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« L’incestuée » Hélène Natier « On entend l’arbre qui tombe mais pas la forêt qui pousse. » -Proverbe africain -
Des cris des écorchures des membres arrachés et des lambeaux de chair crue ! Des yeux exorbités, du sang frais qui gicle et des couteaux qui valsent ! Je ne pouvais décidemment pas prendre le volant. Au début, c’était soft et pas tellement fréquent et plus j’avançais, plus l’image s’est faite fine et réaliste, l’hallucination devenait vraiment présente au point que, parfois même, je devais par la force des choses, m’arrêter et souffler, reprendre mes esprits, m’assurer que cela n’était pas véritablement en train de se produire, j’ai bien dû m’y résoudre, j’ai cessé de conduire. Je sentais trop en moi le brûlant de la lame qui labourait mes chairs et embrouillait ma vue. Je craignais la folie, pourtant j’étais lucide. Un jour, bien plus tard, elles disparurent comme elles étaient venues, comme par magie et j’ai pu à nouveau et enfin »conduire ma vie ». Des signes de ce genre, j’en avais à la pelle. Ici, les hallucinations, là les comportements étranges et là tous les fantasmes, les phobies, les cauchemars, les actes manqués ; il y en avait pléthore, j’étais ce qu’on peut appeler vraiment un cas clinique ; pourtant je menais ma vie, la rage au ventre, et ce n’était même pas les crampes à hurler de douleur, ni les maux de ventre, ni les migraines à répétition, ni même la voix en moi qui, parfois, se faisait entendre, ni les différentes somatisations et différents passages sur la table d’opération qui eurent raison et qui m’ont alertée. Je faisais bien en sorte de ne pas les entendre et de ne pas les voir, ou du moins, de ne pas y prêter trop d’importance. Ce qui, par contre, m’a fait comprendre, avec le temps, qu’il devait bien y avoir un problème de taille qui m’échappait, c’était ma difficulté à m’exprimer au travers de mon sexe. J’avais beaucoup de mal, et de plus en plus, à atteindre le plaisir et mes relations sexuelles avec Jacques étaient source de souffrances, lancinantes, brûlantes. Il m’aimait, me désirait, aimait mon corps bien plus que moi-même ne cessait de le dire et de le lui prouver mais au fur et à mesure que les années passaient, c’était pour moi une véritable épreuve que de faire l’amour et d’être pénétrée. Ca chauffait, ça arrachait, ça déchirait tout au passage, du moins est-ce l’impression physique que j’en avais, je le vivais comme si on me labourait, comme si on me violait comme si j’allais périr, à tel point que nous devions espacer nos rapports, à tel point qu’il a fini par croire que ça ne m’intéressait pas , que ce n’était pas pour moi et que je n’étais pas cette déesse de l’amour qu’il voulait tant voir en moi. Au début, j’avais mis ça sur le compte de ma première grossesse qui avait été à haut risque, mon corps n’avait pas fabriqué de liquide amniotique ou si peu et, mis à part que pour l’enfant en mon sein ce n’était pas Bysance, l’accouchement fut plutôt sec et les dégâts, à la naissance, assez importants. Cela a pris pas mal de temps d’ailleurs pour se remettre en place, pour cicatriser de l’intérieur et puis, miracle de la nature tout était rentré dans l’ordre, du moins apparemment. Là, pourtant, ça allait encore, je pouvais trouver du plaisir dans nos relations intimes, d’une manière étrange, certes, je n’étais jamais vraiment là, jamais présente tout à fait à ce que je faisais. Il se passait un phénomène étrange, troublant, puissant comme si je me scindais en deux pour ne pas en être, comme si je ne pouvais pas y être, ; je plongeais, sans même pouvoir agir dessus comme conditionnée dans un autre univers complètement fantasmagorique peuplé de rois, de reines de gardes et de tortures, d’offrandes, d’humiliations, pas d’autres voies possibles pas d’issue, c’était comme mécanique et ce n’est qu’à ce prix que je pouvais jouir ; j’ai compris bien plus tard ces phénomènes étranges, quand j’ai pu enfin mettre un mot dessus, bien plus tard, oui, bien plus tard et par chance pas trop tard non plus. PREMIERE PARTIE On a tous besoin de souvenirs pour savoir qui on est. « J’étais mon propre obstacle et je me trouvais sans cesse sur mon chemin. » -Chateaubriand-
Elle m’a mise au monde parce qu’elle n’a pas eu le choix comme elle me le dira, à la veille de mon premier accouchement : « C’est bien rentré, il faut que ça sorte ! ». Elle m’a mise au monde, dans des douleurs inextricables qui ont duré des heures, à l’époque dans ces années-là, les années soixante, on ne piquait pas les femmes pour leur épargner le feu au bas-ventre. Elle a tenu bon dans des cris de fauves qu’on égorge, plus pour sauver sa peau que donner sens à la mienne, car après des heures d’un travail assidu et sans doute n’en pouvant plus c’est dans un effroyable : « Qu’elle meure ! » que je suis venue au monde plus morte que vive, transie de peur. J’ai lutté tant et tant pour sortir de cette matrice et il me faudra en années ce que cela a pris en heures pour en sortir vraiment et pour de bon cette fois ! Au fond j’avais déjà là toute les réponses, sans le savoir, tout était dit. Je suis née bleue, étranglée par le cordon nourricier déjà assassin et le crâne amolli d’avoir trop poussé pour en sortir pour en sortir entière. Elle n’a pas eu la force de porter, ne serait-ce qu’un instant, un regard sur moi petit être bleui jusqu’à la moelle, sans défense, ignoré. Elle ne pouvait déjà pas m’aimer, ne l’avait jamais pu déjà en elle-même, alors pas plus, une fois mis à bas. Elle ne m’a pas pris contre son cœur et ne m’a pas nourrie ni de son affection, ni de son lait transparent, la poitrine horriblement bandée, à sa demande, pour éviter toute montée naturelle qui aurait pu être une nourriture pour moi, de qualité et humaine. Conçue dans l’horreur, venue dans la douleur, rescapée de l’indicible, tout mon cœur et mon corps en garde encore les stigmates et, dès cet instant, sans nul doute, je n’ai eu cesse de la satisfaire désespérément dans ses moindres désirs et dans toute l’immensité de sa folie à laquelle j’avais goûté in utéro déjà. J’incarnais, sans pouvoir rien y faire, le péché originel, le fruit du défendu et de la faute et je n’aurais de cesse de pourvoir à pouvoir exister pour elle. Mais en vain. Mon père, mettant sans doute sur le compte de l’épuisement les gestes appuyés de rejet envers son propre enfant de cette femme, que j’appellerai maman et qu’il adorait au-delà de tout, m’a prise dans ses bras et m’a cajolée maladroitement lui-même si handicapé de l’affectif et ne sachant pas trop quoi faire avec ses grandes mains râpeuses et poilues de ce petit corps hurlant au crâne ballotant. C’est à lui et à son amour de la chasse que je dois le choix de mon prénom, maman n’avait pas songé à un prénom de fille, au pire aurait-elle mieux accepté un garçon qui aurait eu l’étonnante surprise de se prénommer Clovis ! Elle dû accepter bon gré mal gré une petite Diane ! Diane Duchêne, plutôt joli, plein de promesses… Je n’ai pourtant pas eu de vie de nouveau-né, pas plus que je n’aurais de vie de petite fille et pas davantage d’adolescente et bien difficilement et de haute lutte de femme, dès le départ et pendant trop longtemps je n’ai pas existé et j’ai toujours, au fond de moi, ce cri étouffé cet assourdissant râle cette supplique muette résonnant au fond de mes entrailles, un appel au secours, un appel à l’amour, un appel à la vie. Il y a eu ensuite le ballet inévitable de la famille agrandie venant voir l’espèce de petit monstre, la tête enchâssée dans une couche de coton immaculé, les traits faisant la grimace, déformés par le passage vaginal. Ma grand-mère maternelle flanquée de sa propre mère qui ne la quittait jamais, qui était si vieille et courbée qu’on aurait dit qu’elle portait, à elle seule, tous les maux de la terre, un chignon gris une robe grise un teint gris et un cœur de silex ; elle m’était apparue pour la première fois ainsi, c’est elle qui avait élevé ma mère, puisque la légitime devait travailler dur aux champs et ne pouvait donc pas s’occuper, comme il se devait, de sa progéniture ; rien de plus naturel dans une famille de paysans, tout le monde tôt et dans l’ordre des générations, mettait la main à la pâte et personne n’y trouvait franchement rien à y redire, et mon arrière grand-mère, comme je l’appris plus tard avait à son actif une quinzaine d’enfants, ce n’était donc pas une espèce de petite chose comme moi qui allait l’émouvoir. Quant à celle que plus tard j’appellerais mamy, elle ne savait pas trop quoi dire, pas trop quoi faire, ce qui n’était pas le cas de son mari, ce merveilleux grand-père qui, lui, savait y faire et aimait plus que tout les petits bouts de chair tendre qu’il pouvait tripoter à loisir. Du côté de ma mère, un de ses frères avait pris pour épouse la sœur de mon père, étrangement d’ailleurs, comme s’il n’y avait pas assez sur cette planète d’hommes et de femmes pour éviter un mariage pareil mais qui allait plus tard avoir des conséquences tout à fait remarquables et tout à fait étranges. Ils s’étaient déplacés, eux aussi, en coup de vent, c’est qu’ils étaient tous un peu sauvages, puisque l’entente cordiale normale dans une fratrie n’était pas de cité dans cette famille là ! Du côté de mon père, j’ai eu droit à la totale et le défilé fut même incessant ! J’ai eu droit à toute sorte de sarcasmes et maman tous les quolibets et surtout beaucoup de « Dieu, qu’elle est laide ! », ça n’était pas des bonnes fées qui venaient me prodiguer les plus belles grâces et toute les qualités. Il faut dire que papa n’était pas non plus franchement gâté, en plus d’une mère qui ne l’avait jamais supporté, d’un père coureur et égocentrique, il avait quatre sœurs toutes perfides et sorcières sauf peut-être la petite dernière. Joli spectacle pour démarrer dans la vie, non ? Je passais ainsi de bras en bras, d’une tante à une autre, dans cette chambre confinée où ne semblait flotter que haine, ressentiments, faux-semblants et mensonges. Un vent d’hypocrisie, une sorte de gros malaise que j’ai traîné longtemps sans bien savoir pourquoi…
C’est étonnant à quel point ma naissance m’est apparue si facilement dans tout mon parcours de redécouverte d’un passé oublié, gravée, quelque part, au plus profond, dans mon cerveau, comme si déjà à ce moment tout précis de ma vie à l’air libre, j’ai tout de suite pris conscience du problème de famille. J’avais déjà sans doute acquis dans le ventre de ma mère une sorte d’extra- sensorialité et une sensibilité à fleur qui me seront d’ailleurs très longtemps reprochées. Je crois que c’est elle qui, par ses propres tourments et sa façon de vivre déjà toute sa grossesse, a influencé une partie de mon être. Cela peut paraître osé comme théorie ; pourtant là pour ma part, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Tout ce que l’on peut vivre, ressentir, acquérir comme sensations diffuses in utéro déjà nous conditionnent, on ne naît pas feuille blanche et vierge entièrement. On porte déjà en soi l’inconscient de sa mère, et celui de son père aussi sans doute. On naît perceptible et attentif aux signaux, surtout s’il a fallu se battre pour venir à la vie. Il y a aussi cette forme d’intelligence de la survie qui ouvre à l’acuité et à l’observation, même sans qu’on y prenne garde, une sorte de réflexe. Je n’avais pas la clef de mon enfance, je l’avais perdu quelque part, on me l’avait caché. La cachette la plus sûre dans ce genre d’affaire quel que soit la nature du traumatisme c’est l’amnésie, l’oubli, l’effacement des choses. C’est ce qui protège aussi de la folie tout en étant une des manifestations la plus naturelle, la plus acceptée. Je ne me souvenais plus de rien. Personne, chez moi, ne se souvient de ce qu’il a fallu oublier. Et, le pire c’est que tout ça a pu se faire dans une inconscience totale de tous, comme dans une transe, une bande de drogués qui se réveille la bouche pâteuse en ce demandant peut-être ce qui a été fait, ce qu’ils ont bien pu faire ou qu’ils n’ont pas pu éviter de reproduire. Une véritable histoire de fous. Je n’ai eu de cesse de retrouver les traces, de les pister, de les décoder, de les comprendre, d’assembler les pièces du puzzle qu’avait dû être ma vie, ma non-vie, devrais-je dire ! La naissance reflète le malaise. Celui que je porte encore. Je n’avais absolument pas été désirée. Mais j’étais venue au monde et comptais bien y rester vaille que vaille et quoiqu’il y ait à voir, les dés étaient jetés !
Le long trou noir s’acheva à l’orée de mes dix ans. Nous avions alors déménagé et nous quittions le petit village de province pour une campagne encore plus reculée, encore plus vide, encore plus loin, pour s’éloigner du monde comme dira plus tard ma mère, s’éloigner du monde comme aller au couvent ou dans un monastère. D’ailleurs, à partir de cet âge là, nos vacances d’été ne ressemblèrent qu’à ça : un mois à vivre soit au milieu des moines soit au milieu des sœurs. Sans doute, fallait-il racheter son âme de je ne sais quelle faute, de je ne sais quel péché, en tout cas c’était comme ça, il n’y avait pas à discuter, ça et la messe, tous les Dimanches, la prière du soir et le bénédicité ! Je sais qu’avant c’était bien différent, les photos et les petites bobines en super huit me renvoient des images d’une enfance toute inconnue et que j’ai pourtant traversée. Plus petite, j’allais en vacances à la mer, les côtes du Nord et aussi la Bretagne où nous passions alors les vacances d’été en famille. Mais seules les images m’y ramènent, pas mes souvenirs ni, non plus, ma mémoire ; néanmoins, quelques bribes éparses, des sensations de difficultés à être heureuse, à profiter… Des images de mon père partant sur un voilier et ce sentiment profond et récurent d’abandon. Avant de procéder au déménagement, ils nous avaient avec mon petit frère envoyés en colonie de vacances. Là ma mémoire est intacte ; ce fût un vrai cauchemar, une histoire horrible. Mon frère avait alors huit ans, et moi j’avais pour mission de m’occuper de lui, d’autant qu’il était le plus petit membre de cette colonie. Et voilà qu’un jour, un immense jeu est organisé, une sorte de jeu de piste grandeur nature. Le plus jeune des enfants allait être enlevé, et il fallait le retrouver, ne prévenir personne sinon sa vie serait vraiment en danger, et passer la journée à déjouer le ravisseur pour retrouver l’absent. Le plus jeune, c’était mon frère, j’ai encore en moi l’angoisse de cette journée comme si je l’avais vécue hier, j’étais dans un état à la limite de l’hystérie, l’angoisse la plus pointue, le désordre intérieur le plus effrayant de cette période de mon enfance, j’ai cru vraiment mourir. Personne ne m’avait dit que c’était un jeu, une sale blague, une idée saugrenue ! Personne ne m’a jamais rien dit d’ailleurs, si ce n’est « passe ton chemin, il n’y a rien à voir. » Je suis rentrée de là profondément marquée, surtout qu’à priori cela avait beaucoup amusé tous les autres. Je suis rentrée meurtrie. Alors, je découvre que nous vivons plus au même endroit, que ma chambre ne serait plus la même, même si elle restait la plus proche de celle des parents. Ce n’était pas vraiment une surprise, on savait bien que cela allait arriver mais je ne l’avais pas franchement matérialisé. Quand on est petit, certaines pensées restent magiques, on veut croire que la réalité qu’on se fabrique est celle qu’on va vivre. Et puis, j’ai toujours pensé et je le pense encore que ce fut là une vaine tentative de mes parents de réécrire l’histoire mais le cerveau d’un enfant, même s’il n’y a pas accès facilement, même si il n’en a pas conscience, imprime tout ce qu’il a vécu comme dans un disque dur et rien ne peut en être autrement, ou il l’occulte, ensuite, toute sa vie durant ou, un jour, ça se réveille et ça révèle à lui tout ce qu’il n’a pas pu, pas voulu, pas su, pas été encouragé à voir et ressentir. Un jour, ça lui pète à la gueule, ou alors dans la tête, ou ailleurs quelque part dans le corps au hasard ! Moi, longtemps, trop longtemps et encore parfois même je m’étais toujours ainsi vue : « Une chose ! «. Est-ce parce que maman me mettait nue devant le miroir petite et me disait « Regarde comme tu n’es rien ! ». Je n’étais pas si rien. J’étais sa chose à elle. Son prolongement, celui de ses yeux, de sa bouche, de sa tête, de son sexe aussi, de son sexe surtout. Quel âge, grands dieux, pouvais-je donc avoir, quand elle m’a prise en flagrant délit avec son adoration de père et qu’elle m’avait alors soulevée de terre par la peau du dos comme un chat pour éviter qu’il ne griffe et jetée dans le coffre de la voiture puis dans le placard de sa chambre à coucher et que, plus tard, dans la soirée, au retour de papa, après un bref conciliabule, j’avais été corrigée à coup de ceinturon, lui, hurlant agacé et furieux : « tu n’es qu’une putain » ? Rien. La putain de mon père, le jouet de mon grand-père, la chose de ma mère. Est-ce à ce moment précis de ma vie que j’ai perdu la mémoire et que tout ce qui s’était produit et que tout ce qui allait se produire resteraient pendant plus de trente ans à ce point inaccessible directement mais prendrait inexorablement des chemins de traverse, suintant, filtrant, s’exprimant de mon être non étanche, et qu’alors dès que j’ai pu tenir un bout du bout j’allais récupérer à grands coups d’endurance à en devenir totalement folle parfois ce que j’avais perdu ? Je ne voulais plus pas plus que je n’ai voulu l’être être cette chose là. Ce petit rien.
Dix ans, ce qui me revient en premier, quand je repense à elle, c’est une image terrible où je la revois perdre son sang par litres, à un point tel que c’était effrayant et que je croyais, chaque mois, qu’il serait le dernier, qu’elle finirait par trépasser de se vider de la sorte, c’était mal connaître la nature humaine et la volonté sans limite de cette femme. Les jours de menstrues de maman étaient, pour moi, un véritable calvaire, à cet âge-là c’est dur, quand même, d’avoir à faire avec ce genre de phénomène qui vous échappe littéralement et puis se dire aussi » C’est donc cela être une femme, que dieu me préserve je préfère encore n’être rien. » Elle gardait le lit deux ou trois jours, parfois une semaine entière, ça dépassait, ça rougissait sa chemise de nuit, sa robe de chambre les draps de son lit ; mais, moi, j’avais reçu l’ordre formel et paternel d’alors m’occuper d’elle ! N’étais-je pas sur cette terre, je cite, »pour cette unique raison, réparer cette faute d’être née et tout faire pour elle ! » Elle ! Grégaire et encore assez primaire dans toutes ses démarches féminines et probablement plus encore à celles qui touchaient à sa féminité profonde, même si elle n’avait pas toujours été comme cela, elle n’avait pas opté pour les couches jetables et moins encore pour les tampons qui symbolisaient pour la femme, à l’époque déjà, un signe de libération, et, à l’ancienne, elle usait de linges de coton blanc que j’avais pour mission de faire tremper dans l’eau froide et de laver à la main dans une sorte de rituel d’un autre âge et je garde de ses expériences sordides et bien trop intimes surtout la trace couleur de rouge que prenait l’eau instantanément et, plus encore, l’odeur qui se dégageait de ses pertes sanguinolentes, une odeur organique, moite, âcre, viscérale, caractéristique du fond de ses entrailles comme souillées, une odeur de pourri, une odeur de drame. Rien, rien de rien n’était réjouissant dans cette affaire là ; maman semblait souffrir le martyre comme si on l’éventrait, des règles douloureuses qu’ils disaient à l’époque alors qu’elle perdait en masse un sang lourd, le dos courbé, les reins en feu et le ventre en fusion et qu’elle semblait ne plus vouloir vivre alors, mais que surtout, et c’était pour moi bien pis encore, elle semblait m’en vouloir comme si implicitement j’en étais la cause. Grands dieux ! Des années durant, j’ai pleuré à les attendre, moi, ces menstrues qui ne venaient pas et qui devaient faire de moi une femme, une mère surtout, des années, des années à attendre, sans comprendre pourquoi toutes les filles de mon âge n’étaient elles alors préoccupées que de ça. Etaient-ce les seaux rougis vidés avec dégoût et de manière récurrente, étaient-ce les linges frottés au savon de Marseille et rincés à l’eau claire avec toute ma vigueur d’enfant voulant bien faire qui me priveraient à jamais de ce désir profond de maternité que j’avais ? Car pas plus que ces règles qui rythment une vie femelle pendant un bon nombre d’années je n’avais droit au délicieux plaisir de sentir poindre des bouts de seins ou voir pousser des poils aux aisselles comme s’il était écrit que je resterais pubère, à jamais, au service de ma mère.
Difficile de dire certaines choses parfois, difficile d’avoir à les penser, à les vivre, à les ressentir, difficile de les appréhender. Difficile aussi le regard de l’autre, difficile d’imaginer ce que ça va lui faire, difficile de prendre le risque de choquer. Difficile encore de se confronter à ses propres démons, ses propres paradoxes, difficile d’apprivoiser cette part d’ombre en nous et de la faire sienne. Difficile enfin d’écrire le difficile à dire, car l’écrit ancre bien plus que la parole qui passe, l’écrit s’imprime, l’écrit laisse une trace.
J’étais une adolescente anxieuse perfectionniste et rêveuse, terriblement rêveuse. A tel point que cela énervait beaucoup mon père qui ne pouvait absolument pas comprendre comment on pouvait passer autant de temps allongée sur son lit perdue dans ses pensées. Il n’a jamais compris ça, ne peut le comprendre et ne le comprend toujours pas. En vrac me reviennent quelques images de moi heureuse quand même, mais très peu, c’est étrange, je souffrais intérieurement déjà beaucoup et je portais un mal-être chevillé au corps d’une façon si dense, un peu comme les boulets des galériens d’antan, mais j’avais l’intime conviction, j’y croyais dur comme fer, que cela pouvait changer si je faisais un jour la rencontre, la rencontre qui bouleverserait ma vie toute entière et lui donnerait un sens une respiration, quelqu’un que j’aimerais plus que tout et qui m’aimerait en retour telle que je suis et qui me donnerait une confiance sans limite, j’étais idéaliste au plus haut point, je croyais au coup de foudre , à l’amour pour la vie, au prince charmant sur son cheval blanc comme dans les contes de fée, à l’homme-port, l’homme-ancre, l’homme-source, l’homme d’une vie. J’écrivais tous les jours et inlassablement dans des petits carnets tantôt roses tantôt bleus, Snoopy Holly Hobbie dessin de princesse fleur ange avec ou sans petits cadenas doré, petite fille perdue en quête du grand amour jeune fille en fleur grande romantique, c’est que j’avais ce vide à combler si énorme si intense j’avais tellement se sentiment prégnant de n’être pas aimée et plus encore de ne pas mériter l’être, je me sentais vilain petit canard, pas à ma place, pas désirée. Ce que j’étais, ce que j’avais toujours été. Pourtant au milieu de ce désert affectif qui me semblait le mien, il y avait Christine. Christine a été ma seule et unique amie pendant mes années de jeune adolescente, de douze à seize, jusqu’à ce qu’elle s’ouvre les veines au fond de sa baignoire, plantée au fond de son désespoir et sa déroute de vivre. Elle me trouvait étonnante de rêverie et en même temps lucide et puis j’étais aussi parfaitement docile alors qu’elle était à l’inverse si rebelle. Plus âgée que moi de deux ans environ, elle avait jeté au feu les valeurs parentales, elle était constamment en rébellion et en conflit autant avec son père qu’avec sa mère, n’avait ni frère ni sœur, en quelque sorte je jouais ce rôle. Toujours de noir vêtue de la tête aux pieds, trouée de piercings, bardée de tatouages, elle fumait comme un sapeur et buvait comme un trou ! A nous voir toutes les deux ensemble on aurait dit l’association du noir avec le blanc. Elle écoutait souvent à s’en briser les tympans des musiques qui hurlait sa douleur de vivre, sa volonté d’en découdre, sa violence interne, sa haine d’elle-même, de la société, de tout. Moi, ce contraste là, m’était plus que nécessaire, avec le recul d’ailleurs je mesure aujourd’hui qu’il a sûrement été même vraiment salutaire. Ma vie s’organisait autrement si tranquille voire insipide, toujours au même rythme d’une petite vie bourgeoise du moins en apparence entre l’école, la danse classique, le piano, le grand projet autarcique de ma mère et mon mal-être. Maman tenait à ce que je sois parfaite, ce que je tendais le plus possible de tout mon être, je voulais tellement être aimée d’elle. J’avais étonnamment développé de façon excessive mon cerveau gauche, celui du rationnel et de la mémoire, j’arrivais à apprendre par cœur n’importe quoi assez vite et j’étais plutôt calée en mathématiques. Une sorte de singe savant enfermé dans ses rêves, c’est là que je puisais la force de vivre qui me manquait tant. Si je n’avais pas d’amis hormis Christine c’est que cela ne m’était pas possible, en classe j’étais plutôt montrée du doigt comme la chouchoute, la lèche-bottes, être première de classe quasi en permanence te fait plus d’ennemis que d’amis finalement ! Mais Christine, elle s’en foutait, elle m’aimait telle que j’étais. On s’écrivait des longues lettres de dix pages, les siennes étaient incandescentes et destructrices, les miennes toujours les mêmes, une longue plainte coutumière, je me sentais si seule, si incomprise, si peu aimée, si perdue, si rien… J’avais beau faire, il se reflétait toujours pas d’image dans le miroir, toujours rien que du vide et une sourde angoisse. J’avais aussi pour soulager mes peines une autre compagne pas tout à fait comme les autres. Une douce, une tendre, une câline, une sauvage, une confidente, une coquine partenaire. Quand je m’enfermais dans les toilettes avec elle et qu’elle me léchait de sa petite langue rose toute râpeuse et toute chaude ma jeune figue frémissante, j’avais le sentiment de m’envoler loin de n’être plus ce corps que je n’acceptais guère, trop grand pour mon âge, trop maigre, trop encombrant, trop douloureux. Nous faisions ça l’après-midi, elle et moi, je la prenais par son collier, je fermais la porte à double tour de la petite pièce toute carrelée de faïences multicolores, je soulevais ma jupe ou baissais mon pantalon, descendais ma culotte aux chevilles et elle, le plus naturellement du monde, comprenait, elle comprenait de suite ce que j’attendais d’elle et elle s’appliquait jusqu’à ce que je n’en puisse plus, jusqu’à ce que la décharge électrique me propulse sur le bord de la cuvette, alors je soupirais : « c’est bon, c’est bon, arrête maintenant ma belle ! ». Je devais alors vivement reprendre mes esprits, et contourner les énormes sentiments de culpabilité qui ne manquaient pas de débouler en force, éviter une fois de plus de penser que je le paierais cher, que dieu me punira et même la sainte Vierge de ce bon temps si bon que je prenais avec elle, avec Sultane, ma chienne, une belle épagneule à la robe brune et blanche et au yeux alanguis, qui semblait par je ne sais quel miracle avoir fait ça toute sa vie durant comme si on lui avait appris comme si on l’avait dressée à le faire, qui d’autre dans l’absolu avait pu lui montrer et l’initier à ce genre de douceurs qui d’autre si ce n’est ma mère qui s’enfermait elle aussi avec elle, oui mais pendant des heures dans la salle de bain presque tous les samedis. Elle en ressortait sentant le sexe. C’est étonnant d’ailleurs à quel point cette odeur reste vivace à mes narines et comme encore parfois aujourd’hui elle me fait peur, cet odeur âcre de sexe à l’effluve de crevette. J’en ai plein le nez parfois, ça m’est désagréable, et même plus encore dérangeant et je traque et maudis malgré moi cette odeur que souvent moi-même je secréte. Des années plus tard dans une des nombreuses conversations avec ma petite sœur, nous en sommes arrivées à parler de Sultane et de ce plaisir insensé qu’elle nous procurait, nous, oui, à l’une comme à l’autre, des années après nous comprenions enfin que c’était bien maman qui l’avait initiée mais nous étions encore bien loin de nous imaginer au-delà de ces gestes ce qu’ils pouvaient cacher et en fait dire et que nous cherchions toutes trois au travers de cette petite langue animale et docile une trace bien plus lointaine plus inaccessible plus destructrice, notre » madeleine » somme toute pour ne pas oublier, ne pas oublier, surtout ne pas oublier l’arbre qui cache la forêt. Je devais retrouver cette trace de léchage, cette empreinte, des années plus tard, quand amoureuse depuis mon plus jeune âge du fils aîné des meilleurs amis de mes parents, six ans de plus que moi, il avait enfin à l’aube de mes quinze ans porté un regard sur moi, un « autre » regard sur ma petite personne. Il m’avait au détour d’une discussion sur Nietzsche découverte suffisamment attrayante, suffisamment mâture et m’avait invitée dans son appartement d’étudiant à approfondir la discussion justement, ce qui n’avait posé le moins du monde un problème à ma mère qui filtrait bien entendu toutes ces sortes d’invitations en tout genre, par chance il n’en pleuvait pas à l’excès, elle connaissait le jeune homme depuis son plus jeune âge et ne pouvait en aucun cas à cet instant imaginer qu’il porterait ne serait-ce qu’un regard autre qu’ami sur celle que j’étais, encore qu’avec le recul je me demande franchement si secrètement elle ne faisait pas des plans sur la comète et n’envisageait pas une union plus aboutie de sa fille avec le fils de son amant ! Oui, ça c’était vraiment une vieille histoire, maman et cet homme-là. Monsieur et Madame Lassiot étaient les meilleurs amis des parents à l’époque ; nous allions souvent les voir dans leur magnifique demeure au milieu d’un grand parc. Maman était fascinée par ce côté princier. Je prenais des cours de danse classique avec leur fille du même âge, je crois que c’est là d’ailleurs qu’ils firent connaissance et j’ai toujours été attirée par leurs deux fils plus grands même si ma préférence avait toujours été pour Yves, l’artiste de la famille. Il adorait dessiner, peindre, inventer des histoires des objets des possibles. Il m’avait raconté un jour que le jardinier était enterré dans son propre jardin par les anciens propriétaires ; une histoire qui m’avait fortement séduite d’autant qu’il avait le crâne de ce Monsieur sur le bureau de sa chambre comme sorte de fétiche ! « Pour nous rappeler à notre condition de mortel », comme il se plaisait à me dire. C’est avec eux aussi, que, nous allions en vacances d’été en Bretagne, durant ces fameuses années oubliées… J’ai pourtant toujours su, au fond de moi, que maman et Monsieur Lassiot avaient été amants. Comment ne l’aurais-je pas su, moi qui étais le prolongement d’elle-même et utilisée comme tel. Mon père l’a su lui aussi, je sais que je suis associée à cette découverte, mais comment, je n’en sais rien… Des années plus tard, quand Monsieur Lassiot fit son premier infarctus, j’ai vu mon père désirer sa mort avec une hargne non contenue Là, j’ai compris qu’il ne lui avait jamais pardonné d’avoir aimé et couché avec sa femme. Lui en voudrait-il plus s’il en savait davantage ? Je crains bien que non. Je suis allée confiante dans l’appartement d’Yves qu’il partageait à l’époque avec une de ses sœurs, un peu follettte, le cœur palpitant car je me sentais éprise, j’aimais cet Yves là d’un amour à l’Yseult et je n’ai pas pu voir venir ses mains fébriles sur mon jeune corps gracile et loin d’être formé, pas plus que sa langue puissante entre mes cuisses, |
![]() | «L’Université n’entend ni approuver ni condamner dans ce projet les opinions qui y sont émises et qui n’engagent que moi» | ![]() | «incontinent» («qui ne peut pas contrôler son émission d’urine ou d’excréments») et «un continent» qui se prononcent pareil mais... |
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