Le Portugal n’est pas un pays méditerranéen ! Seuls les deux tiers de l’Espagne, un tiers de la France appartiennent à l’espace méditerranéen. J’éviterai de








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C) Les conséquences de la défaite française : la situation en 1815136.
Au total, en 1815, le Royaume-Uni était bien installé en Mediterranée, sous la forme de trois points d’appui : Gibraltar ; Malte ; les Îles Ioniennes (transformées en un protectorat britan­nique aux termes du traité de Versailles, en 1815). Satisfait de cette situation, Londres aban­donna la Sicile (trop de bandits et de malaria) et les îles de l’archipel dalmate (inutiles dès lors qu’on tient Corfou). Londres fit aussitôt mine de reprendre la vieille mission franco-espagnole de faire régner l’ordre face aux États barbaresques : en 1816, dans le but d’obtenir la libéra­tion des captifs chrétiens et la fin de la course, une escadre anglo-néerlandaise menaça Alger et Tunis d’un bombardement… Ce fut le début de ce qu’on a appelé « la politique de la cannonière » : si les négociations échouent, on bombarde les ports, sans forcément débarquer. Plus à l’est, le Royaume-Uni ne voulait pas d’un démem­bre­ment de l’Empire Ottoman, qui aurait pu amener les Russes sur les Détroits et les Autrichiens un peu trop au sud en Adriatique.

A vrai dire, pendant tout le XIXe siècle Londres n’eut pas trop de mal à maintenir ces concurrents potentiels (et la France) à distance : il n’y eut pas de nouvelle menace de type napoléo­nien (et ce jusqu’à la seconde guerre mondiale, lorsque Hitler faillit refaire l’unité de l’Eu­rope continentale à son profit). C’est pourquoi il n’y eut plus de conflit franco-britannique en Méditerranée (ni ailleurs), même si on passa à deux doigts en 1839-1840 et de nouveau en 1898. C’est pourquoi aussi les points d’appui en Méditerranée n’occu­pèrent qu’une place secon­daire dans le disposition colonial britannique, tout au moins avant l’ou­ver­ture du canal de Suez ; en revanche, nous le verrons, l’impérialisme économique de Londres se portait fort bien en Méditerranée.
Autre vainqueur de la France, l’Autriche réannexa Venise (sur cette période de l’histoire de Venise, voyez la nouvelle de Camillo Boito : Senso) et la Terre Ferme, ainsi que l’ensemble de la Dalmatie ex-française (Raguse et les bouches de Cattaro comprises) : pour un demi-siècle, l’Adriatique devint ainsi une mer autrichienne. Surtout, l’Autriche prit le con­trôle direct ou indirect de la plus grande partie de l’Italie, où l’on reconstitua neuf États « indé­pendants ». Certes le pape retrouva les siens, mais Vienne obtient sur son élection un veto qu’elle con­serva jusqu’au conclave de 1915, inclus. La Lombardie (la région de Milan), l’une des régions les plus riches d’Italie, devint autrichienne, et des dynasties autrichiennes ou clientes de l’Autriche s’installèrent ou se réinstallèrent dans les micro-États du centre de la péninsule, ainsi qu’à Naples. Seul le Piémont-Sardaigne (la Savoie et la région de Turin), qui avait récu­péré Gênes et disposait donc désormais d’un accès à la mer, échappait à cette tutelle autri­chienne. L’Autriche ne sut pas tirer parti de sa domination en Italie : ce pays enclavé n’eut pas le temps de devenir une grande puissance maritime, même si Trieste devint le pre­mier port de l’Adriatique137. La faiblesse navale autrichienne persista : la marine autrichienne était infé­rieure en nombre à celle du royaume de Naples, et jusqu’aux années 1830 elle fut incapable de faire régner l’ordre dans l’Adriatique face aux corsaires barbaresques (les pre­mières années) et grecs (dans les années de la guerre d’indépendance de ce pays). Il y eut même une inter­ven­tion française à Ancône, le port des États Pontificaux sur l’Adriatique, en 1832.

On verra que le joug autrichien et le rétablissement de l’absolutisme étaient mal acceptés : mais je préfère traiter l’unité italienne d’un seul tenant, plus bas. De même, en Espagne, le roi Ferdinand VII, de retour de sa captivité en France, rétablit l’absolutisme sous l’étroit con­trôle de la Sainte-Alliance, y compris l’Inquisition. Même si cette réaction avait d’in­dé­niables racines populaires, le malaise des milieux libéraux déboucha sur une grave crise, le trienio liberal (« trois années libérales », 1820-1823) : par un pronunciamiento (coup d’État militaire), les libéraux imposèrent l’application de la constitution de Cadix, mais une sanglante intervention française mit fin à l’aventure en 1823. L’épisode ne fit rien pour adou­cir les mœurs politiques locales, et l’armée prit l’habitude d’intervenir dans la vie politique en tant que « porte-parole » du pays profond face aux milieux politiques madrilènes, pour l’ins­tant dans un sens libéral. J’abandonne l’Es­pagne à son triste sort pour n’y revenir qu’à propos de Barcelone, puis de la guerre civile des années 1930.
La Russie abandonna pour l’instant l’idée de bases en Méditerranée, se contentant de Sébastopol en Mer Noire. Dans les Balkans, en 1812 elle avait rendu la Moldavie et la Vala­chie aux Ottomans, mais annexé la Bessarabie138, ce qui lui donnait une rive du bas Danube : voilà qui ne plaisait pas du tout à l’Autriche. À l’autre bout de la région, elle avait fait recon­naître par l’Empire ottoman l’autonomie de la Serbie (je traiterai cette entité dans la sous­partie suivante). Par ailleurs, à l’est de la Mer Noire, à la limite des zones que votre pro­gramme impose de traiter, elle avait achevé en 1805 l’annexion des principautés géorgiennes, orthodoxes elles aussi : c’était une importante tête de pont dans le Caucase. En particulier, les populations mon­ta­gnardes et plus ou moins musulmanes du versant septentrional de cette chaîne de montagnes et des rives orientales de la Mer Noire (les Circassiens et plus à l’est, entre autres, les Tché­tchènes), se trouvaient désormais isolées de l’Empire Ottoman duquel elles relevaient en principe.
On vit également apparaître un acteur nouveau en Méditerranée, tout à fait mineur pour l’instant : les États-Unis avaient envoyé une escadre en Méditerranée en 1801, la régence de Tripoli leur ayant déclaré la guerre, suivie des autres États du Maghreb, car les navires américains ne voulaient plus payer le tribut traditionnel (en échange du renoncement des Bar­baresques à la course : une forme de rackett, donc). C’est ce qu’on appelle la « première guerre barbaresque ». Les États-Unis obtinrent satisfaction en 1805. Ils envoyèrent eux aussi une expédition pour menacer Alger en 1815 (c’est la « seconde guerre barbaresque »), et après cette date ils mintinrent une petite présence navale en Méditerranée, aux Baléares ou en Italie. C’était essentiellement la liberté de navigation qui les intéressait, et ce jusqu’en 1900 au moins. Par ailleurs, dans les années 1830, Washington obtint de la Porte des capitulations pour ses ressortissants, à l’imitation des Européens.
D) Les Balkans : l’indepéndance de la Grèce, l’autonomie de la Serbie.
L’indépendance de la Grèce fut la première grande défaite de l’Empire Ottoman dans les Balkans au XIXe siècle, et la date de l’indépendance grecque, en 1829, correspond au premier grand recul de l’Empire Ottoman durant la période à votre programme (d’autant que les années 1830-1831 virent également la perte de l’Algérie et l’expansion des domaines de Méhémet Ali en Syrie, que nous verrons plus tard).

Ce fut une affaire complexe, avec notamment un décalage permanent entre la vision qu’en avaient les Européns (une révolte populaire pour la liberté ; des chrétiens en révolte contre des musulmans, mais aussi la vieille Grèce antique, berceau de la civilisation euro­péenne, en train de se réveiller de son long sommeil sous le joug des Barbares) et la réa­lité sur place. D’abord, la révolte nationaliste grecque ne s’est que progres­sivement dégagée des sem­pi­ternelles révoltes paysannes, voire du simple banditisme139. En revanche, loin de la Grèce pro­prement dite, la diaspora grecque en Russie (nombreuse surtout en Crimée, à Odessa, en Colchide140) joua un rôle essentiel au départ, poussée par Saint-Péters­bourg qui espérait l’appari­tion d’un État-client orthodoxe au sud des Détroits (et pourquoi pas un jour à Cons­tantinople, capitale « historique » de la Grèce et de l’orthodoxie ?). Ainsi, depuis 1814 il exis­tait, basée à Odessa mais avec des ramifications dans toutes les régions grecques, une organisation secrète du nom de « Philikè Hétaireia »141 dont l’objectif était de reconstituer l’Empire byzantin, et qui joua un rôle important dans la mobilisation des Grecs de Russie dans la première phase de la révolte : elle recrutait essentiellement parmi les marchands et les banquiers. La diaspora grecque des ports de Méditerranée occidentale joua un rôle aussi : elle était plus touchée que les populations balkaniques par les évolutions idéologiques en cours qui portaient au natio­na­lisme, et désolée de l’état de misère et d’humiliation de ses frères balka­niques. On constate enfin qu’en Grêce même, parmi les chefs de la révolte figuraient pas mal d’albanophones chré­tiens originaires de ce qui est aujourd’hui l’ouest de la Grèce. C’est que dans l’Empire Ottoman ils étaient rangés dans le millet « grec » en tant qu’ortho­doxes, et que la réfé­rence aux langues n’avait pas encore l’importance qu’elle a pris par la suite ; en tout cas, cela amène à relativiser le rôle d’un éventuel nationalisme grec de type moderne, axé sur la langue, l’histoire et la culture popu­laire, au moins dans cette première phase de la révolte. Il s’est bien agi d’abord d’une révolte de chrétiens, quelle que fût leur langue, contre un pouvoir musulman.

Les choses se compliquent encore du fait d’un certain nombre d’ajustements qui eurent lieu à cette époque pour des raisons d’opportunité politique, mais aussi plus largement d’évolu­tions mentales sur place, de modernisation, c’est-à-dire d’européanisation de la per­cep­­tion de soi, plus ou moins en surface pour l’instant — d’où cinq lignes plus haut la précaution oratoire « au moins dans la première phase ». Ainsi une évolution majeure du lan­gage, très dificile à dater avec précision, était en cours dans la langue grecque. Certains Grecs, et notamment ceux qui tentaient avec succès de manipuler l’opinion « philhélène » en Europe chrétienne, commençaient à se définir, et du coup à se percevoir, non seulement comme une communauté religieuse, mais comme un « peuple » défini par sa langue et son histoire, et notamment par référence à la Grèce antique : il n’y a pas qu’en Occident qu’on a « inventé » une Grèce nouvelle (quoique supposée ancienne) à cette époque142. Aussi, entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe, on assista, dans la langue grecque, à un changement pro­gressif d’autononyme : alors que tradi­tion­nellement les popula­tions hellénophones se dési­gnaient, comme tous les orthodoxes des Balkans, du terme de « Rou­maioi » (c’est-à-dire « Romains », ou si vous préférez « Byzantins »), en quelques décen­nies on assista à la résur­rec­­tion du vieux mot « Hellé­nikoi » qui désignait les Grecs dans l’Antiquité143. L’Hétairie, et d’autres éléments qui apparaîtront plus bas, montrent que la référence à des symboles anti­ques était déjà courante dans les milieux insurgés — plus occidentalisés, sans doute, de ce point de vue, que la majeure partie des paysans qui n’avaient jamais entendu parler de Clis­thène ni d’Epami­nondas et se révol­tèrent avant tout contre un joug musulman. Plus tard, l’idéologie nationa­liste officielle de la Grèce indépendante gagna l’ensemble de la population par le biais du système scolaire et des médias, et l’appellation « Roumaioi » acheva de se marginaliser.

L’évolution linguistique que je viens d’évoquer recouvrait des évolutions culturelles : ainsi à la fin du XVIIIe siècle, il était apparu des écrivains en langue grecque populaire (ou se voulant telle144) et qui traitaient de thèmes eux aussi populaires, dans la lignée des préroman­tiques européens : ainsi le poète thessaliote Rigas (1757-1798). Ce franc-maçon influencé par les idées de la Révolution française est par ailleurs l’auteur d’un projet de constitution pour la Grèce : il tenta de contacter Bonaparte à Venise en 1897, sans succès, et dirigea peut-être une société secrète ancêtre de l’Hétairie. Mort égorgé par les Ottomans (mais à la suite d’une extra­dition par l’Autriche !), il fut élevé au rang de précurseur et de héros par les nationalistes grecs du XIXe siècle (plusieurs sociétés de conspiraturs prirent le nom de « société Rigas »), mais au XXe siècle les communistes l’ont récupéré, en faisant un précur­seur de l’interna­tio­na­lisme et de l’unité des peuples balkaniques.
En 1821, un aide de camp du tsar Alexandre Ier, Alexandre Ypsilantis, qui appartenait à l’Hétairie, tenta de soule­ver les Balkans, à commencer par la Moldavie et la Valachie, terres non hellénophones mais ortho­doxes, donc incluses dans le millet grec, et frontalières de la Russie (Ypsilantis était le petit-fils d’un voïvode145 de Moldavie-Valachie, et avait déjà pris Bucarest à la tête d’une armée russe en 1806, dans le cadre d’une guerre régulière). Cette étrange « révolte » moldave fut un échec, entre autres parce que le tsar lâcha rapidement Ypsi­lantis146, mais l’agitation gagna la Grèce péninsulaire et insu­laire, encouragée par le cler­gé orthodoxe qui espérait une interven­tion de son « protecteur » russe (c’est l’archevêque de Patras qui donna le signal de la révolte) — le tout sur fond de tension entre la Porte et les dirigeants locaux, musulmans mais tentés par une politique d’autonomie147. J’ai évoqué dans la présentation initiale la figure d’Ali, pacha de Janina148, dont la Porte toléra durant une ving­taine d’année le pouvoir de fait : un moment, il contrôla tout ce qui est aujourd’hui le sud de l’Albanie, la Macédoine, la Grèce continentale y compris le Péloponnèse, et durant la période napoléonienne il mena, avec les Français et les Britanniques, une diplomatie pratique­ment autonome. Ayant commis l’erreur d’envoyer des sbires assassiner un ennemi à Istanbul, il finit par être démis de ses fonctions et se révolta (en 1819). Dans sa révolte, il s’ap­puya sur des bandits grecs (klephthoi, « clephtes »)… et sur l’hétairie : autrement dit, ce musul­man, sans doute de langue maternelle albanaise, tenta de manipuler la cause grecque à son profit (aussi bien au niveau local qu’à celui des chancelleries occidentales). Quelques mois plus tard, il trahit ses alliés dans le but de se réconcilier avec le sultan, lequel ne se laissa pas émouvoir : Ali mourut lors de la prise de Janina par les troupes ottomanes, en 1822.

Devant ce désastre, en 1822 les Grecs réunirent à Epidaure une Assemblée panhellé­nique149 qui proclama l’indépendance. La Porte réagit en faisant exécuter une partie des notables phanariotes (c’est-à-dire des G/grecs originaires d’Istanbul, traditionnellement char­gées de l’administration des zones révoltés) ; à vrai dire, la révolte était en partie dirigée contre leurs exactions et leur corruption, rien d’étonnant dans ces conditions à ce qu’ils aient failli à leur mission de maintenir l’ordre ! Ces massacres eurent lieu pour l’essentiel à Istanbul même (le patriarche grec fut assassiné devant sa cathédrale le vendredi saint de 1822). Il faut y ajou­ter bien sûr, sur place, la dose prévisible de massacres interconfessionnels croi­sés : le sym­bole, en Europe, en est resté, en 1822, le massacre de la population grecque de Chio150, une île proche de la côte anatolienne, qui aurait fait 15.000 morts, plus 25.000 personnes ven­dues comme esclaves dans tout l’Empire, provinces maghrébines comprises (il y eut 10.000 à 15.000 res­capés qui se réfu­gièrent dans des îles voisines151). Les insurgés, eux, massacrèrent 8.000 hommes et 2.000 femmes et enfants à Tripolizza, le chef-lieu de la Morée152. Incapable de venir à bout des révol­tés, la Porte fit appel à Méhémet Ali, le pacha d’Égypte, qui envoya son fils Ibrahim à la tête d’une flotte. Les Ottomans reprirent peu à peu le dessus, au prix d’épisodes dramatiques comme, en 1825, le siège de la ville de Missolonghi (à l’entrée du golfe de Corinthe, côté nord) dont les défenseurs grecs, après une sortie infruc­teuse et san­glante, se firent sauter dans les poudrières plutôt que de se rendre, et où les Otto­mans cou­pèrent 3.000 têtes (d’autres insurgés furent vendus comme esclaves). Les conflits entre insur­gés accentuèrent la défaite : en 1823-1825 il y eut de véritables guerres civiles entre paysans et notables, continentaux et insulaires, civils et militaires, et aussi au sujet du siège de la capitale.

La répression spectaculaire à laquelle se livraient les Ottomans, sur des lieux bien con­nus par les cours d’histoire ancienne et les récits des voyageurs, provoqua un vaste mou­vement d’opi­nion dans l’opi­nion publique occidentale, qui s’amplifia après la mort de Byron à Missolonghi153. Mouve­ment exclusivement en faveur des Grecs, bien entendu : les légi­ti­mistes, horrifiés par les crimes commis contre des chrétiens (même quelque peu schisma­tiques — mais c’était le temps de la Sainte Alliance, le tsar était l’allié des puissances catho­liques), se retrouvèrent pour une fois sur la même ligne que la gauche, nationaliste et phil­hellène par vénération de la démocratie athé­nienne. En portent témoignage, en peinture, les tableaux de Delacroix Scènes des massacres de Chio (1824) et La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi (1828). L’un annonçait un poème célèbre de Hugo qui parut en 1829 dans les Orientales154, l’autre fait référence au souvenir de la mort de Byron, dont les poèmes grecs furent très lus avant comme après sa mort. Il y a aussi dans les Orientales un poème sur Missolonghi155, qu’évoque éga­lement Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem (plus précisément dans la préface à l’édi­tion de 1826) ; une pièce de théâtre sur Le siège de Misso­longhi fut un succès à Paris en 1828. L’activiste parisien d’extrême-gauche Auguste Blanqui, qui n’était pas encore socialiste, partit aider les Grecs en 1828, mais s’arrêta à la frontière française faute de pas­se­port ; en Allemagne, d’autres exaltés couvèrent des pro­jets du même ordre, et l’archéo­logue Nie­buhr organisa une collecte de fonds. En Russie, Pouchkine s’enthousiasma pour la révolte. Et puis, bien sûr, il y eut ceux qui arrivèrent réel­lement en Grèce et s’engagèrent dans l’armée grecque : Byron est le plus célèbre. Il avait déjà voyagé en Grèce. Installé en Italie, il y retourna en 1823, mais mourut à Missolonghi en avril 1824, d’une crise de malaria, alors qu’il était en train d’entraîner un corps d’armée qu’il avait recruté à ses frais. On peut également citer le colonel français Fabvier.

Cette campagne d’opinion, sans doute l’une des premières de l’histoire à avoir fait plier des gouvernements, aboutit effectivement à une intervention des Puissances156, malgré l’hos­­­ti­lité de l’Autriche, pays multinational, à tout ce qui pouvait ressembler à l’émer­gence en Europe d’États-nations. Ce furent finalement la France et le Royaume-Uni qui intervin­rent, débar­quant en Morée en 1827 (la Russie se contenta de nouveaux avantages commer­ciaux et de la confirmation de son droit de protection sur la Moldavie, la Valachie et la Serbie, toutes concessions arrachées à un sultan qui ne voulait pas avoir à se battre sur tous les fronts à la fois). Toujours en 1827, la flotte égypto-turque subit une importante défaite face aux Franco-Britanniques à Navarin157 ; Ibrahim Pacha dut se retirer, tandis que la Russie profitait de l’au­baine pour intervenir quand même à son tour, à la fois en Roumanie et au sud de la Géorgie.

Seule l’opposition résolue du Royaume-Uni à un dépeçage de l’Empire Ottoman sauva la Porte d’un désastre total. Mais en 1829, au traité d’Andrinople, Istanbul dut reconnaître « l’indépendance grecque dans le cadre d’une vassalité envers l’Empire ottoman » — on oublia rapidement la seconde partie de cette formule. Les frontières de la Grèce furent fixées en 1830 à la confé­rence de Londres — elles étaient fort étroites, car le Royaume-Uni ne voulait pas d’une Grèce trop puis­sante (ou trop proche des Détroits) au service de la Russie ou de la France. Mais elles englobaient Athènes, ville-symbole de la Grèce ancienne évidem­ment, qui n’était qu’une bourgade : cela permit de mettre d’accord les différentes villes can­didates au statut de capitale, un autre avantage d’Athènes étant que du fait que c’était une agglomération de troisième ordre, sa population était purement grecque158.

En 1832, les Puissances imposèrent à la Grèce le roi Othon de Bavière, inaugurant une politique qui durera jusqu’en 1914, et qui consista à puiser dans l’inépuisable vivier des familles princières alle­mandes pour doter les pays balkaniques nouvellement apparus de monarques fréquentables et, espérait-on, les rapprocher ainsi de l’Occident. On avait ainsi créé un pays peu viable économiquement et qui oscilla durant un siècle entre l’alliance russe (au nom de l’orthodoxie), l’alliance britannique (au nom du commerce) et les fidélités germa­niques de sa dynastie (nous verrons que cela joua un rôle important au moment de la première guerre mondiale), tout en faisant preuve d’une extrême agressivité envers l’Empire Ottoman puisque la grande majorité des Grecs vivaient toujours en territoire ottoman.
Au passage, à Andrinople, la Russie avait obtenu la reconnaissance de l’« autonomie » de trois zones majoritairement orthodoxes de l’Empire Ottoman : la Serbie, la Moldavie et la Valachie. J’évoquerai les deux dernières plus bas.

La Serbie venait d’aparaître dans la région de Belgrade, une zone où les parles slaves et la reli­gion orthodoxe étaient majoritaires, et où une révolte avait éclaté en 1803 ou en 1804 selon les sources, selon des logiques encore essentiellement religieuses et féodales ; ce genre de révolte n’était pas nouveau, mais celle-ci fut encouragée par l'Autriche frontalière — un même peuplement slave et en majorité orthodoxe s'étendait des deux côtés de la frontière (avec pas mal de réfugiés des persécutions ottomanes dans la partie autrichienne), et l’Au­triche, quoique catholique, tentait de jouer cette carte pour avancer dans les Balkans ; la Rus­sie aussi soutenait les révoltés, même si c’était de plus loin.

La petite principauté centrée sur Belgrade dont la Porte dut reconnaître l’existence et l’autonomie en 1812 reprit le nom d'un royaume qui avait existé dans cette région au Moyen Âge, mais sur un territoire bien plus étendu : la Serbie. À vrai dire, vers 1800, dans les parlers slaves des Balkans, le terme de « Serbes » désignait plus ou moins toutes les populations chré­tiennes159 qui avaient résisté aux Turcs au Moyen Âge, y compris dans ce qui est aujourd'hui la Bulgarie, l’Albanie et le nord de la Grèce. Mais à partir de l’auto­­nomie de la Serbie il com­mença à se constituer, autour de Belgrade mais dans une zone rapidement bien plus large que la seule Serbie, une identité nouvelle, que les gens au pouvoir à Belgrade et les milieux cultu­rels de Serbie cultivèrent tant qu'ils purent. Désormais le Serbe se définissait par sa résistance aux Turcs160, par son orthodoxie, éventuellement par l’héritage historique de la Serbie médié­vale qu’il était censé faire revivre, mais aussi et surtout par sa langue : c’était un Slave. Certains, très vite, allèrent plus loin : ils espéraient rassembler autour de la Serbie, contre les Turcs, en un seul peuple, tous les Slaves des Balkans, qu’on se mit à appeler les « Yougo­slaves » (= les Slaves du sud). Cette identité yougoslave en gestation était donc encore plus nettement fondée sur la langue, à l’allemande : elle excluait les Grecs et les Albanais ortho­doxes, mais incluait les Slaves catholiques161. Cependant cette identité « yougoslave » en gestation s’articulait quand même largement avec l’identité serbe : c’était la Serbie qui était censée rassembler autour d’elle les Yougoslaves. Il en résulta rapidement des tensions avec les Slaves non orthodoxes, qui trouvaient que l’idée yougoslaviste res­sem­blait un peu trop à un cache-sexe des ambitions de la Serbie, et qu’ils risquaient d’être des cito­yens de second rang dans une future Yougoslavie construite par les Serbes : ces craintes se confirmèrent lar­gement entre 1920 et 1940, puis vers 1990162.

Tout ceci menaçait la région d’un autre irrédentisme, puisque aussi bien les souvenirs historiques, la carte religieuse que l’idéologie yougoslaviste invitaient à étendre la Serbie sur des territoires fort étendus, que les Ottomans n’avaient nulle intention de lâcher, et qui d’ail­leurs recoupaient en partie ceux dont rêvaient les Grecs — par ailleurs, d’autres de ces teritoires que les Serbes considéraient comme leurs étaient peuplés en majorité d’Albanais, comme ce qui est aujourd’hui le Kosovo (où se trouve non seulement le champ de la bataille de 1389, mais aussi d’importants monastères orthodoxes). Une nouvelle insurrec­tion éclata en Serbie dès 1815, et en 1817, contre les garnisons turques qui y demeuraient stationnées : Istan­bul dut accorder une autonomie élargie — la Porte conservait cependant encore un gou­ver­neur et des garnisons en Serbie.
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