B. Prévalence des exceptions en faveur des bibliothèques à travers le monde
Sur les 184 pays qui sont membres de l’OMPI, la recherche effectuée aux fins de la présente étude a identifié trois pays qui ne se sont pas dotés d’une législation sur le droit d’auteur (Afghanistan, Maldives et République démocratique populaire lao) et des sources utilisables de lois relatives au droit d’auteur pour 149 pays. Les listes de ces pays sont reproduites dans l’appendice à la présente étude. En ce qui concerne la liste de 149 pays, 128 d’entre eux ont adopté une exception en faveur des bibliothèques au sens de la présente étude31. Ainsi, 21 pays n’ont adopté aucune exception en faveur des bibliothèques. La quasi totalité de ces 21 pays sont regroupés dans trois parties du monde : Afrique; Moyen Orient; et Amérique du Sud et Amérique centrale. Ces pays se répartissent de la façon suivante :
Afrique : Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Jamahiriya arabe libyenne, Namibie, République démocratique du Congo, Sénégal, Seychelles, Swaziland et Togo.
Moyen Orient : Iraq, Koweït et Yémen.
Amérique du Sud et Amérique centrale : Argentine, Brésil, Chili et Costa Rica.
Pays complétant la liste des 21 pays : Haïti et Saint Marin.
L’absence d’une exception en faveur des bibliothèques dans ces pays n’implique pas nécessairement que ces dernières n’ont aucun moyen légal de réaliser des copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’utiliser ces œuvres à d’autres fins. La législation sur le droit d’auteur peut inclure des dispositions sur l’usage loyal ou l’acte loyal; plus souvent, les lois autorisent des copies individuelles à usage privé. Ces lois peuvent être interprétées comme autorisant les bibliothèques à réaliser des copies à des fins institutionnelles, telles que la préservation. Les lois sont sans doute plus clairement applicables aux copies individuelles réalisées par les usagers des bibliothèques et peut être à celles réalisées par ces dernières à des fins d’étude privée. Néanmoins, ces 21 pays ne disposent pas d’une loi qui apporte un degré relatif de certitude quant aux utilisations des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont autorisées dans les bibliothèques. La présente étude n’examine pas les raisons de cette absence d’exception en faveur des bibliothèques, mais les tendances géographiques sont frappantes. Les lois des pays du Moyen Orient, par exemple, sont analogues à bien d’autres égards. Un pays peut avoir bien des raisons d’adopter ou de ne pas adopter une exception en faveur des bibliothèques. L’influence exercée par les voisins de la région semble être l’un des facteurs qui déterminent la législation sur le droit d’auteur.
Étude de cas :
Pression exercée en faveur d’une exception au droit d’auteur au Chili La Loi chilienne sur le droit d’auteur en vigueur a été adoptée en 1970, et sa dernière modification remonte à 2004, mais elle ne comporte aucune disposition applicable spécifiquement aux bibliothèques. Au Chili, comme dans beaucoup d’autres pays, les bibliothécaires entendent rendre leurs fonds plus accessibles aux usagers, s’emploient à mettre sur pied des programmes de préservation de documents rares ou fragiles et, d’une façon générale, s’attachent à promouvoir la mise en œuvre de nouvelles technologies. Pourtant, les bibliothèques chiliennes ne font l’objet d’aucune disposition législative propre. La Loi chilienne sur le droit d’auteur inclut certaines dispositions dont les bibliothèques peuvent se prévaloir. Par exemple, l’article 38 permet d’une façon générale aux usagers de reproduire des “fragments” de certaines œuvres protégées sans que l’auteur touche une rémunération et sans l’autorisation du titulaire. Encore ce droit étroitement circonscrit est il limité aux œuvres de caractère culturel, scientifique ou didactique; cette limitation interdit à première vue à la bibliothèque de réaliser une copie quelle qu’elle soit d’œuvres pour le plaisir de l’usager, au nom de l’intérêt général ou à titre de simple divertissement.
L’absence de toute disposition dans la législation nationale a amené beaucoup de bibliothécaires à s’impliquer activement dans le processus législatif. Au moment où la présente étude était rédigée, l’assemblée législative chilienne examinait une nouvelle loi sur le droit d’auteur qui comporterait des dispositions sur les bibliothèques et permettrait à ces dernières : • De préserver ou de remplacer une œuvre faisant partie de leur fonds en cas de perte ou de détérioration.
• De substituer une œuvre à une œuvre de leur fonds ou à un fichier qui a été perdu, détruit ou rendu inutilisable, dès l’instant que l’œuvre n’est pas disponible sur le marché.
• D’ajouter une œuvre à leur fonds si l’œuvre en question n’est pas disponible sur le marché depuis cinq ans.
• De réaliser une copie d’une œuvre à des fins d’étude privée par l’usager.
• De réaliser une copie mise simultanément à la disposition de multiples usagers présents dans leurs locaux. • De traduire une œuvre qui est publiée depuis trois ans sans que le titulaire de droits ait mis une version en espagnol à leur disposition. Naturellement, l’adoption de cette loi n’est pas garantie et le projet a probablement beaucoup d’adversaires comme de partisans. Cela dit, la situation au Chili est instructive. L’absence totale de dispositions législatives concernant les bibliothèques met ces dernières dans l’impossibilité de fournir ne serait ce que les services courants, et elle a conduit à faire pression sur l’assemblée pour qu’elle adopte une liste de dispositions qui sont inscrites depuis des années dans la législation de certains autres pays.
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Sur les 184 pays, 79 ont adopté une disposition législative interdisant la neutralisation des mesures techniques de protection. Sur ces pays, 26 ont adopté une exception à cette interdiction qui s’applique expressément aux bibliothèques. Tous les pays qui appliquent une exception aux mesures anti neutralisation en faveur des bibliothèques ont également adopté une exception aux droits patrimoniaux dans l’intérêt de ces dernières. Une quasi constante concernant les 26 pays qui se sont dotés d’une exception aux mesures antineutralisation en faveur des bibliothèques est manifeste : la plupart d’entre eux (21) sont membres de l’Union européenne. Les pays non membres de l’UE concernés sont les suivants : Australie, Croatie, États Unis d’Amérique, Norvège et Singapour.
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