Cxiv michele le Sage








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L’apothéose


Lorsque Luisa revint à elle, elle se trouva dans une espèce de café faisant l’angle de la strada del Molo et de la calata San Marco. Michele l’y avait transportée à travers la foule, qui s’était amassée à la porte, et la regardait par les fenêtres fermées et par les portes ouvertes.

Cette foule répétait les paroles du prisonnier et disait en la montrant du doigt :

– C’est elle qui les a dénoncés.

En rouvrant les yeux, elle avait d’abord tout oublié ; mais peu à peu, en regardant autour d’elle, en reconnaissant où elle se trouvait, en voyant cette multitude amassée autour de la maison, elle se souvint de tout ce qui s’était passé, jeta un cri et cacha sa tête dans ses mains.

– Une voiture ! au nom du ciel, mon cher Michele ! une voiture, et rentrons chez moi !

La chose n’était point difficile ; il y avait alors et il y a encore aujourd’hui, entre le théâtre Saint-Charles et le théâtre du Fondo, une station de voitures pour la commodité des dilettanti qui venaient, à cette époque, assister à la représentation des chefs-d’œuvre de Cimarosa et de Paisiello, et qui viennent aujourd’hui assister à celle des œuvres de Bellini, de Rossini et de Verdi. Michele sortit, appela une voiture fermée, la fit approcher de la porte qui donne sur la strada del Molo, y conduisit Luisa au milieu des vivats ou des murmures des assistants, selon que ceux-ci étaient patriotes ou bourboniens, lui savaient gré ou lui voulaient mal pour sa prétendue délation, y monta avec elle et referma la portière en disant :

– À Mergellina !

La foule s’ouvrit, la voiture passa, traversa le largo Castello, prit la rue Chiaia, et, au bout d’un quart d’heure, s’arrêta à la maison du Palmier.

Michele sonna vigoureusement ; Giovannina vint ouvrir.

La jeune fille avait sur les lèvres cette joyeuse expression des mauvais serviteurs qui ont une fâcheuse nouvelle à annoncer.

– Ah ! dit-elle entamant la conversation la première, pendant que madame n’y était point, il s’est passé de belles choses ici.

– Ici ? demanda Luisa.

– Oui, ici, madame.

– Ici, dans la maison ou à Naples ?

– Ici, dans la maison.

– Que s’est-il donc passé ?

– Madame aurait dû me dire, dans le cas où l’on m’interrogerait sur M. André Backer, ce qu’il faudrait répondre.

– On vous a donc interrogée sur M. André Backer ?

– Comment, madame ! j’ai été arrêtée, conduite à la police, menacée de la prison si je ne disais pas qui était venu la nuit passée chez madame. On savait que quelqu’un était venu ; seulement, on ne savait pas qui.

– Et vous avez nommé M. Backer ?

– Il l’a bien fallu. Dame, je n’ai pas été tentée d’aller en prison, moi. Ce n’était point pour moi que M. Backer était venu.

– Malheureuse ! qu’avez-vous fait ! dit Luisa tombant assise et inclinant sa tête dans ses mains.

– Que voulez-vous ! j’ai eu peur, en niant, d’être convaincue, malgré ma dénégation, et que les mauvaises langues, voyant que j’avais voulu dissimuler la présence de M. André Backer chez madame, ne dissent que M. André Backer était l’amant de madame, comme on commence à le dire de M. Salvato.

– Oh ! Giovannina ! s’écria Michele.

Luisa se leva, lança un regard d’étonnement et de reproche à la jeune fille, et, d’une voix douce mais ferme :

– Giovannina, dit-elle, je ne sais quelle raison vous avez de reconnaître mes bontés par une si grande ingratitude. Demain, vous sortirez de chez moi.

– Comme il fera plaisir à madame, répondit insolemment la jeune fille.

Et elle sortit sans même se retourner.

Luisa sentit les larmes lui venir aux yeux. Elle tendit la main à Michele, qui s’agenouilla devant elle.

– Oh ! Michele ! mon cher Michele ! murmura-t-elle en éclatant en sanglots.

Michele lui prit la main et la lui baisa, d’autant plus émotionné qu’il sentait au fond du cœur que tout ce trouble venait de lui.

– Voilà une soirée mauvaise, en effet, après une belle journée, dit-il. Pauvre petite sœur ! tu étais si heureuse en revenant de Paestum !

– Bien heureuse ! bien heureuse ! murmura-t-elle. Mais je ne sais quelle voix me dit à l’oreille que le plus beau et surtout le plus pur de mon bonheur est passé. Oh ! Michele ! Michele ! quelle chose horrible a dite cette folle !

– Oui ; mais, pour qu’elle ne dise point aux autres ce qu’elle vient de te dire, à toi, il ne faut pas la chasser. Songe qu’elle sait tout : l’assassinat de Salvato, l’asile que nous lui avons donné, son séjour dans la maison, tes intimités avec lui. Eh ! mon Dieu, je sais bien, moi, qu’il n’y a pas de mal à tout cela ; mais le monde y verra du mal, et, si, au lieu d’avoir intérêt à se taire en restant chez toi, elle a intérêt à parler, ne fût-ce que par vengeance, ta réputation en souffrira.

– Ne fût-ce que par vengeance, dis-tu ? Et pourquoi Giovannina se vengerait-elle de moi ? Je ne lui ai jamais fait que du bien.

– La belle raison ! Il y a des esprits mauvais, petite sœur, qui d’autant plus vous en veulent, qu’on leur a fait plus de bien ; et, depuis quelque temps, j’ai cru m’apercevoir que Giovannina était de ces esprits-là. Tu ne t’en es point aperçue, toi ?

Luisa regarda Michele. Depuis quelque temps aussi, les rébellions de la jeune fille l’étonnaient en effet. Elle s’était demandé plusieurs fois la cause de ce changement de caractère et n’avait pu s’en rendre compte. Elle avait pu s’être trompée ; mais, du moment que Michele reconnaissait comme elle cette mauvaise disposition de la jeune femme de chambre, c’est que, réellement, cette mauvaise disposition existait.

Tout à coup une lueur lui passa par l’esprit. Elle jeta les yeux avec inquiétude autour d’elle.

– Regarde, dit-elle, si l’on ne nous écoute point.

Michele s’avança vers la porte, mais sans avoir le soin d’amortir le bruit de ses pas, de sorte qu’au moment où la porte de la chambre de Luisa s’ouvrait, celle de la chambre de Nina se refermait. Nina écoutait-elle, ou cette porte ouverte d’une part et fermée de l’autre était-elle un pur effet du hasard ?

Michele referma la porte, poussa le verrou, et, reprenant sa place aux pieds de sa sœur :

– Tu peux parler, lui dit-il. Je ne dirai point : « Personne ne nous écoutait », mais je dirai : « Personne ne nous écoute plus. »

– Eh bien, dit Luisa en éteignant sa voix et en se penchant sur Michele, voilà deux choses qui m’arrivent et qui me confirment dans mes soupçons. Lorsque, la nuit dernière, le pauvre André Backer est venu me voir, il savait de point en point ce qui s’était passé entre Salvato et moi. Ce matin, tandis qu’à Salerne je causais avec Salvato, une lettre anonyme est arrivée, racontant à Salvato qu’un jeune homme m’avait attendu chez moi la nuit précédente, jusqu’à deux heures du matin, et ne s’était retiré qu’à trois, après avoir causé une heure avec moi. De qui viennent ces dénonciations, sinon de Giovannina, je te le demande ?

– Managgia la Madonna ! murmura Michele, voilà qui était grave. Mais je ne t’en dirai pas moins : « Dans ce moment-ci, et à moins d’une certitude, ne fais pas d’éclat. » Je te donnerais bien un autre conseil, mais tu ne le suivrais pas.

– Lequel ?

– Je te dirais bien : Va rejoindre le chevalier à Palerme ; voilà ce qui coupera court à tous les mauvais propos.

Un vive rougeur envahit les joues de Luisa ; elle laissa tomber sa tête dans ses mains, et, d’une voix étouffée :

– Hélas ! répondit-elle, le conseil est bon et vient d’un ami...

– Eh bien ?

– Je pouvais le suivre hier ; je ne puis plus le suivre aujourd’hui.

Et un gémissement profond s’échappa du cœur de Luisa.

Michele regarda Luisa et comprit tout : la tristesse de Naples confirmait les soupçons qu’avait fait naître en lui la joie de Salerne.

En ce moment, Luisa entendit des pas dans le corridor de communication. Mais ces pas ne cherchaient point à se dissimuler. Elle releva la tête et écouta avec inquiétude. Dans la situation où elle se trouvait, tout était, en effet, inquiétant.

Bientôt on frappa à sa porte, et la voix de la duchesse Fusco demanda :

– Chère Luisa, êtes-vous chez vous ?

– Oh ! oui, oui ; entrez, entrez ! cria Luisa.

La duchesse entra, Michele voulut se lever ; mais la main de Luisa le maintint où il était.

– Que faites-vous donc ici, ma belle Luisa, s’écria la duchesse, seule et presque dans l’obscurité, avec votre frère de lait, tandis que l’on vous fait chez moi un triomphe ?

– Un triomphe, chez vous, chère Amélie ? demanda Luisa tout étonnée. Et à quel propos ?

– Mais à propos de ce qui s’est passé. N’est-il pas vrai que vous avez découvert une conspiration qui nous menaçait tous, et qu’en la dénonçant, non seulement vous nous avez sauvés tous, mais encore vous avez sauvé la patrie !

– Oh ! vous aussi, Amélie, s’écria Luisa en laissant échapper un sanglot, vous aussi, vous avez pu me croire capable d’une pareille infamie !

– Infamie ! s’écria à son tour la duchesse, à laquelle son ardent patriotisme et sa haine des Bourbons faisaient apparaître les choses sous un tout autre point de vue qu’elles apparaissaient à Luisa ; tu appelles infamie une action qui eût illustré une Romaine du temps de la République ! Ah ! pourquoi n’étais-tu pas ce soir chez nous quand cette nouvelle est arrivée : tu eusses vu l’enthousiasme qu’elle a excité. Monti a improvisé des vers en ton honneur ; Cirillo et Pagano ont proposé de te décerner la couronne civique ; Cuoco, qui écrit l’histoire de notre révolution, t’y garde une de ses plus belles pages. Pimentel annoncera demain, dans son Moniteur, la dette immense que Naples a contractée envers toi ; les femmes, la duchesse de Cassano et la duchesse de Popoli t’appelaient pour t’embrasser ; les hommes t’attendaient à genoux pour te baiser la main ; quant à moi, j’étais fière et joyeuse d’être ta meilleure amie. Demain, Naples ne s’occupera que de toi ; demain, Naples t’élèvera des autels, comme Athènes en élevait à Minerve, déesse protectrice de la patrie.

– Oh ! malheur ! s’écria Luisa. Un seul jour a suffi pour imprimer une double tache sur moi ! 7 février ! 7 février ! date terrible !

Et elle tomba renversée, presque mourante, dans les bras de la duchesse Fusco, tandis que Michele, plein de doute maintenant sur l’action qu’il avait commise, plein de remords en voyant dans cet état celle qu’il aimait plus que sa vie, déchirait avec ses ongles sa poitrine ensanglantée.

Le lendemain, 8 février 1799, on lisait dans le Moniteur parthénopéen, en premier article et en grosses lettres, les lignes suivantes :

Une admirable citoyenne, Luisa Molina San Felice, a découvert hier soir, vendredi, la conspiration ourdie par quelques scélérats insensés, qui, se fiant à la présence de plusieurs vaisseaux de l’escadre anglaise dans nos ports, de concert avec elle, devaient, dans la nuit de samedi à dimanche, c’est-à-dire ce soir, renverser le gouvernement, massacrer les bons patriotes et tenter une contre-révolution.

Les chefs de ce projet impie étaient les banquiers Backer père et fils, Allemands tous deux d’origine et demeurant rue Medina. Ils ont été arrêtés hier au soir et conduits en prison, André Backer portant, comme symbole de sa honte, le drapeau royal trouvé chez lui. On y a trouvé aussi un certain nombre de cartes de sûreté qui devaient être distribuées à ceux que l’on voulait épargner. Tous ceux qui n’auraient point été porteurs de ces cartes étaient désignés pour la mort.

Diverses arrestations secondaires ont eu lieu à la suite de cette arrestation principale, et le monastère de San Francesco delle Monache, attendu l’opportunité du local (chacun sait qu’il forme une espèce d’île), a été désigné pour servir de prison aux prévenus. Les religieuses l’ont, par conséquent, abandonné, et sont passées à celui de Donnalbina.

Au nombre des individus arrêtés, outre Backer père et fils, on compte le curé des Carmes, le prince de Canosa, les deux frères Jorio, l’un magistrat, l’autre évêque, et un juge nommé Jean-Baptiste Vecchioni.

Un dépôt de cent cinquante fusils et d’autres armes, telles que sabres et baïonnettes, a été, en outre, trouvé à la douane.

Gloire à Luisa Molina San Felice ! Elle a sauvé la patrie !

CXVIII



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