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- - Journalisme et polémique religieuse au XIXe siècle : L’Univers et L’Evénement. La polémique qui opposa L’Evénement, journal avec lequel Victor Hugo, un de ses co- fondateurs, entretint des liens étroits et mal définis de juillet 1848 à la fin de la seconde République, à Louis Veuillot , rédacteur du journal L’Univers, organe du « parti catholique », peut apparaître comme une péripétie sans conséquence. Elle n’a certes rien changé à l’enlisement de la proposition de loi sur la misère - occasion des premières attaques de Veuillot - ni à l’adoption de la loi Falloux, où la campagne contre Victor Hugo atteignit un summum d’intensité, ni aux ambiguïtés de l’expédition de Rome, où le poète- représentant du peuple faillit se faire prendre au filet de manœuvres tortueuses, ni au ralliement de l’Eglise au coup d’Etat du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, qui marqua le triomphe du folliculaire catholique en même temps que son enrôlement parmi les figures grotesques qui peuplent l’univers des Châtiments. Il est possible que ses conséquences littéraires soient plus importantes, et qu’elle ait joué un rôle dans la transformation de la poétique hugolienne que le recueil satirique inaugure : on sait que qu’à partir de Châtiments, la parole poétique hugolienne fonde sa légitimité sur des principes nouveaux -au moins dans la radicalité avec laquelle elle revendique pour elle (et pour la littérature) l’efficace propre à une parole adossée à un principe sacré1. Le rôle qu’a pu jouer occasionnellement un homme comme Louis Veuillot dans cette transformation de Victor Hugo en lui- même correspond peut-être à ce qu’on pourrait appeler un « sacre du journalisme ». Comment comprendre qu’un personnage aux mérites relativement minces et aux talents évidemment aussi limités, une des plus modestes pièces du gibier que le « Chasseur noir » inscrivit à son tableau de chasse, ait pu jouer un rôle aussi important, si ce n’est en admettant qu’en lui ce n’est pas tel journaliste, mais le journalisme en tant que tel qui se trouve magnifié sur le mode ambigu du grotesque ? Cette rencontre pourrait donc être emblématique du XIXe siècle et de sa confusion, si elle signifie l’affrontement du principe démocratique et du principe d’autorité ; et de la littérature, renonçant à être un signe de distinction, contre un journalisme qui combat la démocratie à laquelle il doit l’existence. Autonomie de la presse A la différence d’âge (onze ans séparent Victor Hugo de Louis Veuillot, mais huit ans le séparent de Montalembert, qui appartient au même univers rhétorique que lui) s’ajoute une différence d’origine sociale qui ici encore brouille les cartes : le plébéien Veuillot, attaquant le représentant du peuple devenu symbole de la démocratie, en vient à encanailler la Muse de l’ancien pair de France. Mais c’est surtout la conception du rôle de la presse qui diffère radicalement chez l’un et chez l’autre. Victor Hugo n’a jamais jugé problématique le cursus litterarum qui imposait, dès le début du XIXe siècle, un stage de journalisme à tout véritable apprenti écrivain2. Pour lui, l’autonomie du journaliste n’est pas plus en question que celle de l’écrivain. Ainsi Littérature et philosophie mêlées réintègre à l’œuvre littéraire les articles écrits dans les journaux au fil de l’actualité et en tire prétexte pour écrire ce que Michèle Fizaine a défini, d’une manière très heureuse, comme une poétique de l’écriture journalistique3. Et L’Evénement est adossé d’une part à La Presse de Girardin, d’autre part à l’œuvre littéraire de son fondateur, même si l’on peut discerner au fil des mois les étapes d’un affranchissement progressif de ses très jeunes rédacteurs à l’égard de leur inspirateur originel : cela même fait partie d’une pédagogie de la liberté qui exprime le sens que donnait Victor Hugo à une éthique de la paternité4. Tout autre est le trajet de Louis Veuillot, tout comme la doctrine qu’il met en œuvre. Paysan, fils d’un tonnelier devenu boutiquier sur le tard, bohême famélique végétant à l’ombre des notabilités du monde littéraire, claqueur d’Hernani, il doit à la révolution de 1830 de découvrir les joies que procure le pouvoir discrétionnaire exercé par un journaliste parisien envoyé en province, notamment à l’égard des artistes et des auteurs dramatiques. Mais il n’y a là rien qui distingue profondément Louis Veuillot de la cohorte des jeunes journalistes qui se bousculent dans le vaste chaudron infernal décrit par Balzac dans Les Illusions perdues. La gloire de Louis Veuillot prend sa source dans la « conversion » qui fait de lui, en 1838, le prototype du « journaliste catholique », cette invention du XIXe siècle. Ernest Renan reconnaissait pour principal mérite à Félicité de Lamennais d’avoir créé cette institution spéciale au XIXe siècle, le journalisme catholique5. Il satisfaisait ainsi une aversion apprise au séminaire, mais demeurée intacte à travers toutes ses évolutions. Il se pourrait donc que cette formule un peu dédaigneuse traduise une vérité profonde du XIXe siècle : le domaine de la religion ne serait- il pas le lieu où se manifestent avec le plus de symptômes scandaleux ou comiques les changements que le développement de l’écriture journalistique a introduits dans le procès de légitimation de l’écriture et dans l’imaginaire des pratiques d’écriture littéraire ? Ce sont ces changements que l’on peut tenter d’analyser et de décrire en s’attachant à la rencontre, de prime abord contingente et anecdotique, de deux hommes venus d’horizons si différents, comme Victor Hugo et Louis Veuillot, de 1849 à 1851. Conversions L’hostilité de Renan envers Lamennais lui vient sans doute de ses maîtres, mais s’enracine aussi, plus intimement, dans ce qui crée entre eux une parenté inavouable. Lamennais est un converti, passé du rationalisme à la foi, et qui a de surcroît abdiqué, par une apostasie retentissante, la gloire et le pouvoir que lui avait procurés et que lui promettait encore l’institution cléricale. Renan, lui, a mené sa carrière en faisant accepter aux yeux d’un public fasciné une apostasie pour une conversion. Mais la remarque pourrait être généralisée à l’ensemble du journalisme religieux au XIXe siècle. Le brillant argumentaire qu’était Le Génie du christianisme, mettant fin aux réécritures incessantes de l’Essai sur les révolutions, montrait déjà par quelle procédure les laïcs, faisant irruption dans le champ de l’apologétique, allaient s’imposer grâce à la presse comme médiateurs entre l’Eglise et le public. Transfuge de la philosophie, Chateaubriand, passant dans les coulisses de son argumentation rationaliste, devint en 1802 le machiniste d’une apologétique catholique avec assez de fougue et de talent pour qu’on l’accepte comme son champion : trait que l’on retrouve dans les pratiques et les trajets qui caractérisent la presse quelques décennies plus tard. Mais c’est bien Lamennais qui est l’inventeur du « journalisme catholique ». Catholique intransigeant mais progressiste, il attaque les philosophes en se plaçant sur leur propre terrain, comme le souligne Louis Le Guillou : « la démonstration mennaisienne tendait à prouver que le philosophe était un être anormal, une sorte d’hérétique du genre humain […] Ce n’était plus la religion qui était mise en accusation, mais la philosophie elle-même, coupable de lèse-humanité. »6 Ce n’est pas sans raison que la stylistique échoue à expliquer l’extraordinaire retentissement des Paroles d’un croyant7. Le prophétisme anachronique qui transportait dans le champ de la polémique publique les procédés de l’éloquence cléricale8 réalisait le mode de présence du religieux dans la société que décrivait théoriquement l’Essai sur l’indifférence. La double référence à Pascal (pour dire l’urgence de se décider sur la question de la foi) et à Rousseau, trop passionnément réfuté pour ne pas contaminer son adversaire (jusqu’à affirmer la primauté de l’instinct populaire sur la raison des élites) permettait d’allier à « une lecture religieuse de la politique […] une lecture politique de la religion.9 ». Il n’est donc pas surprenant que la violence prophétique soit un des modes les plus courants de la présence de la religion catholique à l’opinion française au XIXe siècle. Il va de soi que l’introduction subreptice d’un principe démocratique dans le fonctionnement des institutions liées à l’Eglise catholique ne pouvait être sans conséquence. La presse ne peut pas ne pas devenir la source d’un pouvoir symbolique relativement autonome, dans le domaine religieux comme ailleurs. Et, quelles que soient les options d’un Veuillot, c’est bien cet élément scandaleux (si l’on ne s’en tient pas à des analyses superficielles d’incompatibilités caractérielles) qui rend insupportable l’influence qu’il a su acquérir dans les instances du journalisme catholique. Ainsi se faisait sentir, jusque dans cet univers le plus confiné qui soit, le contrecoup de la grande révolution intellectuelle signalée par Victor Hugo : « Ce sera une des grandeurs de ce grand dix- neuvième siècle d’avoir posé, dans une sorte d’immense débat public et libre, avec toute latitude laissée à la négation comme à l’affirmation, en dehors et au- dessus des religions, la question suprême : Dieu […] pour la première fois, grâce à la Révolution française, cette question est débattue en toute liberté et comme en concile du genre humain. 10» Louis Veuillot, quant à lui, sera plus sensible à une autre voix, qui proclamait parallèlement, dans une tout autre perspective, l’imminence d’une refondation religieuse : « Nous touchons à la plus grande des époques religieuses, où tout homme est tenu d’apporter, s’il en a la force, une pierre pour l’édifice auguste dont les plans son visiblement arrêtés. La médiocrité des talents ne doit arrêter personne […] L’indigent qui ne sème dans son étroit jardin que l’aneth, la menthe et le cumin peut élever avec confiance la première tige vers le ciel. »11 Ironie du destin, qui fait servir à l’essor du journalisme une inspiration du grand théoricien de la théocratie. Mais c’étaient là des perspectives grisantes aussi bien pour le journaliste que pour l’homme de lettres. Leur rôle était magnifié, dans la mesure où, toujours soumis aux incertitudes de la doxa, ils sont du moins appelés à contribuer à la grande œuvre du siècle : fixer, dans le tumulte des opinions qui s’affrontent, ce qui sera demain le dogme de l’humanité -pour emprunter à Pierre Leroux et aux utopistes en général leur vocabulaire emphatique. Ainsi la presse, mais surtout la presse catholique, démasque-t-elle l’ambiguïté constitutive de la chose littéraire, d’être à la fois un métier et un magistère, de relever à la fois de la technique et du sacré, de nécessiter à la fois un savoir-faire et un ancrage éthique. La fonction auguste attribuée au journalisme, de contribuer à la refondation du lien religieux, s’oppose brutalement à l’image ordinairement donnée du journaliste. Les différents reproches adressés aux écrivains de presse, servilité, versatilité, arrivisme et scepticisme généralisé, se rattachent en effet tous à un reproche fondamental : les journalistes sont avant tout des techniciens de l’argumentation. Bien avant le Balzac des Illusions perdues, ils sont inculpés de savoir argumenter pro et contra, de soutenir avec la même virtuosité la thèse et l’antithèse, sans se soucier d’apporter une conclusion positive à un débat, une solution à une contradiction. Ces excellents élèves qui ont brillé dans les classes de rhétorique (qu’est-ce d’autre que la tirade de Lousteau, sinon la présentation canularesque, par un virtuose, de la technique de la dissertation, telle qu’elle s’enseigne dans les collèges ?) ont tourné le dos à ce qui restait le principe fondamental de l’enseignement de l’Université, l’ancrage traditionnel de la Rhétorique dans l’Ethique, qui fournit la seule légitimation possible à toute prise de parole12. Selon cette doctrine, on ne saurait être bon orateur sans être homme de bien. Sous le patronage de l’éclectisme, l’idée perdure que « l’homme digne d’être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la vérité et la vertu. » D’où l’image satanique ou dérisoire donnée au journaliste dès le début du siècle, et le caractère presque oxymorique de l’expression « journaliste catholique». |
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