Benchmark international Après avoir étudié les techniques de blocage d’accès, nous présentons dans ce qui suit une analyse comparative internationale des dispositifs de blocage mis en place dans d’autres pays pour lutter contre les accès involontaires à des sites pédopornographiques. Nous nous intéressons aux pays suivants : Royaume Uni, Australie, Pays-Bas, Italie, Norvège, Suède et Canada, qui ont été retenus sur la base de leur avancement sur la question de blocage des sites pédopornographiques. Les cas danois, belge et allemand sont examinés très rapidement. Pour chaque pays sont abordés :
le panorama internet (pénétration Internet, nombre de FAI…)
le cadre législatif et réglementaire entourant la mise en place de mécanismes de blocage d’accès
les caractéristiques opérationnelles de ces dispositifs, en termes de contenu à bloquer, de taille de la liste noire, de fréquence de mise à jour
A l’issue de cette analyse, nous faisons une synthèse des principales caractéristiques d’ordre légal et opérationnel pour chacun des pays de l’échantillon, dans le but d’éclairer sur les tendances amorcées dans ces pays et permettre de tirer les enseignements pertinents pour le cas français.
Le Royaume-Uni Profil pays Le Royaume-Uni fait partie des pays les plus avancés en matière d’internet, que ce soit en termes de développement de ce service ou de son encadrement par les autorités afin de prévenir de son détournement à de mauvaises fins. En 2008, le Royaume-Uni comptait plus de 43 millions d’utilisateurs d’internet pour une population estimée à près de 61 millions d’habitants, soit une pénétration de près de 71%. Le nombre d’accès internet haut débit, essentiellement DSL (78%) et câble (21%), s’élevait à 16,7 millions d’accès, soit une pénétration du haut débit par rapport à la population de 27,6%. A l’image du marché mobile qui compte 5 opérateurs (sans compter les MVNO), le marché du haut débit a connu une forte croissance depuis 2002 et compte plus de 100 FAI, qui pour l’essentiel sont des acteurs régionaux de petite taille utilisant les offres de dégroupage/Bitstream de BT.
Contexte juridique La législation du Royaume-Uni relative aux contenus d’abus sexuels sur enfants est définie à travers trois textes de loi et amendement :
La loi sur la protection de l’enfance de 1978 applicable en Angleterre et au Pays de Galles
La loi de gouvernement civique de 1982 applicable en Ecosse
La loi sur les délits sexuels de 2003 qui amende la loi de 1978 sur le même périmètre géographique
En vertu de la loi de 2003 relative à la condamnation des agressions à caractère sexuel, et qui amende la loi de 1978, il relève du délit de détenir, de produire, de distribuer, de montrer, de posséder intentionnellement ou de contribuer à la publication d’images et de représentations indécentes de mineurs en dessous de 18 ans.
Produire inclut également le téléchargement, qui constitue une reproduction de contenu sur ordinateur, et par conséquent accéder à de tels contenus en ligne constitue un acte criminel. Dans le cadre de l’article 46 de la loi de 2003 sur les délits sexuels, un mémorandum d’accord a été ratifié par les services centraux de la police britannique et le ministère de la justice par lequel les parties reconnaissent la nécessité de garantir la protection des individus et des services (professionnels) impliqués dans la gestion des réseaux de communication dans le but de lutter contre la création et la distribution d’images à caractère pédopornographique. Ce mémorandum aide à clarifier la position de ces professionnels, qui s’exposent à des délits dans le cadre de leur exercice. La régulation des contenus fournis à travers les réseaux électroniques est expressément exclue des attributions de l’Ofcom en tant que régulateur des télécommunications, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les Communications (Comité des sciences et de la technologie de la Chambre des lords, du 27 juillet 2007). Dans ce contexte, l’IWF17 fait office d’agence indépendante de régulation des contenus sur internet, depuis sa création en 1996. L’IWF est financée par l’UE et par l’industrie de l’internet y compris par les FAI et les opérateurs mobiles. L’IWF se fixe pour principaux objectifs de:
Réduire les occasions que des internautes innocents visualisent accidentellement des images jugées illégales.
Rendre plus difficile l’accessibilité à ces contenus par des utilisateurs qui les recherchent de manière délibérée.
Réduire la commercialisation de ces contenus par des organisations criminelles ciblant les internautes du Royaume-Uni.
Cependant les attributions de l’IWF couvrent un périmètre plus large que celui des abus sur enfants. Il s’étend également à la lutte contre la diffusion sur internet d’images criminelles à caractère obscène et de contenus appelant à la haine raciale, mais cette fois-ci sur le territoire du Royaume-Uni uniquement. L’IWF travaille en partenariat avec les FAI, les autorités judicaires, le gouvernement, les associations et les partenaires internationaux pour veiller à limiter la disponibilité au Royaume-Uni de contenus illicites et en particulier ceux mettant en évidence des abus sexuels sur enfants, et ce quel que soit leur lieu d’hébergement à travers la toile. L’IWF est citée comme l’autorité de référence pour la lutte contre la pédopornographie sur internet, et ses actions sont suivies de près par les pays scandinaves (Suède, Norvège, Finlande, Danemark), l’Australie et le Canada. Selon elle, ses actions depuis sa création, auraient permis de réduire de 18% en 1997 à moins de 1% en 2003, les contenus pédopornographiques hébergés au Royaume-Uni. A l’origine, l’IWF n’avait qu’un rôle de ligne d’information autour des dangers d’internet de recueil de plaintes et de signalements de contenus illicites sur internet.
Aujourd’hui, pour faire face aux contenus disponibles depuis l’étranger, l’IWF met à disposition de ses partenaires, FAI, mais aussi fournisseurs de solution de blocage et moteurs de recherche, une liste noire d’URL pointant vers des sites contenant potentiellement des contenus d’abus sexuels sur mineurs et en particulier des images.
Mise en place des dispositifs de blocage d’accès Le premier système de blocage d’accès mis en place au Royaume-Uni est le système BT Cleanfeed18 qui a vu le jour en 2004 et dont le vrai nom est BT Anti Child Abuse Initiative. Un tel système est de type hybride. Il permet de bloquer les sites dont les URL font partie de la liste noire établie par l’IWF. Selon le commentaire de Richard Clayton19, « le système BT Cleanfeed a été conçu pour être précis dans ce qu’il devait bloquer, et afin de limiter les coûts, il opère un traitement spécial à une partie du trafic seulement, qui représente le trafic suspect. » En Novembre 2006, cinq des plus grands FAI du Royaume-Uni, BT, NTL, AOL, Tiscali et Orange fournissant 75% des accès haut débit, avaient entrepris volontairement des mesures visant à bloquer l’accès aux sites figurant sur la liste de l’IWF. Fin 2007, 90% des accès haut débit étaient concernés. Début 2009, il y avait encore des FAI réfractaires à l’implémentation de blocage d’accès, car ils estiment que la liste noire de l’IWF ne permet pas d’empêcher ceux qui veulent accéder à ces contenus d’y accéder au final ; des utilisateurs avec un minimum de compétences techniques pouvant facilement déjouer le blocage.
Modalités de mise en œuvre Le blocage reste un dispositif volontaire et non obligatoire au Royaume-Uni même si les pouvoirs publics mettent toute la pression pour son adoption (le député Vernon Coaker a estimé que tous les FAI avaient pour devoir de protéger leurs clients contre des contenus à caractère pédopornographique et a menacé de légiférer). Le choix de la technologie de blocage reste ouvert, et chaque FAI libre de choisir la technologie la plus adaptée à son réseau : certains utilisent un blocage hybride, d’autres un blocage DPI. La constitution de la liste noire de l’IWF est basée en grande partie sur les signalements des internautes. Pour qu’un contenu soit intégré à la liste noire, il faut que le site contienne des images d’abus sur enfants considérés comme illégaux au regard de la loi du Royaume-Uni. Si ces images se trouvent sur la page d’accueil d’un site, c’est tout le site qui sera bloqué.
La liste contient entre 800 et 1000 URL à chaque instant. Elle est mise à jour deux fois par jour et envoyée aux FAI qui l’injectent dans leur dispositif de blocage propre.
La mise en œuvre du système de blocage génère pour un million d’abonnés environ 200 millions de requêtes par mois et bloque environ 400 000 URL. La mise à disposition des listes aux FAI a un coût qui va de 500£ à 5,000£ par an et par FAI.
L’IWF s’est engagée auprès des FAI à ce que sa liste noire ne dépasse pas le millier d’URL.
La liste est également diffusée à Google afin que les sites en question, n’apparaissent plus en résultat de recherche. Au Royaume-Uni, la directive E-commerce ne s’applique qu’aux contenus hébergés sur le territoire national. Les FAI et hébergeurs reçoivent des réquisitions de suppression de contenus de leurs serveurs qu’ils doivent exécuter promptement. En pratique, cela se fait en moins de 2h. S’agissant des contenus hébergés à l’étranger, l’IWF les intègre à la liste noire des sites à filtrer. Le processus d’établissement de la liste noire IWF a fait l’objet d’audits indépendants et a été certifié par d’éminents professionnels comme étant en ligne avec les meilleures pratiques en la matière. Il prévoit par exemple que les propriétaires de sites hébergeant des contenus illégaux puissent faire appel du blocage. Des formations réciproques entre membres de l’IWF et des services de police sont mises en place régulièrement. Les URL sont évaluées en accord avec les dispositions de la loi du Royaume-Uni, et les images sont classées selon les critères mis en place par le conseil consultatif des peines (Sentencing Advisory Council).
Limites et critiques des mécanismes de blocage Le système BT Cleanfeed fait l’objet de nombreuses critiques. La première d’entre elles concerne la manière dont les internautes sont informés du blocage. Le message d’erreur 404 renvoyé à l’utilisateur en cas de blocage de la page web, ne permet pas à l’utilisateur de connaître la raison de l’échec de la connexion. Les utilisateurs qui ne sont pas prévenus du caractère illicite du contenu auquel ils cherchent à accéder, auront tendance à réessayer et tenter d’accéder à d’autres pages sur le même site et qui sont également bloquées. Fin 2008 et début 2009, des critiques se sont élevées contre la liste noire de l’IWF et les FAI opérant ces blocages, à cause des effets du surblocage de contenus dits inoffensifs. Entre le 5 et le 8 décembre 2008, c’est Wikipedia qui a été bloqué. Début janvier 2009, c’est le service « Wayback Machine », une sorte de machine à remonter le temps pour surfer sur des anciennes pages sauvegardées en archives, qui a fait l’objet d’un blocage par le FAI anglais Demon filiale de Cable&Wireless. Ces incidents s’ajoutent à d’autres qui les ont précédés, et servent d’arguments pour les partisans d’un internet sans censure, pour condamner la mise en place du blocage. Dans ce contexte, le mémorandum lié à l’article 46 de la loi de 2003 constitue une certaine forme d’immunité pour l’IWF et les FAI.
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