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Préface L’entreprise que nous avons lancée il y a un an et que la contribution des fonds européens nous ont permis de mener à bien se justifie par les besoins des étudiants francophones en lettres au cours de leur cursus universitaire dans le nouveau système de Bologne. Les lycéens ne sont formés ni en théorie ni en pratique pour analyser les textes littéraires ou même pour approcher des textes tout court. C’est la raison pour laquelle nous avons trouvé nécessaire de proposer une formation de base des le début en BA, formation qu’il faudrait continuer et perfectionner lors du MA aussi, éventuellement. Nous avons constaté également que les manuels de théorie littéraire ou les quelques introductions aux études littéraires qui sont disponibles en hongrois négligent sensiblement les écoles francaises de critique littéraire, bien que la plupart des tendances dont le structuralisme, la déconstruction, la critique thématique ou la psychocritique, pour ne citer que quelques exemples, ont été remarquablement développées, pratiquées ou meme fondées en France. Il nous semblait que l’importance de Roland Barthes, de Julia Kristeva, de Jacques Derrida ou de Gilles Deleuze, entre autres, est sous-estimée dans les manuels de langue hongroise disponibles en Hongrie et il y a des courants importants a faire connaître non seulement parmi les étudiants francophones, mais auprès d’un public francophone plus large aussi. L’objectif de notre manuel était donc de donner une synthèse des courants francais qui ont joué un rôle considérable dans les nouvelles approches théoriques des études littéraires lors des deux derniers siècles. En vue de fonder une conception du texte et de l’oeuvre littéraires, nous avons commencé par les approches plus traditionnelles de la littérature, notamment par une vue d’ensemble de l’histoire littéraire et de la sociocritique (deux chapitres rédigés par Péter Balázs), ainsi que par un tour d’horizon de la problématique de la notion du texte (Ilona Kovács). Cette dernière concerne tous les problèmes des manuscrits, de l’édition des textes et des théories modernes du texte, avant tout la conception barthienne du texte. Les chapitres qui suivent ce fondement théorique visant a définir globalement le texte, se proposent de donner une vue d’ensemble des courants importants plus récents qui sont pratiquement inconnus chez nous, notamment la critique de la conscience et la critique thématique, ainsi que l’esthétique de la réception (chapitres rédigés par Ilona Kovács). Il fallait impérativement compléter ce tableau par un tour d’horizon des dernières tendances modernes de la critique littéraire, y compris les développements de la critique psychanalitique en France, mais surtout le tournant que l’auteur des deux derniers chapitres, Timea Gyimesi, traite comme une évolution qui mène du tournant linguistique au tournant discursif. Elle y analyse les courants les plus récents et les tendances post-modernes aussi, plus particulièrement la déconstruction et les théories deleuziennes. Dans l’espoir de voir sortir ce manuel sous forme imprimée aussi, nous attendons les critiques et les remarques qui nous permettront de développer cette introduction en vue d’en faire un manuel pratique facilitant l’analyse des textes littéraires dans le nouveau cursus universitaire. Szeged, le 15 novembre Balázs Péter, Gyimesi Tímea, Kovács Ilona I. LA NOTION DU TEXTE ET LES MANUSCRITS. L’HISTORIQUE DES EDITIONS SCIENTIFIQUES ET LA PLACE DE LA CRITIQUE GENETIQUE DANS LA THEORIE DU TEXTE I La notion du texte. Oralité et écriture. Le concept du texte (et par conséquent celui de l’œuvre) semble être lié à l’écriture, puis le mot même (étym. texte: lat. tissu) désigne un tissu de signes. Pourtant, l’oralité constitue une forme substantielle des œuvres et la survie est assurée par la tradition orale (le bouche-à-oreille). Il ne faut pas oublier que toutes les cultures humaines ont commencé leur vie sans les moyens de transmission fournis par l’écriture et plus tard, les médias. Dans toutes les sociétés, à l’origine, le stockage se faisait par la mémoire individuelle et collective et il existe toujours des sociétés (en Afrique par ex.) qui n’utilisent pas l’écriture pour transmettre leurs connaissances de générations en générations. Avant l’invention et la diffusion des écritures ou sans le moyen de celles-ci, les sociétés forment des méthodes qui constituent la tradition orale. Celle-ci concerne des systèmes socioculturels comprenant des faits culturels très divergents et très différents, mais les modes de communication et de mémorisation qui ont été héritées pendant des siècles ont certains traits communs. Il faut pourtant toujours tenir compte du fait que les recherches sont limitées dans ce domaine et les connaissances actuelles s’avèrent bien conjecturales. Pour commencer, il faut délimiter le champ couvert par la tradition orale qui englobe des phénomènes aussi hétérogènes que les généalogies, le savoir sur les droits de propriété, la poésie (ou en général la littérature orale) et les rituels de toutes sortes, puis les techniques et méthodes acquises par les générations successives. Ainsi, la tradition orale renvoie toujours et nécessairement au passé et assure le lien entre les générations qui se relayent. Il existe une notion restreinte de cette oralité qui ne comprend que les énoncés qui se rapportent explicitement au passé: mythes de fondation, légendes historiques, contes et poèmes sur l’origine et les chroniques qui fixent la succession des familles et des dynasties. Selon une notion plus vaste de la tradition orale, cette restriction n’est pas pertinente, étant donné que l’héritage légué par les chants et par la parole ne distingue pas entre contes et faits historiques, mythes, rites et coutumes, il faut donc prendre l’expression dans une acception très large. Il est impossible d’approcher la problématique de la tradition orale sans une pluridisciplinarité fondamentale, puisque bon nombre de sciences contribuent à apporter là-dessus des connaissances et des hypothèses qui sont parfois contradictoires entre elles et il n’existe pas de synthèse admise sur les caractéristiques communes de ces cultures. Les disciplines de base pour l’étude des sociétés ayant une tradition orale sont l’ethnographie ou l’ethnologie, l’histoire, l’anthropologie structurale, la linguistique et la théorie littéraire qui apportent des éléments qui ne sont toutefois pas intégrés dans une théorie unique ou unifiée. Les recherches sont orientées selon deux grandes voies principales, l’une se concentre sur le processus de transmission de certaines connaissances et pratiques, l’autre étudie les produits du processus qui composent la culture de telle ou telle communauté. Selon Pascal Boyer1 ce deuxième type de recherches a été jusqu’ici privilégié par les ethnologues et les historiens, ce qui a mené à une situation paradoxale: „…alors qu’on dispose d’hypothèses nombreuses, riche et variées quant au contenu et à l’organisation des traditions orales, il n’existe que fort peu de travaux sur le phénomène même de la transmission orale ainsi, les spécialistes qui formulent des hypothèses universelles sur des phénomènes tels que l’universalité de certaines structures narratives n’ont pas essayé de les relier systématiquement aux contraintes de la transmission orale des récits.”2 Du point de vue littéraire, c’est le manque de toute version « originale » (par conséquent unique et authentique) qui importe le plus, puisque la multiplicité des variantes et l’existence plurielle domine par cette diversité des versions dont aucune ne prévaut sur les autres. Cette optique qui contredit toute notion de texte statique, immuable, ne se faisait pas valoir dans l’Europe du XIXe siècle quand on a commencé à noter le folklore, qu’il s’agisse de chant, de poèmes épiques et lyriques ou de danse. Par conséquent, les épopées notées à cette époque-là ont privilégié une seule version de l’œuvre qui existait pourtant dans la réalité à travers une variance infinie. En principe, ces éditions doivent donc être reconsidérées de nos jours, même s’il est devenu entre-temps impossible de remonter aux sources et de les transcrire différemment. L’usage même du terme « littérature » est problématique concernant l’ensemble des compositions qu’on désigne par le terme « littérature orale » et qui va des mythes d’origines aux épopées et à la poésie lyrique, y compris les paroles des poèmes chantés, les proverbes, les énigmes et les formules incantatoires. Il faudrait faire abstraction de l’idée de l’écrit qui implique des lettres (des caractères) pour leur assurer une survie et qui implique une projection rétrospective de l’écriture sur la parole, dans tous les sens du mot. Il faudrait réexaminer également la pertinence des notions élaborées pour les cultures écrites, telles que « littérarité », auteur, œuvre, style, genres, etc. Il est probable, mais reste à démontrer, ce que Pascal Boyer formule ainsi : „La plupart des catégories fondamentales de l’analyse littéraire perdent, en effet, leur pertinence lorsqu’on aborde la littérature orale.”3 Ainsi il faut sûrement renoncer à la relative stabilité supposée par le terme d’œuvre qui suggère une forme achevée, attribuée la plupart du temps à un auteur connu et nommé. On a affaire là à des formes fixées, figées par le manuscrit ou l’imprimé tandis que les ethnologues ne rencontrent que des versions se rapportant à un sujet analogue dont les récits évoluent d’une récitation à l’autre et dont ils ne peuvent jamais annoter qu’une seule version. Malheureusement, si on veut déterminer les critères selon lesquels on peut choisir parmi des variantes se rapportant à un sujet analogue (ou directement au même sujet) où les modifications dépassent la limite de la variation et constituent une nouvelle œuvre, on constate qu’on ne dispose pas de règles évidentes. De même, la notion d’auteur, relativement bien définie pour les littératures écrites, ne fonctionne plus en passant dans le domaine oral, puisque les créateurs qu’on peut nommer « récitants » ne font pas que de reproduire une œuvre toute faite, mais ils récitent et recréent en même temps. Ainsi il faut les approcher d’une manière toute différente, puisque la notion d’auteur ne s’applique pas à ce genre de création, à cause de l’intervention complexe de ces créateurs anonymes qui assurent à la fois la création et la diffusion. La sélection collective qui lègue certaines œuvres et laisse tomber dans l’oubli d’autres, puis la grande variabilité de chaque réalisation individuelle, même au cas d’un seul et même récitant, empêche qu’on applique mécaniquement les notions de la littérature écrite à la tradition orale. Parmi les travaux des scientifiques portant sur les sociétés vivant avec une culture orale exclusivement, p. ex. des tribus africaines, il faut mettre en relief l’activité de Jack Goody et ses principaux ouvrages sur la problématique.4 Jack Goody applique les critères de l’ethnographie, de la linguistique et de la théorie littéraire pour établir des modèles culturels pour l’oral et c’est lui qui a modelé avec le plus de probabilité le fonctionnement des cultures orales. Pascal Boyer cite deux grands spécialistes des épopées homériques, Milman Parry et son disciple, Albert Lord qui sont parvenus, eux aussi à des résultats durables dans les hypothèses relatives aux modes de survie des cultures orales. C’est Milman Parry qui a décrit la fonction des épithètes stéréotypées chez Homère dans la mémorisation du poème : „Les formules ainsi constituées pouvaient, en effet, servir d’autant de „chevilles” fort utiles pour un poète qui devait composer les vers à mesure qu’il les chantait, et qui était donc obligé de combiner sur-le-champ les exigences de la narration et celle du mètre et de la prosodie.”5 Parry a réussi à émettre une hypothèse plus générale aussi sur les mécanismes de création dans l’oralité, une hypothèse hardie qui veut que dans ce domaine, la distinction entre composition et récitation n’ait pas de sens. Selon ces deux grands philologues classiques cités, ces deux aspects qui sont dissociés dans la littérature écrite, sont étroitement combinés dans la composition orale, „qui consiste en l’association, au moment même de l’énonciation, de deux séries de représentations préexistantes: un canevas narratif, lui-même sans doute réorganisé constamment en cours de route, et un ensemble de contraintes métriques et prosodiques.”6 Les deux hellénistes ont essayé de vérifier la valeur de leurs hypothèses parmi les récitants modernes, comme les „gouslars” en ancienne Yougoslavie et ont démontré que dans les expériences modernes, on retrouve encore l’usage des formules toutes faites comme élément constant de la poésie orale de tous temps et de tous pays. Pareillement, il faut revoir de fond en comble les idées faites sur la création dans le domaine de l’écrit et de l’oral, puisque le poète oral ne part jamais de l’idée d’une œuvre entière, mais doit construire son récit chanté à partir d’épisodes particuliers, avec l’aide d’un répertoire de formules fixées à l’avance. C’est au cours de la récitation qu’il improvise sur la base d’un canevas très peu fixé, en y intégrant les épisodes projetés et en adaptant les unités narratives aux exigences métriques de son chant. L’oralité n’implique pas ainsi un art de pure répétition, mais un art de combinaison instantanée qui fait appel à une capacité cognitive exceptionnelle. Cet art ne fonctionne que sur la base d’un trésor collectif, dans lequel plusieurs récitants peuvent puiser pour construire leur chant à partir de ces pièces détachées et en quelque sorte préfabriquées. L’originalité de l’invention n’est donc pas la propriété d’une seule personne, mais plutôt celle d’une communauté et d’une culture dont les éléments sont constamment réactualisés dans les performances concrètes. L’oral doit donc assurer une continuité des sujets, des personnages et des formules à travers les modifications perpétuelles. Notamment, Jack Goody a mis en évidence des décalages entre deux versions d’un même mythe fondateur7 qu’il a recueilli deux fois, mais à vingt ans de distance. La comparaison des éléments constants et des variations montre bien comment l’impression de continuité est produite chez les auditeurs par la combinaison des deux sortes de composantes plutôt que la répétition mécanique d’un récit déterminé. Cette incertitude ou instabilité de la notion d’œuvre, de composition et d’auteur réapparaîtra lors de l’ère de l’écriture aussi, notamment dans la tradition médiévale. L’humilité des moines scripteurs de manuscrits devant le texte sacré, les pousse à diminuer leur importance personnelle par rapport au texte considéré comme révélé, donc sacré et immuable. Le même phénomène se produit sur le plan de la littérature sécularisée aussi, mais là il résulte d’autres facteurs. Comme le résume Bernard Cerquiglini dans l’Eloge de la variante8 : „Tout, dans l’inscription littéraire médiévale, paraît échapper à la conception moderne du texte.”9 Non seulement toute ambition manque à une quelconque originalité dans le domaine ecclésiastique, ce qui distingue cette littérature manuscrite de celle que nous appelons moderne, mais tout un ensemble de traditions diverses dans la sphère laïque coïncident pour lui donner un profil spécial. C’est la pluralité des voix qui caractérise selon Cerquiglini cette production: „Composition orale de certaines chansons de geste (pour autant que ce genre ne mime pas, à l’écrit, les formules et procédés de l’«orature») ; étape de transmission orale de certains textes (fabliaux, par exemple) intervenant au cœur de la transmission manuscrite ; dictée au scribe (sans parler de la « dictée interne »que peut constituer la mise en écrit lente de ce qu’on a lu, d’ailleurs sans doutes à haute voix) ; lecture conviviale et quasi-professionnelle de presque toute cette littérature … ”10 Ce qui en résultera, sera « une variance essentielle » qui ne se laisse pas facilement fixer par les contraintes du livre imprimé à partir du XVe siècle. Cerquiglini trouve que l’ère des ordinateurs, où on peut regarder simultanément plusieurs textes sur le même petit écran, convient mieux à la reproduction de cette littérature manuscrite que le livre. Choisir une seule variante par ex. dans la première production littéraire de langue française pour la confier à l’imprimerie, équivaut, comme dans l’oralité, à appauvrir considérablement l’œuvre, dans son passage du manuscrit au livre. Pour diminuer les pertes, pour cette forme d’écriture aussi, il reste à inventer de nouvelles formes de survie et de conservation : « Non encore serrée au carcan des formes instituées de l’écrit (auteur comme origine tutélaire, stabilité textuelle, etc.), dont nous avons vu combien elles étaient tardives, cette littérature donne à voir, de façon exemplaire, l’appropriation euphorique par la langue maternelle du geste qui la transcende. Cette appropriation se traduit par une variance essentielle, dans laquelle la philologie, pensée moderne du texte, n’a vu que maladie infantile, désinvolture coupable ou déficience première de la culture scribale, et qui est seulement un excès joyeux.”11 |
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