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Description de la Chine de Du Halde ; il s'appuyait sur leur témoignage pour défendre l'antiquité de la Chine ; il témoignait de son admiration pour Confucius en inscrivant les quatre vers suivants au bas du portrait du philosophe gravé par Helman : p.115 De la seule raison salutaire interprète, Sans éblouir le monde, éclairant les esprits, Il ne parla qu'en sage, et jamais en prophète ; Cependant on le crut, et même en son pays. La tragédie chinoise, le Petit Orphelin de la Maison de Tchao, dont la traduction par le père de Prémare avait été insérée par Du Halde dans son grand ouvrage suggéra à Voltaire, sa tragédie en cinq actes, L'Orphelin de la Chine, ainsi qu'il le marque au duc de Richelieu dans son épître dédicatoire. En août 1753, Voltaire annonçait à d'Argental qu'il travaillait à une tragédie « toute pleine d'amour ». Pour la première fois, « ses Magots » comme il les appelle, furent représentés le 20 août 1755. Quoique les personnages de Voltaire, un Gengis-Kan, ridicule et tragique, amoureux d'une certaine Idamé mariée à un Kamti prédestiné à jouer les Georges Dandin, soient de son invention, la pièce de L'Orphelin de la Chine mérite d'être signalée car elle est, je crois, la première en France dont le sujet ait été emprunté à l'Extrême-Orient ; Lekain, dans le rôle de Gengis Kan, Mlle Clairon dans celui d'Idamé contribuèrent sans doute au succès relatif de cette œuvre médiocre. Dans son article sur la Chine inséré au Dictionnaire philosophique, Voltaire écrira : p.116 « Nous n'avons aucune maison en Europe dont l'antiquité soit aussi bien prouvée que celle de l'Empire de la Chine. » « Nous allons chercher à la Chine de la terre, comme si nous n'en avions point ; des étoffes, comme si nous manquions d'étoffes ; une petite herbe pour infuser dans de l'eau, comme si nous n'avions point de simples dans nos climats. En récompense, nous voulons convertir les Chinois : c'est un zèle très louable ; mais il ne faut pas leur contester leur antiquité, et leur dire qu'ils sont des idolâtres. Dans ses Fragments sur l'Histoire générale (1773) Voltaire consacrera un article à étudier Si les Égyptiens ont peuplé la Chine, et si les Chinois ont mangé des hommes. Sa plaisanterie, en voulant être plaisante, devient lourde dans le dialogue entre le père Rigolet et l'empereur Yong-tcheng désireux de s'instruire de la religion chrétienne et dans ce but faisant venir le frère « qui, dit-il, avait converti quelques enfants des crocheteurs et des lavandières du palais ». Cependant dans le fatras des remarques souvent médiocres que la Chine a suggérées à son esprit caustique, Voltaire, dans une circonstance, s'est montré un véritable voyant, devançant de plus d'un siècle les idées de la vieille Europe sur la politique générale du monde. On a souvent chez p.117 nous ridiculisé la Chine qui, entourée des Quatre Mers, forme l'Empire du Milieu autour duquel gravitent les peuples étrangers, tributaires et barbares. À vrai dire, pendant des siècles, notre conception de l'univers, n'a pas été fort éloignée de celle des Chinois. L'Europe oubliant qu'elle n'est qu'une partie du monde, a ignoré ou dédaigné les besoins et les aspirations des continents voisins : elle fut désagréablement surprise lorsqu'il lui fallut compter avec une Amérique et une doctrine de Monroë qui ne lui permettaient pas de s'établir à sa guise dans les terres à sa convenance du Nouveau Monde ; le réveil fut plus brutal encore lorsqu'elle fut obligée de s'apercevoir que ces peuples de l'Asie orientale — ces Magots — qu'elle avait pris l'habitude d'aller bombarder périodiquement pour les forcer à subir ses lois et à accepter ses drogues, étaient gens avec lesquels il fallait désormais compter, et bon gré mal gré, les diplomates, désorientés c'est le cas de le dire, furent contraints de voir qu'il n'y a pas seulement une politique européenne, mais qu'il existe une politique embrassant le globe entier, que chaque peuple, asiatique, américain aussi bien qu'européen, avait ses aspirations propres, que toucher aux intérêts de l'un, c'était toucher aux intérêts du voisin, et par répercussion aux intérêts de beaucoup d'autres ; politique qui peut se traduire par : « Ne fais pas p.118 à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fît ». Ces notions, dont malgré les avis d'esprits clairvoyants, on ne commença à tenir compte qu'après les guerres japonaises de 1895 et de 1904, Voltaire les avait faites siennes dès 1761 quand, à propos de la publication par Jean-Jacques Rousseau de son Extrait de Projet de paix perpétuelle de M. l'abbé de Saint Pierre — il invente un Rescrit de l'Empereur de la Chine dans lequel je note ce passage remarquable : « Nous avons été sensiblement affligé que dans ledit extrait rédigé par notre amé Jean-Jacques, où l'on expose les moyens faciles de donner à l'Europe une paix perpétuelle, on avait oublié le reste de l'univers, qu'il faut toujours avoir en vue dans toutes ses brochures. Nous avons connu que la monarchie de France, qui est la première des monarchies ; l'anarchie d'Allemagne qui est la première des anarchies ; l'Espagne, l'Angleterre, la Pologne, la Suède, qui sont, suivant leurs historiens, chacune en son genre, la première puissance de l'univers, sont toutes requises d'accéder au traité de Jean-Jacques. Nous avons été édifié de voir que notre chère cousine l'impératrice de toute Russie était pareillement requise de fournir son contingent. Mais grande a été notre surprise impériale quand nous avons en vain cherché notre nom dans la liste. Nous avons jugé qu'étant si proche voisin de notre chère p.119 cousine, nous devions être nommé avec elle ; que le Grand Turc voisin de la Hongrie et de Naples, le roi de Perse voisin du Grand Turc, le Grand Mogol voisin du roi de Perse, ont également les mêmes droits, et que ce serait faire au Japon une injustice criante de l'oublier dans la confédération générale. 1 * Diderot a usé de la Chine et des Chinois avec plus de modération que Voltaire et ses jugements ne manquent pas de vérité ; dans l'article qu'il a consacré à la Philosophie des Chinois dans le Dictionnaire Encyclopédique, il écrit : « Ces peuples, qui sont, d'un consentement unanime, supérieurs à toutes les nations de l'Asie, par leur ancienneté, leur esprit, leurs progrès dans les arts, leur sagesse, leur politique, leur goût pour la philosophie, le disputent même dans tous ces points, au jugement de quelques auteurs, aux contrées de l'Europe les plus éclairées. Et encore, ce qui est parfaitement juste : « La morale de Confucius est bien supérieure à sa métaphysique et à sa physique. Diderot pose même le problème de la conquête de la Chine dans p.120 sa Réfutation de l'ouvrage d'Helvétius intitulé l'« Homme » : « On ne s'est jamais demandé, dit-il, pourquoi les lois et les mœurs chinoises se sont maintenues au milieu des invasions de cet Empire ; le voici : c'est qu'il ne faut qu'une poignée d'hommes pour conquérir la Chine, et qu'il en faudrait des millions pour la changer. Soixante mille hommes se sont emparés de cette contrée ; qu'y deviennent-ils ? Ils se sont dispersés entre soixante millions, c'est mille hommes pour chaque million ; or, croit-on que mille hommes puissent changer les lois, les mœurs, les usages, les coutumes d'un million d'hommes ? Le vainqueur se conforme au vaincu, dont la masse le domine : c'est un ruisseau d'eau douce qui se perd dans une mer d'eau salée, une goutte d'eau qui tombe dans un tonneau d'esprit de vin. La durée du gouvernement chinois est une conséquence nécessaire non de sa bonté, mais bien de l'excessive population de la contrée ; et tant que cette cause subsistera, l'Empire changera de maîtres sans changer de constitution : les Tartares se feront Chinois, mais les Chinois ne se feront pas Tartares. Je ne connais que la superstition d'un vainqueur intolérant qui pût ébranler l'administration et les lois nationales, parce que cette fureur religieuse est capable des choses les plus extraordinaires, comme de massacrer en une nuit plusieurs p.121 milliers de dissidents. Une religion nouvelle ne s'introduit pas, chez aucun peuple, sans révolution dans la législation et les mœurs. Garantissez la Chine de cet événement, répondez-moi que les enfants de quelque empereur ne se partageront point ce vaste pays, et ne craignez rien ni pour les progrès de sa population, ni pour la durée de ses mœurs. * C'est en Chine que Jean-Jacques Rousseau cherchera le principal argument de son Discours sur cette question : Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les mœurs ? « Mais pourquoi chercher dans des temps reculés des preuves d'une vérité dont nous avons sous nos yeux des témoignages subsistants ?, écrit-il. Il est en Asie une contrée immense où les lettres honorées conduisent aux premières dignités de l'État. Si les sciences épuraient les mœurs, si elles apprenaient aux hommes à verser leur sang pour la patrie, si elles animaient le courage, les peuples de la Chine devraient être sages, libres et invincibles. Mais il n'y a point de vice qui ne les domine, point de crime qui ne leur soit familier ; si les lumières des ministres, ni la prétendue sagesse des lois, ni la multitude des habitants de p.122 ce vaste empire, n'ont pu le garantir du joug du Tartare ignorant et grossier, de quoi lui ont servi tous ses savants ? Quel fruit a-t-il retiré des honneurs dont ils sont comblés ? serait-ce d'être peuplé d'esclaves et de méchants ? Dans la Nouvelle Héloïse, Rousseau ajoutera encore quelques touches à ce portrait déjà si peu flatté du Chinois : « Autant de fois conquis qu'attaqué, il fut toujours en proie au premier venu, et le sera jusqu'à la fin des siècles. Je l'ai trouvé digne de son sort, n'ayant pas même le courage d'en gémir. Lettré, lâche, hypocrite et charlatan ; parlant beaucoup sans rien dire, plein d'esprit sans aucun génie, abondant en signes et stérile en idées ; poli, complimenteur, adroit, fourbe et fripon ; qui met tous les devoirs en étiquettes, toute la morale en simagrées, et ne connaît d'autre humanité que les salutations et les révérences. Et comme le philosophe de Genève n'est pas toujours conséquent avec lui-même, ailleurs, dans le Discours sur l'Économie politique, il fera le plus bel éloge de l'administration et de la justice chinoises : « À la Chine, le prince a pour maxime constante p.123 de donner le tort à ses officiers dans toutes les altercations qui s'élèvent entre eux et le peuple. Le pain est-il cher dans une province, l'intendant est mis en prison. Se fait-il dans une autre une émeute, le gouverneur est cassé, et chaque mandarin répond sur sa tête de tout le mal qui arrive dans son département. Ce n'est pas qu'on n'examine ensuite l'affaire dans un procès régulier ; mais une longue expérience en a fait prévenir ainsi le jugement. L'on a rarement en cela quelque injustice à réparer et l'Empereur, persuadé que la clameur publique ne s'élève jamais sans sujet, démêle toujours, au travers des cris séditieux qu'il punit, de justes griefs qu'il redresse. * Comme on pouvait le supposer, les lectures de Montesquieu sont vastes ; il connaît non seulement la Description de la Chine de Du Halde, mais aussi les traductions des Livres classiques chinois qui sont insérées dans ce grand ouvrage, les Lettres édifiantes, le Journal de Lange, envoyé russe à Pe-King. De nombreux chapitres de l'Esprit des Lois sont consacrés à la Chine. Montesquieu n'est ni un admirateur ni un dénigreur de parti pris ; à l'opinion favorable des missionnaires jésuites, il oppose les renseignements des p.124 commerçants ou de marins comme Lord Anson ; il admire la fête du labourage et il a la sagesse de ne pas se lancer dans les lieux communs ordinaires sur la cruauté des Chinois dans un pays qui assistera impassible au supplice inouï de Damiens. Toutefois, si les jugements de Montesquieu sont sages et pondérés, et il ne saurait en être autrement, je ne puis l'approuver quand il écrit 1 : « Leur vie précaire fait qu'ils ont une activité prodigieuse, et un désir excessif du gain, qu'aucune nation commerçante ne peut se fier à eux. Cette infidélité reconnue leur a conservé le commerce du Japon : aucun négociant d'Europe n'a osé entreprendre de le faire sous leur nom, quelque facilité qu'il y eût à l'entreprendre par leurs provinces maritimes du nord. Mon expérience, qui est celle de beaucoup d'autres, est au contraire que le commerçant chinois est fort honnête. * Helvétius fait naturellement quelques allusions aux Chinois, mais l'auteur De l'Esprit n'a écrit à leur sujet que des remarques beaucoup moins intéressantes qu'on ne l'aurait pu supposer, et somme toute, assez insignifiantes. p.125 Lesage, avec d'Orneval, après Regnard, fit monter la Chine sur les tréteaux du Théâtre de la Foire ; en février 1723, la troupe du sieur Restier donnait à la Foire de Saint-Germain Arlequin Barbet, Pagode et Médecin, « Pièce Chinoise de deux actes en Monologue » ; le théâtre représentait « les dehors du palais du Roy de la Chine » ; les principaux personnages étaient : le Roy de la Chine, la Princesse sa fille, l'esclave favorite de la princesse, le Colao, ministre chinois, le prince du Japon, Arlequin son valet, etc. À la fin de la pièce, le prince et la princesse étant bien élevés, vont se jeter, suivant la tradition, aux pieds du Roi qui leur dit : Pardonaou, Levaou, divertissaou, dansaou ; on danse et la pièce finit. Elle est restée inédite 1, mais en 1729, les mêmes auteurs donnaient à la foire Saint-Laurent, La Princesse de la Chine, pièce en trois actes, qui fait partie du recueil imprimé du Théâtre de la Foire 2 ; la scène se passe à « Pequin, capitale de la Chine » ; nous y trouvons une véritable olla podrida de personnages de différentes parties de l'Asie : Le Roy de la Chine, la Princesse Diamantine, sa fille, le Prince de Basta, le Prince Noureddin, Fils du Roi de Visapour, le grand Colao, Arlequin Maître de Danse, Scaramouche, etc. L'inévitable Colao est p.126 une réminiscence des lettres des missionnaires ; on désignait autrefois en Chine sous ce titre le même ministre appelé aujourd'hui Tchong t'ang (Grand secrétaire). Voici les titres de quelques pièces de théâtre, dans lesquelles figurent les Chinois : — Les Chinois. Comédie en cinq actes, Mise au Theâtre par Messieurs Regnard & du F***, & representée pour la premiere fois par les Comediens Italiens du Roy dans leur Hostel de Bourgogne, le treize de Decembre 1692 (Pages 211-278 du T. IV de Le Théâtre italien de Gherardi... À Paris, MDCC, petit in-8). Frontispice. — Arlequin, chasseur, colonel, docteur, chinois, comédien français. — Bibl. Nat. Yf. 5758. — Ibid., à Paris, MDCCXLII, pet. in-8. — Bibl. Nat. Yf. 5782. — Les Chinois, Comedie en un acte, en vers, meslée d'ariettes, Parodie del Cinese. Par M. Naigeon. Representée pour la premiere fois par les Comediens Italiens Ordinaires du Roi, le 18 mars 1756. Le prix est de 24 sols. À Paris, Chez la Veuve Delormel & Fils... Et Prault... MDCCLVI. // Avec privilège du Roi, in-8, pp. 31. — Bibl. Nat. Yth. 3326. — Il Cinese rimpatriato, divertimento scenico, Da rapresentarsi ni Parigi, nel Teatro dell' Opéra, p.127 l'anno 1753. — |
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![]() | ![]() | «Les carnets de Henri Edmond Cross», Bulletin de la Vie Artistique, 15 octobre 1922, p. 470 | |
![]() | 583 Chemin de Milord 40220 tarnos, représenté par M. Chevrat henri et M. Louis Pierre clementi | ![]() | «Tous ceux qui ont fait de grandes choses les ont faites pour sortir d’ une difficulté, d ‘un cul-de-sac…» |
![]() | ![]() | «Gegenreformation und Manierismus», in Repertorium für Kunstwissenschaft, 1925; repris en anglais dans le tome I de Studies in Art,... |