James GUILLAUME et la pensée pédagogique sous la III° République Un des plus profonds penseurs anarchistes en matière éducative est le suisse, mais né à Londres en 1844, James GUILLAUME (1844-1916). Ce bakouniniste, célèbre organisateur de la Fédération Jurassienne, est également enseignant (histoire, littérature). Professeur à l’École industrielle du Locle en 1863, il est diplômé en 1865, mais est cependant exclu du professorat en 1869 et devient typographe et traducteur. Il gère jusqu’en 1872 une petite imprimerie à Neuchâtel. Mis à l’index, emprisonné, il vit dans une misère noire avant de s’exiler en France.
Il synthétise les idées proudhoniennes et internationalistes (de l’AIT) : une éducation intégrale, ouverte et permanente, jamais séparée du monde du travail ; un objectif libérateur, une recherche progressive de l’autonomie. Le pluralisme et le pragmatisme sont défendus dans une nette volonté libertaire. Un chapitre entier de Idées sur l’organisation sociale de 1874 y est consacré. L’éducation est « communalisée » dans la future société postrévolutionnaire. Les enfants jouent un grand rôle, en gérant eux-mêmes autant que possible leurs formations. La pensée du suisse est donc à placer parmi les antécédents des idées autogestionnaires. Le collectif communautaire l’emporte sur la famille dans le rôle éducatif, mais celle-ci conserve le côté affectif et ne disparaît donc pas. Les enseignants, des conseillers surtout, doivent garder un lien avec leur rôle de producteur, ce qui rejoint les idées de PROUDHON. Et inversement, les producteurs jouent un rôle de formateur : la volonté de GUILLAUME est de rompre avec une éducation fermée, du ressort des seuls éducateurs. Comme beaucoup de libertaires, il se méfie de tout corporatisme.
Avec son ami également suisse Adhémar SCHWITZGUÉBEL, il développe dans les années 1870, au sein de l’AIT antiautoritaire, l’idée d’un enseignement de plus en plus pris en charge par les communautés, au sein d’un fédéralisme révolutionnaire qui réfute l’État, même cet État minimaliste proposé au même moment par le belge César DE PAEPE. Ces débats sur les services publics et l’organisation sociopolitique que ces services sous-tendent posent alors des questions qu’on retrouve partiellement aujourd’hui, notamment en Europe occidentale, avec la dévolution de services éducatifs aux régions ou collectivités territoriales (Régions françaises, Länder allemands, États du Royaume Uni, Comunidades ibériques, Cantons suisses...).
Son ami ROBIN est théoriquement assez proche de lui. Tous les deux sont liés à l’incontournable militant pédagogique libéral Ferdinand BUISSON : c’est pourquoi GUILLAUME occupe des fonctions semi-officielles en France, ne serait-ce que par ses articles dans le Dictionnaire de pédagogie de 1877 à 1887. Il est secrétaire de la Revue de pédagogie parisienne et en 1887 il est même membre du Comité d’Instruction Publique. C’est alors le grand spécialiste de l’histoire de l’instruction pendant la Révolution Française (7 volumes sont publiés sur ce thème de 1891 à 1907). C’est peut-être pour cela qu’il se fait naturaliser en 1889. En 1890 il prolonge ses réflexions pédagogiques en écrivant sur PESTALOZZI un ouvrage essentiel mais quasiment introuvable (Johann Heinrich PESTALOZZI. Der Bürger der Revoluzion). Les idées pédagogiques du suisse ont sans doute un peu évolué, en passant d’un anarchisme fédéraliste intégral dans sa jeunesse, au service des fonctionnaires de l’État français. Mais cela ne concerne que l’organisation de l’instruction publique, pas les grandes idées sur l’égalité et l’instruction intégrale.
C’est au tournant du siècle qu’il renoue avec la vie militante libertaire, rencontre KROPOTKINE, se lie au syndicalisme révolutionnaire et s’occupe de l’Université Populaire du 14° Arrondissement vers 1903.
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