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L’assimilation, que l’on peut associer au changement culturel, tient au fait que le groupe dominant va petit à petit adopter des éléments d’une autre culture afin de maintenir de bonnes relations avec la société hôte. Dans « la revue des bikers », distribuée gratuitement à l’entrée du rassemblement « FreeWheels », une page entière rappelle des règles de respect et de sécurité aux bikers présents à la manifestation qui ne concordent pas avec l’image rebelle que les Hell’s Angels se donnent par ailleurs. L’assimilation matérielle de ces règles et valeurs a pour objectif une meilleure cohabitation avec la société. L’acculturation due aux contacts entre les groupes culturels aboutit à un syncrétisme matériel et un syncrétisme formel. Le syncrétisme formel se fait par les agents acculturateurs : c’est-à-dire les individus leaders ou marginaux. Le syncrétisme matériel se réalise par les agents acculturatifs de type journaux, revues, magazines, films, musées…
« Ce ne sont pas les cultures qui sont en contact mais les individus » (Bastide, 1971 : 49). Ce n’est pas toute la culture qui est en contact, mais celle portée par les individus (Linton, 1936). Dans le syncrétisme on ne peut pas parler de niveaux d’appartenance à la communauté. En effet, quel que soit le degré d’assimilation de l’individu, il est également en contact avec d’autres personnes à l’extérieur de la communauté et à ce titre exerce une influence sur les individus en général. L’acculturation par l’individu Quels que soient les groupes dominants ou dominés, deux types de membres vont engendrer ces syncrétismes culturels. Les leaders ou membres centraux Les leaders ou membres centraux sont porteurs de leur culture et diffusent celle-ci auprès des autres communautés favorisant l’interpénétration (Sitz, 2006). Les aspects sociaux sont plus importants que les aspects psychologiques de type charisme. Ces leaders doivent leur leadership et leur source d’influence principalement au positionnement social. Ainsi, les caractéristiques psychologiques sont moins reconnues. Ces individus sont des personnes respectées dans le sens où elles ont une expertise (le mécanicien, l’historien), une responsabilité (l’organisateur, le manager), une visibilité (une notoriété extérieure reconnue). La perte d’une de ces reconnaissances au sein du groupe (panne impossible à résoudre, problème lors d’une sortie, perte de réputation) fait perdre toute légitimité au leader qui est relégué et qui n’aura plus aucun pouvoir sur le sens donné à la marque. Daniel : « des gens un tantinet intelligents ou qui aient vécu des choses comme ça professionnellement aussi qui menaient des gens, qui menaient des équipes ou de gros projets et ça permet quand même de mieux faire fonctionner le truc quoi. ». Joël : « Un groupe comme ça on va s’autogérer comme ça et on s’est rendu compte qu’il fallait quelqu’un qui fédère un petit peu l’ensemble. » Ces leaders activent le processus d’acculturation, tout simplement parce qu’ils sont aux commandes du groupe et qu’ils vont créer et démultiplier les contacts. Dans l’acculturation leur objectif peut-être d’être accepté par le groupe dominant ou au contraire de dominer un autre groupe. Les marginaux Les marginaux vont avoir un impact notable sur le syncrétisme culturel de la marque. Ils sont soit des figures rebelles soit des personnes à part à l’intérieur du groupe. Leur manière de penser la communauté et la marque se distingue énormément du courant dominant au sein du groupe. On peut les représenter en artistes avant-gardistes, ou simplement en personnages non entièrement intégré au sein du groupe. Jo : « Je fais quelque chose que tous voudraient faire mais qu’ils ne peuvent pas faire. » Eric : « La marque a toujours copié les bécanes des Hell’s. Les rebelles ça fait vendre. » Guy : « Ces mecs là, c’est des artistes. Ils créent pas des motos, ce sont des objets d’art et après tout le monde essaie de faire pareil. » Ils sont généralement les instigateurs des phénomènes de rébellion qui engendrent des avancées de la culture. C’est ce qui se produit actuellement dans les chapters. Stéphane : « ils l’ont viré parce qu’il les dérangeait, alors il a créé le nouveau groupe où je suis maintenant et franchement c’est un mec à part. » On s’aperçoit que ce sont les nouveaux entrants qui vont être davantage des prosélytes et des missionnaires de la marque. Catherine : « J’ai une amie qui a une japonaise et qui me dis « tu me donnes envie d’avoir une Harley », donc peut-être qu’en parlant on influence, je suis tellement passionnée. » Guy : « ces gens-là c’est des jeunes créateurs, c’est des génies » David : « y’a des faussaires qui me copient, donc c’est que ça a de l’importance, sinon y’aurait pas de faussaires. » La marginalisation peut être attirante, perçue comme un idéal par les individus. Elle peut simplement être vécue quotidiennement. Emmanuel : « si t’es à fond tu te désocialises ». Jean-Pierre : « en tant qu’architecte au début je faisais attention parce que les gens s’imaginent un homme en costard-cravate. Maintenant, je viens comme je suis là, avec ma moto. Au début, c’est un peu dur je dois me faire accepter à chaque chantier… mais une fois, qu’ils ont vu que je savais de quoi je parlais ça va mieux ». Valérie : « les collègues au départ elles ne comprenaient pas, mais maintenant qu’elles me connaissent ça leur plait et j’ai carrément un vestiaire pour pouvoir me changer quand j’ai les vêtements de pluie… pour poser le casque… ». Trouver des individus marginaux à l’intérieur de l’espace de vente, permet aux consommateurs d’adhérer davantage à la marque. Val : « Thierry ça se voit que c’est un pro. Il a la même Harley depuis 25 ans. Quand il organise une « garage party » spéciale ladies, il contribue au contraire à installer les femmes dans le monde Harley, en nous expliquant comment on fait une vidange, quel est le seuil de gonflage des pneus ou comment déconnecter l’alarme de la moto. Fabrice aussi il sort du lot » (« garage party » à la concession). Fred : « L’année dernière à Montalivet, t’avait plein de mecs qui me disaient, si c’est toi qui les vend les motos, on vient les acheter à XXX ». François : « c’est ça qui est dingue, la marque permet aux no-life de devenir quelqu’un … ces personnes avant d’acheter une Harley c’était rien et maintenant, elles sont reconnues ». Il est donc nécessaire de contrôler, ou tout au moins, mettre en place une veille permettant d’écouter ou d’observer ces personnalités marginales. Elles permettent de répondre aux besoins que les leaders officiels n’ont pas satisfaits. Les facteurs d’acculturation anticipée : médias, films, revues, musique… Les facteurs acculturateurs ne vont pas acculturer les groupes ou les individus, leur seule vocation est de diffuser la multiplicité des cultures et de contribuer à réaliser une acculturation anticipée. En effet, les contacts entre cultures ne se font qu’à travers les individus, mais ces groupes, dominants ou dominés vont mettre en place un certain nombre d’outils pour diffuser leur culture auprès des autres collectifs. Valérie : « j’ai pris des bouquins et je me suis documentée sur des revues motos. » Jo : « C’est un mec, il raconte toute son aventure de ce qu’il vit aux Etats-Unis, il va tout partager (...) Moi, c’est grâce aux forums que je suis reconnu. » Parfois, ils ne sont pas maîtres de ce qui va être diffusé. Jo « ouais, je te pose la question parce qu’il y a un an j’ai été contacté par une journaliste pour faire une émission sur la marque Harley, et ils m’ont pas choisi, mais y ont choisi un couple. Mais c’est nul ce qui ont dit sur eux. Il l’ont appelé le dindon et la conasse, je crois ». Fabrice : « l’émission sur Harley, c’était complètement nul, c’est superficiel, ils ont rien compris » (visite à la concession). Ainsi, les reportages, les films, les livres, les séries télévisées, les magazines peuvent apporter une première approche tronquée de la culture du groupe. Il est donc important de les contrôler voire d’être à leur initiative.
Quelle que soit la communauté, le produit est au centre de la culture. L’exceptionnalité dans la durée donne une légitimité à la marque, un pouvoir évocateur. En effet, la marque Harley est la seule marque qui ait survécu aux Etats-Unis à la guerre ainsi qu’à l’invasion des motos japonaises puis italiennes et allemandes. Posséder cette « légende » donne au propriétaire la sensation d’être quelqu’un d’exceptionnel. Bruno : « c’est pas la moto du commun des motards, de Monsieur tout le monde » Guy : « la seule qui a survécu, il faut la bichonner » Jo : « J’ai commencé avec une moto japonaise, je suis allé aux rassemblements de motos et je me suis rendu compte qu’on m’adressait pas trop la parole (…) alors qu’à partir du moment où tu as une Harley, tu as d’autres critères et les gens viennent vers toi. » Le prix est souvent vécu comme un élément de forte différenciation. Stéphane : « Tu comprends avec le prix d’une Harley, tu peux t’acheter deux japonaises ». L’exceptionnalité n’est pas simplement liée à la durée de la marque dans le temps mais également aux éléments intrinsèques de la marque. Le matériau utilisé, le bruit sont des éléments constitutifs de la culture. La marque a d’ailleurs déposé des droits pour protéger le bruit de son moteur. Val : « Les Victory, c’est pas Harley ; Harley c’est du lourd, du fer, du chrome, c’est pas du plastique, Harley c’est l’esthétisme ». Patricia : « Tu mets une japonaise sur un parking t’as personne qui va venir regarder, tu mets une Harley t’as 500 personnes qui vont s’arrêter ». Raphaël : « Quand tu passes dans un village et que t’es en groupe, les gens sortent pour te voir passer » (en sortie). Corine : « Quand j’ai dit qu’elle faisait beaucoup de bruit la première fois, je me suis fait engueuler ! C’est pas du bruit, c’est une musique » (en sortie). Fred : « Harley, c’est beau… ça brille, c’est de l’esthétique. Tu te la racontes quand t’es dessus ». L’esthétique est très importante pour toutes les communautés. La manière de la percevoir est également très différente. Ainsi, on va rencontrer des communautés Rat’s, dont l’objectif est de parer sa moto de tous les objets trouvés au cours de ses voyages. A l’opposé, les Rubby sont de véritables « arbres de Noël » (Patricia) avec guirlandes et paillettes en quantité. Les avancées technologiques de la marque changent la culture des individus. On peut faire des choses aujourd’hui avec la moto qu’on ne pouvait pas faire, ou qui étaient moins accessibles auparavant. Catherine : « les motos avant étaient trop lourdes, jamais j’aurais pu imaginer avoir ma Harley. » Elle apporte des éléments pour construire l’identité. En ce sens elle est un aliment essentiel. Guy : « quand je suis sur la moto c’est autre chose, je suis quelqu’un d’autre. Quand j’arrive chez moi, mes filles sortent pour me voir. » CONCLUSIONS
Ce travail a pour point de départ les insuffisances de la littérature marketing sur la notion de culture de marque à la fois sur sa définition, mais également sur les processus de création de celle-ci. L’introduction d’un nouveau concept permet de lire en partie ce mécanisme. Le syncrétisme culturel de la marque étant défini comme l’emprunt de traits culturels à des communautés différentes pour former une nouvelle culture de la marque, l’aspect dynamique et ininterrompu est essentiel. Les études menées mettent en évidence plusieurs points. Parler de communauté de marque pour Harley-Davidson parait peu signifiant par rapport à la réalité qui s’attacherait davantage au concept de monde de marque. La marque culte est entourée d’une multitude de groupes très hétérogènes qui se rejettent ou s’attirent. Il est donc important pour la marque non seulement d’être présente parmi ces communautés mais également de les identifier pour cerner la diversité et surtout les points de divergences avec sa propre communauté officielle. Les effets de localisme sont très importants, ils peuvent être dus à la culture mère dans laquelle la communauté est implantée mais parfois à la volonté de se différencier et de ne pas tomber sous la houlette de groupes dominants. Il est donc nécessaire pour réduire ces points de dissonance et de divergence de réunir périodiquement les différentes communautés pour mettre en lumière ces différences et ainsi, par le seul fait des rencontres, se doter d’outils capables de les gérer. Les rencontres permettent de réduire ces effets de localisme ou de les amplifier en fonction des stratégies d’acculturation choisies. Quatre stratégies d’acculturation ont émergé. Elles soulignent la nécessité pour la communauté officielle de la marque, le HOG, de faire partie des groupes dominants afin d’intégrer ou d’assimiler de nombreux membres. Ce travail montre l’importance des leaders et des membres marginaux dans les mécanismes de syncrétisme et d’évolution de la culture. Il est donc important pour l’entreprise de connaître les membres leaders de ces communautés pour multiplier les contacts aux divers rassemblements. Par ailleurs au sein de sa propre communauté, mais également au sein de son réseau de distribution, il est essentiel de sélectionner les membres salariés, voire les représentants commerciaux. La sélection de ces partenaires ne doit pas se faire sur de simples objectifs financiers ou de rentabilité, mais bien sur une culture de la marque commune aux partenaires. Les rassemblements de partenaires avec la marque peuvent également faire l’objet de séminaires de formation sur la culture de la marque. La culture étant transmise par l’individu, ceci signifie que les formations et les rapports entre l’entreprise et les partenaires doivent se faire par l’intermédiaire de salariés qui sont non seulement fonctionnels mais également passionnés. Enfin, il paraît nécessaire de favoriser l’immersion de salariés des concessions ou de la structure dans des communautés de marque. Ces immersions permettront à la fois de faire remonter les traits ou les tendances culturelles, mais également d’acculturer les individus et le collectif. Afin de réduire les problèmes d’éthique que cette intrusion pourrait susciter, il est important que chaque partenaire (salarié et communauté) soit conscient de l’enjeu de cette immersion et volontaire pour y participer. Le syncrétisme culturel de la marque implique trois dimensions :
Les limites de ce travail sont tout d’abord d’ordre méthodologique. En effet, en travaillant sur un cas, nous augmentons la densité des informations pour permettre plus de précision sur le processus lui-même, mais nous perdons sur le transfert possible des résultats. L’étude d’autres entreprises qui s’entourent d’un monde de marque peut permettre de trouver des similarités et des altérités intéressantes pour enrichir la perception de la construction du syncrétisme culturel de la marque. Par ailleurs, le chercheur étant complètement impliqué dans le cas, il est parfois difficile de prendre du recul sur les informations et les informateurs. Dans sa collecte de données, le chercheur lui-même va parfois modifier les choses, car en interagissant il devient lui aussi acteur du phénomène. Malgré l’importante étude documentaire, une étude longitudinale permettrait une meilleure lisibilité de l’interpénétration des cultures et de la création d’un syncrétisme culturel de la marque. D’autres pans de recherche doivent être explorés. La notion d’acculturation est présente à la fois au niveau inter-groupe mais également au niveau intra-groupe. Comment intégrer de nouveaux arrivants dans la culture du groupe en tâchant de modifier au minimum leur impact sur cette culture ? Quels sont les facteurs d’acculturation qui peuvent engendrer l’intégration voire l’assimilation ? Au niveau de l’entreprise elle-même, comment peut-elle sélectionner les salariés pour qu’ils contribuent, de par leur forte culture de marque, à une meilleure diffusion de celle-ci ? Autant de questions qui constituent un programme de recherche à venir. |