Émile Venne (Léo d’Yril) (1896-)
E. Venne a publié un recueil de poésie, Les Symphonies, en 1920. Il a été architecte.
Ritournelles
Au gré des vieilles ritournelles
Les sylphes dansent sur les verts gazons,
Tandis que là-haut jouent les hirondelles
Qui tournoient, tournoient en battant des ailes :
Voici le retour des neuves saisons. Aux vieux airs perdus, ritournelles
Des printemps bannis qui nous reviendront,
Viens, nous danserons tous les deux, ma belle,
Avecques les sylphes, les hirondelles :
Voici le retour des neuves saisons.
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Au caprice du vol...
Au caprice du vol de mes élytres d’or,
Phalène éblouissant, au foyer de la vie
J’ai goûté tous les feux et toutes les folies,
Sanglé dans mes couleurs de fin conquistador. Mais hier, cependant, au feu de vos prunelles
J’ai senti ma couleur se muer en émail,
Mes antennes se prendre en un rose corail,
Et roussir quelque peu les pointes de mes ailes!...
Laissez neiger un peu...
Laissez neiger un peu de l’amour en vos coeurs
Les paillettes fragiles.
Et ne ramassez pas les pétales des fleurs,
Qui vont mourir, graciles, Dans la beauté qui brille à travers le jardin
Où vous conduit le rêve,
Suivez tous les détours que fera le chemin,
Sans fatigue ni trève. Vers le temple d’Éros, marchez dans la splendeur...
Un trille s’éternise,
Sonore, au long du soir, et, se mêlant aux fleurs,
Monte et se divinise...
En rond, dansez en rond
En rond, dansez en rond, petites fées,
Dans les clairières de fleurs parsemées,
En rond, dansez en rond, petites fées. Voici que s’en vient sur le chemin gris,
Vite les chansons, les jeux et les ris,
Voici que s’en vient sur le chemin gris Ma reine, petite reine jolie.
Couronnez de lierres et d’ancolie
Ma reine, petite reine jolie! Sur la mousse faites un lit de fleurs,
Et vous, les oiseaux, faites le bonheur.
Sur la mousse faites un lit de fleurs. En rond, dansez en rond, petites fées,
Dans les clairières de fleurs parsemées,
Dansez en rond, voici ma bien-aimée!
Le soleil peut cesser...
Le soleil peut cesser de briller sur le monde.
Les étoiles au ciel peuvent s’éteindre, toutes,
La pluie incessamment peut tomber goutte à goutte,
La lune peut voiler sa face pure et ronde,
S’il me reste la vie ardente de tes yeux. S’il me reste tes yeux,
Et toi, si tu me restes, amie,
J’ai tout ce que l’on peut demander à son Dieu
De joie, et je l’en remercie. Qu’importe la clarté du soleil et du ciel
À mon âme?
Elle n’a que l’aigreur du fiel,
Elle n’est que froideur et lumière sans flamme,
Si ton rire vibrant ne lui verse son miel. Le soleil peut cesser de briller sur le monde,
Je ne m’en plaindrai pas, et, riche, ma faconde
N’en souffrira jamais, s’il me reste tes yeux,
Tes grands yeux, et ta bouche, et ton coeur radieux...
Cette âme
C’est mon âme d’enfant où le doute est entré,
Cette âme que tu vois, comme une vague houleuse,
Tour à tour agitée et tour à tour paisible,
Si douce par moments, si vibrante et sensible,
Si crispée un tantôt, si brutale et nerveuse. Cette âme, que tu vois, qui se voue à l’amour
Et peut-être demain en maudira les dieux;
Cette âme, qui se berce au mensonge des yeux
Et s’obstine ombrageante à la clarté du jour, C’est mon âme d’enfant où le doute est entré.
Ce serait un pays...
Ce serait un pays qui tiendrait à la fois
De l’Inde et de la Perse,
Où tu serais déesse
Et dont je serais roi. Dans un temple d’onyx, d’or et de syénite,
Chaque jour j’offrirais à ta beauté suprême
Quelques bijoux nouveaux, bagues ou diadèmes;
Dans un temple d’onyx, d’or et de syénite. Sur un autel orné de scuptures barbares,
D’entrelacs curieux et de petits dieux grêles,
Des fleurs se faneraient dans des potiches frêles;
Sur un autel orné de scuptures barbares. Aux jours de grande joie et de fête publique,
Pour offrande qui soit plus plaisante à ma reine
Je ferais apporter par mes pages d’ébène,
Aux jours de grande joie et de fête publique, Sur des coussins de soie et de velours de pourpre,
Pour la mettre à tes pieds, toute une féerie
De perles, de rubis, toutes les pierreries;
Sur des coussins de soie et de velours de pourpre...
Roger Maillet (1896-)
Chanson
Au vent de l’aube, en chaloupe, sur la rivière,
[ah! que la vie est triste et que l’espoir est fou!]
au vent de l’aube, dans ma pipe de Bavière
j’ai fumé, puis j’ai bu du gin à petits coups. Le courant m’emportait doucement vers la chute.
[ah! que la vie est triste et que l’espoir est fou!]
le courant m’emportait; aux bords c’étaient les flûtes
qui servent aux oiseaux, les matins clairs et doux. Le soleil surgissant avait l’air d’une mitre,
[ah! que la vie est triste et que l’espoir est fou!]
le soleil magicien mettait de l’or aux vitres,
je filais au moulin dont j’entendais la roue... Puisque ma bien-aimée ironique et morose
[ah! que la vie est triste et que l’espoir est fou!]
a piétiné mon coeur et s’est ri de la rose
que je lui ai donnée au premier rendez-vous, je fermerai les yeux pour ne plus voir l’aurore,
[ah! que la vie est triste et que l’espoir est fou!]
j’irai vers le rapide effrayant et sonore,
et l’on me trouvera demain sur les cailloux...
Hermas Bastien (1897-)
H. Bastien a publié en 1919 un recueil de vers, Les Eaux grises.
Sous bois
J’ai revu la forêt sombre des Laurentides
Où l’ombrage déclive, au rêve hospitalier,
Me reposa jadis de la ville fétide.
Nulle clameur du val et nul chasseur avide
N’y troublent le repos où l’on peut oublier. La mousse enrobe encor, brodeuse infatigable,
Les fûts des cerisiers, des frênes, des bouleaux,
Qui croisent au soleil leurs branches innombrables.
La vrille a perforé l’écorce des érables,
Dont s’élèvent au ciel les gothiques rameaux. Oh! que de chants bénis sur son clavier de feuilles
Entonne la forêt au lever du matin :
Joyeux refrains d’amour par lesquels on accueille
Le poète songeur dont l’âme qui s’endeuille
Attend le pur baiser d’un soleil argentin. Ô trembles! quels pensers absorbent vos silences?
Les gestes délicats de vos torses menus
Revêtent aujourd’hui l’attitude des lances.
Lorsque la brise aux mains pieuses vous balance,
Il semble que j’entends des soupirs contenus : « Notre ami, comprends-nous, chuchota leur verdure,
« Toi dont parfois notre ombre a veillé le sommeil,
« Et puise en la forêt un courage qui dure,
« Où le tourment de vivre en extases s’épure
« Comme un ciel nuageux par un coucher vermeil. » Mon âme dans la paix du bois se plonge, entière,
Mêlant tous ses désirs à son susurrement.
Ô la félicité de se sentir lumière...
Elle vêt le manteau de sa candeur première
Et se repose sous un tremble, exquisement.
Robert Choquette (1905-1990)
À Albert Lozeau
Ton coeur est un oiseau qu’une feuille protège
Dans la fourche d’un arbre immense. Un vent léger,
L’aube claire, un silence, un parfum peut changer
Ta méditation en un rêve de neige. L’écho de ta chanson roule comme un arpège
Loin par delà le mont qui se hausse; un berger
Tend l’oreille, écoute; et tu sembles allonger
Le fil d’or de ta voix jusqu’à son blanc cortège. Dans le ciel merveilleux tu t’envoles souvent,
Mais sans éloigner trop le nid qui tremble au vent
Où tu reviens sitôt que tes ailes sont lasses. Tu te laisses bercer aux souffles palpitants
Et ne crains pas l’hiver ni ses froids ni ses glaces,
Car tu portes au coeur un éternel printemps.
La chasse-galerie 1938 Au fleuve de la nuit, le long du vent,
Sur les pins bleus gonflés de clair de lune,
D’un bras égal et d’une âme commune
Nageons, les gars, Satan est à l’avant!
Que le canot des infidèles,
Dont l’âme immortelle est en jeu,
Garde un élan qui décourage les coups d’ailes
Des plus puissants oiseaux de Dieu! Ô la nuit bleue et or! Nageons, courbons le torse!
L’eau lourde de la nuit, l’eau que nous déchirons
Se hausse, coule aux flancs de la volante écorce
Et murmure... Hardi, plongeons les avirons,
Qu’ils remontent mouillés d’étoiles et de lune!
Le front penché, mordu de vent,
D’un bras égal et d’une âme commune
Ramons, les gars, Satan est à l’avant!
Nous glissons, effarés et mordant notre haleine.
Que nos ceintures, dans le vent, derrière nous,
Te consolent, ô nuit, d’un sillage de laine,
Car l’aviron glacé qui frotte nos genoux
Mutile sans pitié ton beau fleuve de lune!
Les yeux troubles, vrillés de vent,
D’un bras égal et d’une âme commune
Hardi, les gars, Satan est à l’avant! Nous les voyons passer, les lacs lamés de glace
Où s’amoncelle une ombre aux reflets verts et bleus.
Nous les imaginons quand janvier fera place
Aux soirs d’été, quasi miraculeux
Tant l’étoile en descend comme une ardente grêle;
Soirs où les lacs du nord ont une eau de velours.
– Hardi, les avirons, le long du canot frêle! –
Nuits d’été... Leurs moissons, leurs arbres aux bras lourds
De feuillage, de fleurs, de fruits et d’ailes closes!
Soirs des roseaux chanteurs! soirs chargés de grillons!
Magnétiques minuits, quand l’homme, avec les choses,
Dort aux parfums profonds qui montent des sillons,
Là-bas où les troupeaux broutent le clair de lune!
Les yeux mi-clos, collant la joue au vent,
D’un bras égal et d’une âme commune
Nageons, les voyageurs, Satan est à l’avant! Mais ce n’est pas juillet, c’est janvier et sa neige;
Un étau de cristal mord les bois infinis.
Mais qu’importe l’hiver au canot sacrilège?
Il passe, et nous voyons les pins vernis
Glisser dans la pénombre en sous-marine flore!
Voici luire déjà les champs, de verglas bleus.
– Hardi, beaux avirons, nagez, plongez encore! –
Et vous, les humbles toits, ramassés et frileux,
Les longs ennuis d’hiver en cercle autour des lampes,
C’est nous, les voyageurs! tremblez quand nous passons!
Un immense vertige auréole nos tempes,
Nous volons au plaisir, à l’amour, aux chansons!
Nous plongeons l’aviron à même un clair de lune!
Mornes maisons, salut, du haut du vent!
D’un bras égal et d’une âme commune
Ramons, les voyageurs, Satan est à l’avant! Pour l’éclair du plaisir, pour une heure de fête
Nous risquons notre ciel. Mais l’appel du danger
Est un alcool puissant qui nous monte à la tête!
Hardi, les compagnons, que l’aviron léger
Baigne les toits dormeurs d’une écume de lune!
Ivres, les cils glacés au vent,
D’un bras égal et d’une âme commune
Nageons, les gars, Satan est à l’avant!
Nous volons à l’amour, aux baisers, aux caresses!
Nous, les captifs du nord, nous allons conquérir
L’été du coeur, qui brille aux yeux de nos maîtresses!
Nous volons à la vie, au risque de périr
Dans une éternité sans étoile et sans lune! Au fleuve de la nuit, le long du vent,
D’un bras égal et d’une âme commune
Hardi, les voyageurs, Satan est à l’avant!
Que le canot des infidèles,
Dont l’âme immortelle est en jeu,
Garde un essor qui décourage les coups d’ailes
Des plus puissants oiseaux de Dieu!
Sources Anthologie des poètes canadiens, composée par Jules Fournier, mise au point et préfacée par Olivar Asselin, Montréal, 1920.
La Poésie franco-canadienne, compilation par Louis H. Taché, Imprimerie du « Courrier de St-Hyacinthe », 1881.
Les Fleurs de la poésie canadienne, Beauchemin & Valois, Libraires-Imprimeurs, Montréal, 1869.
John Huston, Le Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne. Montréal, 1848. 4 tomes.
F. G. Marchand, Mélanges poétiques et littéraires, C. O Beauchemin & Fils, libraires-imprimeurs, Montréal, 1899.
Arthur Buies, Chroniques II : voyages, Typographie de C. Darveau, Québec, 1875.
Abbé Appolinaire Gingras, Au foyer de mon presbytère : poèmes et chansons. Québec, Imprimerie A. Côté & Cie, 1881.
Hubert LaRue, Mélanges historiques, littéraires et d’économie politique. Vol. II. Québec, Imprimerie de P. G. Delisle, Québec, 1881.
Madame Boissonnault, L’Huis du passé, Montréal, 1924.
Cet ouvrage est le 72ème publié
par la Bibliothèque électronique du Québec.
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