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conduites par des tuyaux vers des citernes (Hérodote) ou par des canaux souterrains vers des phreatiai (alors traduites « citernes », ou stockage d’eaux de pluie dans des citernes souterraines accessibles aux seuls habitants du pays (Diodore). Dans ces conditions, peut-on admettre que, sans rien comprendre au système du qanåt, Polybe avait en tête lui aussi une organisation technique qui permettait aux «indigènes» de vivre dans un pays «désertique» en emmagasinant dans des citernes souterraines indétectables de l’eau conduite sur de longues distances par des conduits eux aussi souterrains 57?Une telle hypothèse permettrait de résoudre quelques incohérences: un rapprochement avec le texte de Diodore 54 Il est assez clair que le récit qu’Hérodote a entendu et transmis (legetai) ressortit plus au genre de la fiction qu’à celle de la description d’une technique (contrairement aux passages de Diodore et de Polybe, même si Polybe n’a pas tout compris, et même si, comme me le fait remarque E. Salesse, en raison de la nécessité de recourir à un impluvium, « la nature secrète de ces aggeia paraît douteuse ») : voir déjà (à propos d’Hérodote) les justes remarques en ce sens de Talboys Wheeler 1854 : 316, n. 7. Sans manquer de rapprocher de Polybe, How-Welles (I, 258) rappellent une autre interprétation (rien sur ce point précis dans la note d’Asheri 1990 : 223). En jouant sur les mots kariz et Korys (nom du fleuve dans l’histoire d’Hérodote), certains auteurs avaient en effet voulu considérer que le texte d’Hérodote trahit l’extension du système des qanåts vers l’ouest (e.g. Chesney 1850, II: 357 sans véritable discussion; également Rawlinson 1862 : 9, en insistant sur la crédibilité du texte d’Hérodote). Tout en prenant ses distances avec une telle interprétation, mais sans vraiment la récuser non plus, Goblot (1979 : 111), curieusement suivi (même avec précaution) par de Planhol (1992 : 138), admet néanmoins comme possible que « tout le passage… soit tiré d’un récit populaire sur le transfert de la technique des qanåts en Arabie». Quant à Rahimi-Laridjani 1988 : 487, n.14, il cite le passage d’Hérodote, sans prendre fermement position, mais il a manifestement quelque difficulté à admettre que l’on doive y voir une allusion à des qanåts. Bel exercice d’école pour ou contre la liar-school of Herodotus (que n’évoque pas Pritchett 1993) ! 55 Étant bien entendu que, dans cette hypothèse, Polybe aurait eu connaissance de la tactique des Nabatéens en lisant directement Hiéronymos ou un auteur intermédiaire antérieur à Diodore (ci-dessus note 52). 56 Fleuves (potamos: Hérodote) ou eaux de ruissellement (Polybe : hydatôn aporryseis, epirryseis). 57 C’est l’interprétation que j’avais adoptée dans un premier temps, lors de mon exposé oral. - Pierre Briant • Qanats sur les Nabatéens permettrait de mieux comprendre, par exemple, que les phreatiai puissent être caché(e)s aux ennemis — alors même, on l’a déjà dit, que les puits d’aération des qanåts sont aisément visibles dans le paysage —, et que, selon une formule maintes fois rencontrée dans les récits militaires, les conquérants aient besoin de l’appui des habitants qui, seuls, ont l’expérience du pays, et qui, seuls, peuvent ainsi les guider par un chemin détourné ou vers un point d’eau. Mais, outre qu’à son tour, une telle hypothèse sur la conception que Polybe se faisait de ce que nous appelons qanåt fait surgir de nouvelles difficultés, elle bute sur une observation d’évidence. Hérodote (III.9) et Diodore (XIX.104.6, 8) utilisent des termes (dexamenè ; aggeion) qui, en grec, désignent indiscutablement une citerne (ou un réservoir) 58. Qui plus est, ils en donnent des descriptions sans équivoque. Tel n’est pas le cas de Polybe, avec le terme phreatia. La question est donc fort simple: peut-on accepter la traduction «citerne» pour phreatia, adoptée (sans justification) par Denis Roussel, ou celle «réservoir » utilisée (sans plus de justification) par P. Waltz ? La consultation des dictionnaires est pleine d’enseignements, et même de surprises. Si, pour la Souda (s.v. phreatia) citant le passage de Polybe, et pour H. Estienne, Thesaurus, s.v., le terme désigne bien un puits, en revanche, chez Passow (1867, s.v.), l’on trouve « réservoir » (Brunnenbehälter, Wasserbehälter), mais aussi « conduite d’eau » (Wasserleitung), avec pour principales références Xén. Hell. 3.1.7 et Polybe X.28.2, 5. Ces traductions ont été régulièrement adoptées dans les dictionnaires plus récents 59. Dans le Bailly, s.v. phreatia, l’on trouve : « 1-Réservoir d’eau, Xén. Hell.3.1.7. •2.aqueduc ou conduit d’eau, Pol. 10.28.2 60». Si l’on se tourne vers le LSJ, on trouve: «tank, cistern, X.HG3.1.7, Pol. 10.28.2 61»; l’adjectif phreatiaios renvoie à: « Belonging to a well or tank». L’on retrouve les acceptions «réservoir, citerne » chez Masson 1980, faisant lui aussi référence à X [énophon] et ajoutant, non sans audace, «etc.»! Les divergences confirment combien le passage de Polybe a causé de difficultés. Même s’il est évident que l’une des propositions de Passow (Wasserleitung) et de Bailly (aqueduc ou conduit d’eau) est erronée (confusion avec hyponomos?), celle du LSJ n’est pas non plus très claire; si les auteurs adoptent la traduction «réservoir, citerne», ils ne décident pas, parlant de l’adjectif, s’il s’agit d’un puits (well) ou d’un réservoir (tank). Ce qui est tout à fait intéressant — et ce qui fait naître des doutes sérieux —, c’est que, concernant l’acception «citerne, réservoir», chacun des auteurs des dictionnaires ainsi cités s’appuie sur le même passage des Helléniques (III.1.7), où Xénophon décrit les mesures prises par le Lacédémonien Thibron pour se rendre maître de la ville de Larissa en Asie Mineure. Le passage est d’autant plus crucial qu’y sont associés les mots hyponomos et phreatia, et que le récit lui-même explicite clairement le rapport fonctionnel existant entre le premier et le second. En voici la traduction proposée par J. Hatzfeld (1960 : 113) : « Comme Larissa ne voulait pas se soumettre, Thibron l’investit et en entreprit le siège. Comme il n’arrivait pas à la prendre autrement, il fit creuser un puits (phreatia) et dirigeait de là une 58 Sur le terme déxaménè dans l’inscription d’Érétrie («bassin de déchargement/de rétention»), voir les remarques terminologiques et techniques de T. Chatelain, ce volume, en particulier p. 88. 59 Je ne puis dire avec certitude si Passow est le premier à les avoir proposées ni suis capable de décider, dans le cas contraire, à qui il les aurait empruntées. Je ne sais pas non plus ce qui a amené Waltz (1921) puis Roussel (1970) à adopter la traduction « réservoir/citerne » : à ma connaissance, Waltz est le premier à traduire ainsi. J’imagine aisément néanmoins qu’il a pu avoir à l’esprit les parallèles que je cite (Hérodote III.9 et Diodore XIX.104.6-8), car ils pouvaient rendre sous une forme concrète (sinon exacte) une réalité matérielle que le traducteur ne maîtrisait pas. J’ajoute que l’idée de « citernes » est déjà probablement implicite chez Darmesteter (1892 : 32): sans traduire ni même paraphraser les termes hyponomoi et phreatiai, il explicite en effet sa vision des choses sous la formule suivante : « [Antiochos] trouva sous terre l’eau emmagasinée par les sujets des Achéménides ». 60 Le dictionnaire ajoute le sens de nilomètre chez Héliodore. 61 La suite concerne le sens de « opening in a raft» - Pierre Briant • Qanats galerie (hyponomos) pour couper l’eau de la ville. Les habitants, dans de fréquentes sorties, jetaient dans le chantier du bois et des pierres ; alors il fit faire une « tortue » de bois qu’il plaça au-dessus du puits (phreatia), mais cette tortue fut incendiée aussi par les gens de Larissa dans une sortie de nuit. » Je dois dire que je n’arrive pas à comprendre pourquoi ni comment tant d’auteurs d’entrées de dictionnaires (Passow, Bailly, Liddell-Scott, Masson) ont pu proposer la traduction « citerne » ou « réservoir ». Il est clair en effet, et même proprement indiscutable, que le terme phreatia ne peut signifier que « puits » comme l’a fort bien vu J. Hatzfeld — sans ressentir le besoin de justifier sa traduction, sauf par l’explication qu’il donne de la tactique utilisée par Thibron 62. Quelles que soient les obscurités qui subsistent sur l’objectif visé par le Spartiate63, nous voyons qu’à partir d’un puits vertical, les sapeurs forent un conduit souterrain (hyponomos) sur un plan horizontal (ou sub-horizontal), comme le font les foreurs de qanåts, qui progressent à partir des puits verticaux creusés à intervalles réguliers. C’est par ces puits que parvient l’air, c’est par ces puits que les sapeurs ou les moqanis descendent dans le tunnel et en remontent, c’est par ces puits, enfin, que l’on évacue roches et terres provenant du forage de l’hyponomos 64. D’où évidemment les efforts déployés par Thibron pour mettre le puits à l’abri (établissement d’une « tortue » protectrice) et l’acharnement des assiégés à le menacer. Si le puits devient inutilisable (ce qui se produisit), toute l’entreprise est réduite à néant (d’où l’ordre donné par les autorités spartiates à Thibron d’abandonner le siège de la place). En effet, le ou les puits (phreatia) une fois bouché(s), le conduit souterrain (hyponomos) est rendu impraticable; toute circulation y est interrompue, qu’il s’agisse d’un tunnel par lequel les assiégeants espèrent franchir souterrainement la muraille ennemie (Xénophon), ou d’un canal souterrain dans lequel circule l’eau captée en amont (Polybe). Nous savons enfin que l’association phreatia/hyponomos se retrouve dans l’inscription d’Érétrie, analysée ici même en grand détail par Denis Knoepfler et Thierry Chatelain 65: comme le souligne celui-ci 66, le sens de puits pour phreatia est assuré. Il ne fait donc aucun doute que, comme dans le passage de Xénophon et dans l’inscription d’Érétrie 67, le couple hyponomoi/phreatiai fait bien référence, dans l’esprit de Polybe lui-même, aux conduits souterrains et aux puits qui leur sont associés (cf. ekhontes). 62 1960 : 113, n. 2 : « On commence par creuser un puits, phreatia, hors de portée de la ville, d’où une galerie se dirigera à la rencontre de l’aqueduc [note suivante] ». Je note également au passage que, sans s’intéresser à la discussion terminologique (qui, pour lui, n’a manifestement pas lieu d’être), Garlan (1974 : 169-170) commente ainsi: «la «tortue de bois» que… Thibron… fit placer au-dessus d’un puits [phreatia] de départ d’une mine [hyponomos]… ». Voir déjà le très clair commentaire terminologique et grammatical de Marchant-Underhill 1906 : 84 (en traduisant hyponomos par mine, et phreatia par shaft). 63 Hatzfeld, loc. cit., estime que les assiégeants ont pour but «de couper l’aqueduc, souterrain et probablement en terre cuite, qui amène l’eau potable à l’intérieur de la ville de Larissa, et dont les assaillants connaissent la direction générale mais ignorent la situation exacte ». 64 Voir la description de Goblot (1979 : 33) parlant des qanåts: «Se posent… les deux problèmes permanents du mineur : l’évacuation des déblais, sur un parcours qui va croissant, et l’aération de la galerie. Le fonçage d’un nouveau puits, rejoignant la galerie, apportera la solution à cette double difficulté… ». 65 Également Fantasia 1999 : 100-109, en particulier 101-103, sans manquer (101, note 142) de faire le rapprochement avec Xénophon, Hell. III.1.7. 66 Voir ce volume, ci-dessous p. 88. 67 Dareste-Haussoulier-Reinach (1891 : 146, n. 2) et Hatzfeld (1960 : 113, n. 2) ne manquent pas d’ailleurs de renvoyer au passage de Polybe manifestement considéré comme un parallèle d’une évidence telle qu’il ne requiert pas de justification détaillée. Ajoutons que le rapprochement avec l’inscription d’Érétrie ne vaut pas simplement au plan du vocabulaire technique hyponomos/phreatia (ci-dessous p. 35-36). - Pierre Briant • Qanats Il s’agissait d’un vocabulaire grec bien établi, aussi bien dans le domaine des travaux publics 68 (comme à Érétrie) que dans le domaine des travaux de sape (qui ne se distinguent pas fondamentalement des techniques des travaux publics) : ce vocabulaire s’imposait pour rendre compte des deux éléments essentiels d’un qanåt, vu de l’extérieur : le conduit souterrain, et les puits. Pour autant, la description de Polybe souffre de quelques imprécisions majeures. La première, que l’on a déjà relevée à plusieurs reprises ci-dessus, consiste à croire que les hyponomoi collectent les eaux de surface et les transportent au loin, dans le désert. C’était transformer en simples canaux souterrains passifs 69 ce qui, nous le savons, est une galerie drainante. Celle-ci ne conduit pas l’eau de surface ; à partir d’un puits-mère, elle capte les eaux souterraines piégées dans la couche aquifère qu’elle traverse. Quant aux phreatiai, il ne s’agit pas de puits alimentés par les hyponomoi: il s’agit des puits d’évent qui ont servi à la construction même du canal souterrain, et qui servent à son entretien 70; le faible débit de l’eau courante 71 ne permet certainement pas d’y puiser depuis le bord. N’ayant aucune idée de la réalité des choses, Polybe a adapté les informations dont il disposait à la logique de son récit, l’insérant dans le contexte bien connu d’armées grecques qui, lors d’une campagne dans un pays «désertique» du Proche-Orient, découvrent une source ou une fontaine grâce aux guides locaux qui ont l’expérience des lieux. En réalité, on l’a déjà dit (ci-dessus p. 22), les emplacements des puits de qanåts ne sont pas secrets, ils sont visibles de l’extérieur : leur alignement dessine même au sol le tracé du qanåt. Au reste, Polybe rapporte que ceux qui connaissent les lieux par expérience sont parfaitement informés de l’emplacement des puits : selon lui, ce qu’ignorent les paysans du temps d’Antiochos, c’est le point de départ des canaux souterrains et de captage des eaux de ruissellement 72. L’arrivée de l’eau se fait ouvertement dans les villages par lesquels passe la grande route: elle n’est donc ni cachée ni indétectable. Bien au contraire, sa présence a permis la création de villages et, comme le rappelle Polybe, de champs cultivés : villages, champs et plantations se distinguaient aisément dans le paysage aride des alentours ! Si Arsakès a fait boucher et détruire certains des puits, ce n’est donc pas pour interdire d’y «puiser» de l’eau, comme il était possible de le faire, par exemple, à partir des embouchures des citernes enfouies par les Nabatéens dans le désert. Ce que le roi parthe entend interdire aux soldats d’Antiochos, c’est d’avoir accès à l’eau qui coule au milieu des villages situés aux débouchés des qanåts: le moyen le plus expéditif était de jeter dans les puits d’évent les déblais accumulés autour de leurs embouchures — d’où |
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