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Irina deux. La fillette naquit et suivit le programme prévu. Le bébé autiste n’engendra la sympathie d’aucune des milliers de personnes qui la prirent sous leur responsabilité durant leurs six heures de travail quotidien. Aucun lien affectif ne se créa donc, ce qui promettait un avenir assez difficile à cette enfant. Les gens du Centre ne manquaient pas, pourtant, de conscience professionnelle. De ce fait, elle se trouva régulièrement nourrie, lavée habillée ou dévêtue à heures fixes. Ses cheveux (et ses ongles) subissaient les coupes indispensables, mais on les gardait courts pour que cela n’entraîne aucune longue séance de démêlage ou de brossage. Elle restait souvent seule mais ne pleurait presque jamais. Elle parla très tardivement et ne cherchait à établir aucun contact avec les personnes qui, manifestement, ne venaient que pour exécuter leur part de corvée. Le seul repère fixe dont elle bénéficia restait cet l’écran qui demeurait toujours allumé et qui, dès les premiers jours de son existence, lui chantait des berceuses d’une voix douce ou lui murmurait des phrases pour l’accoutumer au langage. Autiste ne signifie pas idiote. Irina comprenait tout et absorbait à sa façon. Elle ne parlait que par cuisante nécessité mais réussissait à ce que les autres sachent ce qu’elle voulait. Les jeux et activités pour tout-petits semblaient ne pas l’intéresser. Elle parvenait aisément à colorier des représentations absconses et à les assembler de façon difficile à comprendre. Ceux qui les examinaient disaient que cela correspondait à la confusion du « n’importe quoi ». Pourtant, bien des décennies plus tard, lorsqu’on montra ses coloriages à quelques artistes reconnus, sans leur en indiquer l’origine, ils exprimèrent que ces œuvres leur paraissaient des plus valables. Ils ne virent même pas qu’il s’agissait de gribouillages d’enfant ! Les assemblages ou les jeux de construction menaient, avec Irina, à des choses à la limite du déséquilibre, mais elles tenaient debout tout de même. Elle ne manifestait, pour ses œuvres, aucun attachement et, selon ses humeurs du moment, renversait ou dispersait les pièces une fois le jeu terminé ou bien elle laissait le tout en place durant plusieurs jours. Quant aux cours dispensés par Nounou, en vue de sa formation programmée, nul ne pouvait établir de séparation entre ce qui traversait simplement l’esprit de la fillette et ce qu’elle intégrait ou mémorisait réellement. Tout cela serait mesuré bien plus tard, après les quelques années de mûrissement subséquentes à l’opération. Un lien, ressemblant à une affectivité, s’établit donc entre l’ordinateur et l’enfant. Mieux que rien, certes, mais insuffisant à former un esprit équilibré au bout du compte. Certains prétendent que Irina, vers la fin de sa période autiste, pouvait correspondre avec Nounou même si les écrans restaient éteints ! Légende certes, mais affabulation basée sur du réel comme nous le verrons plus loin ! En effet, Irina pouvait pénétrer l’esprit de toute personne (avec laquelle elle avait, un jour, établi un contact) et ce, au moment précis où celle-ci se préparait à interroger le réseau des réseaux ! En cas de nécessité, Irina prenait les commandes et obligeait le corps investi à exécuter ses ordres comme si elle se trouvait elle-même devant le clavier. Les scientifiques étudièrent, des années plus tard, les limites de ses possibilités de transmission de pensée et ils en conclurent que la distance ne semblait pas entrer en jeu. Une tentative de liaison, par quidam interposé, fut menée depuis la Lune et Irina démontra l’absence apparente d’obstacles d’ordre géographique à l’étendue de ses facultés. Les Directeurs du Grand Projet, étaient curieux de savoir ce qui se passerait si un jour, à condition de récupérer cette fillette pour le plus grand bien de l’espèce, on l’envoyait vers un autre soleil ? Irina calculait comme jadis certains phénomènes de foire et pouvait presque rivaliser avec un bon calculateur électronique. En fait, elle n’effectuait aucune opération ! Son subconscient lui fournissait de suite le bon résultat avec une approximation de l’ordre de - plus ou moins- un demi pour cent. Après l’opération qui lui redonna les caractéristiques normales d’un enfant de six ans, elle vécut sans la moindre notion de ce que pouvait signifier l’affectivité, la chaleur humaine, l’amour ou le besoin d’échanges avec les autres. Il n’existait rien qui ressemble, de près ou de loin, à des orphelinats pour les enfants sans parents. L’attribution de droits à la procréation visait comme objectif ultime de ne pas dépasser le numerus clausus que la planète pouvait nourrir confortablement. Obtenir le droit de participer à une procréation pour fonder une famille « parfaite » comportant deux enfants semblait naturel à chacun. Il arrivait que des êtres d’exception, de hauts dignitaires, les plus beaux cerveaux ou des couples particulièrement ouverts aux autres, obtiennent le droit à un enfant de plus. Cela compensait le nombre de gens sans descendance. Les parents fournissaient les prélèvements aux Centres de Natalité et les embryons, élevés in vitro, parvenaient en parfait état à leur neuvième mois, date à laquelle ils retrouvaient leurs véritables parents pour la suite naturelle et normale de leur vie. En cas de problèmes, de malformations, de maladies génétiques, le Centre détruisait ces embryons sans pitié ni états d’âmes ! Le cas d’Irina, celui d’une enfant gardée en observation dans ce Centre jusqu’à ses cinq ans se classait comme aberrant et imprévisible ! De plus, facteur aggravant, le personnel affecté à la section « couveuses » ne devait pas pouvoir éprouver le moindre attachement vis à vis de tel ou tel bébé qui risquait la mort dans le cas ou sa récupération se solderait par un échec. Irina représenta un problème, un cas d’espèce, auquel il fallait apporter des solutions particulières. La Direction du Centre, représenté par le quarteron de Matriarches, ne pouvait ni la confier à un couple fixe, ni la laisser grandir au milieu de nourrissons plus ou moins en péril de mort. Son autisme pré opératoire exigeait que ceux qui s’occuperaient d’elle se révèlent comme capables de la supporter, quelques jours ou quelques semaines, de la voir et de la ressentir en tant que telle. La machine suprême, Nounou, afficha que des « hypo » parents, en mal d’amour à prodiguer à un enfant, devaient être chargés de cette tâche. Elle ne désigna personne, se contentant de fournir des exemples : - Un couple éprouvait le grand malheur de perdre un enfant et se sentait désespéré. Nul ne pouvait les consoler mais rien n’empêchait de leur proposer la garde provisoire et pour quelques jours d’un enfant non attribué car anciennement autiste. Les psychologues expliquaient que cette tache participerait de façon efficace à leur travail de deuil. - Un couple venant d’échouer aux examens permettant l’attribution d’un enfant, car leurs gènes étaient incompatibles ou que leur comportement manquait encore d’un peu de stabilité, peu importe. Pour qu’ils acceptent moins durement ce rejet et qu’ils tolèrent mieux leur situation, on pouvait leur proposer, durant une brève période, la garde d’un enfant, guéri depuis peu de son autiste ou « spécial » pour toute autre raison, Finalement l’enfant Irina se trouva en contact avec mille personnes durant sa période post autiste sans pouvoir, pour autant, créer le moindre lien affectif. Juste après l’opération, un couple de jeunes retraités reçut Irina pour le premier et difficile passage qui, après son autisme, lui permettrait de rattraper le mûrissement normal de ceux de son âge. Lourde tâche qui ne pouvait se confier qu’à des gens compétents et se portant volontaires. Le couple formé par Stan et Debby semblait le mieux approprié. Le Centre de Natalité et tout son personnel ressentirent du plaisir et du soulagement de pouvoir enfin se débarrasser du cas Irina qui perturbait la « routine » depuis si longtemps. Les matriarches choisirent sur dossier sans même rencontrer les heureux impétrants. Stan s’activait jadis en tant que psychothérapeute et Debby comme professeur de danse classique. Ils avaient élevé une fille qui se trouvait maintenant aux antipodes et elle-même encore sans descendance. Rien de négatif dans le dossier. Ces braves gens gardèrent Irina durant presque deux ans puis ils craquèrent complètement. Dans un sens ils accomplirent ce qu’on attendait d’eux car l’enfant put être scolarisée au terme de cette période et elle paraissait aussi normale que possible à une exception près. Celle-là même qui provoqua la démission du couple adoptant puis celle de tous les adultes qui prirent la suite. Ainsi Irina se trouva ballottée de famille d’accueil en famille d’accueil durant encore six ans. Puis elle entra en internat dans un établissement réservé aux surdoués. Lorsque les Scientifiques voulurent savoir, en questionnant ses parents occasionnels des familles d’accueil, en quoi consistait l'exception qui gâchait tout rapport suivi avec l’enfant, ils n’obtinrent que des balbutiement plus ou moins articulés, des phrases incomplètes, des mimiques qui démontraient à l’évidence que les gens concernés détestaient en parler et que, s’ils s’y résolvaient, peu parvenaient à sortir une phrase cohérente. Un journaliste, qui passa plus d’une année à enquête sur ce sujet en vue de sa thèse de doctorat, parvint à mieux définir le phénomène par cette brève définition : Lorsqu’un adulte regardait Irina dans les yeux il ressentait une impression de vertige total et le sentiment avéré que la fillette pénétrait profondément dans son esprit, y puisait à son gré et créait un lien psychique définitif avec lui. Plus tard, quand on admit enfin ses dons paranormaux et ses facultés télépathiques, les choses se normalisèrent. Irina, classée socialement comme « phénomène » se trouva finalement acceptée en tant que telle mais tous préféraient la savoir loin que près d’eux. Le temps de « résistance » des impétrants parents, ceux qui se chargèrent d’Irina après Stan et Debby, ne dépassait jamais deux semaines et, dans la plupart des cas, se limitait à neuf jours. Irina ne connut donc pas de réel foyer mais vécut avec quelques centaines de couples qui ne la gardèrent que très peu de temps chacun. Elle ne conserva donc aucun souvenir affectif particulier de son âge très tendre . La partie enclose de sa psyché ne comportait qu’un immense patchwork de gens et d’affects en vrac. Pourtant ses mécanismes psychiques particuliers entraînèrent qu’elle ait mémorisé, sans en prendre conscience, les personnalités de ses tuteurs successifs. Son expérience vitale commença après cette période. Après l’opération qui permit à toute une zone de son cerveau de fonctionner normalement, elle put acquérir un langage et communiquer avec les autres humains. Elle le fit en formalisant, en mots et en sons, ce qu’elle ne connaissait jusque là, que sous forme de pensées et d’impressions abstraites. Les causes physiologiques de sa maladie étant éliminées définitivement, elle se montra enfin capable de tout codifier en sens communicable et de le rendre transmissible à ses semblables. Mais, nous devons souligner qu’en réalité il n’existait rien de commun entre son esprit développé (et ses possibilités psy immenses) et les balbutiements exprimés par les enfants ou les jeunes adolescents de son âge. Elle dut fréquenter, en interne, une école pour surdoués. Là, la disparité des âges, des expériences et des facultés était telle qu’elle ne se lia durablement avec personne. Elle avalait les enseignements et retenait absolument tout en un temps record. Elle termina son second cycle avant sa puberté et resta peu communicative avec le « reste du monde » ! Là où Giarou avait opéré un choix parfaitement conscient lorsqu’il refusa le mode de vie de ses concitoyens, Irina, quant à elle, ne se posa même pas la question. En fait, elle pouvait lire à cœur ouvert toutes les pensées de ses interlocuteurs et absorber tout leur savoir. Mais les autres étaient totalement incapables de la même prouesse et ils lui paraissaient assez nuls. Elle apprit seule comment réussir à fermer son esprit pour éviter une invasion permanente des idées des autres, idées et pensées qu’elle captait malgré elle et en permanence. Naturellement, elle absorba avec une grande facilité tout ce qu’on voulut bien lui enseigner et parvint à l’âge pubère parfaitement normale si l’on excepte sa sociabilité réduite à l’indispensable et ses facultés spéciales qu’elle préféra éviter d’étaler. Elle dut fréquenter, comme Giarou, mais douze ans plus tard, le Centre de rééducation de Gibraltar. Ils n’obtinrent pas le moindre progrès pour ce qui se rapportait à son mode de comportement relationnel. Elle vivait très bien sans éprouver le moindre besoin de communiquer avec les autres. Elle consultait peu les écrans et, de sa propre initiative, n’utilisait que rarement le terminal qui la reliait avec Nounou. Cette civilisation, classée par les historiens sous le vocable significatif de « pré cosmonautique » dura environ six siècles et se débrouillait assez bien avec les seules ressources de la planète Terre. Le système de régulation des naissances détruisait les bébés mal faits mais ne connaissait pas de bonne solution pour les cas d’enfançons récalcitrants ou atypiques. Giarou, lui, bien pris en charge, s’améliora et put rejoindre la cohorte des humains normaux. Pour Irina le plan « b » s’appliqua dans toute sa rigueur ! Parvenue à son seizième anniversaire sans posséder une liste minimale de correspondants réguliers, elle dut choisir de vivre dans une de ces ethnies sauvegardées et tenter d’y établir un mode de vie compatible avec une socialisation réussie. Si elle s’adaptait mal, à dix-huit ans elle pourrait éventuellement demander son transfert vers son second choix. Son cas serait réexaminé lorsqu’elle atteindrait ses vingt ans et, en cas d’échec elle irait croupir pour le reste de son existence dans la fameuse Base Delta, au milieu du Pacifique. Irina trois. Irina, munie de toute la documentation requise et après une étude approfondie qui l’occupa à plein temps durant une dizaine de semaines se trouva obligée, le jour de ses seize ans, de donner un premier et un second choix. La liste de ces cas particuliers - qui servaient à la fois d’écomusées et à la prolongation de certains modes de vie datant du passé et de traditions trop fortes pour disparaître à jamais - comprenait une vingtaine de possibilités et la jeune fille s’efforça de faire les « bons choix ». Elle sélectionna un type de vie qui ne l’obligerait pas à une promiscuité trop pesante et élimina ainsi plus de la moitié des possibilités. Une vie sédentaire lui plaisait moins qu’une vie de nomades. Finalement, elle opta pour une peuplade vivant à l’ancienne dans le désert du Kalahari. Là, elle tenterait de s’intégrer à un clan de Bochiman. Comme seconde possibilité elle choisit d’aller vivre avec les aborigènes d’Australie. Le but du présent livre ne consiste pas à vous conter par le menu l’histoire de cette période de sa vie. Il existe de nombreux ouvrages qui le racontent et le nom d’Irina est encore révéré parmi les deux ethnies précitées. Il nous semble toutefois indispensable à la bonne compréhension de la suite, d’en extraire les points marquants : Vous savez que chacune des exceptions culturelles se trouve contenue dans un périmètre bien précis à l’intérieur duquel chacune poursuit une évolution passéiste. Il existait, comme de nos jours, une zone frontière, dite « sas », servant de lieu de communication entre chaque ethnie particulière et le monde normal. Tout scientifique autorisé et admis à pénétrer, voire à vivre, dans une telle zone, devait au préalable séjourner dans le sas pour en étudier la langue, les mœurs, les règles et les tabous. Quelques guides autochtones, qui venaient y chercher quelques objets artefacts ou remèdes à destination de leur communauté, se trouvaient en contact avec l’impétrant et pouvaient accepter ou refuser de les emmener sur le site, selon qu’ils les jugeaient capables ou non de s’y intégrer. Les ethnologues considéraient, par expérience, que le temps moyen d’adaptation s’étendait sur trois semaines de préparations et de contacts préliminaires. Lorsque Irina arriva au Sas quatorze, elle savait déjà parfaitement la langue et mêlait les sons et les cliquetis de la conversation comme un autochtone ! Ses facultés de télépathie lui permirent, dès son premier contact avec un guide Bochiman, d’enlever l’adhésion pleine et entière de celui-ci. Elle obtint son acception en moins de deux jours. Nul, avant Irina, n’avait jamais pu intégrer un monde aussi complètement étranger à sa propre culture, dans des délais aussi courts. Les faits, enregistrés par Nounou, contribuèrent, bien des années plus tard, à ce qu’Irina soit choisie pour devenir le copilote de Giarou. Qui, mieux qu’elle, serait capable de créer des liens avec d’éventuels êtres, vivant sur une autre planète ? Irina, non seulement s’adapta à son clan de Bochiman, mais ils la considérèrent très vite, comme une demi déesse et ils continuèrent à la vénérer, bien après son départ. Pourtant, vivant au milieu de son clan et participant totalement aux tâches qui lui incombaient, elle n’avait établi aucun lien affectif particulier avec qui que ce soit. Le concept même lui restait étranger. Deux années plus tard, dans la zone des aborigènes d’Australie, tout recommença à l’identique. Admise, après un très bref séjour de deux jours dans le Sas onze, elle vécut sans problèmes, avec ces gens si particuliers et après deux semaines chez eux se trouva quasi déifiée à nouveau par l’ethnie des Aruntas. Là, pas plus que chez les bochimans, elle ne trouva d’amis ou n’éprouva le réel besoin d’établir une relation privilégiée avec qui que ce soit. Par contre, elle se comporta en parfaite autochtone, participant aux chasses, cueillettes et récoltes comme toute femme née sur place et choisissant d’y rester plutôt que de rejoindre la civilisation extérieure. Il est probable que ses facilités à lire dans l’esprit des autres et que sa prodigieuse mémoire lui permettaient d’enregistrer le savoir complet, conscient ou inconscient de ceux qui, sur place, détenaient la science et les traditions. Trois jours après que le guide l’eut présentée aux sorciers, chefs ou autres gourous, elle en savait plus que chacun d’eux pris séparément ! Nounou nota ces faits et en tira les conséquences logiques. La question de sa libido reste confuse pour les historiens et les chroniqueurs de l’époque. Certains prétendent qu’elle s’en trouvait aussi complètement dépourvue que de son affectivité relationnelle. D’autres présentent des arguments assez solides pour prétendre qu’instinctivement elle résolvait les malaises provoqués par ses poussées hormonales par un simple système d’autosatisfaction. Enfin la théorie qui rencontre le plus d’adeptes dit, qu’en réalité, elle mena à leur terme, plusieurs liaisons sexuelles avec des partenaires choisis, mais qu’elle en effaçait, ensuite, toute trace dans la mémoire de ces derniers. L’histoire donna effectivement raison aux partisans de cette explication, mais bien des décennies plus tard … Son socio autisme restant non résolu et persistant, Irina se trouva expédiée vers l’aboutissement obligatoire de ceux qui ne s’intégraient pas au système : la Base Delta. Là bas, l’administration de tutelle lui attribua un lopin de terre, une baraque, quelques instruments aratoires indispensables ainsi que de six mois de provisions afin de lui permettre de tenir avant ses premières récoltes. Comme tout un chacun, elle disposait d’un terminal et d’un médic rechargé tous les ans. La base Delta se présente comme un îlot entouré de récifs et reste absolument inabordable par l’océan. De plus, ce lieu se trouve situé loin de toute autre île et encore plus éloigné de tout continent. Seul un hélicoptère, qui devait, compte tenu de la distance, ravitailler une fois en vol, s’y posait, quand il le fallait. Peu de gens y vivaient et chacun représentait un cas très particulier de comportement social hors du commun, attitude que le système ne savait pas résoudre. Au moment où Irina débarqua, elle en devint la onzième habitante. Pourtant l’espace, aménagé en domaines séparés par des clôtures barbelées, pouvait accepter jusqu’à soixante six résidents. Les habitants forcés de Delta ne manifestaient aucun instinct grégaire et l’administration, externe à l’îlot, disposait les parcelles loin les unes des autres. Ceux qui devraient ou voudraient communiquer autrement que par le terminal devraient résoudre ce petit problème de communication directe en ouvrant des portes dans les grillages/frontières et, le cas échéant, en obtenant des droits de passage lorsque la personne à rencontrer ne possédait pas de clôture commune. Il n’existait, sur la Base Delta, ni administration, ni police, (ni de lois d’ailleurs), pas plus que de Centre de soins. En cas d’accident grave, il fallait que l’accidenté indique sa situation sur son terminal ou, s’il s’en trouvait incapable, qu’un autre décide de s’en occuper. Si la gravité de son état autorisait que l’on puisse attendre les quinze heures nécessaires à l’arrivée de l’Hélico, le monde extérieur le prendrait en charge le temps d’une intervention, puis le ramènerait à Delta aussitôt qu’il se montrerait capable d’aller et de venir. Sinon, qu’il se débrouille au mieux pour survivre ! Ou alors, qu’il trouve du secours auprès de ses « voisins » ! Un individu expédié sur Delta prenait la position psychologique d’un condamné en sursis. Il continuait à refuser la Société humaine bien que celle-ci vienne de consacrer des années à tenter de le rééduquer. Un système plus dur que celui en vigueur, l’aurait dirigé vers une exécution, ou vers un enfermement définitif dans un asile psychiatrique. Pour mieux comprendre, je vous invite, ci-après, à bien considérer les cas particuliers de ces gens que la jeune femme devrait désormais côtoyer, et ce, en principe pour le restant de ses jours : - Son plus proche voisin nommé Arulraj, appartenait, en tant que fervent adepte, au groupe de ceux qui pratiquent le yoga. A ce titre, il avait décidé, un jour, de monter dans un arbre pour y méditer tout à son aise et, ensuite, il refusa d’en descendre durant vingt ans. Il vécut ainsi de charité et d’aumônes à douze mètres du sol en lisant des textes sur son terminal et en n’embêtant personne. Il laissait descendre son panier au bout d’une corde jusqu’au sol et chacun pouvait lire ce qu’il souhaitait que les autres lui donnent. Lorsque ce panier se trouvait pourvu, il le remontait. Sa carte de crédit mensuel restait clouée au pied de l’arbre. - Gamin, à l’est de l’enclos d’Irina, n’arrivait pas à distinguer ce qui lui appartenait de ce qui appartenait aux autres. Le concept même de la possession lui échappait et il y était étranger. Sans agressivité, il devint pourtant un élément totalement ingérable dans sa ville. Les autorités locales s’en débarrassèrent en l’envoyant là, sur delta, où il survivrait, plus ou moins bien accepté par les autres. - Un troisième cas que cette Valérie dotée d’une logorrhée permanente et qui usait tout le monde avec son bavardage incessant. Fort heureusement elle se passait aisément de tout interlocuteur. Cela tenait plus du tic ou du T.O.C que d’un réel désir de dire. - Plus loin encore, demeurait une autre socio autiste irrécupérable, mais Clémence ne possédait aucune faculté psy particulière et elle appartenait plus à la classe des simples d’esprit qu’à celle des génies. Par contre, elle acceptait volontiers tout partenariat sexuel proposé par l’un ou l’autre des gens de la Base, sans considérations de beauté, d’attraits ou de sexe. Ceci la rendait assez précieuse pour le groupe des exclus pour que les autres l’ennuient pas plus que nécessaire. - Léo et Vania ne pouvaient vivre séparés l’un de l’autre. Il s’agissait de Siamois que la science ne pouvait disjoindre. Ne trouvant rien d’identique à leur paire sur notre planète ils ne voulaient se lier avec personne et, crâne contre crâne, soudés au niveau temporal, impossible de savoir s’ils se mouvaient sous l’impulsion d’un cerveau double ou de deux intelligences distinctes qui fonctionnaient peut-être, depuis le début, en association librement acceptée ? Auto satisfaisants, ils se passaient totalement des autres, baignant dans leur propre cocon aménagé selon leurs goûts et leurs besoins. - Chang, suite à un choc accidentel subi à l’âge de deux mois, ne possédait qu’une logique binaire et ne fonctionnait qu’en base deux. Informaticien de génie, il concevait et réalisait des montages informatiques que lui seul pouvait utiliser en créant des logiciels appropriés, lesquels, pour Nounou comme pour les hommes, ne correspondaient à rien de logique ou d’utilisable. Il passait son temps à démonter et à remonter autrement d’étranges bécanes inutiles qu’il essayait et dont il tirait des satisfactions dont nous ne savons rien. Doux et affable de caractère, il ne pouvait s’intégrer à aucune société normale, mais il semblait heureux sur Delta. Il savait parler mais ni lire ni écrire autre chose que des chiffres ou des symboles mathématiques. Les autres pouvaient, le cas échéant, lui demander de rendre un service ou de participer à une corvée commune s’il le fallait… - Falacha parlait peu et ne lisait que rarement. Il ne comptait pas plus loin que ses doigts mais était désireux de vivre hors de la civilisation et en parfaite autarcie. Il cultivait, cueillait, ramassait, élevait quelques animaux domestiques de petites tailles (poulets, lapins, pigeons) mais aimait chasser et piéger les animaux sauvages. Il allumait son feu en frottant deux morceaux de bois bien secs et, en analyse primaire, semblait venir du néolithique. Pourtant, il entretenait une correspondance suivie avec l’extérieur par le biais d’échanges de semences et de graines dont il semblait vouloir créer une collection. Il s’était choisi une compagne permanente Soraya. - la belle Soraya sa voisine, elle, ne voulait rien d’autre que trouver un compagnon qui s’occupe de pourvoir à ses besoins essentiels. Elle se sentait trop stupide pour le monde civilisé, ne savait pas utiliser un médic ni un distributeur de nourriture ni même une carte de crédit. Pourtant Soraya n’était pas complètement idiote, elle pouvait se livrer à des travaux élémentaires ou répétitifs et possédait le « bon sens » des simples. De plus Irina détecta en elle une faculté d’empathie extraordinaire mais non encore exploitée. - Didier, un géant dépassant deux mètres vingt, étalait ses muscles en perpétuels mouvements, ne possédait aucune méchanceté mais cassait tout ce qui se trouvait à sa portée. Il ne s’agissait pas de maladresse à proprement parler, mais du fait qu’il ne possédait aucune conception de sa cote d’encombrement ni de la force qu’il devait déployer pour exécuter tel ou tel geste. Ingérable dans un système de groupes emboîtés, on essaya de le diriger vers une carrière dans la marine mais, là encore, cela devint catastrophique. Il ne restait plus, pour lui, que le dernier recours : le séjour sur Delta ! Certes, les Directeurs (assistés de Nounou) savaient pertinemment qu’en envoyant tous ces gens sur Delta ils mettaient la tête dans le sable, comme des autruches refusant de voir le danger, mais ils ne résolvaient rien ! Ils disaient simplement que cette mauvaise solution leur semblait préférable à une suppression pure et simple de tous ces cas gênants ! Voici donc les membres de la population locale qui accueillirent Irina à son débarquement de l’Hélicoptère. Pendant que les hommes d’équipage descendaient les caisses contenant son ravitaillement de base et en chargeaient le véhicule qui l'emmènerait vers sa parcelle du territoire, ils se présentèrent sobrement. Tous montrèrent une énorme curiosité à son égard ! Une tradition, (et aussi la rareté des arrivées de l’hélicoptère, seul lien concret qui les reliait encore au reste du monde), entraînait que la troupe soit présente au complet. Un repas froid, bricolé par eux en signe de bienvenue, les attendait. De brèves séries de questions et de réponses remplacèrent ce qui, ailleurs, aurait constitué une conversation mondaine. Irina, prit son temps et enregistra mentalement les schémas directeurs des intelligences auxquelles elle devrait se confronter pour, en principe, le reste de sa vie. Elle les scruta à fond et mémorisa la nature profonde de chacun. Plus tard et au cours des années qu’elle passa sur Delta, elle assimila totalement la personnalité de chacun et de chacune. Sans y attacher d’objectif particulier mais, simplement pour se distraire et pour augmenter son potentiel personnel. Mais, après le bref aperçu qu’elle en eut, lors de sa réception, elle adopta d’immédiates conclusions. Celle-ci l’amenèrent à considérer que seul, Arulraj lui apporterait un champ d’investigation assez vaste. Elle trouva son attitude ouverte, pour ne pas dire béante, inhabituelle et digne de retenir son intérêt. Cet homme âgé, sage et plein de sciences étranges dans le cadre de son bouddhisme, désirait profondément communiquer son expérience à d’autres et leur enseigner ce qu’il avait appris en visitant les différentes sphères de l’ésotérisme hindou. Elle perçut qu’il avait touché des domaines auxquelles elle croyait fermement être la seule à pouvoir accéder. Cet individu se montrerait, pour elle, à la fois comme un guide et comme un agréable interlocuteur dans les mois et années à venir. Didier provoqua, en elle, une impression assez étrange qu’elle attribua à un dysfonctionnement de son propre système hormonal. Indubitablement il la trouvait très belle et ressentait une attirance sexuelle intense la concernant. Mais il n’en montrait rien et refrénait ses instincts. Seule Irina le sut et en éprouva des bouffées de chaleur incompréhensibles. Une subite envie de se blottir entre les bras du géant pour copuler lui donna un vertige. Ainsi, se dit-elle, en ce lieu désolé et pire qu’une prison elle trouverait un maître, un gourou qui pouvait lui montrer comment s’évader du monde concret et, par ailleurs, un amant potentiel lui inspirant quelque chose qui ressemblait, d’après ses connaissances livresques, à ce que les autres nommaient de l’amour. Ce qui entraînait qu’en première conséquence, Irina souhaita sur Delta et ce, pour la première fois de sa vie, communiquer avec d’autres de façon bi-équi-univoque ! Quelle étrange conclusion que cette auto analyse, songea-t-elle ! Elle ne se trompait pourtant pas dans cette vision car, quatre années plus tard, évoquant les transformations opérées en elle par cette vie sur l’îlot, elle dut convenir qu’elle rejoignait effectivement la normalité. Pourtant, elle choisit délibérément de persister dans son socio autisme. Elle ne se sentait pas encore assez prête à assumer toutes ces nouveautés ni à réussir les tests de réintégration. Nounou, avec laquelle elle communiquait de plus en plus souvent par l’intermédiaires de son terminal, s’en rendit compte dès le premier semestre mais jugea intéressant de poursuivre l’expérience en vue de la résolution de son problème numéro un : Trouver qui mènerait la ou les premières expéditions vers Proxima du Centaure ? La machine l’incita donc à étudier les théories de l’astronavigation ce qui impliquait l’acquisition de compléments poussés en mathématiques et en astronomie. Par ailleurs, en compagnie d’Arulraj, Irina explora lentement et progressivement les sept sphères célestes et s’initia comme un disciple à l’hindouisme et à ses corrélats. Ce que Giarou put acquérir en une sorte de « digest » en survolant ces sujets, représenta, pour elle, un travail suivi et bien guidé qui dura plus de dix ans. Là où Giarou arriva à acquérir des techniques utiles au long sommeil ou à contrôler ses fonctions vitales, Irina explora à fond toutes les merveilles de la métempsycose, et, par ce biais, put vivre pleinement toutes ses vies antérieures qu’elles soient humaines ou animales. Il ne lui échappa point que tout cela pouvait résulter d’une sorte d’emprise exercée sur elle par Arulraj et qu’en fait il se pouvait qu’il n’existe aucune régression possible vers des identités passées et hypothétiques. Seuls les résultats lui importaient. Vivant d’autres personnalités, elle put devenir autre et enfin assimiler ce qui concernait les rapports humains considérés comme normaux. Se voyant lièvre ou chien ou mangouste, elle intégra ce que ces animaux ressentaient et comment ils l’exprimaient. Se revoyant servante d’un temple, marchande d’épices ou guerrier Sikh, elle connut les pensées intimes de ces personnes. Oui, il restait possible que tout cela vienne de l’immense expérience de son gourou, mais il lui sembla plus commode d’accepter pour vrai tout ce qu’il lui transmettait puisque le résultat se montrait des plus positifs. Sa mémoire phénoménale enregistra tout et sa logique l’amena à tout classer et à tout compartimenter, pour éviter de tomber dans le chaos et la confusion… … D’un autre côté, elle avait décidé d’établir une liaison durable avec Didier. Cette relation trouvait ses moments d’application lorsqu’elle ne dormait pas en transe ou qu’elle ne jeûnait pas durant des semaines. Il s’en accommodait parfaitement, assez amoureux d’elle et surtout plein de reconnaissance pour la transformation qu’elle opérait sur lui. En effet, une plongée dans le psychisme du géant si malhabile, lui permit de trouver d’où venait la maladresse de cet homme et son absence de repères d’encombrement. Trois séances d’hypnotisme corrigèrent ce défaut et il put enfin vivre sans tout casser sur son passage ni se sentir comme le plus maladroit des lourdauds. Seule la stérilisation permanente des habitants de Delta entraînait qu’ils n’engendrent point une nombreuse famille. Mais la règle restait immuable pour les habitants de ce lieu de proscription ! Les résidents (ou prisonniers) comprenaient que le problème des enfants était rédhibitoire en un endroit si peu approprié ! Ce qu’il faut remarquer concerne les possibilités relationnelles qui naquirent jour après jour, en Irina. D’un certain point de vue, nous pouvons considérer qu’elle agissait en collectionneuse lorsqu’elle s’emparait des pensées et des savoirs des autres. Mais elle se trouva contrainte à améliorer la qualité de ses rapports à autrui. Finalement, bien qu’elle continue à rejeter, en groupe, tous les moyens de communication à sa disposition en les réduisant au strict indispensable, il devint évident qu’elle ne pouvait plus être classée parmi les socio-autistes. Sa présence sur Delta ne s’imposait donc plus. De plus, et grâce à ses interventions, d’autres « pensionnaires » pourraient, dans un futur proche, quitter ce lieu d’exil. Nounou suivait de près la situation et les Directeurs recevaient les comptes rendus au fur et à mesure. Pour les projets de voyages intersidéraux, il fallait recruter des navigateurs aux qualités psychiques très particulières. En effet, le programme prévoyait d’envoyer, en première phase, un ou des vaisseaux pour explorer notre propre système solaire et surtout, pour démontrer que le pilote serait capable de supporter de longs mois ou des années de solitude. Seuls d’anciens socio-autistes reconvertis pouvaient convenir. Giarou, Irina et quelques rares autres se trouvaient donc dans le collimateur des Chefs du Projet. Un message apparut donc, un matin, après ces dures années d’exil, sur l’écran d’Irina : « Le séjour que vous venez d’accomplir sur Delta a produit de bons résultats. Il vous devient désormais loisible de quitter ce lieu pour entrer dans un centre de formation qui vous procurera un métier et qui vous mènera à une parfaite intégration sociale. Vous pouvez également choisir de rester sur place si vous le préférez. Nous vous poserons la même question tous les ans et à la même date. Par contre, si vous acceptez, vous devrez suivre le cycle que nous choisissons pour vous : Celui d’entrer au Centre de Formation des Navigateurs de l’Espace. (CFNE). Là, en internat durant trois ans, vous deviendrez pilote d’astronef. Cette formation débouchera sur un poste à pourvoir qui, probablement vous mènera à piloter, en solitaire, des transporteurs entre la Terre et la Lune. Plus tard, d’autres missions, plus complexes, seront confiées aux meilleurs des Navigateurs. Si vous acceptez appuyez sur OK et, si vous refusez, appuyez sur N. Vous disposez de vingt quatre heures pour effectuer ce choix. Terminé. » Irina n’hésita que quelques minutes avant d’envoyer son accord. Les autorités l’informèrent, en retour, qu’un hélico viendrait la chercher dans deux jours et elle commença à préparer son départ. Elle regroupa les quelques affaires et matériels qu’elle voulaient emmener avec elle. Ensuite, elle trouva normal de prévenir tous les autres et organisa une fête pour arroser sa libération et son départ. Elle y investit le reste de ses ressources et passa la commande à ceux qui viendrait pour l’emmener. Les deux pilotes, royalement invités, participèrent de bon cœur à ce pot. A l’échelle de Delta cette festivité sembla grandiose ! Seul Didier rechigna à encaisser son départ, mais Irina savait déjà qu’il la remplacerait assez rapidement et cela ne la soucia guère. Pourtant, elle quitta ce lieu de réclusion et d’isolement avec un soupçon d’émotion et s’étonna de ressentir, un petit échantillon de ce que les autres vivaient en permanence. Mais cela resta fugace, comme une sorte d’échantillon, qu’elle classa vite dans sa collection d’émotions diverses. Pourtant, honnête, elle convint qu’elle devait constater à quel point ce séjour sur Delta venait de prouver, sur elle, son efficacité. |
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