train

de démolir les orifices

des aqueducs

Paton 1925: 169 Even in the desert there are …making underground Arsakes endeavoured to fill up Some of his cavalry engaged

a number of underground channels reaching a long and destroy the wells in destroying the mouths

channels communicating distance of the channels

with wells
-
Pierre Briant • Qanats
Pedech* 1958 : 74 Des puits où des canaux souterrains amènent l’eau captée

dans des sources
Drexler 1961 Eine Anzahl unterirdischer

Kanäle die an verschiedenen

Stellen als Brunnen ans

Tageslicht treten

…um unterirsdische Kanäle

zu bauen und in ihnen

Wasser aus grosser

Entfernung dorthin zu leiten

die Brunnen zuzuschütten

und sonst unbrauchbar

zu machen

…Reiter… die Öffnungen

der Kanäle zu zerstören

Roussel 1970 : 643-644 …il existe des canalisations

souterraines alimentant

des citernes

…ils amenèrent cette eau

de fort loin en creusant

des canaux souterrains

Arsakès entreprit de combler

ou de détruire les citernes

Des cavaliers [étaient] en train

de détruire les orifices

des canalisations
Bucci 1973 : 182 Canali sotteranei e pozzi scavati

nel deserto
Foulon 1990 : 86-87 Il y a des canaux souterrains Ils construisirent des canaux Arsakès entreprit alors …des cavaliers en train

assez nombreux, reliés à travers souterrains qu’ils amenèrent de combler et de détruire de détruire les bouches

le désert à des puits… de loin les puits des canaux souterrains
fig. 3 : Polybe X. 28 et « les Belles Infidèles »

Même si la traduction ne déforme pas fondamentalement l’image d’eaux souterraines qui est

manifestement celle de Polybe, il faut néanmoins noter que l’image n’est pas chez lui exprimée d’une

manière aussi tranchée. Les traductions «alimenter» (Roussel) ou «conduits reliés à travers le désert»

(Foulon) ou « channels communicating with wells » sont des interprétations qui forcent le sens : en

particulier, l’expression « reliés à travers le désert » évoque l’image d’un réseau palmaire organisé autour

d’un hyponomos muni de dérivations dont chacune alimenterait un puits (ou un réservoir ou une

citerne, dans les traductions de Waltz et de Roussel). En réalité, la préposition dia ouvre une précision

s’appliquant exclusivement aux phreatiai; la formule kai dia tès érèmou phreatias ekhontes indique

simplement que les phreatiai sont «[répartis] à travers le désert», et non pas «reliés aux conduits à travers

le désert». En revanche, l’idée de la liaison indissociable est exprimée par ekhontes, qu’il faut comprendre

sous son sens fort. On peut traduire ainsi la description de Polybe: «Il y a des canaux souterrains

(hyponomoi) assez nombreux, ayant, associés à eux (ekhontes), des phreatiai [répartis] à travers le désert

(dia tès erémou), [qui sont] ignorés de ceux qui n’ont pas l’expérience du pays ». Sous une telle

formulation, Polybe, me semble-t-il, implique que, selon son informateur, la ligne des phreatiai suivait

fidèlement, en surface, le tracé (souterrain) des différents hyponomoi : ce en quoi le texte grec original

est plus conforme à la réalité physique des qanåts que ne le sont la plupart de ses traductions modernes.
Par ailleurs, on est pour le moins surpris de la précision selon laquelle les emplacements des phreatiai

étaient connus seulement des gens qui ont l’expérience du pays. On sait bien en effet que chaque

puits d’évent d’un qanåt est marqué par une couronne de déblais qui en dessine la bouche, si bien que,

vue d’en haut, la suite des puits ressemble à un alignement de petits cratères 50. Une autre formule fait

problème : Arsakès est réputé avoir fait « détruire et combler les phreatiai» (§ 5), mais la cavalerie

séleucide « surprit des cavaliers [parthes] en train de détruire les bouches (stomata) des conduits souterrains

» (§ 6). Que peut donc être une bouche d’hyponomos, et quel rapport entretient-elle avec le/la

phreatia? L’incertitude vient du mot phreatia, qui est traduit tantôt «puits» tantôt «citerne».
La traduction « citerne » est par elle-même fort évocatrice, faisant naître l’image de canaux multiples

(hyponomoi dé pleious), dont chacun pourvoit à l’alimentation d’une citerne. On comprendrait alors

aisément que ces phreatiai/citernes aient pu être dissimulées au point d’être indétectables à ceux qui

n’avaient pas l’expérience du pays. En effet, compris ainsi, le texte de Polybe pourrait être rapproché

d’au moins deux histoires racontées par d’autres historiens grecs. On pense d’abord au célèbre passage

où Hérodote rapporte comment, lors de l’expédition menée par Cambyse à travers le désert entre

Gaza et la frontière d’Égypte, le roi perse reçut l’aide apportée par les Arabes pour ravitailler son armée

en eau51 (III.6-9). D’après une des traditions connues d’Hérodote (legetai), le roi des Arabes aurait procédé

de la manière suivante: «Il aurait confectionné avec des peaux cousues de boeufs et autres bêtes un

tuyautage de longueur suffisante pour atteindre la région aride (anhydron) et, de ce fleuve [Korys], amené

l’eau par ces peaux ; dans la région aride, il aurait fait creuser de vastes citernes (dexamenai) pour

recevoir l’eau et la conserver (du fleuve à cette région aride, le trajet est de douze journées) ; et il aurait

amené l’eau en trois places par trois tuyaux (III.9). »
Se situant lui aussi dans le contexte de contrôle et de prise en main militaire d’une région sans eau,

un récit bien connu de Diodore de Sicile 52 est plus intéressant encore, car plus précis et plus technique.

L’auteur décrit le peuple des Nabatéens et les mesures qu’ils prennent lors d’une attaque menée par un

général d’Antigone le Borgne. Présentés comme des gens fiers de leur indépendance et de très noble

caractère 53, ils vivent dans le désert (erèmos) sans eau (anhydros) (XIX.104.5). Habitant un territoire « qui
50 Cf. fig. 2 : vue aérienne d’un qanât.
51 Voir sur ce point Briant 1982c : 123-124, 157-158, 163-164.
52 On s’entend pour considérer, à juste titre, que Diodore a emprunté l’essentiel du récit à un témoin oculaire,

l’historien Hiéronymos de Kardia.
53 Sur la place des Nabatéens dans l’image du « bon nomade » voir Briant 1982c : 30-31, 39-40.
-
Pierre Briant • Qanats

n’a ni rivières ni sources abondantes pouvant ravitailler en eau une armée ennemie » (104.2), le désert

est pour eux une forteresse (okurôma), qui leur assure la sécurité (asphaleia:§ 6). Voici en effet les mesures

qu’ils ont imaginées pour rendre leur pays inhospitalier à leurs seuls ennemis: «Le manque d’eau rend

le désert inaccessible aux autres, mais, pour eux seuls qui ont creusé dans la terre des réservoirs (aggeia)

revêtus d’un enduit de chaux, il est un asile sûr. Le sol y étant tantôt argileux, tantôt constitué d’une

roche tendre, ils y creusent de grands trous ; ils leur donnent un orifice minuscule (stomia mikra) mais

ils l’élargissent au fur et à mesure qu’ils creusent, si bien qu’à la fin, la dimension obtenue est celle d’un

plèthre [c. 30 m] de chaque côté. Après avoir rempli ces réservoirs (aggeia) d’eau de pluie, ils en bouchent

les ouvertures (ta stomata) et égalisent le sol tout autour en laissant des signes (sèmeia) connus

d’eux, mais imperceptibles pour les autres. »(XIX.104.6-8)
Les rapprochements entre les textes sont évidents, du moins du point de vue du contexte: une armée

étrangère attaque ou traverse une région considérée comme «désertique» et «dépourvue d’eau», et cette

armée est incapable de vaincre sans recourir à la connaissance que les gens du pays (egkôrioi) ont des

points d’eau — soit qu’ils la transportent eux-mêmes et la livrent aux envahisseurs (Arabes), soit qu’ils

aient constitué eux-mêmes des réserves connues d’eux seuls (Nabatéens, Parthes). Même si l’imprécision

n’est pas identique d’une description à l’autre 54, il est clair que l’attention des historiens antiques est

mobilisée moins par la description technique que par le stratagème utilisé par le conquérant pour se

rendre (ou tenter de se rendre) maître de l’eau et donc du pays et de ses habitants.
On est presqu’inévitablement tenté de combiner les deux récits d’Hérodote et de Diodore, et d’y

distinguer des images qui ont pu nourrir la reconstruction de Polybe 55: l’amenée d’eaux courantes 56
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