2.3 De la conception réglée à la conception innovante Pour innover, les concepteurs doivent sortir du modèle réglé en générant de nouvelles connaissances ou de nouveaux concepts ou bien les deux à la fois. Dans une logique d’optimisation et de croissance, ordonner la conception réglée a pour avantage de développer des produits performants en minimisant les ressources et en réutilisant les savoir-faire existants. Ainsi, les connaissances éparses et spécifiques sont enregistrées dans des systèmes de règles permettant d’être réutilisables par les concepteurs, d’appliquer des solutions déjà validées, d’enrichir et de transmettre des compétences acquises. Après, trois situations contrastées de conception innovante peuvent être identifiées (Le Masson et al., 2006).
La première situation innovante avec une expansion importante des concepts (ΔC) et un développement faible des connaissances (δK) répond à la création de lignée de produits. Face à des contraintes fortes pour produire de nouveaux savoirs, elle évite de développer de nouvelles choses coûteuses. C’est une exploration qui réclame peu d’apprentissages, s’accompagne d’une innovation à forte valeur ajoutée et fait appel à une part importante de créativité. La régénération des métiers consiste à une expansion forte des connaissances (ΔK) à un élargissement limité des concepts (δC). Elle mise sur des technologies prometteuses, sur le renouvellement de ses compétences, tout en évitant de reconcevoir. L’effort de production des connaissances est important par rapport à une exploration qui est limitée à un minimum de modifications à apporter sur l’objet. La dernière situation impliquant l’expansion des dimensions (ΔC) et (ΔK) correspond à l’émergence de nouveaux business exigeant de nouvelles connaissances. Face à une prise de risque totale et à une incertitude maximale, l’entreprise peut entrevoir de nouvelles opportunités ou des menaces potentielles sur son marché. Cela se caractérise par l’arrivée de nouvelles technologies, le changement de comportement des usagers, l’entrée de nouveaux concurrents, la création de partenariats, etc.
Quel que soit le modèle, « la création de connaissances (ΔK) et sa mobilisation dans le raisonnement constituent en fait le management de l’exploration d’un champ d’innovation » (Hatchuel et al., 2006 : 290). La difficulté est de gérer les différents opérateurs qui répondent à des actions spécifiques de la conception : le calcul, la modélisation, la découverte, la simulation, le prototype, le test client, l’optimisation, les enquêtes, etc. Si les concepts guident l’innovation, sa phase d’exploration doit comporter un système de pilotage et des espaces de conception volontairement limités au départ. Ces zones, définissant des sous-ensembles d’objets et d’opérateurs, permettent au concepteur avec une certaine liberté de commencer son travail d’investigation, de découverte et d’apprentissage.
3La revue de littérature de la théorie C-K Pour classer les principaux usages de la théorie C-K, nous l’avons tout simplement appliquée en utilisant l’arbre de conception (Figure 3). A partir de plusieurs disjonctions, A. Hatchuel considère que les démarches de résolution des problèmes font partie intégrante de la théorie de conception. Il prouve que la « rationalité limitée » d’Herbert Simon (1989) n'est pas suffisante, et qu’il faut l’étendre à la « rationalité expansible » (Hatchuel, 2001). Son constat est que les théories de conception précédentes ne sont pas adaptées à un monde industriel où les nouvelles valeurs de la société (environnement, énergie, etc.), l’accroissement des connaissances, les évolutions rapides des technologies et de la recherche obligent à innover. La conception « systématique allemande » (Pahl, Beitz, 1984), l’« Axiomatic Design » (Suh, 1990) ou l’amélioration continue à la japonaise sont ainsi remises en cause pour la linéarité de leurs outils. D’une « conception réglée » nous devons passer à une « conception innovante ».
C : Espace des Concepts
K : Espace des Connaissances
Conception systématique de Pahl Rationalité limitée
de Simon
Théorie C-K
Management
Services
Exploration
Innovation
Extension
Analyse
Projet
Valeur
Risque
Créatif
Mathématiques
CKE Jugement
Collaboratif
Outils
Historique Axiomatic Design de Suh … Kn Ki
Fondements et usage de la théorie
… Article de recherche n°1
Article de recherche n°i
… Article de recherche n°k
Figure 3 - Le raisonnement de conception de la théorie C-K
Dans le déploiement de notre arbre, nous distinguerons trois types d’usage de la théorie C-K. Le premier l’exploite pour analyser ou interpréter des projets, des situations, des outils ou des processus. Le second tourne autour de travaux s’appuyant sur cette approche pour l’enrichir ou l’exploiter. Le dernier l’utilise dans le management de l’innovation pour les services, l’exploration, les projets collaboratifs et la créativité collective.
|