télécharger 0.53 Mb.
|
MAX-FIRMIN LECLERC *** LA RÉPUBLIQUE DU MÉPRIS ou LE CIMETIÈRE DES CRABES Roman *** N’ayez pas peur ! Le courage n’est pas une maladie contagieuse… YANG XAM TAO Philosophe chinois de XV ème Siècle. *** A toutes les victimes de la Télévision passées, présentes….et futures. M-F.L. *** P R É F A C E pour l’édition de 2010. Ce livre a paru pour la première fois en 1975 sous le titre : « La République du Mépris ». Une jeune maison d’édition m’a proposé de rééditer ce livre : j’ai accepté avec une certaine jubilation. D’autant plus que, récemment, un professeur intégriste a plagié ce titre en « méprisant » des associations ou organisations dignes de respect. Je ne veux pas polémiquer et j’ai choisi de prendre un titre « double », comme au Grand Siècle, pour cette seconde édition. De même, comme j’ai trouvé plusieurs homonymes sur la « Toile », j’ai ajouté mon deuxième prénom qui est aussi celui de mon grand-père, artisan-tonnelier. Voici donc « La République du Mépris ou Le Cimetière des Crabes ». Le grand poète et philosophe persan, Ahmadinedjad, contemporain de Montesquieu, m’a inspiré ce titre anti-plagiat : « Assieds-toi à la porte du cimetière, et attends de voir passer le cadavre de ceux qui t’ont ruiné ». Autrefois, certains lecteurs innocents m’ont demandé les noms des individus qui s’agitent et se nuisent dans ce « panier de crabes ». Aujourd’hui, les protagonistes de cette Télévision de l’âge glaciaire sont morts ou dans un état voisin. D’ailleurs, qu’importe les noms véritables, puisque de tels personnages ont vraiment vécu, puis ont disparu dans les scories de l’Histoire de la Télévision… et ont été remplacés par d’autres qui perpétuent la même filiation… Et les crabes ont proliféré de plus belle ! Oui, lecteurs et téléspectateurs du XXIème siècle, cette Télévision a bien existé… au siècle précédent…… Max-Firmin LECLERC. 1er Janvier 2010. *** Cette histoire se passe dans un pays imaginaire d'Europe. Toute ressemblance des personnages avec des personnes vivantes ou mortes serait purement fortuite ou accidentelle. Il est bien évident que de tels faits ne pourraient pas se produire dans un pays comme la France, où l'on respecte particulièrement la Liberté de l'Individu et la Dignité humaine. *** Déjà une petite heure que je roule dans la bruine, face aux phares jaunes des couillons processionnaires qui foncent s'entasser dans les usines et les bureaux de la capitale. Mon moulin ronronne en avalant ses cent-dix, cent-quinze kilomètres à l'heure, ma vitesse de croisière. De temps en temps, il faut que j'appuie sur le frein pour permettre à une chenille aux gros yeux éblouissants de réintégrer sa colonne. Signe annonciateur du mauvais temps, une aube maigre se lève en se nimbant dans un halo rougeâtre, à travers des nuages effilochés, légèrement sur ma gauche, au-delà des caténaires et des poteaux noirs de la ligne de chemin de fer. Dans quelques jours, ce sera le printemps : sacré printemps ! Je la connais bien cette route du Sud-Ouest. J'y passe régulièrement depuis un an et demi, depuis que j'ai acheté une ferme là-bas. Oh ! pas une grosse ferme ! Non ! quinze hectares avec trois centaines de pruniers et un peu de vigne. Le déficit permanent, mais un havre de paix !... En cadence, mes essuie-glace lèchent consciencieusement la pluie boueuse qui dessine ses rameaux sur le pare-brise. Parfois, un camion lance une bonne giclée d'eau, à la manière d'un accessoiriste qui, dans une scène de tempête, envoie d'un seul coup le contenu de son seau. Je suis très calme, très sûr de moi. Après des jours d'hésitations, de tergiversations, après une dernière nuit sans sommeil, j'ai pris la décision suprême. Machinalement, j'ai jeté dans ma valise mon pyjama et ma brosse à dents — un vieux réflexe de voyageur, car je n'en aurai plus guère besoin ! En tournant en rond dans mon appartement, j'ai attendu six heures pour prendre la route — encore une habitude ! — Il y a plus de trois ans, j'ai filmé le président de la Prévention Routière et ses chiffres se sont gravés dans ma mémoire : 60 % des accidents se produisent la nuit, pour une circulation inférieure à 20 %. Depuis que j'ai réalisé cette émission, je ne roule plus pendant la nuit ! Mais est-ce que cela peut avoir de l'importance, maintenant ? Parce que ma tête a cessé de plaire, je me retrouve chômeur à quarante-six ans. Mon compte en banque est à sec et mes traites vont bientôt m'aboyer aux fesses. *** Un village à traverser. Il faut ralentir. Je n'ai jamais vu de poulets par ici, mais il suffit d'une fois. Et surtout, je n'ai pas envie de discutailler avec la flicaille. En retournant mes pensées dans ma tête, cette nuit, a jailli l'idée du pistolet qui est caché dans ma ferme, un sept-soixante-cinq que j'ai rapporté de la dernière guerre. Revoir ma terre, et mourir là-bas ! Ça peut paraître idiot de faire six-cents bornes pour se démolir avec un parabellum alors qu'il y a bien d'autres moyens. Mais, après tout, ça me regarde, non ? Et puis, l'arme à feu, n'est-ce pas encore une façon de mourir debout comme un combattant, quand on a vécu debout ? Lorsque j'ai pris ma résolution, je pensais à une chasse. Un gibier. Un lièvre. Ou plutôt un cerf. Sans doute les chasseurs manquent-ils d'imagination ? Sinon, ce sont des gens cruels. Je me représentais, mieux, j'étais le cerf, traqué, poursuivi, et qui courait, et qui s'essoufflait... Comme lui, je me suis senti seul, cerné de toutes parts, acculé au suicide. Je n'aimais pas ce mot, suicide, quand je menais une vie normale. Il me semblait exprimer une maladie honteuse. A présent que je l'ai apprivoisé, il me paraît un terme aimable, comme fleur ou libellule. Et le cerf, encerclé par la meute, s'était arrêté, haletant, noble et digne... Mais non, ma comparaison avec un cerf était ridicule. La société m'avait pris, avait exprimé de moi tout ce qui pouvait la nourrir, et maintenant, elle me jetait après usage. J'étais à peine un citron pressé ! Et un citron pressé, un !... *** Les circonstances qui m'ont conduit au chômage ont commencé par une valse-hésitation. J'en avais entendu parler la veille par des bruits de couloir - dans la boîte, rien dans les bureaux, tout dans les couloirs ! - Puis le Journal du Soir, publie en gros titres : Gropetto, directeur de l'information de la première chaîne, et Gaudriol, directrice de l'information de la seconde chaîne. Un vrai paveton dans le panier de crabes ! Le Rouge et la Jaune ! *** Je pénètre dans les faubourgs d'Olens. La clarté sale est suffisante pour distinguer les usines qui se dressent de chaque côté de la route. Tiens, justement, des machines agricoles ! J'espère qu'ils ont l'adresse : il va leur falloir des moissonneuses pour couper leurs lauriers ! Je me sens détendu, déjà détaché de la terre. Je regarde de très haut ce petit monde, semblable au passager d'un avion qui voit les autos grosses comme des coccinelles. C'est charmant des coccinelles, des bêtes à Bon Dieu ! J'aperçois toutes ces fourmis humaines qui s'agitent vainement. Et tout cela me paraît tellement mesquin, grotesque ! Les nominations étaient encore au conditionnel... Alors les inconditionnels et les zuzus en place, les journalistes bons teints de la Majorité, tous ceux qui avaient résisté pendant les événements de mai-juin, ont vite embouteillé les téléphones des députés, lesquels ont embouteillé les téléphones des ministres, et même du Premier, Cabanas, pour faire annuler la nomination de Gropetto. Pourquoi d'ailleurs le Premier ministre, qui avait promis de soumettre au Parlement une réforme totale de la radio et de la télévision, se lançait-il brusquement dans un bouleversement personnel et autoritaire de la seule information, sans consultation préalable du Parlement ? - Ce projet de réforme à discuter, on n'en parle plus du tout : obsèques nationales et bouches cousues ! Qui avait pu lui conseiller une décision pareille ? Il n'y avait pourtant pas le feu ! Ça ronronnait doucement, et ça ne trompait plus personne ! Diviser les parlementaires et l'opinion publique pour essayer de réduire de quelques mois la vie de la pétaudière, c'était prendre un risque superfétatoire. En outre, en pleine période d'austérité et d'autorité financières, la plaisanterie allait coûter plus de deux milliards supplémentaires par an aux bonnes poires de contribuables. Curieux empressement à croquer le fric de la nation, non ? Etait prévue pour le 19 septembre 1969 à dix heures, la conférence de presse du directeur général qui devait apporter l'annonce officielle des nominations à un pays concupiscent d'objectivité. Ça devait barder dans les ministères ! La conférence fut inopinément remise à seize heures : il fallait voir la tête des personnalités et des journalistes spécialisés invités à écouter la bonne parole. Il fallait entendre leurs commentaires courtois ! Ça continuait à barder de plus en plus : elle fut annulée sine die ! Je me demande maintenant si finalement elle a eu lieu pendant les jours qui ont suivi. Sûrement pas ! Que pouvait faire Cabanas ? Continuer, c'était introduire le loup Gropetto dans la bergerie du régime, comme on lui criait de toutes parts : rappelez-vous son attitude en mai ! Un gaugau ! Et un des plus violents ! Vous livrez la première chaîne à l'opposition ! Vous sciez la branche sur laquelle notre société est assise ! Vous sonnez le glas de la République ! Objectivement comme ils disaient, il est vrai qu'en cas de grèves, la première chaîne continuant d'émettre des informations, grâce à des accords syndicaux anciens, ce serait soit le panégyrique des grévistes, soit l'épreuve de force. Mais faire machine arrière, c'était céder aux pressions, abdiquer son autorité, provoquer une campagne de presse. Le Premier ministre ne céda point. Avec un peu de recul, je crois que, vu de son optique, c'était assez diabolique : il " achetait " la complicité du plus virulent. Dame, près de deux briques par mois ! Sans compter le cumul d'émissions et les tours de bâtons à doubler au moins la mise ! Ça permet d'isoler sa conscience dans un douillet coussin de billets de banque. Cabanas, couturière géniale, brodait des franges d'or jaune sur le drapeau rouge.. *** Deux heures que je roule. De chaque côté de la route défilent des bois de bouleaux, jaillissements de troncs blancs tachés de noir s'épanouissant en plumets de brindilles aubergine. Le ciel est plus clair, sillonné de gros cumulus boudinés dans leur enveloppe. Mes pneus chuintent sur le goudron encore humide. Chuinter ! J'ai connu un directeur qui disait ça, au lieu de shunter (fondre doucement le son.). Ah ! des directeurs, j'en ai vu passer... Et des gratinés ! Je n'ai pas assez de doigts à mes mains pour les compter. Il faudrait que je prenne mes doigts de pieds pour y arriver, et pour beaucoup, ça conviendrait parfaitement... Enfin merde ! Cette fois, ça sentait le roussi ! D'un côté, pour rester chez Gropetto, je n'étais pas au syndicat coco qui règle la météo dans la boîte. De l'autre, après les événements de mai, la mère Gaudriol, elle, avait nettoyé tout le monde à la radio, une vraie petite ménagère. Elle n'allait pas faire de cadeaux à la télé. Le cul entre deux chaînes, quoi ! Oh ! je n'avais pas fait grève pour renverser le régime, pour instaurer un ordre nouveau, et tous leurs mots bidons. Non ! j'avais simplement marre de la pagaille de la télé, de la direction des minables, des maffias, des combines, des injustices, et tout, et tout... Mon côté Don Quichotte... Il faut dire que c'est le ministre de l'Information de l'époque, un nommé Guenon, ci-devant ministre des Postes, qui avait été le principal fauteur de grève chez nous. Il avait tout simplement oublié qu'il avait changé de portefeuille et il avait confondu cadres et techniciens de la télé et de la radio avec préposés à la distribution du courrier et téléphonistes femelles. (Loin de moi la pensée de minimiser la dignité de ces prolos !) Entre parenthèses, les postiers, la gueule qu'ils ont faite quand on leur a refilé leur ministre après les événements ! Enfin, j'avais vécu ma petite grève pépère, bouffant mes squelettiques économies, me contentant de préparer avec mes amis un projet de protocole pour les réalisateurs, vu que la situation était particulièrement catastrophique dans la profession, qu'il y avait une ribambelle de chômeurs de talent, et que le premier petit con ou la dernière petite putain pouvait faire preuve de son génie sans les critères de l'homologation officielle. Je plaide coupable : je n'ai pas tourné en rond en silence avec des pancartes autour de la meule de gruyère, je n'ai pas harangué les métallos, ni collé des affiches avec des ellipses de fil de fer barbelé ou des flics casqués parlant au micro. Un vrai plouc, quoi ! Et tout corniaud que je suis, j'ai même été content quand j'ai appris qu'on avait lessivé le directeur de la télévision, une ancienne barbouze avec un nom macaroni qui avait atterri là, on ne sait pourquoi, et qui dormait au septième étage depuis neuf ou dix mois et que personne n'avait jamais vu. J'ai toujours pensé que c'était une belle victoire républicaine ! L'autre jour, dans les couloirs du métro, j'ai vu un clochard qui lui ressemblait vachement : même tiers de Brie et yeux de veau. Indifférent à la foule qui grouillait, assis sur un pliant, il s'apprenait à jouer de l'accordéon. A la réflexion, ce ne devait pas être lui : on avait dû le recaser mieux que ça ! *** Dans la clairière semi-circulaire, le relais routier est une longue maison basse de style néo-paysan, chapeautée d'un toit de chaume, entourée d'une barrière en troncs de bouleaux. La faim mordille mon estomac. Je n'ai rien mangé depuis hier soir, et encore, ça ne ressemblait pas à un repas. Je gare ma voiture le nez face à une petite marre d'eau boueuse que caressent les brindilles jaunes d'un saule pleureur. Ce bistrot, je m'y suis arrêté au mois de septembre dernier. Christine m'accompagnait dans le Sud-Ouest. Il faisait très beau. Il avait fait beau tout l'été. Le soleil allumait ses cheveux blonds. Elle portait une mini-jupe écossaise qui formait une corolle de tulipe retournée autour de ses jambes du tonnerre de Dieu. A donner envie au dernier des enfifrés de remettre la corolle dans le bon sens !... La petite salope ! A Noël, le rat a quitté mon bateau en perdition. Une danseuse qui joue au rat ! Ce serait marrant... si c'était arrivé à un autre. Une fille que j'avais sauvée de la mouise !... Je m'installe à la table où nous étions assis, à proximité de la cheminée de briques rouges où se croisent deux bûches éteintes qui sentent la cendre froide. Debout, devant le bar habillé de demi-rondins de bouleaux, deux routiers en salopettes gesticulent des histoires de chauffards en éclusant un litron de rouge. La patronne, une grassouillette au nez retroussé qui s'active comme un feu follet, m'apporte ma commande. Je penche la théière vers la tasse. Le thé coule lentement par le bec et déborde par le couvercle, c'est toujours comme ça ! Je presse la rondelle de citron sur le fond avec la petite cuillère. Le thé s'éclaircit. Je noie trois morceaux de sucre et je tourne. Les croissants sont rassis. Pourquoi les croissants sont-ils toujours rassis ? Je compte en pianotant du bout des doigts sur la nappe à petits carreaux rouges : sept. Déjà sept mois ! Nous étions ici, face à face, les mains unies entre deux bouchées, sans soucis, heureux... Au premier pépin, l'oiseau s'est envolé. Et il a emporté mon bonheur. Qu'est-ce que ça veut dire le bonheur ? Allez ! il faut te secouer, mon vieux ! Des pépées comme celle-là, ce n'était plus pour ton serin ! Une douleur sourde m'oppresse la poitrine. Ce doit être du côté du cœur. Mais c'est moral : l'écœurement. Elle tourne encore bien rond la pompe. Plus d'un milliard sept-cent millions de battements, sans compter les années bissextiles. Aucune machine construite par l'homme n'aurait résisté. Il n'y a qu'un Dieu qui puisse fabriquer une mécanique aussi parfaite. Hélas ! Dieu - les bons récompensés et les méchants punis - il devait avoir trop de travail pour s'occuper de moi, a fortiori de la télé, c'est pourquoi j'avais l'impression qu'il laissait mouler... Alors, tout seul, il m'a fallu surmonter le dégoût, m'élever au-dessus des mesquineries, suivre les chemins rocailleux de la droiture, de la loyauté, de la dignité... *** La route. La route droite. La route plate sur laquelle sont greffés de temps en temps de petits villages somnolents... Les nominations entérinées, il n'y avait plus qu'à laisser venir les nouveaux |
![]() | «espèce» de maladie sans en être une, non ? Non ! Ah bon C’est psy alors non ? Non ! | ![]() | «ce n’est pas seulement l’absence de maladie, mais le bien-être physique, mental, social» (oms). Cette définition est très large |
![]() | «J'ai commencé à publier quelques années après Françoise Sagan. C'est elle qui m'a donné le courage de le faire. Elle avait pourtant... | ![]() | «non collationné». Pour les autres, c’est-à-dire la majorité, les planches hors texte font l’objet d’une vérification mais le texte... |
![]() | «non collationné». Pour les autres, c’est-à-dire la majorité, les planches hors texte font l’objet d’une vérification mais le texte... | ![]() | «non collationné». Pour les autres, c’est-à-dire la majorité, les planches hors texte font l’objet d’une vérification mais le texte... |
![]() | «L’information n’est pas le savoir. Le savoir n’est pas la sagesse. La sagesse n’est pas la beauté. La beauté n’est pas l’amour.... | ![]() | «Ne pas m’aimer ! Ah ! je suis sûr d’elle. Marcelle est une réfléchie, elle ne se livre pas. Mais elle est bonne et elle m’aime.»... |
![]() | «purge». Lecouvreur hochait la tête avec gravité. IL devait, pensa-t-il, s’agir d’une maladie | ![]() | «Le secret du bonheur, c’est la liberté. Le secret de la liberté, c’est le courage.» |