Augustin-Norbert Morin (1803-1865)
« Auguste-Norbert Morin naquit à Saint-Michel... Sa Lettre à l’honorable juge Bowen, sur les droits du français devant les tribunaux, commença sa réputation, alors qu’il n’était qu’étudiant en droit. Fondateur de la Minerve (1826), puis député (1830), il prit par la suite une part considérable à la rédaction des Quatre-vingt-douze résolutions et fut chargé d’aller les appuyer auprès des autorités impériales (1834).
Il jouera un plus grand rôle encore sous l’Union et c’est ainsi que nous le trouverons tour à tour ministre dans le cabinet La Fontaine-Baldwin (1842-43), puis chef de l’administration, avec Hincks d’abord (1851), ensuite avec McNab (1854). Dans l’intervalle, il avait en outre été président de l’Assemblée légistative (1848-51)...
Nommé par la suite juge de la Cour Supérieure à Québec (1854), il fit, paraît-il, éclater dans cette nouvelle carrière des qualités plus remarquables encore que toutes celles qu’il avait montrées jusque-là. Il mourut à Sainte-Adèle, en 1865. » Note dans l’Anthologie des poètes canadiens,
composée par Jules Fournier. Montréal 1920.
Le berger malheureux
Une monstrueuse bête
A dévoré mon troupeau.
On m’a ravi ma houlette,
J’ai perdu mon chalumeau.
Les feux ont séché l’herbette;
Fidèle a fui le hameau. Ma prairie est dévastée,
Mes ormeaux sont abattus;
Ma fontaine est empestée,
Mes fruits se sont corrompus;
Ma chaumière est délaissée;
Colette ne m’aime plus. Mais dans mon malheur extrême
Il me reste un trésor;
Il vaut mieux qu’un diadème,
Il est préférable à l’or :
Si je me reste à moi-même,
Je possède assez encor.
Chanson patriotique
Riches cités, gardez votre opulence,
Mon pays seul a des charmes pour moi :
Dernier asile où règne l’innocence,
Quel pays peut se comparer à toi?
Dans ma douce patrie
Je veux finir ma vie;
Si je quittais ces lieux chers à mon coeur,
Je m’écrierais : j’ai perdu le bonheur! Combien de fois à l’aspect de nos belles
L’Européen demeure extasié!
Si par malheur il les trouve cruelles,
Leur souvenir est bien tard oublié.
Dans ma douce patrie
Je veux finir ma vie;
Si je quittais ces lieux chers à mon coeur,
Je m’écrierais : j’ai perdu le bonheur! Si les hivers couvrent nos champs de glaces,
L’été les change en limpides courants,
Et nos bosquets fréquentés par les grâces
Servent encor de retraite aux amants.
Dans ma douce patrie
Je veux finir ma vie;
Si je quittais ces lieux chers à mon coeur,
Je m’écrierais : j’ai perdu le bonheur! Ô mon pays! vois comme l’Angleterre
Fait respecter partout ses léopards;
Tu peux braver les fureurs de la guerre,
La liberté veille sur nos remparts.
Dans ma douce patrie
Je veux finir ma vie;
Si je quittais ces lieux chers à mon coeur,
Je m’écrierais : j’ai perdu le bonheur!
La saison
Tel qu’à vagues épendues
Marche un fleuve impétueux,
De qui les neiges fondues
Rendent le cours furieux;
Rien est sûr en son rivage,
Ce qu’il trouve, il le ravage,
Entraînant comme buissons
Les chênes et leurs racines,
Ôte aux campagnes voisines
L’espérance des moissons. Tel et plus épouvantable
S’en allait ce conquérant,
À son pouvoir indomptable
Sa colère mesurant;
Son front avait une audace
Telle que Mars en la Thrace;
Et les éclairs de ses yeux
Étaient comme un tonnerre
Qui gronde contre la terre
Quand elle a fâché les cieux.
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