Le vent se lève ! IL faut tenter de vivre”








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« L'impossible plutôt que rien »

Entretien avec Jean-Pierre Chrétien Goni

Entretien réalisé par Lise Lenne et Barbara Métais-Chastanier, au Vent se lève !, à Paris, le 11 novembre 2010.

Situé dans le 19ème arrondissement de Paris, Le Vent se lève ! se présente comme un « espace de création partagée ». Occupé depuis environ deux ans par un collectif de plusieurs artistes et administrateurs, dont Jean-Pierre Chrétien-Goni est le directeur artistique, le lieu, auparavant désaffecté, a été entièrement rénové et aménagé par l'équipe et comporte désormais plusieurs espaces (dont une salle qui peut accueillir du public) que se partagent administrateurs, techniciens et artistes.

Il nous tenait à cœur, dans nos pérégrinations en territoires utopiques, de partir à la rencontre de ces lieux qui se construisent en marge de l'institution théâtrale et tentent de remettre au centre des démarches et processus de création le rapport avec le public, et par là-même cherchent à redéfinir les contours de ce que l'on entend par le mot « public ».

Désigné par Jean-Pierre Chrétien-Goni comme « tiers-lieu », Le Vent se lève ! s'affirme comme « un lieu d'art ouvert rassemblant tous ceux qui désirent s'engager dans le travail de création, artistes de toutes sortes comme d'aucune ». Cette conviction que la création n'est la propriété ni le privilège de personne, mais doit être considérée comme un bien commun, et donc partagée par tous, se retrouve à plusieurs niveaux : dans la démarche artistique de Jean-Pierre Chrétien-Goni, qui travaille avec des personnes enfermées, empêchées, échappées ; mais aussi dans la philosophie du lieu, qui tente de ne pas céder à l'impératif de la logique de diffusion à cadence forcée mais de se préserver comme espace de recherche et de création. Pour garder la possibilité du fragile et du boiteux et que la force d'utopie puisse encore avoir un sens...

Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre”

Lise Lenne. On voulait commencer par vous demander d’où venait le nom de ce lieu et ce qu’il signifiait pour vous ?

Jean-Pierre Chrétien-Goni. Il y a un autre nom pour ce lieu, un nom caché, qui est le nom de l’association qui gère cet espace : « L’impossible ». Le nom plus caché que le premier, qui a été caché parce qu’il était trop long, c’est : « L’impossible plutôt que rien ». C’est une dénomination qui dit quelque chose de très important pour nous, à savoir qu’on ne s’est jamais posé la question de la possibilité ou de la faisabilité du projet. Il est clair que ce qu’on tente n’est pas indexé à l’anticipation d’une réussite. Si on se pose la question de la faisabilité, on ne commence pas une telle entreprise. Ce lieu est le fruit d’un chemin pris, chemin qui ne conduisait nulle part, mais qui était pour nous le seul possible parce que l’alternative était radicale : c’était cela ou rien car c’était le seul chemin possible, praticable en tout cas en regard de ce que l’on croit, en regard aussi de ce que le monde nous paraît devenir. C’est une position un peu désespérée, presque tragique. Il s’agit d’avancer au jour le jour. Ce n’est pas du tout une posture désinvolte, bien au contraire.

Pour le nom du lieu, nous avions proposé L’impossible, mais ce nom, en plus d’être connoté négativement, rappelait trop une époque désuète, celle des années soixante-dix. Nous avons donc cherché un nom qui ne soit pas de l’ordre du renoncement mais bien de l’appel. Le nom Le vent se lève ! a été proposé par Mariette Barré qui a participé à la naissance du lieu. Il s’agit du premier vers de l’avant-dernier quatrain du Cimetière Marin de Paul Valéry. Du coup, il faudrait citer la suite du vers pour mesurer vraiment le sens du premier mouvement : « Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! » On retrouvait cette idée d’un choix impossible, d’une contradiction à assumer. Et c’est dans cette tentative-là que nous nous inscrivons. Voilà pourquoi nous cherchons à développer une idée modeste mais qui est importante pour moi, celle de contribution : on est « contribuant ». Et la contribution appelle une responsabilité – même si l’édifice est évidemment promis à la ruine. La contribution est un geste qui nous paraît fondateur de notre activité, parce que la contribution est toujours dirigée vers l’au-dehors de soi. La contribution n’a pas de point assignable. Où est son origine ? C’est une contribution au mouvement de la levée du vent… Ce que nous tentons de faire ici.

Contribuer, c'est élaborer un commun


Barbara Métais-Chastanier. La contribution constitue-t-elle de votre point de vue un pendant à l’idée de partage ? Il y a un mot qui apparaît de manière récurrente dans les discours ou les productions verbales ministérielles qui est celui de « participation ». J’ai l’impression qu’on pourrait dessiner un arc de cercle qui commencerait par la contribution, qui passerait par le partage et qui aboutirait à la participation. En quoi cette idée de contribution fait-elle sens au sein de votre démarche ?

J-P. C.-G. La contribution dit que, à tous les titres, chacun est responsable du partage et y contribue de quelque façon que ce soit. On ne peut pas penser la contribution sans penser la notion de commun. Contribuer, c’est élaborer un commun. Le 15 octobre, nous avons participé, à notre façon, à la Journée mondiale de récupération des biens communs au sein desquels je place les pratiques de l’art et de la culture, qui sont des biens communs en partie confisqués. La contribution, c’est une façon de nous restituer à nous tous quelque chose qui est de l’ordre de ce bien commun, dont la culture fait partie. Je dis ça en insistant aussi sur la simplicité de ce que peut être le commun : on n’est pas dans le registre du bijou, il n’est pas question d’un bien rare – mais d’un commun qui nous caractérise. Je viens d’écrire un court texte sur le rapport Lacloche adressé au ministre de la culture1 et qui entend nous faire passer du principe de la « culture pour tous à celui de la culture pour chacun », en brocardant au passage « l’élitisme pour tous » de Vitez : on retrouve dans ce glissement des termes la notion de participation. Ce rapport témoigne d’un usage très pernicieux du langage et des idées : il révèle la façon dont des mots d’ordre, qui peuvent, par ailleurs, être également les nôtres, sont susceptibles d’être repris. Ce qui se joue derrière ce changement de mot, c’est le passage d’une culture de l’offre à une culture de la demande. On est donc dans l’ordre de la Carte Jeune, de l’abonnement préférentiel et de la facilitation. Mais il n’est aucunement question de contenu, de discours, de propositions artistiques et de création. On quitte la primauté du commun en le ravalant au rang du banal. Le commun n’est pas le dénominateur minimal qui nous rassemble, ce n’est pas le minimum accordé pour faire croire à une communauté. C’est bien pour cela que la culture a du sens : c’est quelque chose qui nous appelle et qui exige de nous. La société vous demande d’être contributeur à un endroit. Le geste de contribution est un geste créateur. Il n’est pas nécessairement original. Mais il y a tout de même contribution, levée. Le geste de participation, lui, est une fausse délégation de parole – c’est un espace commun falsifié et construit par en haut.

Derrière cette évolution, on assiste à la disparition progressive de la question de l’art au profit d’actions culturelles. Et, là encore, il est extrêmement difficile de combattre car les armes sont presque similaires : nous sommes bien les premiers à défendre la nécessité de la culture ouverte et de moyens pour l’action artistique et culturelle. Mais dans quelles conditions et pour quelle nécessité ? Ce n’est pas un hasard si dans le rapport Lacloche, le mot « art » n’apparaît pas une fois.

B. M.-C. Ce que vous faites remarquer, c’est cette main mise sur le langage dont témoignent ces démarches. Et une des choses qui nous a intriguées lorsque nous avons consulté le site du Vent se lève !  c’est ce refus de s’en tenir à la simple vitrine, le désir aussi de forger un autre langage que celui des évidences. Vous parlez des « espaces de la difficulté » ou encore « des espaces de l’enfermement et de l’empêchement moderne », vous redéfinissez également les notions de « laboratoire » ou de « rencontre ». Est-ce important pour vous la défense de cet espace du langage ?

J.-P C.G. C’est vrai que c’est quelque chose d’important pour nous – et je défends cet usage poétique de la langue. J’ai l’impression que le langage doit rester quelque chose de complètement mouvant, vivant, à redéfinir constamment, car aussitôt qu’il est posé, il est susceptible d’être réutilisé et détourné. Il y a plusieurs années, j’employais l’expression de « public empêché ». Aujourd’hui, qui utilise ce langage ? Les concepts, les notions sont constamment mobilisés. Et l’endroit où nous nous trouvons – celui de l’action dans les hôpitaux ou dans les prisons – peut très facilement être occupé pour de mauvaises raisons. Mais ces petits points de bascule insidieux sont très difficile à saisir, à faire signifier et à révéler.
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