Un tournant géopolitique vers le nouvel ordre mondial et la gestion de l’environnement ?








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Chapitre 3

La politisation mondiale des conflits d’environnement : autour de “Rio”.



Conflit Nord-Sud, développement durable et insécurité environnementale: les impacts de Rio




(Jean-Guy Vaillancourt

Université de Montréal)

Le Sommet de la Terre de Rio, ce fut en réalité non pas une mais deux grandes rencontres qui ont eu lieu simultanément durant la première quinzaine de juin 1992. D'une part, il y a eu la Conférence des Nations-Unies sur l'Environnement et le Développement (CNUED) à Rio Centro, une enceinte bien gardée dans la banlieue sud de Rio, qui a accueilli plus de 100 chefs d'État et de gouvernement, une multitude de politiciens, de fonctionnaires et de scientifiques, et même 1400 représentants d'ONG de toutes sortes. D'autres part, il y a eu le Forum Global 92, un grand palabre festif au Parc Flamengo à l'autre extrémité de la ville, où figuraient des milliers d'experts et de militants de l'environnement et du développement. Presque 40 mille personnes en tout, dont 9 000 journalistes, ont participé durant deux semaines à ces deux événements. Rio, ce fut en plus une confrontation Nord-Sud où les représentants des pays industrialisés du Nord pré­occupés enfin par l'environnement, ont dû s'astreindre à écouter les revendica­tions des représentants des pays du Sud aux prises avec des problèmes de pauvreté tels, que l'environnement semble encore parfois à certains d'entre eux comme un loisir de riches, un truc pour les maintenir dans la misère. Rio, ce fut donc, non pas Bush contre le reste de la planète, comme les médias l'ont laissé croire, mais le Sud face au Nord, le Groupe 77 des pays pauvres face au G7 des pays riches et industrialisés, le Tiers-Monde face à la Pax Triadica (USA-Japon-Europe), les mouvements des pays soi-disants non-alignés face aux institutions des nantis. Et ça va le devenir de plus en plus avec le remplacement de Bush et de Quayle par Clinton et par Gore, car les pays industrialisés ne pourront plus trop se fier aux États-Unis pour livrer pour eux leurs batailles, depuis l'arrivée des démocrates au pouvoir à la Maison-Blanche.

Environ huit mois après Rio, il est encore trop tôt pour faire un bilan géné­ral et définitif de ces deux rencontres mais rien ne nous empêche d'en faire une évaluation provisoire. Dans l'ensemble, je pense que ces deux sommets ont eu, dans l'ensemble, un impact intéressant certes mais pas très positif. Ils constituent tout au plus un petit pas dans la bonne direction. Les résultats, surtout ceux de la CNUED, sont plutôt décevants, car on aurait pu s'attendre à beaucoup mieux d'une telle rencontre. La conscientisation mondiale face aux problèmes environ­nementaux a certes progressé grâce à Rio, mais les réalisations concrètes au plan des déclarations et des conventions, et surtout au plan des engagements institution­nels et financiers sont plutôt maigres, étant donnés le sérieux et l'urgence de la crise de l'environnement qui menace la planète, y compris les êtres vivants (végétaux, animaux et humains) qui l'habitent.

Rio a permis de commencer à établir des liens entre l'environnement et le développement, de montrer que sans l'instauration du développement durable à tous les niveaux, l'humanité s'achemine vers le désastre écologique et économique, vers une crise inouïe dans la nature comme dans la culture, vers une insécurité aussi pire que celle qui vient de la menace d'une guerre thermonucléaire. Rio a permis aux pays du Nord, déjà un peu sensibilisés depuis les années 1970 aux problèmes de l'environnement, de s'ouvrir davantage à la nécessité d'un dévelop­pement durable pour les pays du Sud, et à ces derniers, préoccupés depuis long­temps par leurs problèmes de sous-développement, de commencer à se rendre compte que le véritable développement doit passer par le respect de l'environnement36.

Jetons tout d'abord un coup d'oeil sur ce que la CNUED a accompli pour amorcer ce genre de développement durable et cette équité entre le Nord et le Sud et ensuite, en terminant, regardons brièvement ce que le Forum Global 92 et le suivi de Rio depuis huit mois ont permis de faire pour amener un peu plus de sécurité économique, environnementale et socio-politique.

La CNUED a consisté en trois types d'activités: des négociations sur trois textes importants qui ont finalement été acceptés, la signature de deux conventions qui étaient prêtes à être signées dès le début de la rencontre, et des discours de quelques minutes chacun par plus de 100 chefs d'État ou de gouvernement, dont la rencontre au sommet proprement dite n'a duré qu'une heure, c'est-à-dire moins longtemps que le banquet ou la prise de photo de groupe.

Le premier texte important à sortir de la CNUED est la Déclaration de Rio, qui énumère les 27 principes selon lesquels la planète devrait être gérée. C'est un document assez bref qui décrit les droits et les responsabilités des États et des être humains dans le domaine de l'environnement et du développement. Originellement, ce devait être une Charte de la Terre, et ça devait insister davan­tage sur la protection de l'environnement en ne mentionnant que quelques prin­cipes de base comme le principe précautionnaire, le principe de l'évaluation anté­rieure, le principe pollueur-payeur et celui de la nécessaire participation du public dans les décisions environnementales. Mais certains pays ont préféré des princi­pes plus nombreux et plus généraux, une proclamation plus longue et moins contraignante, avec une insistance égale sur l'environnement et le développement. Le compromis s'est donc fait sur une déclaration plutôt que sur une charte, mais certains espèrent encore pouvoir en arriver d'ici quelques années à une véritable Magna Carta de l'environnement moins décevante que la vague litanie d'énoncés grandiloquents de la présente Déclaration.

Le second document intitulé Principes sur la Forêt est le résultat d'un autre compromis — consensus qui, là aussi, a conduit à des banalités et des généralités. Il vise un développement durable des forêts tropicales tempérées et boréales qui respecte le droit de chacun des divers pays d'exploiter ses propres forêts comme il l'entend au plan économique, dans le respect de sa souveraineté nationale, mais selon les principes du rendement soutenu.

Malgré les pressions des États-Unis qui auraient de beaucoup préféré une Convention sur les forêts mais qui étaient mal placés pour faire la leçon à qui­conque, certains pays du Tiers-Monde se sont opposés à ce qu'une véritable convention soient signée sur la base de ces principes. Par ailleurs, la CNUED a recommandé l'élaboration d'une autre convention internationale, pour juin 1994. À mon avis, il faudrait en arriver aussi à une véritable convention sur les forêts qui tiendrait compte des dommages de la déforestation massive et des autres utili­sations abusives dans les pays du Nord autant qu'au Sud et surtout par les pays du Nord dans le Sud, et qui ne ferait pas des forêts du Sud des réserves pour l'absorption du CO2 produit massivement au Nord.

L'Agenda 21, un plan d'action pour le 21e siècle, est le troisième texte achevé par la CNUED. C'est le plus imposant et le plus controversé des trois documents déclaratoires. Ce document massif de presque 800 pages est, selon Maurice Strong, un cadre d'action et de coopération pour opérer la transition vers le développement durable, dans 115 secteurs ou domaines importants. C'est un programme global qui vise à donner naissance à des plans nationaux et locaux, gouvernementaux et non-gouvernementaux. Sa faiblesse, c'est que les gouverne­ments ont refusé de s'y engager de façon concrète avec des buts, des budgets et des échéanciers précis. C'est un gros ouvrage qui fourmille de bonnes idées et de voeux pieux, exprimés en termes bureaucratiques et généraux, et qui risque de rester lettre morte. L'aide officielle pour le développement au niveau de .7% du PNB pour l'an 2000 y est suggéré seulement, comme un engagement désirable mais ça n'affecte que certains pays industrialisés car des pays comme l'Angleterre et l'Allemagne, et surtout les États-Unis, refusent de ce rallier à ce que presque tout le monde considère comme un strict minimum.

Le 4e document de la CNUED c'est la Convention sur les changements cli­matiques. Elle a été signée par 153 pays, et doit maintenant être ratifiée par 50 Assemblées nationales pour pouvoir prendre effet. On dit qu'elle a été affaiblie après Prep Com IV pour obtenir que Bush accepte de venir à Rio. Les États-Unis et quelques autres pays ont réussi à empêcher que cette convention ne fixe comme cible de réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) dans les pays indus­trialisés le niveau de 1990, d'ici la fin de la décennie. Ceci demeure donc un objectif proposé sur une base volontaire seulement. Cette convention tente de faire diminuer le niveau des émissions futures de CO2 mais sans obliger les pays riches à payer pour leur part exagérée actuelle de ces émissions. Cette convention est quand même un point de départ, mais elle ne va pas très loin. Même si elle était adoptée universellement, elle ne règlerait pas la question du réchauffement global.

Le 5e et dernier document officiel de la CNUED, la Convention sur la biodiversité vise à préserver la diversité biologique dans une perspective de déve­loppement durable, et avec plus d'équité entre pays riches du Nord et pays pauvres du Sud. Certains estiment que c'est la pièce maîtresse de la CNUED, mais il faut dire aussi qu'elle a été le pont des ânes de cette conférence. On sait qu'un tiers des espèces végétales et animales pourraient disparaître d'ici 30-40 ans et que la diversité des plantes et des animaux est une richesse inouïe pour l'humanité, un trésor inestimable du patrimoine mondial. La Convention exige que chaque pays préserve sa propre biodiversité, et elle tente aussi, bien faible­ment, de réglementer les manipulations génétiques et les transferts technologiques. À long terme, il y a d'immenses intérêts en jeu ici. Plusieurs pays avaient des réserves sur certains points, mais 153 d'entre eux, l'ont quand même signée, alors que les États-Unis ont été un des seuls pays à ne pas vouloir le faire. Bush a refu­sé de payer le prix de la protection de la diversité biologique en ne voulant pas avoir à compenser les pays pauvres pour l'utilisation de leurs ressources biologi­ques, sous prétexte que cela pourrait nuire à l'industrie biotechnologique (c'est-à-dire pharmaceutique, cosmétique, agricole, etc.). Cette convention doit mainte­nant être ratifiée par 30 parlements nationaux pour entrer en vigueur, et certaines espèrent que la nouvelle administration Clinton-Gore réparera la gaffe de Bush, car les États-Unis n'ont pas grand chose à perdre en signant. En effet, le texte tel qu'adopté à Rio est déjà plutôt modéré, et aucunement menaçant pour les intérêts économiques des pays riches.

La Convention propose d'accorder un droit de compensation aux pays d'où proviennent des ressources biologiques utilisées dans certaines industries, et cela ne pourra qu'aider à leur préservation. En lisant le texte de cette convention, on se demande pourquoi plusieurs entreprises refusent de payer ces redevances, alors que les pauvres du Sud doivent payer le gros prix pour les biotechnologies déve­loppées au Nord, parfois à partir de ressources acquises gratuitement au Sud. Bush a prétendu qu'il refusait de signer pour sauver des emplois, mais il semble que le seul emploi qu'il visait à sauver était le sien, et cela ne lui a pas réussi, car il s'est attiré une réprobation universelle pour son arrogance et son conservatisme à Rio.
Au plan institutionnel, la CNUED a suggéré la création d'une Commission pour le développement durable, ce qui a été fait à l'Assemblée générale des Nations Unies qui a siégé à New York à partir du 14 septembre 1992. Cette Commission fut établie sous l'article 68 de la charte des Nations-Unies, sous l'autorité du Conseil économique et social (ECOSOC) qui lui-même fait rapport à l'Assemblée générale. Sa tâche principale sera de veiller à la mise en oeuvre de l'Agenda 21. Mais cette Commission, pour être efficace, devra nécessairement opérer à un haut niveau politique, avec une représentation au niveau ministériel. Elle doit aussi avoir des pouvoirs et des moyens pour agir efficacement, elle doit être nettement orientée vers l'avenir plutôt qu'être un simple mécanisme pour évaluer les progrès accomplis, et enfin elle doit avoir un mandat clair et des employés de haut calibre. Cette Commission pour le développement durable, si elle n'est composée que de politiciens férus de protocole, ou d'une quinzaine de sages qui ne pourront que faire des remontrances, risque de conduire à un imbroglio diplomatique et à des luttes bureaucratiques entre les divers organismes de l'ONU et de Bretton Woods. En fait, pour que Rio soit un succès, il faut ren­forcer les Nations-Unies et ses diverses composantes, surtout celles qui sont les plus démocratiques comme l'Assemblée générale. Plus radicalement encore, il faut démocratiser et restructurer les Nations-Unies, ce qui ne sera pas une tâche facile dans le contexte actuel de recrudescence des nationalismes. Une des pro­positions de restructuration qui est discutée actuellement consisterait en un ren­forcement du Conseil économique et social de l'ONU (dont dépend la Commission pour le développement durable) et l'abolition concomitante du deuxième et du troisième comité de l'Assemblée générale dont les responsabilités seraient alors refilées à l'ECOSOC. Sans une réforme de l'ONU, en ce sens, ou dans un direc­tion semblable, les acquis de Rio risquent d'être assez minces.

Au plan financier, la CNUED a été un fiasco complet, de l'avis de tous les commentateurs, même si on y a beaucoup parlé d'argent. La fin de la compétition Est-Ouest et la crise économique mondiale qui sévit depuis plusieurs années ont tari bien des sources de financement et d'aide pour les projets dans les pays du Sud. Le développement durable, la survie elle-même de la planète et de l'humanité, spécialement des pays pauvres du Sud, exigent un allégement de la dette et une aide internationale véritable. On a parlé de déboursés nécessaires de 125 milliards de dollars U.S. par an (70 milliards de plus que les 55 milliards actuels) d'aide des pays riches, et ce seulement pour réaliser le programme de l'Agenda 21, alors que la CNUED n'a même pas réussi à libérer plus de 2 mil­liards de plus en engagements neufs de la part de ces pays. En refusant de s'attaquer à la question du gaspillage des budgets militaires (un billion, c'est-à-dire mille milliards de dollars U.S. par an dans le monde), la CNUED a négligé de s'attaquer à ce qui pourrait être la meilleure source de financement pour le développement et pour la sécurité économique, environnementale et socio-politi­que. Faute de mieux, il faudra recourir à toute une panoplie d'autres moyens innovateurs mais difficiles à implanter pour trouver des fonds, par exemple une taxe internationale sur le pétrole et le charbon, une taxe minimale sur les transac­tions financières, des permis d'émission et des transferts d'argent à partir d'activités nuisibles pour l'environnement, etc. Il faudra augmenter l'aide bilaté­rale et multilatérale, et faire en sorte que ce soit de l'aide véritable qui ne nuit pas à l'environnement. Mais je demeure convaincu que la meilleure source de finan­cement pour le développement durable, comme le laisse entendre le chapitre onze du rapport Brundtland et de plus en plus de leaders religieux, sociaux et scienti­fiques, serait la réallocation des dépenses militaires vers la solution des besoins humains fondamentaux, vers la véritable sécurité qui est de plus en plus économi­que, environnementale et socio-politique, et pas seulement militaire ou stratégique. Le traité des ONG, au Forum Global sur le militarisme, l'environnement et le développement, souligne que le militarisme, en période de guerre comme en temps de paix, a un impact très négatif sur l'environnement car il gaspille les ressources naturelles et humaines nécessaires au développement économique et social. Il est urgent de procéder à la démilitarisation, d'abolir la guerre et d'établir une paix durable. Pour le bien des générations actuelles et futures, une sécurité économique et sociale équitable est essentielle.

La sécurité ne doit plus être définie en termes strictement militaires, mais plutôt de façon globale de manière à inclure à la fois la sécurité personnelle libre de violence et d'abus sexuels, la sécurité locale où tous les besoins fondamentaux sont satisfaits, et la sécurité commune où les droits des humains et des autres espèces vivantes à vivre dans un environnement sain sont respectés.

L'Agenda 21 a suggéré que le Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM) (ou GEF en anglais: Global Environmental Facility) soit rendu plus accessible aux intérêts des pays en voie de développement, tout en tenant compte du poids relatif des efforts financiers des pays donateurs. Voilà le fond du problème. Les riches prétendent vouloir aider, mais ils veulent garder un contrôle absolu. En fait, le FEM devrait être renfloué et renforcé, restructuré et démocratisé de façon beau­coup plus radicale que ne le suggère l'Agenda 21. Il doit être rendu plus autono­me vis-à-vis de la Banque Mondiale. Celle-ci de même que le FMI et le GATT, des organismes financiers internationaux nés de Bretton Woods, doivent être réformés. Le FEM doit donner plus de pouvoir au Programme des Nations-Unies pour l'Environnement (PNUE) et au Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) et surtout aux ONG du Sud, qui savent mieux que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ce qui est bon et nécessaire pour le développement sur une base durable dans le Sud.

L'Agenda 21 tente de ménager à la fois les pays riches, qui sont des bail­leurs de fonds importants, et les pays bénéficiaires de cette soi-disant aide. Mais les pauvres du Sud ne veulent pas payer la note pour nettoyer l'environnement qui a été pollué et spolié surtout par les riches du Nord et ils veulent aussi qu'on cesse de les faire paraître comme des assistés sociaux, alors que le flux net entre le Nord et le Sud est de 50 milliards de dollars U.S. au détriment du Sud, détriment qui est largement dû au service de la dette. Si on ajoute à ces pertes celles dues au protectionnisme, aux bas prix payés pour les matières premières, et à la main-d'oeuvre bon marché du Sud, on arrive facilement à 200-250 milliards de manque à gagner37.

Les deux sommets de Rio sont le fruit de 20 ans de préparation, de Stockholm en 1972 au Rapport Brundtland de 1987, et aux nombreuses conféren­ces préparatoires tenues entre 89 et 92. Beaucoup d'espoirs ont été soulevés par la CNUED, le plus grand sommet jamais organisé par l'ONU, qui devait considé­rer ensemble des problèmes de développement et aussi d'environnement du Nord et du Sud, mais qui a malheureusement négligé de tenir compte du troisième terme de l'équation, à savoir le désarmement.

Le militarisme est, en effet, une des deux questions tabous que la CNUED n'a pas voulu aborder, et encore moins résoudre. L'autre est celle de la surpopu­lation, sur laquelle les esprits sont très divisés. Les pays riches et surconsomma­teurs veulent que les pauvres cessent de proliférer, alors que ces derniers refusent des contrôles démographiques imposés par le Nord qu'ils perçoivent comme un effort des riches pour ralentir leur propre déclin mondial. Le problème de base ici est bien plus celui de la surconsommation chez les riches que la surpopulation chez les pauvres, bien que les deux problèmes soient reliés. Quant à l'autre ques­tion qui fut évitée comme la peste, celle du militarisme, du gaspillage des budgets militaires et du commerce des armes, il y a trop d'intérêts, au Nord comme au Sud, qui s'alimentent dans les budgets de défense, pour qu'une seule conférence des Nations-Unies puisse aborder ce sujet et y apporter des solutions adéquates. Le Forum Global a tenté de le faire avec un traité remarquable des ONG sur le militarisme, l'environnement et le développement, mais il aurait fallu que la CNUED elle-même attaque de front cette question cruciale.

En somme, la CNUED, ce fut le triomphe du plus petit dénominateur commun, du consensus sur une base minimale entre des États jaloux de leurs pré­rogatives et de leurs pouvoirs. Au début de décembre 1992, Mustafa Talba, alors directeur du PNUE, dans l'avant-propos d'un rapport pessimiste sur l'état de l'environnement de la planète, affirmait que la volonté des gouvernements de pro­céder à des réformes pour protéger l'environnement s'était effondrée, que l'impulsion de Rio s'était perdue, que le rythme des actions gouvernementales diminuait. Ce rapport montre que les conflits actuels ont des origines environne­mentales et il prédit qu'il y aura de plus en plus de conflits basés sur les ressour­ces clés comme l'eau potable, les terres arables, l'énergie, etc.

Ce rapport du PNUE constate aussi que la pauvreté s'étend et nuit à l'environnement, que le développement agricole et urbain détruit la forêt tropi­cale d'une superficie égale à l'Autriche chaque année, que 3000 espèces animales sont en danger et qu'une centaine d'espèces végétales et animales disparaissent chaque jour, qu'un milliard de citadins respirent de l'air pollué, que l'érosion gruge 25 millions de tonnes de terre arable chaque année, que l'usage accru des engrais chimiques contamine les eaux, que la couche d'ozone se dégrade plus vite que prévu, etc. La CNUED n'a pas encore fait grand chose de concret pour enra­yer tout ça. Au mieux, elle nous a conscientisés seulement, mais elle nous a aussi donné bonne conscience.

Par opposition à la CNUED, le Forum Global, malgré certains petits côtés folkloriques agaçants, a mieux perçu les problèmes et les solutions, mais malheu­reusement les ONG n'ont pas les moyens qu'ont les États pour agir. Le Forum Global 92, ce fut l'alliance des forces vives et des mouvements sociaux de la socié­té civile internationale face au pouvoir économique et politique des industriels et des gouvernements des pays riches. Malheureusement, les ONG n'avaient pas la force suffisante pour affronter ces adversaires.

Le Forum Global, à mon avis, a été beaucoup plus vivant et plus intéressant que la CNUED. Mais même si la CNUED est allée moins loin avec ses documents frelatés et ses décisions diluées que le processus des traités du Forum Global, des ONG et des mouvements sociaux, il faut bien reconnaître que le pouvoir écono­mique et politique se trouvait au Rio Centro et non au Parc Flamengo. Le Forum Global, et plus particulièrement le Forum International des ONG et des mouve­ments sociaux, a produit une quarantaine de traités alternatifs portant sur des sujets économiques, environnementaux et sociaux. De plus, il a contribué à éta­blir des liens entre gens du Nord et gens du Sud, à élargir les perspectives des uns et des autres sur les sujets abordés, à les stimuler à agir pour le développement durable et la réforme de l'ONU, et à former des réseaux d'échange d'informations.

Dans les traités des ONG, il est question du climat, de la biodiversité des forêts, des thèmes de l'Agenda 21, mais aussi des sujets négligés par la CNUED comme le militarisme, le racisme, la dette, les firmes multinationales, l'énergie, la corruption politique. La qualité des textes des ONG est inégale, mais la plupart sont très intéressants, ayant été préparés de longue main et discutés âprement par des militants compétents et convaincus. Le but des traités était de montrer que les ONG peuvent agir de façon autonome, surtout quand il n'y a pas grand chose à espérer des pressions auprès des dirigeants, qui souvent récusent même la simple consultation. Les ONG veulent aussi renforcer leur position institutionnelle et leur légitimité à l'intérieur des instances des Nations-Unies, tout en faisant atten­tion afin de ne pas être cooptées.

Depuis juin 1992, il y a eu plus d'une centaine de rencontres portant sur Rio, en Amérique du Nord seulement, et des centaines de conférences, de numé­ros spéciaux de revues, et d'émissions de radio et de télé ont porté sur Rio. La constitution de réseaux nationaux et internationaux préoccupés par le développe­ment durable et les suites de Rio continue de bon train. C'est donc dire que l'on continuera longtemps de parler de ces sommets de Rio, de se demander si ce furent des échecs ou des réussites.
Conclusion
Si on voit les deux Sommets de Rio comme des événements ponctuels, comme des méga-rencontres médiatiques sans lendemain, alors on peut dire que ce furent des échecs. Mais si on les considère comme des étapes dans un long processus qui va de Stockholm 72 à Nairobi 82, du rapport Brundtland de 1987 aux quatre Prep Com et à Rio 92, processus qui est loin d'être arrivé à son terme, on peut dire que la partie n'est pas encore terminée et qu'il y a encore place pour un peu d'espoir. Il y a bien sûr, des faits encourageants dans l'après Rio, comme la nouvelle solidarité entre ONG et les pays du Sud, la création d'un Conseil de la Terre qui opérera à partir du Costa-Rica et qui surveillera, grâce à l'appui finan­cier du gouvernement de ce pays, entre autres, et la participation de personnalités bien connues du monde non-gouvernemental, la mise en marche des conclusions de la CNUED. Il y a eu aussi la Croix Verte Internationale, qui est en train d'être mise sur pied et dont la présidence sera vraisemblablement confiée à Michael Gorbachev.

Le processus qui va de Rio au 21e siècle exige la participation active des ONG à côté des autres acteurs politiques et économiques. La contribution des ONG commence à être intégrée, comme elle le fut à RIO, dans le processus pour établir une société terrestre basée sur le développement durable. Lors de la Prep Com 4 à New York, un membre d'une ONG de l'Europe de l'Est a même suggéré qu'on crée une chambre basse des ONG à l'Assemblée Générale des Nations-Unies, pour contrebalancer une chambre haute de sénateurs représentant les gou­vernements, mais je doute que de telles réformes soient mises en marche, car elles heurtent de front trop d'intérêts politiques et économiques puissants.

Il faudrait peut-être un autre sommet ou un autre rapport en 1997 pour faire le point, un peu comme le rapport Brundtland a permis de faire le point entre Nairobi en 1982 et Rio en 1992. Il ne faut pas attendre à l'an 2002, encore moins à l'an 2012 pour faire le point, car alors il sera trop tard.

Les deux rencontres de Rio ont constitué une étape décisive dans l'histoire des Nations-Unies, et resteront une date mémorable de cette fin du 2e millénaire. Il ne faudrait toutefois pas que dans 10 ou 20 ans, voire même dans 100 ou 200 ans, ceux qui viendront après nous en parlent comme d'une occasion ratée, comme du Sommet qui a accouché d'une souris, mais plutôt comme d'une rencon­tre qui, en nous ouvrant les yeux, nous a tracé la voie vers la sécurité commune, vers un avenir soutenable et viable, vers un développement authentiquement humain et véritablement durable. Garantir le bien-être de tous sans détruire les bases même de l'équilibre planétaire sur lesquelles reposent la survie de l'humanité n'est pas une tâche qui pouvait être remplie en deux semaines, mais certains jalons ont été posés.

La convention sur les changements climatiques requiert maintenant non seulement d'être ratifiée mais d'être aussi transformée en un protocole qui fixe des buts et des échéanciers, celle sur la biodiversité exige en plus la signature et la ratification des États-Unis pour être vraiment efficace. Et une fois les protocoles signés et ratifiés, il faut que tous les pays signataires fassent ce qu'ils se seront engagés à faire, en ne lésinant pas sur leurs engagements juridiques et financiers comme c'est le cas actuellement pour le Protocole de Montréal sur l'ozone qui passe pourtant pour être un modèle du genre. Le chemin qui nous a conduit à Rio fut ardu, mais celui qui nous conduira de Rio à une solution des grands problèmes qui nous assaillent, dis­putes entre riches et pauvres, famines, guerres fratricides, surconsommation et surpopulation, changements climatiques et pollution endémique, reste encore bien plus ardu.. Dans 20 ans, que dis-je, dans 10 ans, il sera trop tard si nous ne nous mettons pas tout de suite à la tâche d'éliminer la pauvreté des uns et la surconsommation des autres, car c'est là le grand problème environnemental actuel. Le développement durable pour tous, non pas en termes de décennies mais pour des siècles à venir, c'est là le véritable, le seul défi. Les sommets de Rio n'ont pas accompli grand chose en ce sens, mais ils nous interpellent et nous tracent la voie à suivre.

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