L’enfant précoce
On admirait dans un cercle nombreux,
D’un jeune enfant l’esprit fertile, heureux
Et cultivé, lorsque dans sa présence,
Un pédant dit : « Dangereuse science!
« Enfant si fin, qui trop tôt mûrit,
« À dix-huit ans est dépourvu d’esprit,
« Rien n’est plus vrai. » L’enfant dit à ce sage :
« Que vous deviez être fin à mon âge! » (1823)
La vanité
Une dame orgueilleuse, altière,
De sa noblesse toute fière,
Donnait pourtant mainte leçon
De vertu, de religion,
Aux gens d’alentour, au village
Qu’elle habitait. Elle était sage
Sous ce rapport; mais fréquemment,
Elle montrait le sentiment
Dont elle avait l’âme remplie,
Que dévote souvent allie
À la vertu. Sa vanité
Faisait tort à la vérité
Qu’elle prêchait avecque zèle.
Un jour qu’elle avait autour d’elle
Maint et maint honnête auditeur,
Qui l’écoutait avec ardeur,
Parlant de notre dernière heure,
Et de la céleste demeure,
Et du bonheur du paradis,
Comme on fait dans les saints écrits;
Disant comme eux que Dieu appelle
Tout homme qui lui est fidèle;
Quelqu’un singeant l’homme grossier,
Demande si le roturier
Pourrait au ciel avoir sa place,
Avec l’homme de noble race!
« Oui, lui dit-elle, assurément,
« Mais dans un autre appartement. »
L’échappée
Un bon père excédé des peines
Que lui causaient maintes fredaines
De ses enfants, voulait frapper
Ces marmots pour les corriger.
Sa femme, suivant l’ordinaire,
Se trouva d’un avis contraire.
L’époux lui dit, un peu piqué :
J’aurai, je crois, la liberté
De corriger ma géniture;
Je tiens ce droit de la nature.
Ouida! dit la femme en courroux,
Monsieur, ils ne sont point à vous! (1823)
Les bons conseils
Heureux l’homme dont la science
Protége les lois et les moeurs!
Le calme de sa conscience
Se communique à tous les coeurs.
Malheureux est le sycophante
Qui ne prèche que les forfaits!
Les remords que sa rage enfante
Doivent le ronger à jamais.
Le premier s’exprime avec grâce :
On aime son geste et sa voix.
On suit les exemples qu’il trace;
Il instruit et plaît à la fois.
Le second, dans sa rage impure,
Succombant sous de vains efforts,
Met son esprit à la torture,
Pour y mettre bientôt son corps. (1828)
Une leçon
Guillot, armé d’un gros tronc de sarment,
Émoustillait sa femme un jour de fête;
On court au bruit. – Eh! voisin, doucement,
Tu vas lui rompre ou les reins ou la tête!
– Depuis vingt ans, ami, je lui répète
De l’alphabet deux lettres seulement,
Mais point ne veut en meubler sa mémoire.
– Parbleu! compère, il est donc décidé
Que ces lettres sont du grimoire?
– Eh! non, morgué, ces lettres sont C D. (1843)
Joseph-David Mermet (1775-1820)
« On ne sait que peu de chose de la vie de Mermet, si ce n’est qu’il naquit à Lyon, vers les 1775, et qu’il passa trois ans au Canada (1813-16). Il était lieutenant à ce fameux régiment de Watteville, qui, de la Sicile où il faisait du service, vint en 1813 nous prêter main-forte contre les Américains. Son poème sur la victoire de Châteauguay, qu’il publia dès les premiers mois de son séjour au Canada, suffit à fonder son succès dans un pays où les hommes de lettres étaient rares et la critique peu exigeante.
Légitimiste ardent, le lieutenant Mermet se hâta, à la Restauration, de rentrer en France, où il s’attendait de voir enfin récompensé son attachement aux Bourbons. Mais, complètement méconnu par le nouveau régime, bientôt il regretta amèrement d’avoir quitté le Canada. La dernière fois qu’il donna de ses nouvelles (1820), il était à Marseille, déçu, pauvre, malheureux. » Note dans l’Anthologie des poètes canadiens,
composée par Jules Fournier. Montréal 1920.
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