ETUDIER UNE ŒUVRE D’ART
PRESENTATION DE L’OEUVRE
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TITRE DE L’ŒUVRE : La Guerre (Der Krieg). AUTEUR (nom et éléments biographiques) : Otto Dix est un peintre allemand de la première moitié du XXe siècle. Il est issu d'un milieu ouvrier (son père travaillait dans une mine de fer). Il reçoit une éducation artistique par sa mère qui s'intéressait à la musique et à la peinture. Dix prend des cours de peinture et entre à l'École des arts appliqués de Dresde, de 1909 à 1914. Il est soldat engagé volontaire lors de la 1ère guerre mondiale. Traumatisé par cette expérience, il peint ensuite pour « simplement transmettre la connaissance du caractère redoutable de la guerre, pour éveiller les forces destinées à la détourner ». Il appartient au courant de la Nouvelle Objectivité dont il est le fondateur, et à celui de l'Expressionnisme (déformer la réalité pour provoquer une émotion. La vision des peintres expressionnistes est souvent pessimiste et retranscrit les angoisses liées à leur époque). Après la prise du pouvoir par les nazis en 1933, Otto Dix est l'un des premiers professeurs d'art à être renvoyé par ce régime. En 1937, ses œuvres sont déclarées « dégénérées » par les nazis. Cent soixante-dix d'entre elles sont retirées des musées et une partie a été brûlée. DOMAINE ARTISTIQUE (arts de l’espace, arts du langage, etc.) : Arts du visuel NATURE (peinture, sculpture, œuvre littéraire, œuvre musicale, etc.) : Peinture-triptyque DATE : Le tableau a été peint par Otto Dix entre 1929 et 1932. Il n’a été exposé qu’une seule fois à Berlin en 1938. Considéré comme « dégénéré » par les nazis, il a ensuite été cachée dans une caisse afin de ne pas être détruit. LOCALISATION ACTUELLE (œuvre picturale ou plastique) : L’œuvre appartient à la collection de la Gemäldegalerie Neue Meister à Dresde (Allemagne) qui a acquis l’œuvre en 1968. THEMATIQUE : Arts, Etats et pouvoirs - raconter et représenter la guerre - la mémoire des conflits PROBLEMATIQUE : Comment ce triptyque, à travers la représentation qu’il donne de la première guerre mondiale, traduit-il l’engagement des hommes contre la guerre, dénonce-t-il la guerre ? De quelle manière se veut-il aussi mémoire de ce conflit mondial ? CONTEXTE HISTORIQUE (situation politique, société, etc.) : Otto Dix réalise cette œuvre entre les deux guerres mondiales. L’œuvre est à relier à la première guerre mondiale (1914-1918) et à ses conséquences morales et humaines. Elle est la première guerre industrielle. L'usage de nouvelles armes très meurtrières a traumatisé les hommes et les femmes sur le front et à l'arrière. Dix millions de soldats sont morts au combat, des millions d'hommes reviennent du front mutilés ou blessés. Il s'agit pour l'artiste de peindre les angoisses de son expérience dans les tranchées. Au moment où Otto Dix peint son tableau, l'Allemagne connaît une crise économique et sociale importante. Cette période se caractérise par une ascension fulgurante du parti nazi.
| FORMES1
Les catégories, les types, les genres, les styles artistiques ; la structure, la composition
| Description de l’œuvre :
Cette œuvre, composée de trois panneaux principaux, avec prédelle, tempéra sur panneau de bois, est appelée triptyque. Elle rappelle la forme des retables de la Renaissance.
C’est une œuvre figurative car on reconnait des éléments du réel : il s’agit de scènes de guerre.
Cette œuvre fait le portrait de divers soldats. Ils sont principalement vus en action, pendant la bataille. Il s’agit donc de portraits en mouvement. L’art du retable (précisions pour comprendre les sources d’inspiration d’Otto Dix) :
Le nom retable vient du latin retro tabula al taris (en arrière d'autel). Le retable appartient donc à l’art religieux puisqu’on trouve les retables dans les églises.
Il est fréquent qu’un retable soit constitué de plusieurs parties (deux parties : diptyque, trois : triptyque, plus de trois : polyptyque).
C’est une construction verticale, souvent en bois, qui comporte des décors peints ou sculptés.
Un retable est toujours de forme rectangulaire, composé de portes que l’on ouvre pour voir les peintures intérieures. Il peut avoir une prédelle, partie inférieure qui sert de support.
Otto Dix inscrit donc son travail dans une perspective religieuse. Il s’inspire en particulier de l’un des retables les plus célèbres : le retable d’Issenheim (Alsace) peint par Matthias Grünewald (XVIe siècle).
Chaque panneau de l’œuvre peut être analysé séparément. Chacun représente une scène différente et participe à un ensemble qui décrit la guerre dans tous ses aspects. On peut aussi repérer une composition chronologique de l’œuvre. La composition :
Cette composition met en scène la journée d’un soldat sur le front et, plus symboliquement, le cercle vicieux de la bataille qui mène inéluctablement à la mort.
Panneau de gauche : des soldats en armes portant sac au dos (il est possible d'identifier là les armes et l'uniforme portés par les Poilus) tournent le dos au spectateur et marchent dans la brume, ainsi ils forment une armée humaine sans visage et sans identité, masse aveugle avançant d'un même pas vers le front.
Panneau central : A l'arrière-plan du panneau central, des ruines apparaissent. Ce sont les restes de maisons écroulées ou calcinées. On ne repère aucune trace de présence humaine. Ceci évoque les ravages causés par les bombardements comme à Verdun par exemple. Au premier plan c'est la tranchée dans toute son horreur et son inhumanité qui est évoquée. En bas à droite, on voit un amoncellement de corps déchiquetés et éviscérés, surplombé par un cadavre, à la bouche ouverte d'où jaillit un vers, et à la peau parsemée de pustules qui évoquent tout à la fois le Christ de Mathias Grünewald, mais aussi les conditions d'hygiène abominables dans lesquelles ont vécu les Poilus dans les tranchées (maladies, épidémies). Ce cadavre tend une main. Il tente désespérément d'obtenir de l'aide dans un univers d'où l'humanité a disparu. Au-dessus de cet amas de viscères et de corps flotte un squelette embroché sur un résidu d'architecture (cf. Christ crucifié) et qui désigne de son doigt la mort.
Quasiment invisible, à gauche de l'image un unique survivant assiste à la scène. Son visage et son regard sont dissimulés sous son masque. Il est pétrifié par l'inhumanité dont il est le spectateur, il est à son tour comme privé de son humanité.
Panneau de droite : Otto Dix se représente en sauveur transportant dans ses bras un soldat blessé. C'est le seul qui fait face au spectateur et qui avance vers le premier plan. C’est aussi le seul qui possède la capacité de voir. Enfin, il est également l'unique personnage de cette scène qui ne porte pas l'uniforme complet du soldat : ni casque, ni masque, ni arme. Ce « sauveur » avance à découvert, ne craignant pas l'attaque ennemie et n'étant pas soucieux non plus de se défendre.
Prédelle : Panneau inférieur au format rectangle allongé : le peintre inscrit dans ce format la représentation de ce qui semble être un caveau ou un cercueil collectif. Des soldats allongés évoquent le corps du Christ mort représenté dans la prédelle du retable d'Issenheim.
Dix a exécuté ce qui demeure l'œuvre la plus importante qu'ait suscité la Grande Guerre, un triptyque composé sur le modèle des maîtres anciens.
 « Retable des Antonins d'Issenheim » (1512-1516) de Mathias Grünewald
| TECHNIQUES2
Les matériaux, les outils, les supports, les instruments ; les méthodes et les techniques corporelles, gestuelles, instrumentales
| Le format : 270 x 430 cm (Panneau central 204 x 204 cm. Panneaux latéraux 204 x 102 cm chacun. Prédelle: 60 x 204 cm). La touche : elle est très lisse, on ne peut distinguer les coups de pinceaux. Cet effet est dû à la technique utilisée (tempera et glacis). La technique de la tempera : il s’agit d’une des premières techniques utilisées dans l’art pictural. Elle apparaît dès l’art égyptien. Elle consiste à mélanger des pigments (poudre issue de produits naturels écrasés – par exemple le lapis-lazuli, pierre de couleur bleue) avec une substance (jaune d’œuf ou colle) permettant d’obtenir une pâte qui sert de peinture. Cette technique est l’ancêtre de la peinture à huile que l’on utilise aujourd’hui. Elle a été utilisée jusqu’au XVIe siècle. Rares sont les artistes qui l’utilisent encore. Formes et lignes :
On peut immédiatement remarquer que le tableau est construit sur des lignes géométriques simples mais contradictoires : de nombreuses horizontales, verticales, obliques et courbes rythment le tableau. Elles se croisent, se coupent, se brisent souvent en un réseau complexe.
Nous pouvons penser qu’elles symbolisent les combats, les pays et les hommes qui se déchirent. Malgré la perspective, il n’y a pas de point de fuite dans l’œuvre, cela montre sans doute le fait que la guerre n’offre pas d’issue. La lumière :
On peut remarquer qu’elle provient, dans chaque panneau, de sources différentes. Dans le premier panneau (à gauche), elle vient de la gauche. Dans le panneau central, elle entre par le ciel, en haut à gauche, et éclaire une bande oblique. Dans le troisième panneau, elle semble arriver du bas à droite mais elle est plus vive sur le visage du soldat. Elle forme, dans l’ensemble, une bande lumineuse qui traverse le tableau en déclinant. La lumière est artificielle et blafarde même si les scènes se déroulent en extérieur et que sa courbe peut rappeler celle du soleil car les points lumineux sont différents. On peut mettre cette « désorganisation » de la lumière en relation avec le chaos du champ de bataille et de la nature humaine qui se perd dans la violence de la guerre.
Les couleurs :
Elles sont très sombres, tantôt froides (noir, gris…), tantôt chaudes (beaucoup de tons rouges et ocres). Les couleurs les plus employées sont le gris, le marron et le rouge. Elles symbolisent la pluie, la boue et le sang dont parlent tous les témoignages de Poilus.
Dans cette œuvre, la couleur dominante est le brun, brun de la terre des tranchées, environnement quotidien des Poilus. Le rouge est utilisé pour représenter tour à tour le ciel tourmenté sous lequel les soldats partent au front (panneau de gauche), l’amas de viscères ensanglanté (panneau central) et le feu du champ de bataille (panneau de droite). L’artiste choisit le rouge parce que c’est celle du sang mais aussi pour sa valeur symbolique ; dans la culture occidentale, le rouge symbolise en effet la violence et parfois la mort.
Les couleurs sont sombres, ternes et sales comme l’est l’univers guerrier que dépeint Otto Dix : une guerre qui se déploie dans la boue et « la crasse » et qui répand la violence et la mort.
| INTERPRETATION DE L’ŒUVRE
Liens avec le contexte historique, ressenti (sentiments, impressions, réactions que l’œuvre vous inspire), intentions et message de l’auteur
| Par cette œuvre complexe et dense, Otto Dix dénonce très clairement les horreurs de la guerre et de la bataille.
Il montre les réalités du champ de bataille et ne laisse pas au spectateur la possibilité d’oublier la violence de la guerre. Il choisit pour figurer la guerre de ne pas montrer une bataille en tant que telle, mais l'avant et l'après, avec toutes les destructions que cela comporte, et se met en scène à la fin, comme acteur de cette tragédie.
Elle s’inscrit dans un travail intense d’Otto Dix sur la guerre. Alors qu’il est sur les champs de bataille de la première guerre mondiale, Dix réalise dans ses carnets de très nombreux dessins et croquis (plus de six cents). En 1924, il présente une grande série d’œuvres (environ cinquante) regroupées sous le titre « Der Krieg » (« La guerre »). Avec cette œuvre, le peintre veut : « simplement transmettre la connaissance du caractère redoutable de la guerre, pour éveiller les forces destinées à la détourner ».
| USAGES DE L’ŒUVRE
La fonction, l’emploi ; les catégories de destinataires et d’utilisateurs ; la destination, l’utilisation, la transformation, les rejets, les détournements
| Cette œuvre s’adresse à tout le monde, afin que chacun puisse connaître le sort des Poilus.
Elle s’adresse peut-être aussi aux Poilus plus particulièrement, pour leur signifier que les horreurs qu’ils ont vécues ne seront pas oubliées, et qu’à travers cette œuvre immortelle, les générations à venir garderont la mémoire de ce conflit.
| CROISEMENTS INTERDISCIPLINAIRES
Points communs, intérêt du croisement des disciplines
| Littérature : Cette peinture peut être mise en relation avec :
« Initiales », A la vie à la mort (1999) de Paule du Bouchet,
Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front, 1914-1918,
A l’ouest, rien de nouveau (1929) d’Erich Maria Remarque,
Croix de bois (1919) de Roland Dorgelès,
La vie tranchée (2008) de Bénédicte des Mazery.
Toutes ces œuvres, qu’elles soient fictives ou autobiographiques, se déroulent pendant la première guerre mondiale. Elles décrivent les horreurs de la guerre et la dénoncent, de manière explicite ou implicite. Arts plastiques : d’un point de vue formel, cette œuvre peut être mise en relation avec le retable des Antonins d'Issenheim (1512-1516), de Mathias Grünewald.
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