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3/ LE TRAVAIL DE LA LUMIERE : LA PERCEPTION PAR LE CERVEAU Pour que le spectateur voie ce qui se passe autour de lui, la vision se joue à trois niveaux et sur trois sortes de phénomènes : mécaniques et physiques, pour que la rétine reçoive une image ; physiologiques pour que la rétine transforme cette image en impulsions nerveuses, et surtout, ce qu’il ne faut pas oublier, psychologiques pour que le cerveau interprète ces impulsions. Le travail de l’éclairagiste interviendra sur chacun de ces domaines. Il existe de toute évidence une interprétation de la couleur et de ses assemblages ; l'éclairagiste doit tenir compte de la réalité autant que de l'interprétation. Pour cela, il faut les connaître toutes deux. Si le psychologue occidental peut intervenir pour parler de l'influence des couleurs (le vert apporte le calme, le rouge excite, le noir est triste), le psychologue oriental pourrait répondre que la couleur du deuil au Japon est le blanc. N’est-ce pas là la preuve qu'effectivement il y a une correspondance mystérieuse entre la sensation colorée et le sentiment, mais que celle-ci ressort de l'inconscient collectif et qu’il sera sans doute difficile à un éclairagiste français, non au courant des « correspondances » japonaises, d'aller créer dans ce pays un éclairage coloré qui soit compris au plus profond des coeurs. DEUXIÈME PARTIE : L’ŒUVRE D’ART ET LA LUMIÈRE 1/ CE QUE LE PEINTRE A MIS DANS SON TABLEAU : LE SUJET Quand on visite un musée de peinture, on est frappé par la diversité des sujets traités par les artistes : gigantesques mises en scène s'inspirant de l'histoire de la Bible, de la mythologie ou du rêve (Le Paradis terrestre, de Breughel, ou Les Sabines de David), ou scènes intimistes (portraits tableaux de famille ou natures mortes). Mais tous, paysages ensoleillés ou secoués par les tempêtes, scènes de nuit et de petit matin, se situent dans une ambiance spatio-temporelle exactement définie. Les Roméo et Juliette s'ennuient en grand nombre dans les musées de Paris ou de province ; intérieurs de luxe ou dénonçant la pauvreté, autant de décors représentés par les peintres du passé, vrais metteurs en scène d'hier et dont les décorateurs d’aujourd’hui pourraient ou devraient s’inspirer parfois. Le peintre jusqu’à l’invention de la photographie s’attache au réalisme du détail. Mais si les tableaux figuratifs dominent dans les musées d’avant 1900, l’art abstrait prend une bonne place dès la fin des peintres impressionnistes. Et si les figuratifs semblent chercher à communiquer une découverte sur le monde qui les entourent, -- le monde de Vermeer n’a rien à voir avec ceux de Georges de la Tour ou Delacroix --, les abstraits travaillent plus sur une émotion liée à l’organisation de taches de couleur et à la composition de la toile. Les Nabis ne disaient-ils pas : « Un tableau n’est qu’un ensemble de taches colorées en un certain ordre assemblé. » L’invention de la photographie, dans les années 1870-1880, libère le peintre et lui permet d’essayer de transmettre son idée du monde par des moyens différents. Les impressionnistes font la liaison entre els deux styles : à la naissance de Claude Monet en 1840, le grand nom est Delacroix, à sa mort, en 1926, c’est l’art abstrait qui triomphe, avec toutes les déformations du monde que peuvent imaginer les Fauves ou les Cubistes. Avec un travail sur la couleur forte que les peintres d’avant ne pouvaient imaginer. En revanche, envisager l’évolution de la peinture de Claude Monet de Sainte-Adresse jusqu’au Nymphéas, illustre bien cette modification radicale. Un autre élément à prendre en compte sera aussi le but de la toile, c’est-à-dire l’endroit où il était prévu de l’accrocher, car si beaucoup ont abouti dans les musées, ce n’était certainement pas leur destination première. En revanche, églises ou appartement privés se partagent certainement l’ensemble des destinations prévues. Avec donc un certain style de lumière et d’éclairage artificiel : fenêtres ouvertes sur la lumière du jour toujours mouvante, du matin jusqu’au soir, ou éclairage artificiel des bougies toujours fixe, malgré le mouvement des flammes. 2/ CE QUE LE PEINTRE A MIS DANS SON TABLEAU : LA LUMIÈRE Les maîtres de la peinture d'autrefois, spécialement depuis la Renaissance, ont su manier la lumière pour mettre en valeur ce qu’ils peignaient dans leurs tableaux : voyons donc avec quel art ils l’utilisaient pour faire vivre ces décors et ces mises en scène. Connus ou moins connus, tous ceux dont les noms se retrouveront dans ces lignes, se sont efforcés de nous donner de magnifiques exemples du travail de la lumière ; par exemple l’impressionniste Breton Ferdinand du Puigaudeau et ses feux d’artifices, plus magiquement vrais que réels, le Danois Vilhelm Hammershoï et ses fenêtres ensoleillées, ou, si l’on cherche dans les peintres plus abstraits, le Tchèque Frantisek Kupka et son travail incroyable sur les harmonies colorée, comparables au travail du Français Robert Delaunay. Comme un éclairagiste de théâtre, ces peintres ont utilisé dans leurs toiles les caractéristiques de la lumière que j’ai citées plus haut. Et je crois qu’il faut les analyser précisément pour savoir comment les éclairer dans les salles des musées. « Devant un tableau de Claude Monet, je sais toujours de quel côté tourner mon ombrelle », précisait Berthe Morisot, amie du chef de file des impressionnistes, et peintre elle-même. Elle définissait ainsi le premier point et le plus important d'un éclairage : la lumière-clef, soleil ou lanterne, bougie, flambeau, ou fenêtre par laquelle pénètre le jour. Cette lumière-clef fait vivre l’espace, le tableau ou la mise en scène, et sera d’abord créée par une direction forte et asymétrique. La première caractéristique avec laquelle joue le peintre est donc la direction, ou un mélange de directions permettant d'en accentuer une, tout en adoucissant par le jeu des autres, des ombres trop dures. Le peintre s’inspire toujours de vraies sources, qui peuvent être visibles ou non sur le tableau : flambeau des scènes nocturnes ou bougie de Georges de La Tour, L’adoration des bergers, fenêtre des intérieurs hollandais de Vermeer, L’Astronome, ou Le Géographe, Piéter de Hooch, Les joueurs de cartes, ou les intérieurs déserts de Vilhelm Hammershoï déjà cité : fenêtres traversées par de brillants rayons de soleil. Les sources peuvent aussi n’être que suggérées simplement par le jeu des ombres propres et des ombres portées : soleil et nuages sur des paysages de prairies ou de forêts, ou plus sobre lumière venant de fenêtres invisibles, feux brûlant dans la cheminée, ou rayonnements abstraits irradiant du visage des saints, dans de nombreuses nativités par exemple. L'art du peintre est entièrement dans la manière de nous faire sentir que la lumière provient de ces sources.. Sur le plan historique, l'arrivée de la lumière dans les tableaux correspond à l'arrivée de la perspective, et la mise en valeur du relief. Jusque vers la fin du Moyen Âge, le peintre ne travaille que la couleur de l'objet, sans profondeur, sans relief (d'ailleurs le manque de réalisme ne le gêne pas) ; la lumière vient de face : pas d'ombres, pas de relief, tout est plat. Mais le fond doré rehausse l’image et permet d’oublier la platitude de l’image. Ce manque de relief se retrouve aussi dans les premiers portraits privés, tel le Portrait de Vieille Femme de Memling : on doit seulement reconnaître qui est peint. A partir de la Renaissance, les peintres utilisent toutes les ressources des directions de lumière, tout le jeu des ombres créées par des éclairages latéraux ou à contre-jour. Pour ne citer que quelques exemples : Les Sabines de David, le Portrait de Chopin par Delacroix, ou La femme à l'ombrelle de Monet… Les romantiques abusent de l'aspect dramatique créé par l'éclairage latéral : Le Radeau de la Méduse, de Géricault, où le relief des muscles est en rapport avec la tension des naufragés, ou Dante et Virgile aux Enfers, de Delacroix. L'art avec lequel Le Gréco utilise le mélange des aplats de couleurs et des lumières latérales renforce le drapé des vêtements, accentue le mouvement des tissus. La deuxième caractéristique utilisée par les peintres dans leurs toiles découle directement de la première : l'intensité. Il ne sera évidemment pas question ici de lux ou de lumen, mais de l'œil du spectateur — celui du tableau ou celui du théâtre — et de la façon dont il reçoit les quantités de lumière. Que ce soit les clairs-obscurs si réussis par Rembrandt, ou les paysages éclatants de lumière de Monet et des impressionnistes, paysage de Provence ou de Hollande, chauds ou froids, l'œil du spectateur s'adapte aux deux extrêmes. En revanche, là encore, il ne supporte pas la platitude : le relief du tableau est conditionné par les quantités relatives de lumière que reçoivent et renvoient les différents éléments du tableau. Ce qui compte, c'est la répartition de la lumière. Tout éclairer revient à ne rien éclairer. Nous retrouvons ici une idée exprimée dans son Traité de scénographie par Pierre Sonrel : « Tout peintre sait qu'un personnage n'est ni clair ni obscur en lui-même, mais par rapport à ce qui l'environne. » Des exemples très frappants nous seront donnés dans n'importe quel tableau de Rembrandt, avec son clair-obscur contrasté entre les valeurs chaudes des visages ou des tissus en premier plan, et le fond sombre sur lequel il se détache. Citons donc le portrait de Saint Jean-Baptiste par Léonard de Vinci, qui présente le personnage central sur un fond complètement noir. On retrouve le même principe chez Murillo - Le Jeune Mendiant - ou le principe inverse chez Le Lorrain ou Friedrich, chez qui le premier plan se détache souvent en sombre sur le fond plus clair, offrant ainsi une plus grande impression de profondeur. Le tableau de Murillo est sur ce point très intéressant à étudier, représentant un gamin dans une pièce éclairée seulement par une fenêtre sur le côté gauche : le fond du tableau est très sombre, les murs aussi, le sol est grisâtre et pourtant, grâce au relief du corps et des tissus, une immense impression de soleil se dégage de ce tableau. Il est intéressant de constater aussi que l’utilisation de zones alternativement claires et sombres, comme peut l’être une nef d’église tantôt éclairée par des cierges et tantôt non, peut donner un impressionnant sentiment de profondeur dans la toile : on en a de beaux exemples dans la peinture des écoles du nord, comme l’Intérieur d’église, effet de nuit, de Steenwick, ou La Buveuse de Peter de Hooch. La troisième caractéristique sera la couleur. On sait que chaque objet coloré ne renvoie qu'une partie de la lumière qu'il reçoit. Mais ce qui nous intéressera ici est de voir comment les peintres utilisent la couleur dans son rapport à la lumière. Sur sa toile, le peintre va privilégier et travailler l'harmonie ou les contrastes. Quelle que soit leur époque, les peintres l'ont compris et continuent à nous l'apprendre : depuis ceux qui ont réalisé les vitraux du Moyen Âge, jusqu'aux peintres contemporains les plus abstraits, Mondrian compris, tous travaillent sur l'harmonie et le contraste des couleurs. Par exemple, prenez les personnages du Printemps de Botticelli. Nymphes et déesses peu vêtues se découpent sur un fond de feuilles et des branchages vert foncé ; amusez-vous à les découper et à les recoller sur le même fond, mais transposé en automne, rouille, rouge et orange. Le résultat est probant : en automne, les personnages du Printemps — sans jeu de mot — disparaissent complètement, ils se fondent dans l'arrière-plan. Nouvelle illustration de l'idée énoncée par Pierre Sonrel : travail sur contraste et harmonie. Les grands peintres d'hier connaissaient et appliquaient les lois physiologiques de la couleur (les couleurs chaudes rapprochent, les couleurs froides éloignent,) ou les rapports psychologiques couleur/sentiment (le rouge excite, le vert calme, le bleu est pur, le jaune fragile, le rose sucré, le vert acide, etc.), toutes correspondances qu’il est important de savoir apprécier pour comprendre un tableau ou un décor, et que l'étude des peintres aide à approfondir. Attardons-nous un instant sur les rapports couleur/sensation de l’espace : visuellement, les couleurs chaudes suggèrent la proximité, et les tons chauds avancent ; les couleurs froides suggèrent l’éloignement et les tons froids reculent. Une première preuve nous en est offerte par les tableaux des paysagistes flamands avec l’utilisation de la perspective atmosphérique, qui utilise ces tonalités de plus en plus bleu pour suggérer les parties proches de l’horizon, par exemple dans le Paradis de Breughel ou le saint Jérôme de Patmir, petite silhouette au premier plan devant un immense paysage dont les lointains deviennent d’un bleu de plus en plus clair. Une autre preuve nous en serait donnée par Cézanne, dans son tableau Le garçon au gilet rouge : que ce soit sur la manche et le gilet du garçon peint sur le tableau, ou sur les éléments du décor qui l’entoure, Cézanne juxtapose des tons plats allant du froid au chaud, ce qui lui permet de passer de l’ombre à la lumière et donne l’impression de relief et de profondeur. Autre aspect très intéressant à observer chez les grands peintres : la façon dont ils modifient la couleur réelle des objets en fonction de la lumière qui les frappe ; le premier exemple sera la lumière froide de Vermeer et des Hollandais à dominante bleue avec la modification de toutes les couleurs, comme si elles étaient vues à travers des filtres bleus, convertisseur lumière du jour 201 ou filtre 174. De même pour les paysages réalistes de Corot, de Degas ou pour L' Enterrement à Ornans de Courbet qui, pour rendre l'atmosphère grise et pluvieuse, modifie le rouge des ornements sacerdotaux vers un pourpre : la lumière apparaît bleu-gris. En revanche, Watteau, Guardi, les peintres des XVIIIèmes siècles français et italien utilisent une large gamme de lumières chaudes : L'Embarquement pour Cythère réalise ce mélange curieux de feuillage vert et de lumière ambre sans qu’aucun des deux nuise à l'autre. On croirait presque que Guardi utilisait des filtres rose pâle pour créer ses ambiances chaudes sur Venise, le Doge et le Départ du Bucentaure. Aucune reproduction ne peut rendre la luminosité des Champs de tulipes en Hollande ou le chatoiement des fleurs de Giverny, quand c'est Claude Monet qui nous les « photographie » et que l’on se trouve devant le vrai tableau. Le mélange lumière-couleur a été étudié particulièrement soigneusement par l'ensemble des peintres impressionnistes, et ils constituent, à mon sens, la meilleure école que l'on puisse imaginer : meules de foin en été, ou paysages enneigés en hiver, miroitement de l'eau sur la Seine. Ce sont eux en particulier qui, après Delacroix, ont montré qu'une ombre n'est pas noire ou grise, mais toujours colorée : donnons-en pour preuve les Parisiens au Parc Monceau, ou les Femmes au jardin de Claude Monet dans lesquels l’herbe n’est jamais noire ; dans le premier des deux tableaux, le nombre est important, de touches sombres qui pourtant nous renvoient une impression de grande lumière d’été. Peut-on trouver de meilleurs exemples, pour ceux qui aiment à regarder les variations du ciel, que les toiles de Claude Lorrain avec ses soleils couchants, de Hubert Robert, ou surtout du romantique allemand, Caspar David Friedrich. Le Louvre ne possède de lui que le célèbre Arbre aux corbeaux et un petit Paysage de lune, mais feuilleter un album de son œuvre peinte sera une promenade merveilleuse dans des atmosphères lumineuses qui nous entraîne d’une page à l’autre, de l’hiver à l’été, du jour à la nuit, du petit matin calme au crépuscule ou au plus fort de la tempête. Mais il est important de remarquer que ces trois caractéristiques ne restent pas fixes d’un tableau à l’autre, et le mouvement, comme au spectacle est aussi une caractéristique à considérer pour la lumière : mouvement entre deux directions, entre deux intensités, entre deux couleurs. Bien que le tableau reste immobile, il n’en peut pas moins montrer de mouvement de lumière. Nous citerons deux exemples. Dufy, dans sa façon de poser la couleur, donne l'impression du mouvement des branches d'arbres ou des drapeaux sur la jetée. Mais la démonstration la plus éclatante viendra des peintres impressionnistes. Il est vrai qu'ils avaient choisi comme objet d'étude, non les choses, mais la lumière elle-même. Comparons les différentes représentations de la Cathédrale de Rouen par Monet : suivant l'heure du jour, l'orientation du soleil, et les conditions météorologiques, la pierre apparaîtra bleue, marron, grise ou blanche, les ombres seront légères, ou très prononcées, chaudes ou froides, la cathédrale sera triste ou heureuse. Pourtant le point de vue est presque toujours le même : le portail central depuis le balcon d'une fenêtre au premier étage sur la place. Rouen n'est pas le seul exemple de série dans l'œuvre de Claude Monet : la Gare Saint Lazare, et ses mouvements de fumée, les paysages de Londres dans la brume, ceux des ports de Normandie à différentes heures du jour, dont le fameux tableau Impression soleil levant, ou les jardins de Giverny avec ses multiples représentations de Nymphéas. Évolution de la lumière, harmonies et contrastes des couleurs, on ne peut imaginer une plus lumineuse leçon d'éclairage. Anticipons sur notre propos en citant une autre manière de montrer l’impact du mouvement de lumière : elle sera le but des artistes cinétiques. 4/ BUTS DES PEINTRES : LA COMPOSITION DE LA TOILE Mais ne serait-il pas intéressant de chercher, en parallèle avec les moyens utilisés par les peintres dans leurs toiles, à comprendre quels sont les buts qu’ils poursuivent ? Le premier but sera de donner à voir, de permettre de voir ce qu’ils ont peint, et donc de créer l'espace dans lequel la vie se déroule : montrer les objets ou les comédiens, dans un espace donné, par le jeu d’une composition plus ou moins sophistiquée et plus ou moins visible. Le choix de l'espace se fait de deux façons pour le peintre : le cadre de la toile qui, telle une caméra de cinéma, choisit le gros plan, le plan moyen ou le plan de grand ensemble, et détermine le rapport de l'objet à l'œil du spectateur, paysage, scène d'intérieur ou portrait. Mais à l'intérieur de ce cadre, la lumière va déterminer un deuxième espace : le Jeune mendiant de Murillo, déjà cité, ne vit que dans le carré de lumière qui lui vient de la fenêtre de gauche ; le philosophe de Rembrandt se réfugie dans un fond de cave éclairé seulement par un rais de lumière qui lui vient de la fenêtre à gauche de l'escalier. Les peintres hollandais dans les tableaux du Louvre jouent souvent avec des alternances de lumière et de zone plus obscures pour donner à sentir la profondeur d’un appartement dont on voit les pièces en enfilade. Piéter de Hooch, dans Les Joueurs de cartes, organise la lumière en fonction de fenêtres, tantôt visibles sur le mur de fond, et tantôt suggérées sur le mur de gauche ; les visages des personnages sont éclairés différemment suivant qu'ils sont près de l'une ou de l'autre. Dans la Buveuse, le même peintre présente quatre personnages à l’intérieur d’une grande pièce éclairée par des fenêtres à gauche de la toile : un homme, dos à la lumière, et dont le visage est indéchiffrable, un autre au fond de la pièce, et face au premier une vieille femme et une jeune fille qui tient à la main un verre de vin et le lui tend : une petite carte à jouer, presque invisible au sol, révèle quand on connaît le symbolisme des tarots, le vrai sens de la scène : une prostituée est proposée par la mère maquerelle à un client, d’où le visage dans l’ombre de l’homme et le geste de la jeune fille qui offre le verre, c’est-à-dire un objet concave… La lumière aide ainsi à comprendre le rapport entre les acteurs de la scène. A une époque toute différente, Delacroix, dans la Mort de Sardanapale, organise la lumière en fonction de l'action, soulignant de taches claires les corps nus des femmes égorgées, au milieu des masses plus sombres des tissus ou des meubles. La lumière peut, dans un tableau apparemment réaliste, intervenir par le jeu des « filtres colorés » pour distendre l'espace : Léonard de Vinci, dans La Vierge, sainte Anne et l'enfant Jésus, « éclaire » les trois personnages du premier plan en « no color pink », rose pâle Rosco 33, très léger qui fait ressortir les couleurs chaudes des visages, pendant que l'arrière-plan est éclairé en convertisseur lumière du jour, bleu léger qui éloigne encore plus le fond. Par une subtile application des contrastes des couleurs, l'espace gagne en profondeur. Le deuxième but que se proposent les grands peintres, est moins évident pour le profane. Si le tableau est un espace à deux dimensions, le regard que porte le spectateur le place devant une image à deux dimensions. La lumière doit contribuer à mettre tous les éléments du tableau en valeur, et donc à créer le relief : faire sentir la troisième dimension - nous avons déjà parlé de deux exemples avec Le Paradis de Breughel ou La Vierge, sainte Anne et l'enfant Jésus de Vinci. La lumière doit souligner les rythmes du tableau, accentuer les volumes, participer à la structure du tableau. Les belles images ou les images fortes, ne seront que le résultat de l'harmonie entre les premiers buts et les moyens utilisés : la couleur, les directions de lumière qui soulignent les formes - spécialement dans les natures mortes. De bons éclairages et une belle composition peuvent ajouter 100 % de valeur à un décor ou à un spectacle ; de mauvais éclairages risquent de détruire un décor, si beau soit-il en lui-même. Le dernier but est évident car c’est celui auquel on s’attend d’abord : quand le peintre a créé son décor, à partir d'un espace onirique ou réaliste, la lumière dans la toile, permet de créer l'ambiance. Ambiance réaliste et spatio-temporelle : les différentes heures du jour et de la nuit, matin ou crépuscule, les saisons, les variations atmosphériques depuis le beau temps jusqu'à la tempête la plus romantique. Les moyens employés seront souvent la couleur « corrigée » par des filtres, ou le travail sur l'intensité lumineuse et la lumière ne sera pas la même au printemps en Norvège ou en été en Espagne. Faisons ici une parenthèse pour remarquer que les peintres se heurtent souvent au même problème que les éclairagistes de théâtre : montrer une scène de nuit dans laquelle les éléments restent clairement visibles. Chacun d'entre eux propose sa solution : jeu de contrastes de contre-jour, différences d'intensité et de coloration entre les éléments du tableau, ciel obscur et lumière plus ou moins justifiée sur les premiers plans, contre-jour qui ne souligne que les silhouettes… Je ne veux pour exemple ici que le travail d’un Hopper, dont les cafés de nuit sont fascinants à étudier, par la répartition des zones claires ou sombres. Citons aussi le non moins célèbre Café de nuit peint par Van Gogh. En plus de leur réalisme spatio-temporel, ces ambiances sont aussi « psychologiques » : les romantiques, par exemple, sont très habiles pour adapter les atmosphères aux sentiments qu'ils souhaitent mettre en valeur, et pour exemple je me contenterais de Proudhon, Delacroix ou Géricault… Mais que la tonalité générale soit chaude ou froide, il est possible de créer le calme ou la nervosité, l'agitation ou la tendresse sur un paysage, dans un portrait ou pour un groupe de personnages. Par exemple, la manière dont une lumière chaude enveloppera une nativité, contrastant avec l'extérieur de la grotte ou de la crèche, entourée d’une nuit profonde pleine d’étoiles, sans que l'on comprenne vraiment d'où vient ce climat tendre, ni d'où naît cette lumière qui émane doucement des personnages. A l'inverse, Delacroix, Géricault ou les peintres de l'Empire savent doser les directions de la lumière pour créer le climat d'angoisse ou de violence : Bonaparte à Arcole, du Baron Gros, ou La Justice poursuivant le Crime, de Prud'hon, dans lequel un superbe contre-jour nocturne aura un effet complètement différent de celui que l'on sent dans l'Enterrement d'Atala. Il est curieux de remarquer que le sujet du tableau n'est pas toujours en accord avec l'ambiance lumière. Le martyre de saint Sébastien est un sujet souvent représenté: le saint est percé de flèches dans des atmosphères tantôt calmes et sereines (chez Antonello de Messine, Sodoma, Botticelli ou Le Pérugin), tantôt orageuses (Mantegna) ou nocturnes (Georges de La Tour qu'on ne peut éviter de retrouver dès qu'on évoque la nuit). Le dernier but que l’on peut analyser dans les toiles des grands maîtres est moins évident à expliquer, car il est souvent intrinsèque à la personnalité du peintre et le dépasse complètement. L’organisation des lumières sur la toile va révéler un certain sens du rapport de l’homme au monde, différent d’un créateur à l’autre. Face au travail d’un Georges de la Tour ou d’un Rembrandt, qui par le clair-obscur, centrent le regard du spectateur sur l’objet ou le personnage représenté, et donc donnent le sentiment que l’homme est au centre du monde, s’oppose celui des peintres hollandais qui peignant le « Plein air dans leur atelier » perdent l’objet ou le personnage au milieu de son environnement et l’homme n’est qu’un accident au milieu d’un univers qui peut l’ignorer. On retrouverait là l’opposition Vilar / Chéreau, avec leur travail centré sur le comédien ou sur le décor dans lequel évolue ce comédien. Lors d’un reportage qui lui était consacré sur ARTE, au moment de la création de Cosi Fan Tutte au festival d’Aix en Provence, dans la mise en scène de Patrice Chéreau, le peintre-décorateur Richard Peduzzi raconte qu’un jour, à quelqu’un qui lui demandait quelles couleurs il utilisait pour peindre, le peintre Chardin aurait répondu : « Je ne peins pas avec des couleurs, je peins avec des sentiments. » Voilà ce que les peintres ont mis, chacun à sa manière dans leurs toiles. N’était-il pas important d’analyser tous ces éléments pour comprendre de quoi va dépendre la mise en valeur et en lumière de ces toiles dans les salles de musée ou d’exposition qui les présentent au public ? Tous les exemples donnés jusqu'ici concernent des peintres d'avant le XX ème siècle. Alors qu'ils s'éloignent presque complètement de la peinture figurative, à partir de Monet et des peintres des écoles postérieures, le rapport du peintre à sa toile, et donc du peintre au monde, évolue complètement. Les derniers tableaux de Claude Monet, les Nymphéas, ne sont plus que des explosions de couleurs. Après 1920, les peintres ne cherchent plus à reproduire le visible, mais à « rendre visible » — l'expression est de Paul Klee — un monde que le spectateur ne voit pas d'emblée. L'artiste crée ainsi un univers personnel, avec des moyens qui lui sont aussi personnels, et la toile devient le double lieu d'une énergie et de la mise en œuvre d'une idée ou d'un processus de création. Cela joue donc en premier sur le rapport de la toile à l’endroit où elle est installée. Rappelons pour commencer le cas d’un Georges Seurat, qui concevait lui-même le cadre qui devait entourer la toile en elle-même, pour mettre en valeur les couleurs de celle-ci, indépendamment de celles du mur où elle serait accrochée. (idée à retenir ?) Les exemples seront très nombreux : depuis Hans Hartung, et ses toiles, véritables explosions de lignes noires sur fond coloré, ou Mathieu, connu, entre autres, pour ses affiches Air-France, jusqu'aux expressionnistes allemands, Le Cri de Munch. Cette sensibilisation aux problèmes d'énergie et d'équilibre à travers la couleur ou les masses « lumineuses » des toiles, on la retrouve aussi bien chez les fauves — les premiers à déformer de façon aussi visible les couleurs de la réalité, — que chez les lyriques abstraits ou les peintres qui dessinent les cartons de tapisserie comme Lurçat ou Picard le Doux. Terminons en portant notre attention sur le travail de peintres comme le français Robert Delaunay, l’allemand August Macke ou le tchèque Frantisek Kupka pour leurs recherches sur la couleur, illustration brillante des théories de Johannes Itten, théories que lui-même savait fort bien utiliser, comme le prouvent ses nombreux tableaux, exposés hélas en Suisse, et qu’il est difficile de voir. Et sa modestie l’empêche d’utiliser ses propres œuvres dans ses livres théoriques. Mais regarder ses tableaux à mi-chemin entre le figuratif et le lyrique abstrait, et voir comment Itten organise ses harmonies colorées est un immense régal en même temps qu’une grande leçon. A défaut de trouver un livre qui lui soit consacré, le catalogue d’exposition qui lui fut consacrée à Berne est un bonheur pour les yeux. |
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