Recherches philosophiques








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où les denrées seraient assez abondantes, dit le père du Halde, si l'on y cultivait mieux les terres2 Oui, sans doute ; si l'on y cultivait mieux les terres, les hommes pourraient y vivre, mais les Chinois ne veulent point y vivre.

Pour gagner beaucoup par la pêche, par la navigation & par les fabriques, ils s'établirent le long des côtes de la mer & sur les côtes des grosses rivières, & pour gagner beaucoup par le trafic, ils s'entassent les uns sur les autres dans la capitale & dans les villes commerçantes les mieux situées : de sorte que leur pays a dû paraître sept fois plus peuplé qu'il ne l'est, aux yeux de ceux qui n'ont vu que ces rivières & ces villes. Ceci explique d'abord la cause de l'infanticide ; & ceci explique encore comment les famines peuvent faire de si fréquentes & de si horribles ravages parmi ces gens entassés 3.

Comme ils se multiplient dans de certains cantons, & en laissent d'autres absolument p1.075 vides, il se trouve souvent qu'il n'y a aucune proportion entre le nombre des habitants & la grandeur du terrain habité, quoiqu'on le cultive avec tout le soin imaginable. Dès que la moisson vient à manquer, la mort enlève tous les surnuméraires qui ne se sauvent pas, & ceux qui se sauvent vont se jeter sur les endroits où la récolte a réussi, ce qui occasionne des désordres dont nous n'avons point d'idée, parce que nous n'en avons point d'exemple.

M. Osbeck, qui était à la Chine en 1751, dit que la province de Canton se trouvait encore alors surchargée d'une multitude de familles errantes, que la faim avait chassées du centre de l'empire, ou la mort en avait enlevé une infinité d'autres 1. Ou le père Parrenin n'a point connu l'intérieur de ces provinces, parce qu'il n'avait suivi que les routes qu'on suit dans les voyages ordinaires, ou il a voulu cacher, dans ses lettres à M. de Mairan, le mauvais état de la culture. Il voudrait bien nous faire accroire que l'empereur & les grands mandarins prennent de temps en temps de bonnes mesures pour élaguer le peuple, en le faisant manquer de toute espèce d'aliment, & en sacrifiant sept ou huit cent mille victimes au repos public ; mais j'ose dire, sans crainte d'être jamais démenti, que cette politique détestable est une pure imagination du père Parrenin : car ce sont les famines qui occasionnent les plus grands troubles & qui font que les habitants d'une province attaquent leurs voisins & vont jusqu'à les manger, ce qui n'est point rare à la Chine : il n'y a plus alors aucune ombre d'autorité ni aucun sentiment de commisération ; p1.076 on y a vu des pères dévorer leurs propres enfants : il serait donc aussi absurde que contradictoire que le souverain & les gouverneurs, qui font tout ce qu'ils peuvent pour entretenir la tranquillité, interceptassent eux-mêmes la nourriture du peuple, afin de le faire révolter & de mettre leurs propres jours en danger, car dans les gouvernements despotiques on impute au despote la cause de tous les malheurs qui arrivent. Les Chinois rendent leurs empereurs responsables des dégâts commis par les sauterelles, & cela doit être ainsi dans un état despotique, où l'on oublie Dieu même pour penser au prince qui envahit, autant qu'il peut, les droits du Créateur.

D'un autre côté, le père Parrenin compte aussi au nombre des causes qui produisent les famines, la distillation du riz pour faire ce qu'ils appellent l'arrack, & par là on voit combien peu cet homme était instruit, puisqu'on n'a jamais fait d'arrack à la Chine mais bien du sampsu, qui est infiniment moins fort, & dont le peuple n'use qu'avec la plus grande modération ; car nos voyageurs conviennent qu'ils n'ont jamais rencontré dans les rues de Canton un seul homme ivre. On détruit bien autrement en Europe les grains : je ne dirai pas pour les distiller, mais pour brasser. Or qui a jamais vu en Europe une seule famine produite par l'usage de brasser, comme on en voit si fréquemment à la Chine, où les hommes vont jusqu'au point de se manger les uns les autres. Je ne saurais trop répéter que la véritable cause de tous ces maux consiste dans le défaut total de la culture au centre des provinces.

On s'est étonné de ce qu'on ne forme pas dans tous les gouvernements de grands magasins ; puis outre la difficulté de les remplir, la p1.077 police de la Chine est trop faible, & les troupes y sont trop peu disciplinées pour mettre ces dépôts à l'abri des voleurs & des familles errantes qui viendraient les piller. D'un autre côté, le commerce extérieur, par le moyen duquel on pourrait en un temps de disette, tirer du riz de l'Inde & de Java, n'y a jamais été dirigé comme il devrait l'être, & jamais on n'y a sauvé la vie d'un seul homme par une précaution semblable. Les troupes tartares que les empereurs de la dynastie actuellement régnante, ont réparties dans Pékin & dans les environs, y protègent le dépôt de vivres formé uniquement pour l'entretien de la capitale 1 ; mais les Tartares ne sont point en état de faire de tels établissements dans toutes les provinces, puisqu'ils n'ont pu, par les moyens les plus violents, forcer le peuple à habiter uniformément le pays. Ces conquérants virent dès leur arrivée à la Chine, des abus qui les choquèrent extrêmement : ils virent surtout les inconvénients sans nombre qui résultent de l'irrégularité entre les cantons trop peuplés & ceux qui ne le sont pas assez ou ceux qui ne le sont point du tout : ils crurent que la source du mal consistait dans le commerce maritime & surtout dans la piraterie, qui attirait sur les côtes les familles des provinces méditerranées, où les terres restaient en friche. Là dessus ils firent deux choses bien surprenantes pour corriger le mal dans sa source. Ils défendirent le commerce maritime : ensuite ils démolirent, dans six provinces, les habitations qui se trouvaient jusqu'à une distance de p1.078 trois lieues de la mer 2. Dès que les habitations furent ruinées, ils forcèrent les familles à se retirer plus avant dans le pays où elles se logèrent vraisemblablement dans des trous creusés en terre, comme ces troglodytes qu'on trouve en si grand nombre en plusieurs endroits de la Chine, où l'on ne chercherait pas des troglodytes ; mais la misère incroyable du peuple éloigné des grandes villes, où il est sans cesse pillé par les brigands, ne lui permet point de construire des maisons.

À mesure que les Tartares se sont relâchés sur la défense de la pêche & du commerce maritime, ces familles, établies pour cultiver l'intérieur des terres, ont déserté, & se sont une seconde fois rapprochées des côtes. Toutes les colonies, qu'on envoie de la sorte dans les solitudes des provinces pour décharger les villes de leur populace, désertent parce qu'on manque de troupes réglées pour protéger ces établissements dans leur naissance. Il n'y a pas de doute, de l'aveu même des jésuites, qu'on n'ait tenté plus d'une fois de peupler & de défricher le Koei-Tcheou, dont j'ai parlé, en y faisant passer des colonies, & des gouverneurs avec toute leur famille ; mais comme le vice de tout ceci est dans les principes mêmes du gouvernement, ces moyens ont été aussi inutiles que les sermons des mandarins & des lettrés, qui exhortent souvent les gens à défricher les landes 1 ; p1.079 mais en prêchant de la sorte, ils n'ont garde de se couper ces grands ongles qu'ils portent aux mains, & qui contrastent horriblement avec leurs maximes. Quand le seul appât du gain n'attirerait point le peuple, dans le voisinage des villes commerçantes, l'inquiétude de perdre tout son bien en une nuit, lui rendrait le séjour des cantons fort éloignés dans les terres très désagréable.

« Tous les villages chinois, dit le père Fontaney dans son journal, où je passai ce jour-là, avaient une maison élevée semblable à une petite tour, où les villageois mettent leurs effets plus en sûreté dans les temps de troubles, & lorsqu'ils craignent les irruptions de voleurs.

Si ces irruptions de voleurs sont si à craindre dans le centre de l'empire, & sur les grandes routes que suivait ce voyageur, on peut bien croire qu'il n'y a pas beaucoup de sûreté dans les lieux écartés : il n'y en a pas même pour les étrangers aux environs de Canton, où un botaniste d'Europe, en allant herboriser, fut en deux jours attaqué deux fois par des voleurs chinois, qui voulurent lui enlever jusqu'aux boucles de ses souliers ; ce qui ne lui serait point arrivé, même en traversant un camp d'Arabes Bédouins. Ces faits ne confirment malheureusement que trop les relations du Lord Anson & du capitaine Congrel.

Si à la Chine le pays était régulièrement habité, s'il n'y avait pas tant de voleurs, de moines mendiants, de châtrés, d'esclaves, la fécondité des femmes dans les provinces méridionales, & la nature du climat, y feraient croître extrêmement le nombre des hommes ; puisque malgré tous ces inconvénients, qui ne sont point petits, quelques calculateurs y ont porté la population à quatre-vingt-deux p1.080 millions : je ne doute nullement qu'ils n'exagèrent ; mais quand même ce qu'ils disent, serait vrai, il en résulterait toujours que la Chine, eu égard à sa grandeur est beaucoup moins peuplée que l'Allemagne 2. Et la chose du monde la plus absurde serait de n'avoir aucun égard à la grandeur respective de deux contrées, dont l'une est six fois plus étendue que l'autre, puisque l'Allemagne n'équivaut tout au plus qu'à la sixième partie de la Chine. Comme dans ce pays on ne brûle que du charbon fossile, connu sous le nom de mou-y, il paraît d'abord que cet usage aurait dû y produire les mêmes effets qu'en Europe, où les provinces, qui se servent de ce charbon, peuvent être plus peuplées que celles qui n'emploient que du bois, & qui doivent abandonner beaucoup de terres pour nourrir leurs forêts : tandis qu'on laboure au-dessus des charbonnières en Écosse & au pays de Liège ; mais je ne vois point que cette coutume influe sur la population à la Chine où l'on laisse, dans presque tous les gouvernements, des districts de plus de vingt lieues en longueur entièrement vides ; de sorte que ces déserts sont sans comparaison plus étendus que ne le seraient les forêts, si on n'y brûlait que du bois.

Comme ni les lois, ni les institutions des Chinois, n'ont aucun rapport à la santé & à la salubrité de l'air, cela met une grande p1.081 différence entre eux & les Égyptiens qui avaient tant de lois & tant d'institutions relatives au climat & à la complexion des habitants. Tout cela deviendra bien plus frappant dans la section suivante où je traiterai du régime diététique de l'ancienne Égypte : il ne faut pas objecter que les Chinois ont pu se passer de ce régime & de cette police, parce que leur pays n'est jamais sujet à la peste. J'ignore ce qui a pu donner lieu à cette erreur ; mais je sais qu'en 1504 ce fléau y fit d'horribles ravages. Et la peste noire, la plus célèbre dont il soit parlé dans l'histoire du monde, sortit en 1347, des provinces méridionales de la Chine 1, parcourut toute l'Europe, & comme il n'y avait nulle part quelque ombre de police dans ce siècle de confusion, on ne l'arrêta nulle part : elle alla en Groenland ; elle alla jusqu'au Pôle. Le froid rigoureux des terres arctiques lui prêta de nouvelles forces, parce que toutes les fièvres ardentes s'aigrissent dans le nord : les deux tiers de l'espèce humaine disparurent alors de dessus le globe.

Les Égyptiens avaient beaucoup corrigé le climat de leur pays : ils devaient se précautionner contre deux grands maux, contre la peste & contre la lèpre. On convient assez généralement aujourd'hui que leur méthode pour arrêter la lèpre, était très bonne : aussi, lorsque les Grecs d'Alexandrie crurent pouvoir la négliger, se nourrir indistinctement de toutes sortes d'aliments, ce fléau se répandit-il parmi eux au point qu'on peut soupçonner que la plupart des troupes d'embarquement que p1.082 commandaient Cléopâtre & Antoine à la bataille d'Actium, étaient infectées de l'éléphantiase 2.

Quant aux institutions des Égyptiens pour prévenir les maladies pestilentielles, elles paraissent avoir été aussi efficaces que leur régime par rapport à la lèpre.

Ils avaient multiplié extrêmement le nombre des médecins : tout le pays en était rempli, & cela devait être ainsi. Dès qu'on se proposait d'éteindre la contagion partout où elle éclatait, il fallait veiller partout ; cependant comme l'expérience a démontré qu'en un temps de peste, la police peut autant que la médecine, cela explique pourquoi les lois avaient beaucoup borné en Égypte le pouvoir des médecins : on craignait que leur penchant à essayer de nouveaux remèdes, & à changer à chaque instant de méthode, ne rendit inutile la police, dont l'effet était certain contre des maladies toujours semblables à elles-mêmes. Ceci a paru fort ridicule, à quelques auteurs modernes, qui disent que c'était le comble de la folie de borner le pouvoir des médecins ; mais la vérité est, que rien n'a été plus sage.

On sait que les anciens Égyptiens ont entretenu avec beaucoup de soin les canaux du Nil & comme ils donnaient toujours aux eaux un p1.083 moyen pour s'écouler, elles ne croupissaient pas, comme cela arrive aujourd'hui dans tant d'endroits par l'incroyable négligence des Turcs & des Arabes 1. Si je disais tout ce que les Turcs & les Arabes n'ont pas fait, & tout ce qu'ils auraient dû faire, on concevrait comment il est arrivé, qu'un pays qui autrefois n'était pas absolument malsain, est devenu de nos jours le berceau ou le foyer de la peste. Il faut observer ici que cette maladie n'est point produite par la famine, comme quelques voyageurs, en dernier lieu l'abbé Fourmont, l'ont soutenu ; car par des tables d'annotations continuées pendant un laps de vingt-huit ans, on trouve que la peste a éclaté cinq fois sans avoir été précédée par aucune disette, & sans suivre aucun cours périodique, comme je l'avais d'abord soupçonné. Outre cette épidémie, il s'en manifeste de temps en temps une autre aussi terrible, & apportée au Caire par les caravanes nubiennes, que les Turcs n'ont jamais pensé à soumettre à aucune espèce de quarantaine. Anciennement, c'est-à-dire avant l'époque de la conquête des Persans, ces caravanes ne venaient point à Memphis, puisqu'aucun auteur n'en a parlé ; mais depuis cette époque, il y a eu en Europe deux grandes pestes venues, suivant tous les historiens, de la Nubie ou de l'Éthiopie.

On n'embaume plus aujourd'hui en Égypte ni les hommes ni les bêtes ; & je crois qu'indépendamment de tant d'autres motifs, les Égyptiens ont eu raison de les embaumer, & d'enterrer ces p1.084 momies fort profondément dans des rochers excavés. On s'est imaginé que le procédé des embaumements a occasionné plus de putréfaction & d'inconvénients que l'inhumation ; mais il n'y a qu'à y réfléchir pour concevoir que cela ne saurait être, puisqu'on ne jetait les entrailles que de très peu de personnes dans le Nil : toutes les autres étaient d'abord mises dans le natron, ou l'alkali fixe, & injectées.

Ce qu'il y a de bien certain encore, c'est que les anciens Égyptiens n'ont pas connu le riz ; & quand ils l'auraient connu, ils se seraient bien gardés de le cultiver. Aujourd'hui on le cultive tellement, qu'on en exporte tous les ans plus de quatre cent mille sacs par Damiette : cela seul suffirait pour engendrer des maladies dans un pays où il ne tonne jamais, ou très rarement, & où l'atmosphère imprégnée de substances salines, que le feu du ciel ne consume point, est fort sujette à s'altérer 1. Aussi au moindre signe de contagion, les anciens Égyptiens allumaient-ils des feux distribués d'une p1.085 certaine manière, qui nous est inconnue ; ils sont les inventeurs de cette méthode, qu'ils enseignèrent au Sicilien Acron, qui l'employa dans la peste du Péloponnèse ; & nous voyons bien clairement que les médecins grecs qui suivirent Acron, n'eurent longtemps d'autre secret que celui-là : ils ont mis même quelquefois le feu à d'immenses forêts pour sauver de petits cantons ; mais quand le feu est bien distribué & entretenu par des matières résineuses, il fait plus d'effet que l'embrasement d'un bois ; car il s'en faut de beaucoup que ce soit dans la qualité absorbante des cendres, ou de leur alkali, que consiste la vertu de cette méthode, comme un médecin qui l'essaya dans la peste de Tournai, se l'est persuadé.

Ce qui prouve bien qu'il fallait apporter de grandes & de continuelles précautions en Égypte pour la salubrité de l'air, c'est que les prêtres faisaient faire tous les jours, à différentes reprises, des fumigations dans les villes. On croit qu'ils brûlaient alors cette drogue si célèbre sous le nom de
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