natron ou d'un sel alkalin semblable ; mais p1.097 elles usent dans de tels cas de différentes compositions dont Prosper Alpin décrit quelques-unes ; mais la plus forte, & que Prosper Alpin n'a pas décrite, est une infusion de girofle avec du fiel de crocodile : or on sait que toutes les parties du crocodile sont aphrodisiaques, mais le fiel & les yeux le sont plus que toutes les autres. Ce qu'il y a encore de certain, c'est que les anciens Égyptiens ne buvaient pas habituellement de l'eau du Nil, puisqu'ils avaient une boisson factice, que les historiens ont nommée zythum, & dont on parlera plus amplement dans la section suivante.
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SECTION III
Du régime diététique des Égyptiens
& de la manière de se nourrir des Chinois
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p1.098 Je traiterai, dans cette section, un sujet très important, & qui fera découvrir de grandes différences entre les anciens Égyptiens & les Chinois. Il est vrai, comme on l'a déjà observé, que ces deux peuples ont également pratiqué l'incubation artificielle des œufs ; mais les faits que je citerai, prouvent assez que cette conformité est un pur effet du hasard.
Pour se former, autant qu'il est possible, des idées claires sur une matière qui a été longtemps très confuse, il faut remarquer qu'il y a eu anciennement en Égypte trois régimes différents, dont le premier n'obligeait que la classe des prêtres : le second n'était établi que dans quelques préfectures & dans quelques villes sans s'étendre au-delà : le troisième concernait toute la nation & toutes les préfectures, qui ne pouvaient déroger, par leurs usages particuliers, à la règle universelle ; & si cela est arrivé quelquefois dans des temps postérieurs, c'est qu'alors les institutions nationales avaient perdu leur force par les maux infinis qu'entraîna la conquête.
C'est de ces trois régimes, dont je parlerai suivant leur ordre, que dérivent ceux que les Hébreux & les pythagoriciens ont observés. Le législateur des juifs se conforma beaucoup p1.099 au goût de son peuple, & beaucoup au climat ; comme il ne voulut point que les lévites fussent distingués à cet égard du reste des tribus, ni les tribus entre elles, il fit des changements aux pratiques de l'Égypte, qu'il réduisit à un plus petit nombre ; parce qu'elles étaient trop multipliées pour l'objet qu'il se proposait. Mais il n'en est point précisément ainsi de Pythagore, dont le système sur les aliments est mal imaginé, & plus digne d'un fondateur d'ordre que d'un philosophe : aussi avons-nous eu en Europe un auteur ridicule, qui a soutenu que cet Italien avait été moine au mont Carmel ; & (ce qui est à peu près la même chose) quelques saints pères l'ont soupçonné d'avoir judaïsé. Il faut donc bien qu'avant d'entrer en matière, j'explique en peu de mots l'erreur de Pythagore. D'abord il partit pour l'Égypte, où il se fit circoncire, & où il adopta le régime des prêtres sans l'examiner, sans rechercher la cause de l'aversion qu'ils avaient pour tous les poissons, & pour beaucoup de végétaux ; ensuite il partit pour l'Inde, où les lois & la religion se conformant aux besoins du climat, avaient également établi un régime diététique, qui, en un laps de dix-sept à dix-huit cents ans, paraît avoir essuyé quelques changements dont je ne me suis pas proposé de parler ici. Arrivé dans l'Indoustan, Pythagore y embrassa encore servilement la règle des bramines, qui lui défendirent de manger la chair des animaux, & surtout celle des veaux ; ce que les prêtres égyptiens lui avaient néanmoins permis en le circoncisant. De toutes ces observances, qui sont comme on le voit, très contradictoires entre elles, il fit quelque chose de monstrueux, sans s'apercevoir que ce qui convenait au sud de l'Asie & à une partie de l'Afrique, ne pouvait p1.100 convenir à l'Europe. Cet homme, au lieu d'étudier les productions de chaque pays, & les maladies de chaque pays, céda toujours au préjugé, céda toujours à l'autorité, & se guida ainsi, durant le cours de sa vie, par les idées des autres & jamais par les siennes. Ce qu'il y eut de bien triste, indépendamment de ce ton despotique qu'il introduisit dans la philosophie, c'est que les pythagoriciens, par un effet de leur régime, devinrent insociables, & ne purent manger à la table de leurs concitoyens ; aussi cette secte disparut-elle de dessus la Terre, & Apollonius de Tyane, quoiqu'il ait tant prêché, est mort sans imitateurs.
Plus je réfléchis à la diète des prêtres de l'Égypte, & plus je me persuade qu'ils tâchaient principalement d'éviter la lèpre du corps, la lèpre des yeux ou la sporophtalmie, & la gonorrhée, qui, dans leur pays, est plus ou moins compliquée avec ces deux indispositions, lesquelles les eussent rendu immondes, ou, ce qui est la même chose, inhabiles aux fonctions de leur ministère.
Comme ils devaient être infiniment plus purs que le peuple, ils s'abstenaient aussi d'une infinité de choses, qu'on ne défendait pas au peuple.
On a observé que les Grecs modernes, qui ont beaucoup de jours de jeûne, & qui mangent, par conséquent, beaucoup de poisson, contractent bien plus souvent la lèpre au Levant, que les Turcs, qui mangent plus de viande. Cette observation est vérifiée par l'effet que produit chez les peuples ichtyophages la nature de leur aliment ordinaire. Ces peuples-là sont sujets à une maladie de la peau.
Ainsi les prêtres égyptiens ont été instruits à cet égard par l'expérience. Ils avaient renoncé p1.101 à toutes les espèces de poissons, soit qu'ils eussent des écailles, soit qu'ils n'en eussent pas. Mais ils avaient une aversion particulière pour les espèces pêchées dans la Méditerranée comme on le voit par tant de passages, & surtout par les symboles de Pythagore, tels que Gyralde les a recueillis 1. Car outre la défense générale, on y défend encore en termes plus exprès le scare, le rouget & l'ortie, qui ne se trouvent pas dans le Nil.
L'ortie errante n'est pas proprement un poisson : les anciens l'ont rangée parmi les zoophytes, & les modernes parmi les vers moluses ; mais à quelque genre qu'on le rapporte, il n'y a pas de doute que sa chair ne soit plus pernicieuse qu'on ne pourrait le dire, à tous ceux que la phlictène ou la fausse gonorrhée afflige.
Ce sont les prêtres de l'Égypte, qui les premiers ont mis en fait, que le scare est le seul des poissons qui rumine, & jusqu'à présent on ne connaît point de naturaliste qui ait été en état de les contredire sur cet article. D'où on peut inférer avec quelque certitude, qu'ils avaient étendu fort loin leurs recherches sur toutes les productions de la nature animée ; mais il serait à souhaiter, que moins s mateurs des énigmes, ils n'eussent pas enveloppé quelques-unes de leurs connaissances de ténèbres qu'on désespère souvent de pouvoir dissiper.
Comme il y a des auteurs grecs, qui en parlant du rouget de Pythagore, le nomment plus positivement trigla, cela nous indique le surmullet, poisson que les Romains payaient si cher & pour le manger & pour le voir mourir ; car il donne en expirant le spectacle le plus p1.102 singulier par la vivacité des différentes couleurs dont son corps se peint à mesure que son sang cesse de circuler. Malgré tout cela, on le défendait aux personnes initiées dans les mystères d'Éleusis ; parce qu'on le soupçonne d'avaler de temps en temps les lièvres marins ; ce qui peut empoisonner la chair sans le faire mourir 1, par un effet tout à fait semblable à celui que les pommes du mancanillier produisent dans de certains poissons de mers de l'Amérique. Quant à la rougeur de ses nageoires, qui lui donnait de la conformité avec le typhon, c'est une allégorie réellement égyptienne, & qu'on a étendue jusqu'à la perche & au spare, comme on s'en apercevra, lorsque je parlerai en particulier, du régime des provinces ou des nomes.
C'est une opinion assez généralement adoptée, que les prêtres de l'Égypte ne salaient pas leurs aliments. Mais ce qu'il y a de très vrai, c'est qu'ils s'abstenaient du sel qu'on faisait avec de l'eau de la Méditerranée, & de celui qu'on tirait des lacs du nome nitriotique où indépendamment du natron, il existe aussi un sel commun, ainsi qu'on le sait par les observations du père Sicard.
Il ne faut pas douter que la crainte de se voir infectés de la phlictène, n'ait porté les prêtres à rejeter de leur régime les mets fort salés, & rien n'est plus aisé à concevoir que le sens de la fable qu'ils débitaient sur la nephtis ou la Vénus cythéréenne, née, suivant eux, de l'écume de la mer. Comme avec tout cela il leur eût été presque impossible de se nourrir de choses parfaitement insipides, ils employaient en petite quantité un sel gemme qu'on leur p1.103 apportait de la Marmarique, à ce que dit Arrien 1 ; mais je m'imagine qu'ils le faisaient venir de la partie de l'Éthiopie, que les modernes nomment l'Abyssinie, & où ce fossile est encore commun de nos jours. S'ils ont cru que le sel gemme était dans de tels cas, moins nuisible que celui de la mer ou des puits salés, ils doivent avoir eu des observations qui nous sont inconnues, ou ils se sont trompés. Au reste, on peut conclure de tout ceci qu'il n'est pas vrai, que, par une loi particulière, il était défendu à l'ordre sacerdotal de faire entrer dans la nourriture des choses que l'Égypte ne produisait pas ou qui n'y croissaient pas : ce qui prouve encore qu'une telle loi n'a jamais eu lieu, c'est l'importation très considérable de l'huile d'olive, faite aux environs d'Athènes, & dont on sait que Platon amena un navire chargé en Égypte 2, pour payer vraisemblablement ceux d'entre les prêtres d'Héliopolis, qui lui communiquèrent des connaissances philosophiques qu'il n'avait pas au sortir de son pays. Pour comprendre ceci, il faut observer que les Égyptiens se servaient de beaucoup d'espèces d'huiles factices : ils en tiraient de la graine de sésame, du ricin & du carthame ou le cnicus des anciens : ils en tiraient de la graine de rave & même de la graine d'ortie, qu'ils cultivaient régulièrement en plein champ, & c'est en quoi on pourrait bien, si l'on voulait, les imiter en Europe ; car je suppose avec beaucoup de vraisemblance qu'on ne l'a jamais essayé 3. Cependant les prêtres jugeaient toutes p1.104 ces sortes d'huiles, sans même excepter celle de sésame, malsaines pour eux, & ils n'en faisaient, comme Porphyre le dit, presqu'aucun usage. Mais ils n'en était point ainsi de l'huile d'olive, qu'on leur apportait de la Judée & de l'Attique ; car le terrain de l'Égypte n'est pas du tout favorable aux oliviers, hormis dans de très petits cantons à l'occident d'un lieu nommé aujourd'hui Bénisuef, & à Abydus dans la Thébaïde.
Un article difficile à éclaircir est celui qui concerne le vin ; parce que quelques auteurs ont voulu nous persuader qu'il n'avait pas été rigoureusement interdit aux personnes qui remplissaient les premières charges de la classe sacerdotale. Mais ces auteurs-là se sont trompés. Je crois que l'Égypte n'avait pas même de vignobles avant les rois pasteurs, ou les conquérants arabes, qui en firent des plants, & burent du vin ou du moût à leur table, ce qui était prodigieux, & entièrement opposé aux lois de la nation conquise. Aussi après l'expulsion de ces usurpateurs, reprit-on l'ancienne coutume de ne jamais servir du vin aux pharaons, ce qui dura très longtemps : puisque cela dura jusqu'à Psammétique, qui eut, comme on sait, tant de penchant pour les mœurs de la Grèce, & tant d'aversion pour les mœurs de son pays, où on ne regardait pas la sobriété comme une vertu, mais comme le premier p1.105 devoir du souverain : aussi tout, fut perdu sans ressource, lorsqu'on vit le luxe d'un roi d'Égypte, égaler le luxe d'un empereur de Perse.
Pythagore, qui ne délibérait jamais sur ce qu'il faut faire, ni sur ce qu'il faut omettre, adopta sans restriction & par rapport à lui & par rapport à ses disciples, le précepte du régime égyptien touchant la défense du vin ; mais Moïse ne l'adopta point, & permit cette liqueur à un peuple tel que les Hébreux, qui avaient tant de conformité avec ces Arabes pasteurs, dont je viens de parler, & qui témoignèrent une passion singulière pour le vin, dont les effets sont en tous sens très pernicieux dans les pays chauds où la lèpre est à craindre & le despotisme établi. Je ne pense pas qu'on puisse lire dans l'histoire des excès de cruauté plus horribles que ceux qu'ont commis pendant des instants d'ivresse, les sultans de Perse depuis Alexandre jusqu'à Soliman III ; mais il faut avouer aussi qu'il y a eu un excès de faiblesse de la part des ministres, qui n'ont point empêché l'exécution de ces ordres donnés par des furieux ou des bêtes féroces, car on ne saurait nommer autrement un despote ivre.
Ce qu'il y a de certain, c'est que les prêtres s'opposèrent toujours en Égypte à la culture de la vigne, & la firent même arracher, mais des princes tels que Psammétique & Amasis, qui entretenaient une si étroite liaison avec la Grèce, pouvaient aisément en tirer par la voie de Naucrate autant de vin qu'on en consommait à leur cour ; quoique ce pays n'eût plus alors de vignobles, & Hérodote, qui le parcourut longtemps après, n'y en trouva pas encore. Ainsi, quand Athénée dit, que la ville d'Anthylle & les vignes de ses environs avaient été données par forme d'apanage aux reines d'Égypte, il p1.106 se trompe ouvertement : car Anthylle n'a jamais fait partie de l'apanage des reines, & ce ne fut qu'après la conquête de Cambyse, qu'on l'assigna aux impératrices de Perse ; ce qui fit nommer cet endroit Gynæcopolis ou la ville des femmes, nom qu'il a conservé dans l'histoire & dans la géographie. Sous les Ptolémées la culture des vignes recommença & continua sous le gouvernement des Romains jusqu'à la conquête des kalifes, qui la firent cesser, & elle cesse encore. Ce qui justifie le sentiment des prêtres sur le danger du vin sous un climat tel que le leur, c'est que la plupart des peuples de l'Afrique septentrionale l'ont adopté, & les Arabes jectanites, qu'il faut toujours bien distinguer des Mosarabes & des Hébreux, l'adoptèrent aussi. Tout cela était établi de la sorte longtemps avant la naissance de Mahomet, & les commentateurs de l'Alkoran ne se sont fait aucun scrupule de forger le conte absurde qu'ils rapportent à cette occasion 1. On voit par le Traité de l'abstinence de Porphyre que les prêtres de l'Égypte osaient bien soutenir que l'usage du vin empêche les savants & les philosophes de faire des découvertes 1. Cette opinion peut être venue, parce qu'ils s'appliquaient principalement à la géométrie & à l'astronomie, deux sciences qui exigent une grande présence d'esprit, & je crois comme eux, qu'un géomètre, qui boirait beaucoup avant que de se mettre à l'étude, ne ferait point des découvertes de la dernière importance.
p1.107 C'est par plusieurs passages d'auteurs anciens qu'on sait que la viande de cochon avait été sur toutes choses interdite aux personnes attachées à l'ordre sacerdotal, quoiqu'elle fût permise une fois ou deux par an au peuple, ce qui pouvait certainement contribuer à aigrir la lèpre, dont cet animal semble porter en lui-même le principe : car comme la graisse dont il est chargé l'empêche de transpirer autant que cela serait nécessaire dans les pays chauds, son sang & ses humeurs fermentent quelquefois tellement qu'il en résulte une éruption. Comme c'est par ce même défaut de transpiration que les chiens sont aussi sujets au Levant & dans les Indes à la lèpre, à la rage & à la gonorrhée, il semble qu'on aurait dû avoir pour eux encore plus d'horreur que pour les cochons. Mais c'est tout le contraire : les qualités morales du chien l'avaient emporté sur ses indispositions, & il était au nombre des premiers animaux auxquels les Égyptiens aient rendu un culte. Au reste, ce serait faire tort aux lumières des prêtres, de croire qu'ils ont à cet égard ignoré le danger ; puisqu'ils avouent eux-mêmes que ceux qu'on chargeait d'embaumer les chiens sacrés, lorsqu'ils étaient morts de l'hydrophobie ou de la rage, en contractaient une maladie & en devenaient splénétiques, suivant l'expression grecque, employée par le traducteur d'Horus-Apollon 2. Mais ces embaumeurs n'étaient pas admis dans la première classe sacerdotale, composée p1.108 d'hommes presque inaccessibles, & dont les précautions étaient extrêmes : ils se lavaient plusieurs fois en vingt-quatre heures avec l'infusion du |