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Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi… Vous connaissez ? - Verdi, un peu… Né le 10 octobre 1813, il… Je me souviens avoir dévoré il y a deux ans la biographie écrite par Pierre Milza. Sur Verdi, il ne m’aura pas… - Non, Verdi je me doute que vous connaissez… Vous ne semblez pas être comme ces jeunes qui n’apprennent plus rien… L’opéra ? Simon Boccanegra ? - Pas au point de vous en chanter le grand air, j’en ai peur… Simone vient me sauver en annonçant l’arrivée de l’Aqualys en provenance… de Tours, ce qui est un bien long voyage. J’enfourne le post-it violet dans la poche de ma veste de tailleur, attrape d’un air volontaire et martial la poignée de ma valise et me prépare à prendre d’assaut un wagon de première classe qui sera sans doute passablement vide et dont nul ne voudra descendre. En matière d’assaut, Jeanne d’Arc n’a qu’à bien se tenir ! Entre Tours et Blois, le voyageur ferroviaire peut avoir légitimement l’impression que le temps se contracte. Après avoir quitté Saint-Pierre-des-Corps, la voie longe une gare de triage envahie par les herbes folles, bondit par-dessus la Loire puis s’élance sur la rive droite du fleuve dans un long sprint vers Blois. Lancé à pleine vitesse, on devine à peine Amboise et Chaumont plantées sur l’autre rive. Lorsque le train ralentit et que la voix du contrôleur crachote quelque chose de forcément inaudible dans les hauts parleurs, on a du mal à se dire qu’on est déjà arrivé. « Blois, ici Blois… » Toutes les annonces en gare se ressemblent décidément. Je guette donc en vain l’originalité locale dans le message enregistré par l’omniprésente Simone. « … Veuillez emprunter le passage souterrain s’il vous plait… » Le plus étrange finalement ce n’est pas le message mais la gare elle-même ! Elle paraît presque plus importante que celle de Saint-Pierre-des-Corps que j’ai quittée il y a une vingtaine de minutes. Il n’y a certes que trois voies principales (raisonnablement dénommées 1, 2 et 3 ) mais, au-delà de la marquise, tout un faisceau de lignes supplémentaires se déploie. Une motrice de secours et divers engins de surveillance des voies semblent indiquer une activité débordante que le présent conteste d’ailleurs. Pourtant, ici, le TGV est une espèce inconnue et la correspondance une éventualité qui n’est même pas prévue sur le tableau électronique. Le hasard – mais y a-t-il vraiment du hasard dans nos vies ? – veut que dans le souterrain je me retrouve à nouveau à côté de mon sexagénaire gourmand et mélomane. Le sourire qu’il m’adresse prend acte de ce caprice de la bonne fortune qui nous amène à nous croiser sans cesse.
De grâce ! Que quelqu’un vienne nous séparer ! Je ne sais pas, moi… Un voyageur à la bourre qui dévalerait l’escalier pour aller attraper son train. Il manquerait de me renverser, je me collerais contre la paroi de petites carreaux de faïence blanche pour l’éviter et mister tartelettes prendrait de l’avance. Une avance que je me garderais bien ensuite d’annuler. Si nous continuons à cheminer ainsi côte à côte, je le sens bien décidé à me proposer de partager un taxi. Et qui sait, s’il enhardit, le déjeuner de midi ? C’est quand même fou ce que la tête peut se faire comme film. Après un dernier sourire, l’homme s’écarte de ma route et va s’installer au buffet de la gare. Sans doute y attendra-t-il son ami qui doit arriver de Paris. Et moi, bien que n’étant pas spécialement versatile de nature, je prendrais presque son attitude pour un lâche abandon. Puisqu’on évoque ce sujet, j’ai clairement l’impression que d’autres m’ont abandonnée. Je n’imaginais certes pas des banderoles à ma gloire, la fanfare municipale et de grands discours des édiles locaux pour saluer mon arrivée, mais la lettre reçue disait bien que je serais attendue à 10h59 dans le hall de la gare de Blois. C’est bien la gare de Blois. C’est bien son hall.. Je tourne un peu dans cette espèce de grand rectangle aux murs blancs mangé côté quai par l’espace de la Presse et une petite salle d’attente. Je contourne les distributeurs automatiques de friandises (des fois que derrière…), jette un œil dans la salle voisine où quelques futurs voyageurs s’agglutinent pour acheter un billet. Personne ! Ca ressemble fort à un beau lapin. Il y a bien une sorte de grande table posée en travers près de la sortie. Une table recouverte d’une sorte de grand drap satiné noir avec derrière deux grandes grilles d’affichage. On sent bien qu’il se passe quelque chose… ou qu’il va se passer quelque chose. Mais pour le moment ce que j’observe relève plus de la potentialité que de la réalité. Il n’y a pas même une affiche officielle pour rappeler la tenue de ma manifestation historique dans la ville. - Vous venez pour participer aux Rendez-Vous ? Je sursaute. C’est un « quinqua » un peu bedonnant qui m’a apostrophé depuis son siège, percevant sans doute dans mes divagations pédestres l’expression d’un certain trouble. J’acquiesce d’un signe de tête. Comme souvent, dans les situations imprévues, les mots ont du mal à sortir du coffre-fort desséché de ma bouche. Sauvage un jour, sauvage toujours… Même si je me soigne ! - Ils ne vont pas tarder, je pense. A cette heure-ci, ça ne tourne pas encore à plein… mais comme il y a bientôt un train qui arrive de Paris… D’un geste, il indique le tableau électronique. Effectivement, un train en provenance de la capitale est annoncé avec un quart d’heure de retard. - La préposée à l’accueil est peut-être sortie fumer une cigarette pour profiter de ce répit inattendu. Vous verrez… A mon avis quand on va annoncer le train de Paris, l’hôtesse va apparaître comme par enchantement. - Vous êtes déjà venu ?… - On peut considérer que je commence à être un habitué, répond-il en brandissant sept doigts devant son visage. - Septième participation ?… Eh bien, moi je n’en suis qu’à la première et je commence un peu à stresser. - Il ne faut pas. Vous verrez, en général tout se passe comme sur des roulettes… L’équipe d’Agnès Farini ne laisse rien au hasard. Vous allez être chouchoutée comme vous l’avez rarement été dans votre vie… Un blanc dans la discussion. C’est à moi de parler et je ne trouve rien à dire. - Ah oui ! Effectivement ! Vous avez clairement l’air de stresser, reprend l’inconnu… Alors, on va reprendre du début. Je m’appelle Gilbert Copote et j’anime des ateliers pédagogiques informatiques à l’IUT…Et vous ? Je tends la main, geste qui m’aide – allez savoir pourquoi – à libérer assez de salive pour que ma bouche puisse formuler une réponse basique. - Fiona Toussaint, maître de conférence en Histoire moderne à Toulouse. - Enchanté de vous rencontrer, madame Toussaint… - Mademoiselle… Si c’est pour faire de telles rectifications, je ferais mieux tous comptes faits de la boucler. Ca fait pimbêche qui refuse d’assumer son âge… D’un autre côté, c’est vrai que quelque part en moi – et je ne le sais que trop - il y a un véritable refus de quitter l’enfance. Me « madamer » c’est briser mon rêve d’éternelle innocence. - Tenez, regardez ! reprend Gilbert Copote sans paraître se formaliser de mon rectificatif… Voilà notre hôtesse !… Dépêchons-nous de la rejoindre si nous voulons être du premier convoi. Derrière le mot de « convoi », il y a bien une réalité. Nous nous retrouvons effectivement à attendre notre tour dans une sorte de file informelle surtout faite de valises et de gros sacs. Grâce à l’intervention galante de mon cicérone qui me laisse sa place, j’embarque dans la première voiture de location en partance pour la Halle aux grains. A la sortie du parking, la Renault part à gauche, tutoie deux feux orange, plonge à grande vitesse vers le centre-ville. Je me concentre sur la route sans oser regarder par la fenêtre. C’est dans ces moments-là que je saisis le mieux pourquoi je préfère voyager par le train… La voiture contourne un parc couronné d’arbres immenses, se lance dans une grande courbe en montée. Un bref ralentissement devant une école. La Renault se gare sur la gauche. Au terme de ces trois minutes sportives, nous sommes arrivés. Et entiers. Ce qui quelque part tient du miracle… ou de la faible circulation dans la ville à cette heure de la journée. Déjà, le chauffeur a jailli de son poste de conduite, ouvert le coffre et commence à le vider. Je recueille ma valise, lance un « merci » du bout de mes lèvres sèches et m’attache à suivre mes trois collègues qui s’échappent sans moi. Sans doute eux aussi bien ballottés – ils étaient en plus à l’arrière – ils semblent pressés d’en finir et de s’installer dans leur chambre d’hôtel. S’ils ont faim après ça, c’est qu’ils ont l’estomac en béton. Pour ma part, j’ai le petit-déjeuner aux portes du gosier. Nous nous enfournons tous les quatre dans une petite pièce rectangulaire. A gauche comme à droite, on a dressé des tréteaux recouverts d’une nappe autour desquels une nuée de jeunes gens s’agitent. Des cartons sont jetés ici ou là, un peu au hasard, comme si faute de place on avait dû improviser et parer au plus pressé. Désordre ? Impréparation ? Non, juste un regard qui ne sait pas voir les choses au premier coup d’œil, se laisser attirer par ce qui ne lui semble pas cadrer avec sa propre notion de l’ordre. Alors que la manifestation n’a pas encore commencé, on sent paradoxalement que chaque chose est à déjà sa place et que chacun sait ce qu’il a à faire. C’est l’exiguïté de cet espace qui donne cette impression de fouillis. Comme il n’y a que trois personnes pour assurer l’accueil, je dois attendre… Ce qui me convient fort bien. J’en profite pour essayer de deviner ce qui se passe, de l’autre côté de la lourde porte vitrée, dans la Halle aux Grains, centre névralgique des Rendez-Vous. A ma grande déception, je n’aperçois que des stands vides, des cartons de livres encore clos. - Mademoiselle ?… Mademoiselle ?… C’est déjà mon tour. - Bonjour, je suis Fiona Toussaint… - Ah, mademoiselle Toussaint !… Très bien !… Le visage jusqu’alors fermé de la quadragénaire blonde change instantanément d’expression. Sans doute s’était-elle émue de la curiosité d’une étrangère pour ce qui se passait dans la Halle aux Grains ? Mon nom, tel un sésame, a suffi à dissiper ses doutes. D’un geste vif, Agnès Farini – car c’est elle qui m’accueille comme me l’indique le passe qu’elle porte autour du cou – biffe mon nom sur la liste des arrivées. - Nous vous avons retenu une chambre à l’Holiday Inn. Je vais faire appeler quelqu’un pour qu’on vous accompagne… Je suis impressionnée. La liste ne porte trace que des noms et des heures d’arrivée prévues. C’est de mémoire qu’Agnès Farini a indiqué mon hôtel. Mais cet exploit – car je devine qu’elle doit connaître l’hébergement de chacun des participants – ne l’arrête pas le moins du monde dans son activité quasi mécanique. Agnès Farini a déjà extirpé d’un carton posé à ses pieds une sorte de grand sac orange aux anses démesurées. - Voilà différents documents pour votre séjour… Il y a un plan de Blois, des invitations pour des avant-premières, des documents pédagogiques… Et… J’ai à peine le temps de me saisir du sac couleur DDE qu’une grande enveloppe portant mon nom atterrit dans mon autre main. - Vous trouverez vos tickets pour les repas et, très important, votre badge personnel. Il vous permettra d’accéder à l’espace VIP du premier étage où vous pourrez venir vous reposer à tout moment de la journée… Encore impressionnée par cette efficacité, sans aucun doute fruit d’une longue habitude, je balbutie un timide « merci » et ne retrouve un peu de contenance que pour refuser poliment qu’un chauffeur me conduise à mon hôtel. - J’ai regardé sur la plan avant de venir… Je peux quand même faire cent mètres à pied… Ne dérangez pas quelqu’un pour si peu. - Vous êtes sûre ? J’observe une pointe d’étonnement dans le regard d’Agnès Farini. A croire que ma réaction n’est pas coutumière. Mes collègues auraient-ils donc à ce point rompu avec le monde des réels ? - Tout à faire sûre, je vous remercie encore… C’est déjà un grand privilège pour moi que d’être ici et qu’on s’occupe aussi bien de moi… Je n’ai pas envie de vous compliquer davantage l’existence… Quels qu’aient été mes aventures au cours de ces dernières années, je n’ai jamais trop goûté l’exposition de ma personne. J’exerce un métier public, certes, et j’ai dû concéder qu’il nécessitait de ma part des efforts pour paraître, sourire, communiquer…. En un mot – que je déteste – « me vendre ». Pour le reste, je préfère largement jouer à l’anonyme lorsque rien ne m’oblige à être Fiona Toussaint, maître de conférences, spécialiste en histoire des noblesses urbaines. Agnès Farini insiste une dernière fois, histoire peut-être de ne pas être prise en faute ou d’apaiser sa conscience, puis un demi-sourire éclaire son visage. - Alors, je vous souhaite un bon séjour à Blois. - Et moi beaucoup de courage car je crois que pour vous cela ne fait que commencer. Un nouveau demi-sourire vient compléter le précédent et déjà Agnès Farini se replonge dans sa liste. Au 26 du boulevard Maunoury, les quatre étages du Holiday Inn tranchent avec les façades des maisons voisines. Sans être le grand luxe, il y a largement de quoi se sentir important en prenant possession pour trois nuits d’une des 78 chambres de l’établissement. Mon premier réflexe est de me précipiter à la fenêtre. La chambre donne sur le boulevard ; sur ma droite, je devine la toiture d’ardoises de la Halle aux Grains. Peut-on imaginer meilleur endroit pour sentir palpiter le cœur de la manifestation dont je suis, que je le veuille ou non, un des rouages. Le téléphone intérieur se met à sonner et interrompt cette pauvre réflexion. Un peu décontenancée – car je n’attendais pas d’appels – je mets quelques secondes à quitter la fenêtre pour décrocher. - Mademoiselle Toussaint ?… Ici la réception. Ne quittez pas !… Je vous mets en communication avec monsieur Jean-Marc Néjard. Professeur de lycée dans le plus prestigieux des établissements de la ville, Jean-Marc Néjard était le premier membre de l’organisation des Rendez-Vous à m’avoir contactée. Il s’occupait de préparer les débats dont il assurait souvent aussi la direction. C’était d’une certaine manière le pendant « culturel » d’Agnès Farini. - Allo ?… Monsieur Néjard ? - Fiona ?! Enfin j’arrive à vous joindre !… La voix est visiblement marquée par le stress, hachée par la respiration saccadée d’un homme ayant le souffle court. Il doit parler tout en marchant. - J’ai essayé de vous appeler sur votre portable toute la matinée… Bon sang ! Le portable ! - Je le coupe toujours dans le train, expliqué-je… C’est mon côté bonne citoyenne… Et j’ai complètement oublié de le rebrancher. - Ce n’est pas grave puisque je vous ai maintenant… Je vous ai raté de peu à la gare. Ensuite, j’ai appelé Agnès Farini pour qu’elle vous retienne mais vous étiez déjà partie… Vous êtes une personne insaisissable, Fiona. C’était dit comme une plaisanterie. A mes yeux, c’était un compliment. - Voilà pourquoi je cherche à vous joindre depuis ce matin… Il y a tout à l’heure à 14 heures au Château un débat que j’anime sur le thème Médias et Histoire : une relation difficile ?… et le journaliste Gérald Mauza qui devait y participer me fait faux bond . Il a été opéré en urgence de l’appendicite cette nuit. - Pas de chance ! fis-je sans avoir la moindre idée de qui était ce Gérald Mauza, ni en quoi ses problèmes d’appendice me concernaient. - Aujourd’hui, il n’y a pas encore grand monde à Blois… Et je cherche quelqu’un qui a été confronté aux médias pour participer à ce débat. Votre biographie m’a rappelé que… - Je crois savoir ce que vous avez retrouvé dans ma biographie, coupé-je avec plus de sécheresse dans la voix que n’aurais voulu en mettre. C’est là une histoire qui n’a pas grand chose à voir avec l’Histoire, la vraie… Et qui, de plus, ferait bien de rester enfouie là où elle est… - Aussi n’en parlerions-nous pas, concède immédiatement Jean-Marc Néjard… C’est votre regard sur l’univers médiatique qu’il serait intéressant que vous développiez. En quoi cela peut aider ou contrarier vos recherches par exemple… Dans cette marche arrière rapide, je reconnais l’attitude du type qui s’accroche à son dernier espoir et ne veut en aucun cas le laisser s’enfuir. Tout accepter plutôt qu’essuyer un refus ! Cela suffirait presque à attendrir mon cœur de sauvageonne. - Vous avez vraiment besoin de quelqu’un ? dis-je. - Au pied levé, je ne vois que vous. Cela a le mérite d’être clair. - Et qui y aura-t-il à cette brillante causerie ? - Pierre Lebrou, le producteur de l’émission « Grands jours des siècles »… Gisèle Moulin des Essarts, la directrice de la collection multimédia « Historial »… Et Maximilien Lagault… Je ne connais pas Gisèle Moulin des Essarts, je me suis endormie deux fois en essayant d’écouter « Grands jours des siècles » et je n’ai jamais pu comprendre comment Maximilien Lagault pouvait être un romancier à succès et membre de l’Académie française. C’est suffisamment casse-gueule comme débat pour m’attirer. Dans le meilleur des cas, je n’aurais rien à dire et cela m’ira très bien. Dans la pire des situations, si le ton monte, je pourrais toujours laisser un peu de venin s’échapper de mes lèvres. Avec deux de ces trois là il y a de quoi dire. Mais pas question d’aller trop loin non plus. Un peu de venin seulement. Je n’aimerais pas que l’organisation regrette déjà de m’avoir invitée. - C’est d’accord, dis-je… Je suis votre homme ! - Vous avez mangé ? - Non mais c’est pas grave… Je vais bien me dégoter un sandwich quelque part. - Je vous envoie un chauffeur à 13 heures. Un chauffeur ? Mais c’est une manie ! - Franchement, monsieur Néjard, si vous ne voulez pas retrouver mon sandwich éparpillé en éclaboussures peu ragoutantes sur vos notes, laissez-moi venir à pied jusqu’au château. Le voyage aller m’a largement convaincu que la marche est le plus sûr moyen de traverser votre ville. - Comme vous le voulez… Je vous attendrai devant l’entrée à 13h15 alors. - J’y serai. JEUDI APRES-MIDI J’ai pris un plaisir infini à redescendre à pied de l’hôtel vers le centre-ville. Tout en grignotant le sandwich acheté dans la première boulangerie du parking, j’ai pu me donner des repères pour la suite de mon séjour : l’entrée d’une rue piétonne qui s’enfuit en forte pente vers la Loire ; la Poste, installée près d’un étrange carrefour triangulaire que tout piéton prudent n’osera jamais traverser ; le jardin Augustin Thierry où trône le buste de cet éminent historien du XIXème siècle. En sortant du parc que domine le haut clocher de l’église Saint-Vincent, on a une vue imprenable sur l’arrière du château, la façade des loges. C’est marrant ! Ce château, j’ai failli le visiter avec maman à l’âge de huit ans lors de courtes vacances en val de Loire. Pourtant si j’ai vu Chambord, si j’ai aimé Amboise, si j’ai fondu à Chenonceau, le seul souvenir de Blois ramené de ce voyage était une odeur, celle du chocolat qui flottait sur la ville le soir quand nous rentrions à l’hôtel. Le château, je ne me souviens même pas de l’avoir aperçu. Nous étions logées près de la gare et jamais nous n’avons quitté ce périmètre pour se balader dans la ville. Arrivées en train, nous avons effectuées toutes nos excursion en car dans la région en partant toujours du parking de la gare. Enfin ! Il est donc là. Devant moi. En vrai ! Les visages de Louis XII, de François Ier, de Marie de Médicis et de Gaston d’Orléans défilent devant mes yeux comme dans ces diaporamas prétendument pédagogiques. Du gothique ultime à l’ébauche du style classique, Blois est un résumé de deux siècles d’architecture. Cette haute façade qui me fait face et domine la rue, date de l’époque du vainqueur de Marignan – qui est aussi, on l’oublie toujours, le vaincu de Pavie. Inspirée des travaux de Bramante au Vatican, la façade des loges donnait à l’origine sur de grands jardins à terrasses dont il ne reste plus rien aujourd’hui sinon la rampe que j’emprunte pour gagner l’esplanade devant le château. J’en viens complètement à oublier ce que je viens faire en ces lieux. Tous ceux qui connaissent ma passion fusionnelle pour le passé seraient bien étonnés en me voyant trembloter ainsi. Ils savent que je ne suis pas férue de ces visites de monuments historiques ; j’ai trop souvent l’impression de violer un sanctuaire, d’arracher des lambeaux au passé pour me les approprier. Je suis surtout mal à l’aise au milieu des troupeaux de touristes qui viennent voir un lieu juste parce qu’il est marqué de trois grosses étoiles dans un guide. Que verront-ils vraiment ? Que comprendront-ils réellement de l’importance du site qu’ils contemplent d’un regard curieux ? Ce que dira le guide dans son discours en trois langues ?… Les quelques phrases qui résumeront grossièrement un événement sur lequel aucun esprit n’aura prise ? Ici se sont joués plusieurs drames majeurs de notre histoire. Louis, duc d’Orléans, fils du malheureux prisonnier et poète Charles, y est né ; cette naissance dans le doux val de Loire sera un des éléments qui va ancrer la monarchie sur ces terres pendant des décennies. Le duc Henri de Guise fut assassiné entre ces murs en décembre 1588 et cet assassinat, ordonné par le roi Henri III si calomnié par la postérité, permit au pouvoir royal de reprendre la main contre les enragés papistes dans les funestes guerres de religion. Louis XIII, mon cher Louis XIII, a fait enfermer dans cette aile sa mère après s’être assuré du pouvoir qu’elle entendait garder par devers elle… Et c’est l’évasion rocambolesque de Marie de Médicis depuis une de ces fenêtres qui allait décider de l’intrusion dans l’Histoire d’un évêque crotté, comme il le disait lui-même, monsieur de Luçon, futur cardinal de Richelieu. Ici… J’hésite à poser la main sur ces pierres que le temps a en partie grisées. Jusqu’où peut aller l’idolâtrie et où commence le sacrilège ? Une colonne bruyante de lycéens me dépasse. Ils regardent à peine le château qui progressivement glisse de l’ombre à la lumière. Ou bien ils ne sont pas du tout sensibles à la force évocatrice de ces siècles anciens, ou bien, plus simplement, sont-ils de la ville et ne prêtent-ils plus guère d’attention à ce qui n’est pour eux qu’un élément parmi d’autre dans leur univers quotidien. Une volée de marches termine l’approche. Me voici face à la gracieuse et fragile beauté de cette façade au milieu de laquelle trône la statue équestre de Louis XII. Il se dégage de cette architecture délicate un équilibre puissant qui me touche et me submerge. Voilà bien pourquoi je ne suis pas faite pour les sorties « sur le terrain »… Quand je touche à ces lieux d’Histoire, ma carapace se fendille et les sentiments les plus forts viennent irriguer chaque parcelle de mon corps. Que ne suis-je restée dans mon bureau, au milieu de mes papiers, de mes bouquins et de mes questions ? Là-bas, je ne risquais rien. Là-bas, j’étais invulnérable. Je veux toujours garder la maîtrise de mon esprit. Depuis des années, cela me guide, cela me hante. Tout dans ma vie doit être raisonné et raisonnable. J’ai bien sûr eu mes instants de folie, mes moments incontrôlés mais je ne parviens pas vraiment à les apprécier. Je les trouve trop forts pour mes frêles épaules. C’est vrai… Qu’est-ce que je fous là à chialer devant cette dentelle de pierre blanche et ces entrelacements de briques rouges et noires ? De la place du Château on peut avoir, si on s’éloigne du monument vers le sud-est, un point de vue sur la Loire. A parler franchement, il s’agit là de la seule échappatoire pour dissimuler mes yeux rougis par l’émotion. Fort heureusement, il n’y a guère de monde encore sur l’esplanade et mon trouble honteux n’attire même pas l’attention du jeune cocher d’une carriole pour touristes stationnée devant la porte du château. Il garde la tête penchée sur son livre. Ouf ! Je me sens si ridicule. Mes larmes sont grosses de tous ces chagrins refoulés, enfouis et niés. Elles ravinent mon maquillage léger avant de se perdre quelque part entre mes lèvres et mon menton. Je tamponne tant que je peux, joues, yeux, lèvres, mais le flot semble intarissable. Et dire qu’on me croit insensible… Comme d’habitude j’ai de l’avance. Je me félicite de cette sage précaution qui me permet de reprendre progressivement le contrôle de mes esprits, de pacifier mes nerfs, d’apaiser les tensions qui m’ont submergée. Je sens peu à peu le rouge quitter mes joues, les tremblements de mes mains se réduire à une agitation ordinaire, le sec dominer l’humide. L’alerte est passée… Elle aura été brûlante… Pour tromper l’attente, je m’installe sur un des bancs qui ceinturent la place. Bien que pratique, cet élément de mobilier urbain jure, me semble-t-il, aussi près de cet édifice historique prestigieux. Un banc tel que celui-ci, c’est le quotidien banal semé dans le jardin du grandiose, comme un pied de chiendent au milieu des promesses d’une récolte. Mais si le banc m’interpelle par sa présence, que penser alors du grand rideau à lamelles violacé, marqué du logo des Rendez-Vous de l’Histoire, qui barre l’entrée principale du château ? Faute de goût ou indispensable concession aux réalités d’une époque « communicante » ? Je ne parviens pas à trancher. Voici que le troupeau de lycéens qui avait pique-niqué au bout de la place se rapproche avec une lenteur toute calculée de l’entrée et prend ses nouveaux quartiers auprès des deux bancs les plus proches du mien. Je tends, sans vraiment le vouloir, une oreille indiscrète. Ils parlent de tout et de rien, surtout de rien à mon sens, évoquant les amours d’une telle et le look d’une autre. Le Château ou l’Histoire ce n’est vraiment pas leur tasse de thé. S’ils ont été trainés ici par leurs enseignants, je ne sais si on doit féliciter ceux-ci pour leur abnégation ou les blâmer pour leur inconscience. Sans vouloir préjuger des capacités de ces adolescents, je doute fort qu’ils puissent comprendre quoi que ce soit à des discussions entre historiens. Même si le festival est destiné à un grand public, celui-ci est essentiellement constitué de férus d’Histoire, qui ont une solide maîtrise de la chronologie et pour qui Jacques Le Goff n’est pas une station de métro parisienne ou une marque de fromage breton. Lestés de leurs programmes de collège et de lycée, c’est-à-dire beaucoup en théorie et souvent peu dans les faits, ils auront décroché au bout de deux phrases, j’en mets ma main au feu. Et ce avec d’autant plus de certitude que je parle là d’expérience, ayant moi-même commis naguère, dans un collège sensible de Toulouse, le pêché capital consistant à croire qu’il suffit de parler de choses intéressantes pour intéresser un auditoire. J’en viens à souhaiter, dans l’intérêt de tout le monde, qu’ils ne soient pas venus pour assister au débat auquel je vais participer mais juste pour visiter le château. Un « Tu vas au MacDo avec Kevin ce soir ? » brise mes espoirs. Ils sont bien du secteur et doivent tous avoir découvert l’aile Louis François Ier avant même d’avoir eu dix ans. La poisse ! Par petits groupes ou parfois à l’unité, les premiers spectateurs ont commencé à disparaître derrière le grand rideau violet et blanc. Une file d’attente se forme et finit par s ‘allonger sur la place. Il est 13h20 et Jean-Marc Néjard n’est toujours pas là. Je me lève, marche vers l’entrée, revient sur mes pas, me demande qui je dois contacter sur place s’il n’arrive pas. On dira, en étant poli et modéré, que j’ai le chic pour faire monter la tension quand je ne suis pas dans mon élément habituel. Mais c’est comme ça… Il y a des point sur lesquels je ne parviens pas à évoluer. Parfois je le regrette. Parfois, non. - Où étiez-vous, Fiona ?… Cela fait dix minutes que je vous cherche… Et votre portable est toujours éteint… - Cela fait une demi-heure que je suis là. Devant le Château, comme convenu, dis-je avec humeur, aimant peu que les retardataires tentent de vous coller leurs fautes sur le dos. - Nous nous serons ratés, voilà tout… C’est une manière passablement cavalière de se tirer d’affaire mais je me garde bien de le faire remarquer. Depuis le temps que j’attends, je suis certaine de pouvoir décrire par avance une bonne partie des personnes qui seront dans la salle pour le débat. Celle qui m’a le plus marqué et peiné est une petite vieille voûtée portant de fines sandalettes grises et qui, à plusieurs reprises, avec une ténacité admirable, s’est présentée à la responsable du site pour lui demander à partir de quelle heure il faudrait se mettre dans la queue. Il devait falloir une passion de feu pour soutenir cette démarche chaotique, ces petits pas menus qui ne donnaient même pas l’impression de valoir une enjambée normale. Jean-Marc Néjard sait-il au moins qu’elle existe, cette petite vieille ? La remarquera-t-il tout à l’autre, sans doute pas très loin du premier rang, lorsqu’il distribuera la parole aux débatteurs ? Le professeur blésois, constatant que je ne réplique pas, s’efface pour laisser s’approcher les trois personnes qui l’accompagnent. - Encore une fois, je dois vous remercier Fiona de votre participation à ce débat… Et je vous présente les autres intervenants… D’abord Pierre Lebrou, que vous connaissez sans aucun doute… - De voix, réponds-je en serrant la main un peu molle de l’animateur de radio… Enchantée… - De même… Je suis d’autant plus ravi de vous rencontrer que j’ai utilisé il y a peu votre dernier ouvrage pour préparer une de mes émissions… - J’espère qu’il vous a bien aidé. - Grandement… Et je vous remercie doublement car à la qualité du fond, vous ajoutez celle de la forme. Votre écriture est d’une belle limpidité. Je pourrais boire du petit lait après un tel torrent de louanges. Je m’en garde bien. Tout cela est parfaitement convenu et ne présage pas d’une quelconque mansuétude de l’homme de radio à mon égard pendant le débat. Je serais même tentée de dire, au contraire… Il est des milieux où on s’assassine en se souriant. - Gisèle Moulin des Essarts… La poignée de main de la productrice de dvd pédagogiques est aussi énergique que son fond de teint est brillant. Voilà quelqu’un qui ne doit pas se laisser marcher sur les pieds sans griffer et mordre. A plus forte raison si, comme je l’imagine, elle a des billes dans la maison de production qu’elle représente. J’ai juste droit à un vague sourire. Pas un mot, pas un compliment, pas une parole de circonstance. On dira ce qu’on veut, ceux qui accusent les femmes de mesquinerie et de duplicité permanentes n’ont aucune idée des réalités. Dès le premier contact, la productrice, qui doit bien avoir dix ans de plus que moi, m’a assurée juste par son attitude du vif déplaisir qui est le sien à me voir participer à la discussion. Peut-être avait-elle imaginé régner sans partage sur une assemblée masculine ? Patatras ! Une plus jeune – et plus mignonne ? – qu’elle, débarquait pour lui gâter ses effets féminins. - Doit-on présenter monsieur Maximilien Lagault ? Non, évidemment, on ne présente pas Maximilien Lagault. Il aurait fallu avoir quitté le pays depuis trente ans pour ne pas connaître ce romancier populaire dont l’œuvre pléthorique brossait un panorama, forcément subjectif et personnel, de l’histoire de France. Dire que j’ai pour le romancier une passion aurait été un pieux mensonge. Un mensonge que je ne me sens pas capable de proférer en face de ce géant de plus d’un mètre 90. Et puis, de toutes les manières, je ne sais pas mentir. - Je suis enchantée de vous rencontrer, dis-je sans pouvoir aller au-delà de cette très plate banalité. - C’est réciproque. Je relève la tête tandis que nos mains se rencontrent. Je donnerai cher pour savoir ce qu’il pense de moi, ce que ce furtif contact de nos paumes lui a appris de moi. Son regard me paraît teinté d’amusement et de quelque chose d’un peu plus égrillard. L’homme, encore plus que le romancier, est – tout le monde le sait – un redoutable chasseur de chairs féminines en même temps qu’un contempteur acharné de ce que l’historien Nicolas Offenstadt appelle le « roman national ». Voilà deux bonnes raisons pour lui de jeter sur moi ce regard indistinct. Je ne suis pas jolie mais je peux être belle pour qui peut regarder au-delà des apparences. J’ai dans mes recherches démonté quelques croyances solidement établies par ce fameux « roman national »… en particulier dans un dernier articles consacré à la relation entre Louis XIII et Richelieu. Or, Maximilien Lagault ne peut que le savoir ; son prochain roman – il en sort un tous les quatre mois en moyenne – est consacré au grand cardinal. Voilà deux bonnes raisons de le voir méfiant et curieux de moi. Ce type était un véritable mystère. Agrégé d’Histoire, auteur dans les années 60 d’une thèse remarquée sur |
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