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Nouvelle République du Centre, le quotidien régional, titre sur les Rendez-Vous de l’Histoire. Je parcours les pages concernées avec l’avidité de quelqu’un qui a l’impression de ne pas vivre le moment dont il rêvait et qui espère en saisir la réalité par procuration. On parle sur trois pages de l’organisation générale du festival, des discours prononcés la veille au cours des conférences inaugurales… et dans un petit article en bas à droite, preuve qu’on le juge d’une importance assez relative, on rapporte l’agression subie par l’historien Maximilien Lagault. Je referme le journal comme s’il avait soudain pris feu et me brûlait les doigts. Je voulais lire quelque chose sur l’actualité française, l’actualité du monde, et je suis revenue m’emprisonner dans ces événements qui me touchent. Mais au fait, où sont ces informations que je cherche ? La une du quotidien n’évoque que des faits locaux, accidents, décès suspects et autres faits divers. Le sommaire brille par son absence… ou peut-être bien que je ne sais pas le découvrir. Il me faut courir jusqu’à la page 50 pour atteindre enfin ces grands événements qu’on ne juge même pas dignes de figurer en première page. Je trouve cela consternant et, avec le sens du contre-pied qui me caractérise, je trouve dans ma propre réaction la preuve évidente d’un début de rupture avec le vrai monde, avec le vrai peuple : pour l’habitant moyen de Blois, quoi que j’en pense et même si cela me désole, savoir ce qui s’est passé dans sa rue a plus d’intérêt que ce qui s’est passé à l’autre bout du monde. Et personne ne pourra rien y changer. J’abandonne La Nouvelle République pour le numéro de Libération de la veille, le fameux Libé des Historiens. Chaque année, depuis quatre ans, la rédaction du quotidien confie à d’éminents historiens le soin de rédiger des articles sur des faits d’actualités majeurs. Le moins qu’on puisse dire est que ça change de l’ordinaire ; on est à une ou deux années-lumière de la Nouvelle République du Centre et de ses « chiens écrasés ». Le fait singulier et particulier qui fait l’actualité du jour est replacé dans une perspective plus globale. On lui donne enfin un sens, on l’inscrit dans le temps ce qui permet d’en limer les aspérités et les passions. Dire et redire que la société n’est pas plus violente aujourd’hui qu’il y a cent ans, c’est aller contre le sentiment commun. Expliquer clairement les dessous de la politique occidentale en Afghanistan en remettant en perspective le rôle de ce pays en Asie centrale depuis près de deux siècles. A chaque fois, l’actualité s’éclaire parce qu’on cesse d’avoir le nez dessus et qu’on prend assez de hauteur pour en saisir les tenants et en deviner les aboutissants. Dommage que la démarche soit si rare. A 9h30, n’y tenant plus, j’abandonne le salon VIP pour rejoindre la foire aux livres toujours déserte ou presque. Ici ou là, on commence à s’activer. On enlève les nappes de tissu dont on a recouvert les livres pour la nuit, on pratique une réassortiment après les ventes de la veille, on installe les chaises et on dégage de la place pour les auteurs venant dédicacer leurs ouvrages. En circulant tranquillement – de toute façon avec ma valise, je ne peux pas espérer battre des records de vitesse – dans les allées, je relève la présence annoncée de la philosophe Sylviane Agacinski, de la spécialiste de l’antiquité Marie-Françoise Baslez chez Fayard ou de la moderniste Elizabeth Crouzet-Pavan dont le dernier livre porte sur Venise. Seule véritable tâche de bruit dans ce silence quasi-religieux, l’attroupement qui se constitue près de l’entrée principale, devant le petit bar, dans lequel doit se dérouler l’émission de Jean-Pascal Juniniez. Il y a déjà deux fois trop de monde, majoritairement des tempes grises, et ça discute et ça chicane pour essayer de gagner quelques places dans la file d’attente. Mauvais temps ! Armés de parapluies, ces sexagénaires d’apparence paisibles risquent fort de se rebeller si on leur annonce que c’est complet. La sécurité du site a commencé à se relâcher. Les portes latérales sont désormais grandes ouvertes et il n’y a plus personne pour surveiller. Il se trouve donc dans les allées quelques curieux entreprenants qui, faute de pouvoir entrer par l’avant, ont eu, comme moi il y a une heure, l’idée d’essayer ailleurs. Je profite de la porte grande ouverte pour gagner l’espace professionnel dans lequel j’ai reçu il y a deux jours mon grand sac couleur DDE. - Mademoiselle Toussaint ?! Ce n’est ni un cri de surprise, ni une manifestation de déception. La réaction d’Agnès Farini est, comme d’habitude, calme et professionnelle. Si j’étais sur un bateau en perdition, j’aimerais assez que cette femme en soit le capitaine. Elle sait agir froidement, prendre un coup d’avance sur les événements. Ma propre situation la veille au soir en a été assurément la preuve éclatante. Jean-Marc Néjard me voyait embarquer pour Paris par le dernier TGV, Agnès Farini avait d’emblée compris que je ne prendrais jamais ce train. - Je venais voir auprès de vous si je dois retourner à l’Holiday Inn. Question que je juge sur le coup habile. Je sais déjà que la direction ne veut plus de moi, effrayée autant par sa propre réputation que par la meute des journalistes et des cameramen qui ont dû patienter une bonne partie de la nuit sur le trottoir de la rue Maunoury. Je ne me voyais pas me ramener auprès de madame Farini en lui demandant où elle comptait m’envoyer cette nuit. - Vous êtes bien sûre que vous voulez rester ? Quand vous posez une question et qu’on vous répond par une autre question, c’est signe que vous avez à faire à un politique, à un esprit retors ou à une inquiète. Hésitant à classer Agnès Farini dans les deux premières catégories, j’en viens à me dire qu’elle est sincèrement perturbée par ce qui m’arrive. Perturbée par mon propre sort ou par le sort qui pourrait survenir à la manifestation dont elle contribue largement à la bonne organisation, je ne saurais le dire. Ce qui est certain c’est qu’elle fera tout pour que j’ai une solution principale… et éventuellement une issue de secours. - Je me demande pourquoi je vous pose cette question, ajoute-t-elle dans la foulée. Si vous n’en étiez pas sûre, vous ne seriez pas là. Je me trompe ? - Je crois que vous êtes assez fine psychologue, dis-je. Je suis désolée de vous causer toutes ces difficultés. - Ne vous excusez pas, mademoiselle Toussaint. Vous n’avez certes pas cherché ce qui vous arrive et si nous avons pris quelques mesures pour votre sécurité, vous n’avez pas fait de caprices, vous. - J’aurais dû ? glissé-je en essayant de conduire Agnès Farini à aller au bout de son allusion. - Disons que certains sont ronchons et très à cheval sur ce qu’on leur donne pendant leur séjour. Cela va de la chambre d’hôtel à la taille de la voiture qui les véhicule en passant par la gratuité du minibar ou… Je sens bien que ce « ou » constitue la limite ultime des révélations qu’Agnès Farini se croit autoriser à faire. Je m’interdis donc d’essayer de la conduire au-delà de cette limite. - Pour cette nuit, je dois reconnaître qu’il n’y a pas beaucoup de solutions… ou du moins que je n’ai pas eu le temps de m‘y pencher avec assez d’attention. Le week-end, c’est complet dans toute la ville et même dans notre petite banlieue, il ne reste guère de possibilités. Maintenant, je me dis qu’on trouvera toujours quelqu’un pour accepter d’échanger sa chambre dans un hôtel deux étoiles contre une nuit à l’Holiday Inn… Et comme vous n’allez pas protester si on vous fait subir une seconde nuit dans un hôtel de standing normal… En clair, Agnès Farini ne s’inquiète pas des désagréments que je pourrais lui causer dans la gestion de son planning des intervenants du festival. C’est bien pour moi qu’elle a quelques soucis. - De quoi avez-vous tous peur depuis hier soir ? Jean-Marc Néjard était tendu comme la corde d’un arc. Monsieur Juniniez que j’ai rencontré tout à l’heure se déclarait prêt à me défendre auprès des plus hautes autorités de l’Etat… Vous même, vous me paraissez bien inquiète de ce qui pourrait subvenir. S’il faut affronter quelques journalistes, je le ferai. Pas avec plaisir parce que, contrairement à ce que vous pensez peut-être, je ne recherche pas spécialement la publicité. - Je ne sais pas si je devrais vous dire cela… Elle baisse la voix, regarde autour d’elle avant de poursuivre. - La police a des informations selon lesquelles vous pourriez être la prochaine victime d’un mystérieux groupe appelé Jules. Une femme entre deux âges, suivie à cinq pas d’un petit homme à cheveux blancs, entre à ce moment-là par la porte extérieure. Premier « arrivage » de la matinée. Agnès Farini m’échappe et je n’en saurai pas plus sur ces menaces ; elle trouve même peut-être dans ce regain d’activités le moyen d’éviter d’en dire trop. Je n’ose demander pour ma part si je peux laisser ma valise quelque part pour éviter qu’elle n’encombre le petit stand des éditions Bouchain. Je l’aurais bien abandonnée dans l’espace VIP mais je n’aurais réussi qu’à provoquer une alerte à la bombe et à faire évacuer en catastrophe tout le bâtiment. Le genre de publicité supplémentaire dont je n’ai guère besoin par les temps qui courent… Et je passe sur les petits bouts de mes dessous dispersés partout après l’explosion de ma valise suspecte par les artificiers de la police locale. Vraiment pas positif pour mon image : ils sont blancs et déjà passablement usés. Non, décidément, je suis condamnée à rouler ma Samsonite comme Sisyphe son rocher ! Toujours personne dans la Halle aux Grains ; les « fauves » ne seront lâchés qu’à 10 heures. Cela me laisse dix bonnes minutes pour rejoindre le box des éditions Bouchain, m’y faire une place si elle n’est pas déjà préparée – j’ai encore en tête l’improvisation de la veille au stand FRAMESPA – et me conditionner à subir le déferlement des curieux. Quand ils auront vu en vrai la femme de Jospin, ils viendront se rincer l’œil sur moi. L’accueil chez Bouchain est on ne peut plus sympathique. Visiblement, ils croyaient que, dans les circonstances actuelles, je ne me déplacerais pas. Je refuse un café et la possibilité de sortir griller une cigarette car « il reste du temps ». Devant moi, on entasse à la hâte une pile de manuels. Le dernier est posé verticalement en appui sur la pile, juste derrière une grande étiquette blanche portant mon nom. Cette gloire-là, à la limite, je veux bien y goûter ! - Combien en avez-vous ? - Hier matin, on en avait dix, m’explique la responsable du stand qui est directrice de collection chez l’éditeur… Et ce matin, vous pouvez compter, on en a toujours dix. - Ca vend mal ? dis-je. Vous n’êtes pas la première à le dire si cela vous rassure. - Oh, on discute beaucoup. Nous, on explique notre démarche éditoriale. Alors, on nous félicite et on nous encourage… et on part dévaliser le stand Armand Colin. Je ne pensais pas que ça se passait comme ça. C’est décevant. - Elle est naïve, intervient Jonathan son compagnon de permanence. Elle ne comprend pas que si je veux acheter un frigo, je vais prendre une marque connue plutôt qu’un truc dont le nom n’est jamais entré dans les pages publicité de chez Carrefour. - On ne vend pas des frigos ! riposte la brunette en secouant ses boucles avec aigreur. C’est de la qualité ce qu’on propose quand même ! Oups ! On ne va pas commencer par une scène de ménage car quelque chose me dit qu’entre eux… Enfin, bref… - Ecoutez, interviens-je, on va essayer de vous aider à démarrer. Soit mon nom déchaîne la curiosité et vous allez avoir un défilé que vous n’imaginez même pas en rêve, soit tout le monde fuit et le no man’s land devant le mur de Berlin prendra des allures de Champs-Elysées par rapport à ici. Vous préférez quoi ? - Qu’ils viennent… Et qu’ils achètent… Une pensée fugitive détruit dans ma tête mes tentatives pour remonter le moral de la directrice de collection qui a pris le risque de m’éditer. - Ma fille, c’est une pute ! Pas dans le sens littéral, maman ! Mais quelque part, c’est bien ce que je me prépare à faire. Vous voulez me parler, m’interviewer, me prendre en photo ? Et pourquoi vous ne prendriez pas aussi un ouvrage des éditions Bouchain qui vous accueillent gentiment sur leur stand sans faire appel au service de sécurité comme ils pourraient légitimement le faire ? Le pire, c’est que ça marche bien et que, si je ne m’en amusais pas autant, je m’en désolerais vraiment. A 11h10, il ne reste plus un seul de mes manuels devant moi. Ils sont partis moitié pour de simples curieux et moitié pour des équipes de médias. J’ai signé de ma plus belle plume après des dédicaces au style assez peu conformiste : « A l’équipe de France 3 Centre, pour son enthousiasme et sa gentillesse » ; « A Patrick Castaing de la rubrique Livres du Monde, bonne découverte du XVIIème siècle » ; « A Gilles et François de RMC, premiers sur le coup mais pas derniers pour la déconne » ; « Au caméraman inconnu avec respect et admiration pour cette discrétion ». Un seul de mes dix bouquins a été écoulé auprès d’un véritable étudiant en Histoire ; il était venu pour assister à un débat autour d’une nouvelle question de concours à l’auditorium de la bibliothèque mais, même en arrivant avec trois quart d’heure d’avance, il n’avait pas réussi à entrer. Quelque part, il avait la haine bien plus que moi. Aux médias, j’ai tenu le même discours, histoire de rester cohérente. Pas le « no comment » classique qui est la meilleure des façons pour se rendre encore plus suspect. Pas non plus le grand déballage de la fille bouleversée, aigrie et finalement pas plus convaincante. J’ai juste essayé de faire passer un message simple et clair comme je le fais avec mes étudiants lorsqu’il s’agit de leur faire comprendre que le lycée c’est fini et que maintenant, c’est bosser plus et mieux qui est au programme. Cela pouvait se résumer à voilà ce qu’on a dit sur moi, voilà ma vérité qui se trouve être la vérité. Et quand je balance ma vérité, elle contient tout, y compris ce qui peut ne pas être à mon avantage. Je ne cache pas que j’ai été auditionnée au commissariat et qu’ils pensaient tenir the « right woman at the right place ». Je ne dissimule pas qu’on m’a soustrait la nuit précédente à la soudaine affection de la presse en m’envoyant dormir ailleurs. - Où ça ? me demande Gilles de RMC. - Quelle importance puisque je n’y retournerai pas ce soir… Je vous rassure, je n’ai pas volé le peignoir et les serviettes. Pas la peine donc de chercher davantage. Laissez les braves gens faire leur boulot tranquilles. En fait, personne n’est vraiment agressif. Ils font leur job, mettent en boite, discutent pas mal avant (espérant convaincre de la pureté de leurs intentions) et un peu après… et « bonsoir Clara » on ne les revoit pas. L’important c’est d’avoir la déclaration, l’image, le mot qui va faire l’ouverture du prochain flash ou le gros titre de la page faits divers. Dois-je préciser que tout le monde se moque bien de ce que j’enseigne exactement, des étapes « honnêtes » de ma carrière (il y a toujours au moins une question sur Sept jours en danger) ou de mon opinion précise sur le « roman national » et les problèmes qu’il pose ? Je n’en attendais pas moins de leur part et je trouve finalement plus confortable d’être dans mes pompes que dans les leurs. Dire que petite fille je voulais être journaliste comme Christine Ockrent ! Ce n’était pas le bon rêve… - Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demande Jonathan le responsable du site internet des éditions Bouchain. - Tu te connectes au site des Pages jaunes et tu me trouves le numéro des principales librairies de Blois. Ils auront peut-être quelques exemplaires à nous céder. La remarque de Justine, la directrice de collection, en amène aussitôt une autre dans ma bouche. - Pourquoi pas ? Mais, au rythme où c’est parti, lorsque vous aurez récupéré ces malheureux manuels, vous aurez raté quelques ventes intéressantes. Je vous propose donc deux choses. La première c’est d’aller voir si sur le stand 128 ils ne sont pas trop désespérés de crouler encore sous les cinq exemplaires de ma thèse ; je suis sûre que vous arriverez à vous entendre avec eux. Justine tique. C’est pas très réglo de ma part de vouloir dédicacer mes propres ouvrages venant d’une autre maison d’édition. Je l’apaise avec mon « deuxièmement ». - Ensuite, il vous reste bien quelques autres manuels de cette collection, non ? Vous croyez vraiment que c’est le nom de l’auteur qui les intéresse ? Ou c’est la signature et l’entrevue qui va avec ? Quand j’arrive à être cynique comme ça, je me dis que Jean-Pascal Juniniez a vu plus clair en moi que je n’en suis capable. A 12h30, j’avais accumulé vingt-trois dédicaces, reçu sept encouragements à continuer à rabaisser le caquet de Maximilien Lagault, posé pour quatorze photos, vendu trois exemplaires de ma thèse et signé huit bouquins de la collection |
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